Différences entre les versions de « Impérialisme »

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[[File:ImperialismeBlanc.gif|right|ImperialismeBlanc.gif]]L''''impérialisme''' a un sens général, de domination et d'expansionnisme de la part d'un pays sur d'autres, et un sens particulier de [[Stade_impérialiste|stade impérialiste]] du capitalisme.
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L''''impérialisme''' a un sens général, de domination et d'expansionnisme de la part d'un pays sur d'autres, et un sens particulier de [[Stade_impérialiste|stade impérialiste]] du capitalisme.
  
 
== L'impérialisme, en général ==
 
== L'impérialisme, en général ==
  
 
L'impérialisme, en tant qu'expansionnisme par les conquêtes d'une nation sur d'autres est un trait très ancient des sociétés humaines. Depuis que des [[Classe_dominante|classes dominantes]] existent, organisées en différents [[États|États]], elles sont sans cesse engagées dans des rivalités pour l'obtention de [[Richesse|richesses]], le contrôle de ressources naturelles ou d'esclaves.
 
L'impérialisme, en tant qu'expansionnisme par les conquêtes d'une nation sur d'autres est un trait très ancient des sociétés humaines. Depuis que des [[Classe_dominante|classes dominantes]] existent, organisées en différents [[États|États]], elles sont sans cesse engagées dans des rivalités pour l'obtention de [[Richesse|richesses]], le contrôle de ressources naturelles ou d'esclaves.
<blockquote>«&nbsp;L'histoire a connu l'impérialisme de l'Etat romain fondé sur le travail des esclaves; l'impérialisme de la propriété terrienne féodale; l'impérialisme du capital commercial et industriel; l'impérialisme de la monarchie tsariste, etc.&nbsp;»<ref name="EncoreUneFois">Trotsky, [http://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/defmarx/dma4.htm Encore et encore une fois sur la nature de l'URSS], 1939</ref><br/></blockquote>
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<blockquote>«&nbsp;L'histoire a connu l'impérialisme de l'Etat romain fondé sur le travail des esclaves; l'impérialisme de la propriété terrienne féodale; l'impérialisme du capital commercial et industriel; l'impérialisme de la monarchie tsariste, etc.&nbsp;»<ref name="EncoreUneFois">Trotsky, [http://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/defmarx/dma4.htm Encore et encore une fois sur la nature de l'URSS], 1939</ref></blockquote>
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Il n'y a pas de théorie générale de l'impérialisme faisant consensus chez les marxistes. La plupart considèrent que l'impérialisme de chaque époque prend sa source dans le mode de production de cette époque, et ne peut donc pas avoir d'explication transhistorique (contrairement par exemple [[Stade_impérialiste#La_conception_de_Joseph_Schumpeter|à Schumpeter]]).
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C'est ainsi par exemple que Boukharine critiquait ceux qui définissent l'impérialisme comme la ''«&nbsp;politique de conquête en général&nbsp;»''&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;De ce point de vue, on peut parler tout autant d'Alexandre le Macédonien et de l'impérialisme des conquérants espagnols, de l'impérialisme de Carthage et Ivan III, de la Rome antique et l'Amérique moderne, de Napoléon et de Hindenburg. Aussi simple que soit ''cette théorie, elle est absolument fausse. Fausse car elle «explique» tout, c'est-à-dire qu'elle n'explique absolument rien. Toute politique des classes dirigeantes (politique «pure», politique militaire, politique économique) a une signification fonctionnelle parfaitement définie. Née d'un système de production donné, elle sert à reproduire les rapports de production donnés, simplement ou sur une plus grande échelle. La politique des seigneurs féodaux renforce et élargit les relations de production féodales. La politique du capital commercial augmente la sphère de domination du capitalisme commercial. La politique du capitalisme financier reproduit la base de production du capital financier sur une échelle plus large. ''»''<ref>Boukharine, ''[https://www.marxists.org/archive/bukharin/works/1917/imperial/09.htm Imperialism and World Economy, Chapter 9: Imperialism as an Historic Category]'', 1915</ref></blockquote>  
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=== Colonialisme antique et féodal ===
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Les Grecs et les Phéniciens ont fait un pacte vers -500 pour se partager la péninsule ibérique&nbsp;: les Phéniciens avaient le contrôle sur les terres au sud de l’Ebre. Un des enjeux était le contrôle des mines.
 
Les Grecs et les Phéniciens ont fait un pacte vers -500 pour se partager la péninsule ibérique&nbsp;: les Phéniciens avaient le contrôle sur les terres au sud de l’Ebre. Un des enjeux était le contrôle des mines.
  
 
Conflit entre Rome et Carthage autour de la Sicile entre -264 et -241.
 
Conflit entre Rome et Carthage autour de la Sicile entre -264 et -241.
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Le philosophe arabe [[Ibn_Khaldoun|Ibn Khaldoun]] (1332-1406) nommait [[Asabiyya|asabiyya]]<ref>https://fr.wikipedia.org/wiki/Asabiyya</ref> la cohésion sociale (au sens de liens plus ou moins "claniques" existant au sein d'un peuple, et decrivait comment l'asabiyya déclinait particulièrement dans les villes des grands empires, et menait à leur chute face à des peuples nomades des périphéries à la forte asabiyya, puis comment les conquérants avaient tendance à adopter le mode de vie du peuple conquis et subir le même processus. Même si cette observation à elle seule ne suffit pas (elle conduit à une analyse cyclique de l'histoire) elle comprend des éléments empiriques qui doivent être intégrés à une analyse [[Conception_matérialiste_de_l'histoire|matérialiste]].
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=== Colonialisme européen moderne ===
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Les puissances européennes notamment avaient déjà formé des empires coloniaux aux 17<sup>ème</sup> et 18<sup>ème</sup> siècles.
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<blockquote>''«&nbsp;l'Angleterre et la France ont fait la guerre de Sept Ans [1756-1763] à cause des colonies, c'est‑à‑dire qu'elles ont fait une guerre impérialiste (laquelle est possible aussi bien sur la base de l'esclavage, ou du capitalisme primitif, que sur celle du capitalisme hautement développé de notre époque).&nbsp;»<ref>Lénine, [http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/07/vil191607001.htm ''A propos de la brochure de Junius''], 1916</ref>''</blockquote>
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En France, la période qui est souvent appelée "la colonisation" a eu lieu sous la [[Troisième_République|Troisième République]], de 1871 à 1914. A cette époque, une poignée de pays (France, Allemagne, Angleterre et États-Unis) possèdent 80% du capital financier mondial.
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Pour appuyer cette domination d'autres peuples, les classes dominantes occidentales ont développé des [[Idéologies|idéologies]] [[Réactionnaires|réactionnaires]] et oppressives comme le [[Racialisme|racialisme]].
  
 
== L'impérialisme vu par Marx et Engels ==
 
== L'impérialisme vu par Marx et Engels ==
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Mais l’opportunisme allait croissant dans l’appareil social-démocrate. Une fièvre nationaliste déferle sur l’Allemagne en 1907 après un massacre colonial en Namibie, et le [[SPD|SPD]] perd soudain la moitié de ses votes. Bien que la majorité du congrès international de Stuttgart réaffirme sa condamnation du colonialisme, la droite et même des membres du centre prônent une adaptation. Bernstein osait dire que le SPD devait ''«&nbsp;développer en positif une politique coloniale socialiste&nbsp;»''. Au Reichstag, les députés socialistes assouplissent de plus en plus leur position antimilitariste.
 
Mais l’opportunisme allait croissant dans l’appareil social-démocrate. Une fièvre nationaliste déferle sur l’Allemagne en 1907 après un massacre colonial en Namibie, et le [[SPD|SPD]] perd soudain la moitié de ses votes. Bien que la majorité du congrès international de Stuttgart réaffirme sa condamnation du colonialisme, la droite et même des membres du centre prônent une adaptation. Bernstein osait dire que le SPD devait ''«&nbsp;développer en positif une politique coloniale socialiste&nbsp;»''. Au Reichstag, les députés socialistes assouplissent de plus en plus leur position antimilitariste.
  
=== Premières théories sur l'impérialisme ===
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Dans ''Le socialisme et la politique coloniale'' (1907)<ref>Karl Kautsky, [https://www.marxists.org/archive/kautsky/1907/colonial/ ''Le socialisme et la politique coloniale''], 1907</ref> Kautsky polémique avec certaines positions de la droite.
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=== Premières théories sur l'impérialisme et opportunisme ===
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{{Voir|Stade impérialiste}}
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De nombreuses réflexions ont eu lieu sur l'impérialisme à partir des années 1900. Notamment celles de [[Kautsky|Kautsky]], de [[Hilferding|Hilferding]] (1911), de [[Luxemburg|Luxemburg]] (1913) ou de l'intellectuel libéral anglais John A. Hobson (1902). Tous les auteurs observaient des changements économiques majeurs ([[Centralisation_du_capital|centralisation du capital]] en [[Monopoles|monopoles]], essor du [[Capital_financier|capital financier]]...) et tentaient d'en donner des interprétations.
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Certains points importants soulevaient des débats, notamment la question de savoir si l'internationalisation du capital éloigne le risque de guerre ou non. Cette idée, originellement défendue par Bernstein ([[Révisionnisme_(années_1890)|révisionniste de droite]]) et combattue par tous les autres, sera finalement reprise par Kautsky à partir de 1911 (théorie de l'[[Ultra-impérialisme|ultra-impérialisme]]). Ce n'est pas seulement un changement d'analyse, car Kautsky va aussi commencer à proposer de s'allier à des franges pacifistes de la [[Bourgeoisie|bourgeoisie]]. [[Jaurès|Jaurès]] en France aura la même évolution. Lui qui disait en 1895 que «&nbsp;le ''capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage''&nbsp;» parle en 1911 du&nbsp;«&nbsp;''capitalisme moderne''&nbsp;» et des Etats-Unis comme des forces de paix.
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Ces réflexions de Kautsky, de Hobson, et Hilferding auront largement influencé l'élaboration de Lénine. Sur le plan théorique, Lénine affirmera même n'avoir fait que maintenir la position initiale de Kautsky. En effet de nombreuses idées étaient présentes chez Kautsky&nbsp;: l'idée qu'il s'annonce une époque de guerres et de révolutions, que les révolutions coloniales pourront s'allier aux révolutions ouvrières dans les métropoles, que l'impérialisme créé une aristocratie ouvrière...
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== La guerre de 1914 et les internationalistes ==
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=== La guerre impérialiste ===
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Lorsque la [[Première_guerre_mondiale|Première guerre mondiale]] a éclaté, l'[[Internationale_socialiste|Internationale socialiste]] a volé en éclats. Alors qu'elle avait proclamé lors de ses congrès qu'elle s'opposerait par tous les moyens à ce que les [[Prolétaires|prolétaires]] de tous les pays soient envoyés au front pour s'entretuer, ses principaux partis se sont rangés derrière leur bourgeoisie contre "l'étranger" ([[Union_sacrée_(1914)|Union sacrée]]). Le social-chauvinisme s'étale sans honte, comme le dirigeant SPD Hermann Molkenbuhr qui dit brutalement : ''«&nbsp;Dans les deux mois qui vont suivre, nous en finirons avec la France. Nous nous tournerons alors vers l'Est. Nous en finirons avec les troupes du tsar, et, alors, dans trois mois, dans quatre au plus, nous donnerons à l'Europe une paix solide&nbsp;»''.<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/mavie/mv20.htm Ma vie]'', 1930</ref>
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Pour justifier sa politique, la social-démocratie allemande s’est appuyée sur le fait que [[L'impérialisme_vu_par_Marx_et_Engels|Marx et Engels décidaient au cas par cas]] du camp qu'il fallait soutenir dans une guerre. Les socialistes de gauche ([[Luxemburg|Luxemburg]], [[Lénine|Lénine]], [[Trotsky|Trotsky]], [[Frantz_Mehring|Mehring]], [[Anton_Pannekoek|Pannekoek]]...), au contraire, dénonçaient clairement cette guerre mondiale comme ''«&nbsp;guerre impérialiste (c'est-à-dire une guerre de conquête, de pillage, de brigandage)&nbsp;».''
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Luxemburg allait jusqu’à généraliser en affirmant qu’à l’[[Stade_impérialiste|époque impérialiste]] il n’y a plus de «&nbsp;guerre nationale&nbsp;», au sens d’alors, de [[Guerre|guerre]] juste (guerre défensive, guerre de libération nationale...). Ce que Lénine critiquera.<ref>Lénine, [http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/07/vil191607001.htm ''A propos de la brochure de Junius''], 1916</ref>
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Dans le contexte de cette guerre impérialiste, il n'y avait pas de camp à soutenir, donc il fallait être partout contre la guerre, et chercher à ''«&nbsp;transformer la guerre impérialiste en guerre civile&nbsp;»'' ([[Lutte_de_classe|lutte de classe]]). Le révolutionnaire allemand [[Karl_Liebknecht|Karl Liebknecht]] diffusait au front le mot d'ordre ''«&nbsp;L'ennemi principal est dans notre propre pays&nbsp;!&nbsp;»'' Quant à Lénine, il est célèbre pour avoir prôné un ''«&nbsp;défatisme révolutionnaire&nbsp;»''.
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{{Voir|Défaitisme révolutionnaire}}
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=== Question nationale et pays dominés ===
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La social-démocratie s'était historiquement affirmée pour le [[Droit_à_l'auto-détermination_des_peuples|droit à l'auto-détermination des peuples]]. Elle avait surtout abordé le problème des minorités nationales au sein ou vis-à-vis des vieux empires oppresseurs (les Hongrois ou les Serbes vis-à-vis des Autrichiens, les Polonais vis-à-vis de tous les voisins, les nombreuses minorités dans l'Empire russe, les Irlandais vis-à-vis de l'Angleterre...). Cela constituait ce que les socialistes et les républicains progressistes appelaient la ''«&nbsp;[[Question_nationale|question nationale]]&nbsp;»''. Le colonialisme et l'impérialisme, qui passent au devant de la scène au début du 20<sup>e</sup> siècle, ont bien sûr des points communs avec ces questions. D'ailleurs la commission chargée d'élaborer l'orientation anti-impérialiste lors du 2<sup><sub>e</sub></sup> congrès de l'[[Internationale_communiste|Internationale communiste]] s'appelait ''«&nbsp;commission nationale et coloniale&nbsp;»''.<ref>Lénine, II° congrès de l'IC, [https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1920/07/vil19200726.htm ''Rapport de la commission nationale et coloniale''], 1920</ref> Elle s'intéressait à la fois aux&nbsp;''«&nbsp;mouvements révolutionnaires des pays dépendants ou lésés dans leurs droits (par exemple, l'Irlande, les noirs d'Amérique, etc.)&nbsp;»'', des colonies, et des ''«&nbsp;pays financièrement dépendants&nbsp;»''.
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Lénine résumait l'objectif central&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;En premier lieu, quelle est l'idée essentielle, fondamentale de nos thèses&nbsp;? La distinction entre les peuples opprimés et les peuples oppresseurs. Nous faisons ressortir cette distinction, contrairement à la II° Internationale et à la démocratie bourgeoise. (...)'' 70&nbsp;% de la population du globe, appartient aux peuples opprimés, qui ou bien se trouvent placés sous le régime de dépendance coloniale directe, ou bien constituent des Etats semi‑coloniaux (...) ou encore vaincus par l'armée d'une grande puissance impérialiste se trouvent sous sa dépendance en vertu de traités de paix.''»''</blockquote> [[File:AfficheSFICcolonies.jpg|right|372x282px|AfficheSFICcolonies.jpg]]
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Lénine prenait position dès 1915 pour les guerres de libération nationale qui seraient menées par des [[Pays_dominés|pays dominés]]&nbsp;:
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<blockquote>''&nbsp;«&nbsp;Si demain le Maroc déclarait la guerre à la France, l’Inde à l’Angleterre, la Perse ou la Chine à la Russie, etc., […] tout socialiste appellerait de ses vœux la victoire des États opprimés, dépendants, lésés dans leurs droits, sur les "grandes" puissances oppressives, esclavagistes, spoliatrices.&nbsp;»''<ref>Lénine et Zinoviev, [https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1915/08/vil19150800b.htm ''Le socialisme et la guerre''], 1915</ref></blockquote>
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Cela impliquait donc une position de [[Défaitisme_révolutionnaire|défaitisme révolutionnaire]] pour les communistes des pays impérialistes.
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Rompant avec la social-démocratie qui cautionnait de plus en plus la politique coloniale, les communistes mènent une lutte anti-impérialiste réelle. Il s'affirment clairement pour les mouvements anti-colonialistes, et pour la défaite des troupes coloniales de "leur" impérialisme. Par exemple&nbsp;:
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*En Russie, les bolchéviks se lancent lors de la [[Révolution_russe_(1917)|révolution de 1917]] dans une politique de reconnaissance des peuples opprimés par le tsarisme.
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*Les communistes organisent avec leurs sections orientales et d'autres forces anti-impérialistes le [[Congrès_des_peuples_de_l'orient|Congrès des peuples de l'Orient]] en 1920.
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*En France, la jeune [[SFIC|SFIC]] organisait des militants communistes et anti-impérialistes comme [[Hadjali_Abdelkader|Hadjali Abdelkader]], ou Nguyen-Ai-Quac (le futur [[Ho_Chi_Minh|Ho Chi Minh]]).
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Alors que les partis social-démocrates n'étaient présents quasiment qu'en Europe, des [[Parti_communiste|partis communistes]] émergent dans de nombreux [[Pays_dominés|pays dominés]] à la suite de la [[Révolution_russe_(1917)|révolution russe]]. D’importants débats agitent alors l’[[Internationale_communiste|Internationale communiste]], sur la stratégie et la tactique qu'il convient d'adopter pour combiner au mieux la [[Lutte_des_classes|lutte&nbsp;des classes]] et la [[Lutte_de_libération_nationale|lutte des peuples opprimés]]. Quelle attitude devaient avoir les communistes vis-à-vis des partis bourgeois [[Anti-impérialistes|anti-impérialistes]]&nbsp;? Quels compromis pouvaient-ils voire devaient-ils faire, et ne pas faire&nbsp;? Cela conduit l'Internationale à adopter le front unique anti-impérialiste en 1922.
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{{Voir|Front unique anti-impérialiste}}
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=== Un nouveau type d'impérialisme ===
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Les bolchéviks ne niaient pas qu’il y avait des grandes puissances et des guerres impérialistes avant le capitalisme. A leur époque il coexistait des puissances capitalistes et de vieux empires basés sur la [[Propriété_foncière|propriété foncière]], en déclin (Empire chinois, Empire ottoman, Empire austro-hongrois, Empire russe…). En particulier, la Russie était mise dans le sac des «&nbsp;''nations dominatrices (grands-russes, anglo-américains, allemands, français, italiens, japonais, etc.)''&nbsp;»<ref>Lénine, [http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/01/19160100.htm ''La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes''], 1916</ref> Ils combattaient aussi bien les «&nbsp;''monarchies impérialistes&nbsp;» ''que les''«&nbsp;bourgeoisies impérialistes&nbsp;''», tout en constatant que les puissances basées sur l’ancien type d’impérialisme déclinaient. Par exemple Radek rappelait que Marx et Engels (entre 1845 et 1890) considéraient la Russie tsariste comme la principale puissance (réactionnaire)&nbsp;:
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<blockquote>&nbsp;«&nbsp;[…] ''la Russie tsariste et féodale qui, bien qu'à cette époque, sous l'influence du développement capitaliste elle commençât à se désagréger et ne puisât plus sa force que dans la rivalité des puissances capitalistes, n'en avait pas moins à sa disposition des millions de paysans abêtis qu'elle eût pu envoyer en Europe pour réprimer un mouvement révolutionnaire.''&nbsp;»<ref>Karl Radek, [http://www.marxists.org/francais/radek/works/1920/06/pologne.htm ''La question polonaise et l'Internationale''], 1920</ref></blockquote>
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Lénine précisait&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;''Au Japon et, en Russie, le monopole de la force militaire, l'immensité du territoire ou des commodités particulières de spoliation des allogènes, de la Chine, etc., suppléent en partie, remplacent en partie le monopole du capital financier contemporain, moderne.''&nbsp;» ''«&nbsp;En Russie, l'impérialisme capitaliste du type moderne s’est pleinement révélé dans la politique du tsarisme à l'égard de la Perse, de la Mandchourie, de la Mongolie; mais ce qui, d'une façon générale, prédomine en Russie, c'est l'impérialisme militaire et féodal.&nbsp;»''<ref name="ImpScission">Lénine, [http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/10/vil191610001.htm ''L’impérialisme et la scission du socialisme''], 1916</ref></blockquote>
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L'impérialisme que décrivent les communistes du début du 20<sup>e</sup> siècle, c'est donc majoritairement cet ''«&nbsp;impérialisme capitaliste du type moderne&nbsp;»''. C'est lui que Lénine théorise dans son ouvrage ''L'impéralisme, stade suprême du capitalisme''<ref name="LénineImpérialisme">Lénine, ''[http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/vlimperi/vlimp.htm L’impérialisme, stade suprême du capitalisme]'', 1916</ref> (1917). Il soutient qu'il n'y a pas simplement des politiques impérialistes dont la bourgeoisie pourrait se passer, mais que l'impérialisme est l'aboutissement du capitalisme avancé. Pour lui, cela découle des caractéristiques économiques suivantes&nbsp;:
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*la [[Libre-concurrence|libre-concurrence]] du 19<sup>e</sup> siècle a laissé la place à de grands [[Monopoles|monopoles]] et [[Cartels|cartels]] ([[Centralisation_du_capital|centralisation du capital]])
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*l'interpénétration toujours plus grande entre [[Capital_bancaire|capital bancaire]] et [[Capital_industriel|capital industriel]] a donné naissance au&nbsp;[[Capital_financier|capital_financier]], forme dominante du capital
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Les conséquences sont ensuite les suivantes&nbsp;:
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*les [[Surprofits|surprofits]] générés par la surexploitation impérialiste des pays dominés permet aux capitalistes d'acheter la couche dirigeante du mouvement ouvrier politique et syndical ([[Aristocratie_ouvrière|aristocratie ouvrière]]), ce qui constitue la base matérielle du [[Réformisme|réformisme]]
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*les trusts se partagent le monde économiquement (guerre commerciale, [[Dumping|dumping]], recours au [[Protectionnisme|protectionnisme]]...)
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*les intérêts des trusts fusionnés avec ceux de leurs Etats conduisent aux politiques de conquête, et aux guerres pour le repartage du monde.
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C'est avec cette grille d'analyse que l'Internationale communiste expliquait la vague de colonisation de la fin du 19e siècle, et la nécessité de la marche à la guerre au début du 20<sup>e</sup> siècle&nbsp;: le monde ayant été entièrement englobé dans les sphères d'influence de telle ou telle métropole, que ce soit par occupation directe ou par tutelle économique, seule la guerre pouvait repartager les territoires. Or, l'Allemagne et le Japon connaissaient une forte croissance industrielle, et n'avaient que peu de colonies, contrairement aux vieilles puissances comme la France et l'Angleterre, qui stagnaient. Le jeu des alliances diplomatiques en fonction des intérêts de chaque puissance a tôt eu fait d'entraîner la [[Première_guerre_mondiale|première guerre mondiale]].
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=== Le pacifisme bourgeois de la Société des Nations ===
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[[File:Communauté-internationale.jpg|right|325x221px|Communauté-internationale.jpg]]
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Dans les années précédant la guerre de 1914, les blocs d'alliance se constituaient en fonction de leurs intérêts, et les grandes puissances marchaient à la guerre. Aucun observateur sincère ne pouvait dire qu'il y avait en Europe un bloc progressiste/pacifiste (d'un côté les démocraties française et anglaise, mais alliées au tsarisme russe, de l'autre les empires centraux allemand et austro-hongrois...). C'est pour cela notamment que Lénine soutenait que malgré les différences de régimes (monarchies, républiques…), les grandes puissances mènent toutes une politique réactionnaire en politique étrangère.
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Après la boucherie de la [[Première_guerre_mondiale|Première guerre mondiale]], le président des États-Unis, Woodrow Wilson, propose la création d'une [[Société_des_Nations|Société des Nations]] chargée de maintenir la paix et le commerce international. L'attitude du mouvement ouvrier fut très clivée&nbsp;: d'un côté les restes de la [[Deuxième_internationale|Deuxième internationale]] applaudissaient ([[Kautsky|Kautsky]] y voyant l'homme de son [[Ultra-impérialisme|ultra-impérialisme]]), de l'autre la [[Troisième_internationale|Troisième internationale]] s'en tenait nettement à l'écart&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;Tandis que Kautsky, Longuet et les autres représentants de la 2e Internationale saluaient Wilson et invitaient les ouvriers à le soutenir, notre Internationale (...) déclarait que la démarche de Wilson était une tentative faite par les ploutocrates de New-York et de Chicago pour assujettir l’Europe et le monde entier&nbsp;»''<ref>Trotsky, [http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1920/12/lt19201215.htm ''Discours prononcé au deuxième Congrès de l'Internationale Communiste''], 1920</ref></blockquote>
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Finalement, la Société des nations a vu le jour sans les États-Unis, car Wilson n'a pas eu le soutien du Congrès des États-Unis. Certains socialistes comme [[Albert_Einstein|Albert Einstein]] ont fondé beaucoup d’espoirs dans la SDN et la démilitarisation concertée.<ref>http://www.taurillon.org/albert-einstein-federaliste</ref> Au milieu des tensions des années 1930, la SDN vole en éclats. Trotsky commente de la façon suivante cette tendance&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;Tous les gouvernements ont peur de la guerre. Mais aucun n'est libre de son choix. […]&nbsp;La SDN, qui, selon son programme officiel, devait «organiser la paix», et qui était en réalité conçue pour perpétuer le système de Versailles, neutraliser l'hégémonie des Etats-Unis et constituer un bastion contre l'Orient rouge, n'a pu surmonter le choc des contradictions impérialistes.&nbsp;»''<ref name="TKwarIV">Trotsky, [http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1934/06/34061000.htm ''La guerre et la IVe Internationale''], 1934</ref></blockquote>
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== Les années 1930 et la guerre de 1939-1945 ==
  
En 1898, Kautsky expliquait le militarisme allemand par les intérêts des «&nbsp;éléments précapitalistes&nbsp;» de la classe dirigeante (seigneurs féodaux et junkers). Il a rapidement ajouté que certains capitalistes aussi (secteur minier, ferroviaire...) avaient intérêt à investir à l'étranger, et demandaient la protection militaire pour garantir leurs profits.
+
Pendant les années 1930, avec la nouvelle marche à la guerre, de nouveaux débats émergent, notamment parmi les [[Trotskistes|trotskistes]].
  
[[Bernstein|Bernstein]] affirme que les [[Cartels|cartels]] internationaux créent des intérêts communs et sont vecteurs de paix. Kautsky répond que ces cartels sont des constructions fragiles, et que&nbsp;: «&nbsp;''les droits de douane protecteurs sont plus faciles à introduire qu'à abolir, en particulier dans une telle période où la concurrence fait rage sur le marché mondial ''».<ref>Karl Kautsky, ''Bernstein et le programme social-démocrate'', 1899</ref> Rosa Luxemburg également pense que les cartels «&nbsp;''s’accompagnent toujours d’une guerre douanière générale&nbsp;»<ref>Rosa Luxemburg, [https://www.marxists.org/francais/luxembur/r_ou_r/r_ou_r1_2.html ''Réforme sociale ou révolution''], 1899</ref>.'' Kautsky défend que le militarisme est soutenu par les «&nbsp;''rois de la finance moderne [qui] dominent les nations directement par des cartels et des trusts''&nbsp;». Il estime que les industriels eux n’ont pas intérêt aux guerres (à cause des [[Impôts|impôts]], des ruptures des échanges...), mais que «&nbsp;''la finance domine de plus en plus l'industrie.''&nbsp;» Kautsky voit aussi venir une période de guerres et de révolutions (socialistes, mais aussi anti-coloniales), et décrit l’impérialisme comme ''«&nbsp;le dernier refuge du capitalisme&nbsp;».'' Il se plaint du racisme présent y compris dans la social-démocratie. Et par ailleurs il développe l’idée d’aristocratie ouvrière.<ref>Alencontre.org, [http://alencontre.org/societe/histoire/lenine-en-1914-la-nouvelle-epoque-de-guerre-et-revolution.html ''Lénine en 1914. La «nouvelle époque de guerre et révolution»'']</ref>
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=== Le camp du fascisme et le camp de la démocratie&nbsp;? ===
  
L’analyse<ref>J.A. Hobson, [http://www.marxists.org/archive/hobson/1902/imperialism/index.htm ''Imperialism : A study''], 1902</ref> de John A. Hobson (1902), un intellectuel libéral anglais, a marqué les théoriciens social-démocrates. Il soutient qu’en raison de la sous-consommation des ouvriers, les financiers préfèrent investir dans des colonies (en s’appuyant sur les militaires), transformant en États-rentiers l’Angleterre, la France, l’Allemagne, la Belgique...
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Fallait-il soutenir le "camp des démocraties" (Etats-Unis, Angleterre, France) face au "camp [[Fasciste|fasciste]]" (Allemagne, Italie, Japon)&nbsp;? Lorsque cette position est défendue par le groupe palestinien Haor, Trotsky la qualifie de ''«&nbsp;pas dangereux vers le social-patriotisme&nbsp;»''.
  
Poursuivant l’analyse, [[Rudolf_Hilferding|Rudolf Hilferding]] affirme<ref>Rudolf Hilferding, [http://www.marxists.org/francais/hilferding/1910/lcp/index.htm ''Le capital financier''], 1910 (le livre est en fait presque écrit dès 1905)</ref> que le ''capital financier'' (monopoles industriels et bancaires) attise un [[Protectionnisme|protectionnisme]] offensif et s’appuie sur l’[[Etat_bourgeois|Etat]] pour assurer ses investissements plus rentables à l’étranger. Mais il dit à la fois que le capital financier ''«&nbsp;veut non pas la liberté, mais la domination&nbsp;»'' (ce que retiendra [[Lénine|Lénine]]), et qu’il crée une possibilité de dépassement des rivalités si l’Etat intervient (ce que retiendra [[Jaurès|Jaurès]]).
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Trotsky réaffirmait qu'aucun de ces camps impérialistes ne pouvait être soutenu, reprenant la même logique que celle de la Première guerre mondiale. Dans les thèses de 1934, il disait que la guerre serait de même nature que celle de 1914 (partage impérialiste du monde) et qu'il y aurait comme en 1914 des régimes réactionnaires dans les deux camps, et que cette différence devenait secondaire dans un contexte de guerre impérialiste&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;Naturellement il existe une difference de confort entre les différents wagons du train. Mais, quand le train plonge clans un abime, la distinction entre la démocratie décadente et le fascisme meurtrier disparaît devant l'effondrement de l' ensemble du systeme capitaliste&nbsp;»<ref>Trotsky, [https://marxists.anu.edu.au/francais/trotsky/oeuvres/1940/05/lt19400523ad.htm Manifeste d'alarme de la IV° Internationale], 26 mai 1940</ref></blockquote>
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Par ailleurs, tout en critiquant le pacifisme bourgeois comme illusoire, il estimait que ''«&nbsp;le ''mot d'ordre de paix''n'est nullement en contradiction avec la formule stratégique du défaitisme [] quand il émane des quartiers ouvriers et des tranchées où il se mêle à celui de la fraternisation entre soldats des armées ennemies, unissant les opprimés contre les oppresseurs.&nbsp;»''<ref name="TKwarIV" />
  
Dans son ouvrage<ref>Rosa Luxemburg, [https://www.marxists.org/francais/luxembur/works/1913/ ''L’accumulation du capital''], 1913</ref> de 1913, Luxemburg donne une analyse du capitalisme centrée sur le problème des [[Débouchés|débouchés]]. Selon elle, la reproduction du capital a «&nbsp;''comme première condition un cercle d’acheteurs qui se situent en dehors de la société capitaliste''&nbsp;». Ainsi le capitalisme a besoin d’élargir toujours ses marchés, notamment par les colonies. Son but était de réfuter les [[Révisionnisme_(années_1890)|révisionnistes]], en prouvant qu’il y avait forcément une limite au capitalisme (les colonies ne sont pas infinies) et que le capital engendre forcément une politique impérialiste. Par ailleurs elle remarquait ''«&nbsp;dans les pays coloniaux les formes hybrides entre le salariat moderne et les régimes d'exploitation primitive&nbsp;»'' ce qui peut rappeler ce que [[Trotsky|Trotsky]] appellera plus tard [[Développement_inégal_et_combiné|développement_inégal_et_combiné]]''.''
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Alors au contact de ses partisans aux États-Unis, il combattait le pacifisme bourgeois et l’union sacrée «&nbsp;contre le fascisme&nbsp;», tout en partant de ces sentiments&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;Il est, bien sûr, important d'expliquer aux ouvriers avancés que le véritable combat contre le fascisme est la révolution socialiste. Mais il est plus urgent, plus impératif, d'expliquer aux millions d'ouvriers américains que la défense de leur “&nbsp;démocratie&nbsp;” ne peut être confiée à un maréchal Pétain américain&nbsp;»''<ref>Trotsky, [http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1940/08/lt19400813.htm ''Combattre le pacifisme''], 13 août 1940</ref></blockquote> <blockquote>''«&nbsp;Je crois qu'il nous faut aussi examiner le mot d'ordre suivant lequel nous ne sommes évidemment pas opposés à une guerre contre des agresseurs, mais qu'elle doit être menée par une armée d'ouvriers et de fermiers, sous le contrôle de syndicats, sous un gouvernement d'ouvriers et de fermiers.&nbsp;»''<ref>Trotsky, [https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1938/03/ldt19380322.htm ''Discussion sur la lutte contre la guerre et l'amendement Ludlow''], 22 mars 1938</ref></blockquote>
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Par ailleurs, dans la [[Guerre_civile_espagnole|guerre_civile_espagnole]], Trotsky ne renvoyait pas dos-à-dos le camp républicain et le camp fasciste. Il était pour que les communistes du monde entier fassent leur possible pour aider militairement le camp républicain, et pour saboter les renforts destinés au camp fasciste. Y avait-il une contradiction entre cette position de parti-pris et la neutralité dans un cas de guerre mondiale&nbsp;? Trotsky argumentait de la façon suivante&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;On peut nous objecter ceci&nbsp;: pendant une guerre entre deux Etats bourgeois, le prolétariat, quel que soit, dans son pays, le régime politique, doit adopter la position selon laquelle «la défaite de notre propre gouvernement est le moindre mal&nbsp;». Cette règle n'est-elle pas également applicable à une guerre civile dans laquelle s'affrontent deux gouvemements bourgeois&nbsp;? Elle ne l'est pas. Dans une guerre entre deux Etats bourgeois, l'objectif en jeu est une conquête imperialiste, non la lutte entre democratie et fascisme. Dans la guerre civile espagnole, la question est&nbsp;: démocratie ou fascisme.&nbsp;»''<ref>Trotsky, ''Contre le « défaitisme » en Espagne'', 14 septembre 1937</ref></blockquote>
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=== Soutien inconditionnel aux pays dominés&nbsp;? ===
  
Les autres théoriciens de la gauche du parti ([[Lénine|Lénine]], [[Boukharine|Boukharine]], [[Anton_Pannekoek|Pannekoek]], [[Trotsky|Trotsky]]) ont eux aussi, chacun à leur manière (et largement influencés par ces débats), cherché à établir que le colonialisme et la guerre impérialiste étaient intrinsèquement issus du capitalisme, et donc que seule la révolution socialiste pouvait y mettre fin.
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En cas de conflit entre pays impérialiste et pays dominé, Trotsky maintenait la position classique de l'Internationale communiste&nbsp;:
  
=== L'ultra-impérialisme ===
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*un [[Défaitisme_révolutionnaire|défaitisme révolutionnaire]] pour les communistes du pays impérialistes&nbsp;: la défaite d'une bourgeoisie impérialiste l'affaiblit aussi dans ses rapports avec la classe ouvrière de la métropole, et favorise la lutte révolutionnaire
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*un défensisme révolutionnaire pour les communistes du pays dominé&nbsp;: faire un front politico-militaire avec les forces anti-impérialistes, tout en conservant l'indépendance politique et les objectifs communistes, utiliser la situation créée par la lutte de libération nationale pour la pousser jusqu'à une lutte révolutionnaire communiste, devant ensuite s'étendre au monde entier ([[Révolution_permanente|révolution permanente]])
  
[[Kautsky|Kautsky]] commence à parler en 1911 d’une possibilité que la bourgeoisie rejette la guerre, après qu’un conflit entre l’Allemagne et la France pour la domination du Maroc n’ait finalement pas éclaté. Il souligne que la course aux armements coûte cher et que le militarisme n’est pas rationnel économiquement. Mais il ne fait pas que discuter de tendances, il dit qu’il ne faut pas hésiter à soutenir les pacifistes bourgeois<ref>Karl Kautsky, [https://www.marxists.org/archive/kautsky/1911/04/war1911.htm ''Guerre et paix''], 1911</ref>. [[Rosa_Luxemburg|Rosa Luxemburg]] est une des seules à vraiment réagir<ref>Rosa Luxemburg, [https://www.marxists.org/archive/luxemburg/1911/05/11.htm ''Peace Utopias''], mai 1911</ref>.
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C'est en quelque sorte un prolongement militaire du [[Front_unique_anti-impérialiste|front unique anti-impérialiste]].
  
La même année en France, [[Jaurès|Jaurès]] tient le même discours (en contradiction lui aussi avec son passé&nbsp;: «&nbsp;le ''capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage''&nbsp;»<ref>Jean Jaurès, Discours du 7 mars 1895</ref>). Dans un discours à l’Assemblée<ref>Jean Jaurès, Discours à l’Assemblée du [http://books.google.fr/books?id=5wMtBAAAQBAJ&pg=PT111&lpg=PT111&dq=internationalisme+croissant+des+affaires,+les+int%C3%A9r%C3%AAts+de+tous+les+peuples+sont+%C3%A0+ce+point+enchev%C3%AAtr%C3%A9s&source=bl&ots=8zQx_Qv9P3&sig=nzK-2YFS5uoJM5BtXUbU5nd0aAw&hl=fr&sa=X&ei=DT0tVMuaKoTiaoukgLgO&ved=0CCMQ6AEwAA#v=onepage&q=internationalisme%20croissant%20des%20affaires,%20les%20int%C3%A9r%C3%AAts%20de%20tous%20les%20peuples%20sont%20%C3%A0%20ce%20point%20enchev%C3%AAtr%C3%A9s&f=false 13 janvier 1911] et du [http://blogs.mediapart.fr/blog/catherine-chabrun/111113/jean-jaures-les-forces-de-paix 20 novembre 1911]</ref>, il déclare&nbsp;: «&nbsp;''Avec l'internationalisme croissant des affaires, les intérêts de tous les peuples sont à ce point enchevêtrés qu'un désastre de l'un est un désastre pour tous&nbsp;»''. Il vantait les vertus pacifistes de «&nbsp;''trois forces''&nbsp;»: l’internationalisme ouvrier, les États-Unis, et le «&nbsp;''capitalisme moderne''&nbsp;». Il entendait par ce dernier la dématérialisation du capital (capital par action) qui permettait une plus grande mobilité, un plus grand «&nbsp;enchevêtrement&nbsp;» des intérêts. Il disait que la fin de la domination des propriétaires fonciers entraînerait la fin de la motivation des conquêtes territoriales, concluant&nbsp;: ''«&nbsp;Ce que je vous dis là, c'est le résumé affaibli de l'œuvre magistrale que publiait, il y a quelques mois, un disciple de Marx, Hilferding, dans une œuvre de premier ordre sur le capital et la finance.&nbsp;»''
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Pour Trotsky, ce principe reste systématiquement valable, et les autres facteurs (quel est le premier pays qui a attaqué, quel type de régime est à la tête du pays dominé ou du pays impérialiste...) ne doivent pas entrer en ligne de compte pour lui. Il insistait là dessus, par exemple à l'occasion du soutien à l'Ethiopie agressée par l'Italie de Mussolini&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;Bien entendu, nous sommes pour la défaite de l’Italie et pour la victoire de l’Éthiopie, et nous devons donc faire tout notre possible pour empêcher, par tous les moyens en notre pouvoir, que d’autres puissances impérialistes soutiennent l’impérialisme italien et en même temps faciliter du mieux que nous pouvons la livraison d’armes, etc. à l’Éthiopie. Néanmoins, nous devons faire valoir que cette lutte n’est pas dirigée contre le'' fascisme,''mais contre'' l’impérialisme.''Quand c’est de guerre qu’il s’agit, il n’est pas question pour nous de savoir qui est "le meilleur", du Négus [le monarque éthiopien] ou de Mussolini, mais d’un rapport de forces et du combat d’une nation sous-développée pour sa défense contre l’impérialisme.&nbsp;»'' <ref>Trotsky, [http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1935/07/lt19350717.htm ''Le conflit italo-éthiopien »''], 17 juillet 1935</ref></blockquote>
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Il peut paraître plus intuitif que l'on peut "plus facilement" s'allier à un régime démocratique bourgeois qu'à un régime autoritaire. Mais ce n'est pas du tout sur ce critère que se base le front unique anti-impérialiste. L'enjeu prioritaire est de lutter contre le renforcement des impérialistes&nbsp;: leur victoire signifie le renforcement d'une puissante bourgeoisie (donc y compris face aux prolétaires des pays impérialistes), et au contraire leur défaite donne de l'espoir à tous les peuples opprimés.
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<blockquote>''«&nbsp;Si Mussolini l’emporte, cela signifiera le renforcement du fascisme, la consolidation de l’impérialisme et le découragement des peuples coloniaux en Afrique et ailleurs. La victoire du Négus, en revanche, constituerait un coup terrible pour l’impérialisme dans son ensemble et donnerait un élan puissant aux forces rebelles des peuples opprimés. Il faut vraiment être complètement aveugle pour ne pas le voir.&nbsp;»'' <ref>Trotsky, [http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1936/04/lt19360422.htm ''À propos des dictateurs des hauteurs d’Oslo''], 22 avril 1936</ref></blockquote>
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Par ailleurs, il ne faut avoir aucune illusion sur les prétextes démocratiques qu'utilisent les gouvernements impérialistes&nbsp;: dans la réalité ils ne veulent pas des droits démocratiques dans les pays qu'ils dominent, car cela n'a que pour résultat de menacer leurs intérêts.
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<blockquote>''«&nbsp;il règne aujourd’hui au Brésil un régime semi-fasciste qu’aucun révolutionnaire ne peut considérer sans haine. Supposons cependant que, demain, l’Angleterre entre dans un conflit militaire avec le Brésil. Je vous le demande&nbsp;: de quel côté sera la classe ouvrière&nbsp;? Je répondrai pour ma part que, dans ce cas, je serait du côté du Brésil "fasciste contre l’Angleterre "démocratique". Pourquoi&nbsp;? Parce que, dans le conflit qui les opposerait, ce n’est pas de démocratie ou de fascisme qu’il s’agirait. Si l’Angleterre gagnait, elle installerait à Rio de Janeiro un autre fasciste, en enchaînerait doublement le Brésil. Si au contraire le Brésil l’emportait, cela pourrait donner un élan considérable à la conscience démocratique et nationale de ce pays et conduire au renversement de la dictature de Vargas. La défaite de l’Angleterre porterait en même temps un coup à l’impérialisme britannique et donnerait un élan au mouvement révolutionnaire du prolétariat anglais. Réellement, il faut n’avoir rien dans la tête pour réduire les antagonismes mondiaux et les conflits militaires à la lutte contre fascisme et démocratie. Il faut apprendre à distinguer sous tous leurs masques, les exploiteurs, les esclavagistes et les voleurs&nbsp;!&nbsp;»<ref>Trotsky, [http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1938/09/lt19380923.htm La lutte anti-impérialiste], 23 septembre 1938</ref>''</blockquote>
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=== Le camp de l'URSS&nbsp;? ===
  
Au moment du déclenchement de la guerre, Kautsky rend son adresse à la [[Bourgeoisie|bourgeoisie]] de façon plus ouvertement opportuniste&nbsp;:
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Pour les trotskistes, une nouvelle difficulté s'ajoutait à la situation&nbsp;: la présence de l'[[URSS|URSS]], considérée comme un [[Etat_ouvrier_dégénéré|Etat ouvrier dégénéré]], dirigé par une bureaucratie contre-révolutionnaire mais progressiste malgré elle. [[Trotsky|Trotsky]] défendait une ligne de [[Défense_de_l'URSS|défense inconditionnelle de l'URSS]] face aux puissances capitalistes.
<blockquote>''«&nbsp;l’industrie capitaliste est menacée par les conflits entre les différents gouvernements. Tout capitaliste conscient devrait en appeler à ses semblables&nbsp;: Capitalistes de tous pays, unissez-vous&nbsp;!&nbsp;»''<ref name="ImpGuerreKautsky">Karl Kautsky, [https://www.marxists.org/archive/kautsky/1914/09/war.htm ''L’impérialisme et la guerre''], 11 septembre 1914</ref>&nbsp; ''«&nbsp;C'est par la démocratie pacifique, et non par les méthodes violentes de l'impérialisme, que les tendances du capital à l'expansion peuvent être le mieux favorisées.&nbsp;»<ref>Karl Kautsky, ''Nationalstaat, imperialistischer Staat und Staatenbund'', 1915</ref>''</blockquote>
 
A partir de ce moment, il se met à parler abondamment de son «&nbsp;ultra-impérialisme&nbsp;» (ou «&nbsp;super-impérialisme&nbsp;»)&nbsp;:
 
<blockquote>''&nbsp;«&nbsp;D'un point de vue purement économique, il n’est donc pas impossible que le capitalisme entre maintenant dans une nouvelle phase, marquée par le transfert des méthodes des trusts à la politique internationale, une sorte de super-impérialisme. La classe ouvrière serait forcé de lutter contre cette nouvelle forme de capitalisme comme contre l'ancien, mais le danger serait d’une autre nature.&nbsp;»''<ref name="ImpGuerreKautsky">_</ref></blockquote>
 
Répondant à Lénine, il maintient que l'impérialisme n’est ''«&nbsp;pas une nécessité économique&nbsp;»'', n’est ''«&nbsp;pas un stade du capitalisme&nbsp;». ''Après la guerre, il soutient ardemment la tentative de Wilson (président des Etats-Unis) pour établir une [[Société_des_nations|Société des nations]].
 
  
== L'impérialisme comme aboutissement du capitalisme ==
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Si deux blocs impérialistes se forment et entrent en guerre, et que l'URSS se retrouve dans l'un des deux camps, quel impact cela doit-il avoir&nbsp;? Comment concilier défaitisme révolutionnaire et défense de l'URSS&nbsp;?
  
=== Centralisation du capital ===
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Pour Trotsky, il fallait maintenir la ligne de défaitisme révolutionnaire, dans un sens général de refus de l'[[Union_sacrée|Union sacrée]] avec sa bourgeoisie, même si elle est alliée momentanément avec l'URSS, mais il fallait néanmoins adapter la tactique, en favorisant de fait la victoire du camp militaire dans lequel se trouverait l'URSS&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;Le prolétariat d'un pays capitaliste qui se trouve l'allié de l'U.R.S.S. doit conserver pleinement et complètement son irréductible hostilité au gouvernement impérialiste de son propre pays. En ce sens, sa politique ne sera pas différente de celle d'un prolétariat dans un pays qui combat l'U.R.S.S. Seulement, dans la nature des actions pratiques, il peut apparaître, en fonction des conditions concrètes de la guerre, des différences considérables. Par exemple, il serait absurde et criminel, en cas de guerre entre l'U.R.S.S. et le Japon, que le prolétariat américain sabote l'envoi de munitions américaines à l'U.R.S.S. Mais le prolétariat d'un pays combattant l'U.R.S.S. devrait absolument recourir à de telles actions&nbsp;: grèves, sabotages, etc.&nbsp;»''<ref name="TKguerreIV">Trotsky, [https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1934/06/34061000.htm La guerre et la IVe Internationale], 10 juin 1934</ref></blockquote>
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Cette position de Trotsky entraine des critiques fortes parmi les trotskistes, notamment de [[Alfonso_Leonetti|Leonetti]] et [[Erwin_Ackerknecht|Bauer]], qui considéraient que Trotsky affaiblissait trop le "défaitisme révolutionnaire", ou du dirigeant du PSR belge [[Georges_Vereeken|Georges Vereeken]], qui l'accusait de revenir à une forme indirecte d'Union sacrée.
  
Au tournant du 20<sup>ème</sup> siècle, le [[Capitalisme|capitalisme]] n'a plus la structure qu'il avait au 19<sup>ème</sup>. Au sein du règne de la [[Libre-concurrence|libre-concurrence]], de grandes entreprises se sont fortifiées jusqu'à absorber leurs rivales et à étendre leur influence sur le monde. De [[Trust|grands conglomérats]] ont commencé à voir le jour, ainsi que des ententes et des [[Cartels|cartels]] entre eux, créant de plus en plus de situations de quasi-[[Monopoles|monopoles]]. C'est ce que l'on appelle la [[Centralisation_du_capital|centralisation du capital]].
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=== L'Occupation et la Résistance ===
  
=== Naissance du capital financier ===
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L'occupation allemande pendant la [[Seconde_guerre_mondiale|Seconde guerre mondiale]] a soulevé aussi de nombreuses divergences entre [[Communistes_révolutionnaires|communistes révolutionnaires]] sur l'attitude à avoir par rapport à la [[Résistance_(France)|Résistance]].
  
Cette concentration a engendré une interpénétration toujours plus grande entre [[Capital_bancaire|capital bancaire]] et [[Capital_industriel|capital industriel]]. De grandes banques possèdent désormais un capital mondial colossal, qu'elles investissent dans les entreprises industrielles qui leurs sont liées, tout en gardant les yeux rivés sur leur [[Taux_de_profit|taux de profits]]. On donne le nom de [[Capital_financier|capital financier]] à cette forme achevée du capital.
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Même si Trotsky disait que la France sous les bottes allemandes était ''«&nbsp;en train de devenir une nation opprimée&nbsp;»''<ref>Trotsky, [http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1940/06/lt19400630.htm ''Notre cap ne change pas''], 30 juin 1940</ref>, il refusait de s’adresser à De Gaulle, comme le faisait [[Marceau_Pivert|Marceau Pivert]].
<blockquote>«&nbsp;Le 20<sup>ème</sup> siècle marque le tournant où l'ancien capitalisme fait place au nouveau, où la domination du capital financier se substitue à la domination du capital en général.&nbsp;» <ref name="LenineImperialisme">[http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/vlimperi/vlimp.htm L'impérialisme, stade suprême du capitalisme], [[Lénine]], 1916</ref><br/></blockquote>
 
=== Aristocratie ouvrière ===
 
  
Le capitalisme impérialiste a un double effet sur la [[Lutte_des_classes|lutte des classes]]. L'accentuation de la concentration des travailleurs sur de grandes unités de travail, l'uniformisation mondiale des méthodes d'exploitation ou encore la concentration du pouvoir économique et politique tendent à aiguiser la [[Conscience_de_classe|conscience de classe]]. Dans le même temps, les taux de profits sans précédant permettent aux capitalistes d'aller relativement loin dans les concessions face aux luttes des travailleurs. Notamment, la frange la plus organisée au travers des grands syndicats (cas historique de la social-démocratie allemande) s'est peu à peu désolidarisée de la grande masse du prolétariat. Cette [[Aristocratie_ouvrière|aristocratie ouvrière]] ayant l'inconvénient de faire pencher l'ensemble des organisations ouvrières dans le [[Réformisme|réformisme]]...
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== Evolutions du capitalisme et des rapports impérialistes ==
  
=== Colonisation directe et indirecte ===
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=== Impérialisme soviétique&nbsp;? ===
  
[[File:AfficheSFICcolonies.jpg|right|500px|AfficheSFICcolonies.jpg]]La [[Colonisation|colonisation]] n'est pas le fait du capitalisme&nbsp;: les puissances européennes notamment avaient déjà formé des empires coloniaux aux 17<sup>ème</sup> et 18<sup>ème</sup> siècles. Mais au sein du [[Capitalisme|capitalisme]], posséder des colonies devient soudain bien plus important. Cela permettait d'avoir des matières premières et des sources d'énergie peu chères à disposition, ce qui permet de diminuer le coût du capital constant (et contrebalancer la baisse du taux de profit). Cela permet aussi d'avoir des débouchés pour l'investissement des capitaux.
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Face aux agissements de la bureaucratie stalinienne, de nombreux marxistes (et non-marxistes) ont dénoncé dès les années 1930 un [[Impérialisme_soviétique|impérialisme soviétique]]. Trotski n'était pas absolument opposé à parler d'une certaine forme d'impérialisme, mais il ne voulait pas que soit tiré de trait d'égalité entre l'impérialisme soviétique et l'impérialisme des pays capitalistes, en raison de la [[Nature_de_l'Etat_russe|nature de l'Etat soviétique]], [[Etat_ouvrier_dégénéré|Etat ouvrier dégénéré]] selon lui et selon la majorité des trotskistes.
<blockquote>«&nbsp;Si on exporte des capitaux, ce n’est pas qu’on ne puisse absolument les faire travailler dans le pays. C’est qu’on peut les faire travailler à l’étranger à un taux de profit plus élevé&nbsp;»<ref>Karl Marx, [http://321ignition.free.fr/imp/fr/lin/pag_008/Marx_001.htm ''Le Capital, Livre III, Tome 1, Chapitre XV'']</ref><br/></blockquote>
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<blockquote>«&nbsp;Peut-on qualifier d'impérialisme la politique d'expansion actuelle du Kremlin? Avant tout il faudrait s'entendre sur le contenu social que nous conférons à ce terme. L'histoire a connu l'impérialisme de l'Etat romain fondé sur le travail des esclaves; l'impérialisme de la propriété terrienne féodale; l'impérialisme du capital commercial et industriel; l'impérialisme de la monarchie tsariste, etc. La force motrice de la bureaucratie soviétique réside, sans aucun doute, dans sa volonté d'accroître son pouvoir, son prestige, ses revenus. C'est ce même élément d'impérialisme - pris dans le sens le plus large du terme - qui fut dans le passé la marque spécifique de toutes les monarchies, oligarchies, castes dirigeantes, classes et milieux divers. Pourtant, dans la littérature politique contemporaine, du moins dans la littérature marxiste, par "impérialisme" on entend la ''politique d'expansion du capital financier ''qui a un contenu économique bien défini. Appliquer à la politique du Kremlin le terme d'impérialisme sans expliquer en fait ce que l'on entend par-là, cela revient tout simplement à identifier la politique de la bureaucratie bonapartiste avec la politique du capitalisme monopoliste, en se fondant sur le fait que l'un et l'autre utilisent la force militaire à des fins d'expansion. Une telle identification, propre seulement à semer la confusion, convient à des démocrates petits-bourgeois plutôt qu'à des marxistes.&nbsp;»<ref name="EncoreUneFois" /></blockquote>
D'où le regain de rivalité entre puissances européennes. Mais la colonisation n'est qu'une des formes de domination impérialiste. Plus généralement, la plupart des pays du monde sont des [[Semi-colonie|semi-colonies]] partagées entre grandes puissances, que ce soit des pays qui sont toujours restés officiellement indépendants (Chine, Turquie, Amérique Latine...) ou des ex-colonies où l'ex Métropole exerce souvent un [[Néocolonialisme|néocolonialisme]].
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Ainsi, il maintenait la ligne politique de [[Défense_de_l'URSS|défense de l'URSS]] face aux impérialismes capitalistes.
  
En France, la période qui est souvent appelée "la colonisation" a eu lieu sous la [[Troisième_République|Troisième République]], de 1871 à 1914. Ses motivations sont bien expliquées par des bourgeois comme [[Jules_Ferry|Jules Ferry]]&nbsp;:
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=== Coopération pacifique entre grandes puissances&nbsp;? ===
<blockquote>«&nbsp;L’Europe peut être considérée comme une maison de commerce qui voit depuis un certain nombre d’années décroître son chiffre d’affaires. La consommation européenne est saturée&nbsp;; il faut faire surgir des autres parties du globe de nouvelles couches de consommateurs sous peine de mettre la société européenne en faillite et de préparer pour l’aurore du 20<sup>ème</sup> siècle une liquidation sociale par voie de cataclysme dont on ne saurait calculer les conséquences.&nbsp;»<br/></blockquote>
 
Pour appuyer cette domination d'autres peuples, les bourgeoisies occidentales ont développé des [[Idéologies|idéologies]] [[Réactionnaires|réactionnaires]] et oppressives comme le [[Racialisme|racialisme]]. Il est symptomatique qu'un dirigeant européen (Berlusconi) puisse s'exprimer ainsi&nbsp;:
 
<blockquote>«&nbsp;On ne peut pas mettre sur le même plan toutes les civilisations. Il faut être conscient de notre supériorité, de la supériorité de la civilisation occidentale. L'Occident continuera à occidentaliser et à s'imposer aux peuples.&nbsp;»<ref>Silvio Berlusconi, Le Figraro, 28 septembre 2001</ref><br/></blockquote>
 
=== Guerres pour le repartage du monde ===
 
  
Avec l'incomparable avantage que conférait aux conquérants la technologie moderne en constant développement, le monde fut vite quasi-entièrement englobé dans les sphères d'influence de telle ou telle métropole, que ce soit par occupation directe ou par tutelle économique. Pour les capitalistes, le passage obligé pour changer la donne était alors la guerre entre puissances. L'Allemagne, qui connaissait la plus forte croissance d'Europe, n'avait pas de colonies et bouillonnait à l'intérieur de ses frontières. Le jeu des alliances diplomatiques en fonction des intérêts de chaque puissance a tôt eu fait d'entraîner la [[Première_guerre_mondiale|première guerre mondiale]].
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Au début du 20<sup>e</sup> siècle, le marxiste [[Karl_Kautsky|Karl Kautsky]] défend l'idée que le capitalisme va vers un [[Super-impérialisme|super-impérialisme]], qui entre autre a pour effet d'éloigner la perspective de guerres entre puissances (ceci à la veille de la [[Première_guerre_mondiale|Première guerre mondiale]]...). [[Lénine|Lénine]] et [[Boukharine|Boukharine]] ont combattu sa théorie. D'autres thèses plus récentes reprennent des éléments similaires, comme l'Empire de Negri et Hardt.
  
== Evolutions des formes de l'impérialisme ==
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Factuellement, la tendance à l'internationalisation du capital, et à l'interpénétration des intérêts de nombreux capitalistes, a connu un développement sans précédent après la [[Seconde_guerre_mondiale|Seconde guerre mondiale]]. L'intégration de l'[[Union_européenne|Union européenne]] en est sans doute le symbole l'exemple le plus avancé. C. Serfati parle de ''«&nbsp;bloc transatlantique hiérarchisé&nbsp;»'' pour décrire le pôle Etats-Unis Union européenne, au sein duquel les Etats-Unis sont nettement dominants.<ref name="Serfati">Claude Serfati, [http://revueperiode.net/qui-sinteresse-encore-a-limperialisme-francais-entretien-avec-claude-serfati/ ''Qui s’intéresse encore à l’impérialisme français ?''], 2016</ref> La volonté affichée de constituer un [[Grand_marché_transatlantique|grand marché transatlantique]] (TAFTA / TTIP) est un pas de plus dans ce sens.
  
Rosa Luxemburg écrivait en 1913 que dans la «&nbsp;''phase impérialiste de l'accumulation''&nbsp;», ''la concurrence mondiale du capital «&nbsp;a le monde entier pour théâtre. Ici les méthodes employées sont la politique coloniale, le système des emprunts internationaux, la politique de la sphère d'intérêts, la guerre. La violence, l'escroquerie, le pillage se déploient ouvertement, sans masque''.&nbsp;»<ref>Rosa Luxembourg, [http://www.marxists.org/francais/luxembur/works/1913/ L’accumulation du capital], 1913</ref>
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On peut également souligner l'intégration assez forte de ce bloc transatlantique avec le Japon (formant la "Triade").
  
Depuis le début du 20<sup>ème</sup> siècle, ce schéma mondial avec des centres impérialistes (Europe, États-Unis, Japon) et des périphéries dominées est dans les grandes lignes resté valable. Mais l'impérialisme a varié dans sa forme, et certains pays ont connu des émancipations partielles.
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Les tensions demeurent cependant. Des forces centrifuges sont perceptibles, même si pour l'instant elles ne l'emportent pas. Ce sont par exemple des conflits au sujet de formes protectionnisme (droits de douane...).
  
=== Variation du dynamisme des métropoles ===
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Par ailleurs il faut souligner que ces alliances qui tendent à réunir des blocs plus larges se sont en grande partie "contre" d'autres blocs. Pendant la [[Guerre_froide|guerre froide]], la rivalité avec le [[Bloc_de_l'Est|Bloc de l'Est]] a beaucoup contribué au rapprochement des grandes puissances occidentales. Aujourd'hui, les négociateurs du [[TAFTA|TAFTA]] évoquent explicitement l'enjeu de renforcer le bloc transatlantique par rapport aux [[BRICS|BRICS]], tout comme le Marché trans-pacifique entre les Etats-Unis et ses alliés en Asie est a clairement vocation à isoler la Chine.
  
La grande dépression des années 1930 a affaibli les métropoles occidentales, et l'accentuation de la [[Lutte_des_classes|lutte des classes]] en leur sein a contribué à rendre l'impérialisme moins agressif. Puis la [[Seconde_guerre_mondiale|seconde guerre mondiale]] a pour un temps créé un repli de l'Europe sur elle-même, tout en propulsant l'impérialisme états-unien au rang de superpuissance mondiale. Dès lors, celui-ci allait mener une politique étrangère de plus en plus agressive, qui avait déjà commencé dès la fin du 19<sup>ème</sup> (domination sur Cuba, l'annexion des Philippines...), mais qui faisait maintenant de l'Amérique Latine sa chasse gardée, et s'étendait toujours plus.
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=== Militarisme structurel&nbsp;? ===
  
=== Décolonisation et néocolonialisme ===
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La théorie classique de l'impérialisme (Lénine) considère que le [[Militarisme|militarisme]] (interventions militaires, développement des dépenses militaires...) est intrinsèque au capitalisme. Ce sont la plupart du temps les [[Réformistes|réformistes]] qui insistent sur la possibilité d'un capitalisme pacifique et qui appellent à s'allier à des secteurs de la bourgeoisie vus comme pacifistes.
  
[[File:SoldatFrIndochine.jpg|right|349x461px|SoldatFrIndochine.jpg]]Dans le sillage de la [[Décolonisation|décolonisation]], les luttes contre l'impérialisme ont été nombreuses. Elles se sont aussi inscrites dans un contexte de [[Guerre_froide|guerre froide]]&nbsp;: beaucoup de pays ont reçu le soutien intéressé de l'[[URSS|URSS]] qui tentait également de pérenniser sa sphère d'influence. C'est pourquoi de nombreux mouvements (petits-)bourgeois nationalistes ont pris le paravant idéologique du "communisme" dans l'Après-guerre ([[Castrisme|castrisme]], [[Socialisme_arabe|socialisme arabe]]...). Qu'ils aient l'intention de réaliser une plannification dictatoriale ou simplement un timide réformisme social, ces courants gênaient l'impérialisme, qui a bien souvent réussi à les déstabiliser.
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Mais même du point de vue de la vision classique, des questions demeurent&nbsp;: pourquoi les différentes pays capitalistes ont-ils des politiques plus ou moins pacifiques ou pro-guerre&nbsp;? quels intérêts les interventions militaires servent-elles&nbsp;?
  
La plupart des pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique du Sud, qu'ils aient ou non connus des gouvernements anti-impérialistes, sont rapidement repassés sous la coupe des occidentaux dans l'Après-guerre. Même si leurs gouvernements sont formellement indépendants, ils sont en réalité sous la domination des multinationales étrangères et de leurs Etats. Ainsi, il y a une forme de domination impérialiste qui perdure, que l'on peut appeler [[Néocolonialisme|néocolonialisme]] ou [[Semi-colonisation|semi-colonisation]].
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Les marxistes insistent généralement sur les intérêts économiques&nbsp;: le contrôle de marchés et de ressources naturelles (pétrole, uranium...).
  
Le discours dominant actuel de la bourgeoisie reconnaît que chaque peuple a la droit à disposer de lui-même, que chaque Etat doit être indépendant, etc... reléguant la domination a la sphère économique. Le passé colonial est alors présenté globalement comme "une erreur regrettable". Néanmoins, la fierté du dominant est conservée par les forces d'extrême droite, et la droite tend à glisser dans ce registre. Par exemple au cours de son mandat, le président Sarkozy a affirmé "son refus de toute repentance", en clamant que la France n'avait jamais commis de crime contre l'humanité, passant sous silence la torture en Algérie, l'esclavage, le régime de Vichy, les Kanaks, les zoo humains...
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Pour Claude Serfati, il faut prendre en compte une autonomie partielle de l'appareil d'Etat, et en particulier du complexe militaro-industriel en son sein. Celui-ci est par exemple puissant dans la politique française depuis l'époque de De Gaulle (secteur industriel qui concentre une recherche de pointe, beaucoup d'emplois, 30% de la production d'armes destinée à la vente...). Ce complexe agit comme un puissant lobby qui favorise la tendance de l'impérialisme français à intervenir militairement. De même aux Etats-Unis&nbsp;: Serfati prend l'exemple de l'intervention en Irak, qui était dans l'intérêt immédiat de quelques grands groupes, mais qui aurait finalement été contre-productif pour les Etats-Unis.<ref name="Serfati" /> A l'inverse le militarisme est plus réduit dans des puissances comme l'Allemagne et le Japon, pour des raisons historiques (vaincus de la Seconde guerre mondiale).
  
=== Émancipations&nbsp;? ===
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=== Décolonisation et néocolonialisme ===
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[[File:SoldatFrIndochine.jpg|right|349x461px|SoldatFrIndochine.jpg]]
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Dans le sillage de la [[Décolonisation|décolonisation]], les luttes contre l'impérialisme ont été nombreuses. Elles se sont aussi inscrites dans un contexte de [[Guerre_froide|guerre froide]]&nbsp;: beaucoup de pays ont reçu le soutien intéressé de l'[[URSS|URSS]] qui tentait également de pérenniser sa sphère d'influence. C'est pourquoi de nombreux mouvements (petits-)bourgeois nationalistes ont pris le paravant idéologique du "communisme" dans l'Après-guerre ([[Castrisme|castrisme]], [[Socialisme_arabe|socialisme arabe]]...). Qu'ils aient l'intention de réaliser une [[Planification|planification]] dictatoriale ou simplement un timide réformisme social, ces courants gênaient l'impérialisme, qui a bien souvent réussi à les déstabiliser.
  
Certains grands pays d'Amérique Latine ont pu au début du 20<sup>ème</sup> siècle acquérir une autonomie relative et s'[[Industrialisation|industrialiser]] partiellement.
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La plupart des pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique du Sud, qu'ils aient ou non connus des gouvernements anti-impérialistes, sont rapidement repassés sous la coupe des occidentaux dans l'Après-guerre. Même si leurs gouvernements sont formellement indépendants, ils sont en réalité sous la domination des multinationales étrangères et de leurs Etats. Ainsi, il y a une forme de domination impérialiste qui perdure, que l'on peut appeler [[Néocolonialisme|néocolonialisme]] ou [[Semi-colonisation|semi-colonisation]].
  
A la fin du 20<sup>ème</sup> siècle, de nombreux pays qui étaient devenus relativement indépendants de l'impérialisme ont donné des signes d'allégeance pragmatiques au capital étranger (Libye, Syrie, Iran, Yémen...).
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Le discours dominant actuel de la bourgeoisie reconnaît que chaque peuple a la droit à disposer de lui-même, que chaque Etat doit être indépendant, etc... reléguant la domination a la sphère économique. Le passé colonial est alors présenté globalement comme "une erreur regrettable". Néanmoins, la fierté du dominant est conservée par les forces d'extrême droite, et la droite tend à glisser dans ce registre. Par exemple au cours de son mandat, le président Sarkozy a affirmé "son refus de toute repentance", en clamant que la France n'avait jamais commis de crime contre l'humanité, passant sous silence la torture en Algérie, l'esclavage, le régime de Vichy, les Kanaks, les zoo humains... Même si de tels propos sont généralement condamnés comme des "excès", certains politiciens lâchent parfois des formules réactionnaires assumant un impérialisme brutal. Comme Sivlio Berlusconi&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;On ne peut pas mettre sur le même plan toutes les civilisations. Il faut être conscient de notre supériorité, de la supériorité de la civilisation occidentale. L'Occident continuera à occidentaliser et à s'imposer aux peuples.&nbsp;»<ref>Silvio Berlusconi, Le Figraro, 28 septembre 2001</ref></blockquote>
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=== Basculement de certains rapports de force&nbsp;? ===
  
Enfin, il faut aussi penser que même les pays qui refusent tout lien avec l'impérialisme sont tout de même largement affectés, notamment par les politiques d'embargo (Cuba, Corée du Nord, Chine sous Mao...).
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Trotsky faisait en 1914 le [[Pronostic|pronostic]] que la guerre aurait pour effet de libérer les colonies, et par ce biais de saper une base du capitalisme européen&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;A ceci vient se joindre un facteur décisif&nbsp;: le réveil capitaliste des colonies auquel la guerre donnera une forte impulsion. La désorganisation de l’ordre mondial entraînera celle de l'ordre colonial. Les colonies perdront leur caractère «colonial». Quoi qu'il en soit de l'issue du conflit, le résultat ne peut en être que l'amoindrissement de la base du Capitalisme européen.&nbsp;»''<ref>Trotsky, [https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1914/10/lt19141031a.htm ''La guerre et l'Internationale''], 31 octobre 1914</ref></blockquote>
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Cela n'a pas été aussi rapide, mais les [[Communistes|communistes]] constataient qu’après la [[Guerre_de_1914-1918|guerre de 1914-1918]], «&nbsp;''les pays coloniaux et semi-coloniaux, profitant de l’affaiblissement des Etats impérialistes, obtiennent une plus grande indépendance économique. ''»<ref>Internationale Communiste, 4e congrès, [http://www.marxists.org/francais/boukharine/works/1922/11/projet.htm ''Projet de programme''], 1922</ref>
  
La Chine ou plus généralement les "BRICS" (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) sont l'objet de nombreux débats parmi les marxistes. Sont-ils devenus des pays impérialistes&nbsp;? Sont-ils toujours dominés&nbsp;?
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Par ailleurs [[Lénine|Lénine]] parle aussi dans son ouvrage de [[Semi-colonie|semi-colonies]], au sujet des pays qui conservent une indépendance politique formelle. Mais il semble dire que, dans le contexte de l'époque, les semi-colonies tendent à disputées par les impérialistes voulant les coloniser. Par exemple Lénine dit que la Perse, la Chine et la Turquie sont des semi-colonies en voie de colonisation. Lénine évoque aussi d'autres formes de ''«&nbsp;[[Pays_dépendants|pays dépendants]]&nbsp;»'', citant l’Argentine et le Portugal. Or par ailleurs, le Portugal est aussi cité parmi les puissances coloniales. Il semble donc que pour Lénine, un pays impérialiste peut lui-même être dépendant d'une plus grande puissance.
  
{{Voir|Pays impérialistes et pays dominés}}
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La grande dépression des années 1930 a affaibli les métropoles occidentales, et l'accentuation de la [[Lutte_des_classes|lutte des classes]] en leur sein a contribué à faire lâcher prise partiellement à l'impérialisme. Puis la [[Seconde_guerre_mondiale|seconde guerre mondiale]] a pour un temps créé un repli de l'Europe sur elle-même, tout en propulsant l'impérialisme états-unien au rang de superpuissance mondiale. Dès lors, celui-ci allait mener une politique étrangère de plus en plus agressive, qui avait déjà commencé dès la fin du 19<sup>e</sup> (domination sur Cuba, l'annexion des Philippines...), mais qui faisait maintenant de l'Amérique Latine sa chasse gardée, et s'étendait toujours plus.
  
== Vieillissement du capitalisme ==
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Certains grands pays d'Amérique Latine ont pu au début du 20<sup>e</sup> siècle acquérir une autonomie relative et s'[[Industrialisation|industrialiser]] partiellement.
  
Le fait que le capitalisme ait au moins connu ce changement qualitatif majeur qu'a été la formation de l'impérialisme pose la question du [[Vieillissement_du_capitalisme|vieillissement de ce système]].
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A la fin du 20<sup>e</sup> siècle, de nombreux pays qui étaient devenus relativement indépendants de l'impérialisme ont donné des signes d'allégeance pragmatiques au capital étranger (Libye, Syrie, Iran, Yémen...).
  
Pour [[Rosa_Luxemburg|Rosa Luxemburg]], le capitalisme a un besoin permanent de nouveaux [[Marchés|marchés]] et transforme pour cela le monde entier, mais les limites de ces marchés constituent une [[Contradictions_du_capitalisme|contradiction supplémentaire du capitalisme]], facteur de crise.<ref>Rosa Luxembourg, [http://www.marxists.org/francais/luxembur/works/1913/ L’accumulation du capital], 1913</ref>
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Enfin, il faut aussi penser que même les pays qui refusent tout lien avec l'impérialisme sont tout de même largement affectés, notamment par les politiques d'embargo (Cuba, Corée du Nord, Chine sous Mao...).
  
Pour les communistes de la [[Troisième_internationale|Troisième internationale]], qui reprennent les analyses de [[Lénine|Lénine]], l'impérialisme, "stade suprême du capitalisme", est la phase du "pourrissement", de la décadance du capitalisme. Ils théorisent alors l'impossibilité pour l'économie capitaliste de faire croître davantage les forces productives, ce qu'ils traduisent sur le plan historique par le fait que la [[Bourgeoisie|bourgeoisie]] n'est plus du tout une [[Classe_progressiste|classe progressiste]], mais est désormais uniquement [[Réactionnaire|réactionnaire]] face au prolétariat montant. L'alternative se réduit alors à la formule "socialisme ou barbarie".
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La Chine ou plus généralement les "BRICS" (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) sont l'objet de nombreux débats parmi les marxistes. Sont-ils devenus des pays impérialistes&nbsp;? Sont-ils toujours dominés&nbsp;?
  
La première moitié du 20<sup>ème</sup> siècle, avec ses deux Grandes boucheries mondiales et de nombreuses autres [[Guerres|guerres]], a corroboré cette analyse. En revanche, la longue période d'expansion des [[Trente_glorieuses|Trente glorieuses]] a soulevé bien des questions.
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{{Voir|Pays impérialistes et pays dominés}}
  
== Débats sur l'impérialisme ==
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== Impérialisme, immigration et racisme ==
  
=== Super-impérialisme ===
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Dans ''L'impérialisme'', Lénine écrit que les pays impérialistes deviennent des foyers d’[[Immigration|immigration]], car les travailleurs quittent les pays où les salaires sont les plus bas. Citant Hobson, il note que des vieux pays d’émigration comme l’Angleterre et l’Allemagne sont devenus des pays d’immigration. D’où une tendance à la différenciation sociale au sein de la [[Classe_ouvrière|classe ouvrière]]&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;''En France, les travailleurs de l'industrie minière sont "en grande partie" des étrangers&nbsp;: Polonais, Italiens, Espagnols. Aux Etats-Unis, les immigrants de l'Europe orientale et méridionale occupent les emplois les plus mal payés, tandis que les ouvriers américains fournissent la proportion la plus forte de contremaîtres et d'ouvriers exécutant les travaux les mieux rétribués. L’impérialisme tend à créer, également parmi les ouvriers, des catégories privilégiées et à les détacher de la grande masse du prolétariat.''&nbsp;»</blockquote>
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== Usage du terme «&nbsp;impérialisme&nbsp;» ==
  
Au début du 20<sup>ème</sup> siècle, le marxiste [[Karl_Kautsky|Karl Kautsky]] défend l'idée que le capitalisme va vers un [[Super-impérialisme|super-impérialisme]], qui entre autre a pour effet d'éloigner la perspective de guerres entre puissances (ceci à la veille de la [[Première_guerre_mondiale|Première guerre mondiale]]...). [[Lénine|Lénine]] et [[Boukharine|Boukharine]] ont combattu sa théorie. D'autres thèses plus récentes reprennent des éléments similaires, comme l'Empire de Negri et Hardt.
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En 1826, "impérialisme" est employé comme "promotion de l’Empire" dans le contexte post-napoléonien. Parfois utilisé en Angleterre, dans un sens neutre ou positif relatif à l’expansion de la civilisation occidentale, mais utilisé depuis le début plus ou moins comme reproche.
  
=== Facteur économique ou militaire&nbsp;? ===
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Le sens de “domination d’un pays sur un autre” semble établi à partir de 1878. A cette époque le terme se répand au Royaume-Uni, des «&nbsp;anti-impérialistes&nbsp;» critiquant la politique anglaise dans le monde (menée notamment par Disraeli), et très vite certains défenseurs de cette politique se désignent eux-mêmes comme «&nbsp;impérialistes&nbsp;» (comme Chamberlain).
  
On peut se demander si les changements de rapports de force sont avant tout économiques, avant tout militaires, ou si ces deux facteurs sont d'importance comparable. [[Lénine|Lénine]] semblait considérer la question comme ouverte&nbsp;:
+
Lorsque les Etats-Unis annexent les Philippines en 1898, une «&nbsp;Anti-imperialist League&nbsp;» se forme pour s’y opposer.
<blockquote>«&nbsp;les capitalistes se partagent le monde [...] "proportionnellement aux capitaux", "selon les forces de chacun", car il ne saurait y avoir d'autre mode de partage en régime de production marchande et de capitalisme. Or, les forces changent avec le développement économique et politique; pour l'intelligence des événements, ils faut savoir quels problèmes sont résolus par le changement du rapport des forces; quant à savoir si ces changements sont "purement" économiques ou extra-économiques (par exemple, militaires), c'est là une question secondaire qui ne peut modifier en rien le point de vue fondamental sur l'époque moderne du capitalisme.&nbsp;»<ref name="LenineImperialisme">_</ref><br/></blockquote>
 
=== Impérialisme soviétique ===
 
  
Face aux agissements de la bureaucratie stalinienne, de nombreux marxistes (et non-marxistes) ont dénoncé un [[Impérialisme_soviétique|impérialisme soviétique]]. Trotski n'était pas absolument opposé à parler d'une certaine forme d'impérialisme, mais il ne voulait pas que soit tiré de trait d'égalité entre l'impérialisme soviétique et l'impérialisme des pays capitalistes.
 
<blockquote>«&nbsp;Peut-on qualifier d'impérialisme la politique d'expansion actuelle du Kremlin? Avant tout il faudrait s'entendre sur le contenu social que nous conférons à ce terme. L'histoire a connu l'impérialisme de l'Etat romain fondé sur le travail des esclaves; l'impérialisme de la propriété terrienne féodale; l'impérialisme du capital commercial et industriel; l'impérialisme de la monarchie tsariste, etc. La force motrice de la bureaucratie soviétique réside, sans aucun doute, dans sa volonté d'accroître son pouvoir, son prestige, ses revenus. C'est ce même élément d'impérialisme - pris dans le sens le plus large du terme - qui fut dans le passé la marque spécifique de toutes les monarchies, oligarchies, castes dirigeantes, classes et milieux divers. Pourtant, dans la littérature politique contemporaine, du moins dans la littérature marxiste, par "impérialisme" on entend la ''politique d'expansion du capital financier ''qui a un contenu économique bien défini. Appliquer à la politique du Kremlin le terme d'impérialisme sans expliquer en fait ce que l'on entend par-là, cela revient tout simplement à identifier la politique de la bureaucratie bonapartiste avec la politique du capitalisme monopoliste, en se fondant sur le fait que l'un et l'autre utilisent la force militaire à des fins d'expansion. Une telle identification, propre seulement à semer la confusion, convient à des démocrates petits-bourgeois plutôt qu'à des marxistes.&nbsp;»<ref name="EncoreUneFois">_</ref><br/></blockquote>
 
 
== Notes et sources ==
 
== Notes et sources ==
  
Boukharine, [https://www.marxists.org/francais/boukharine/works/1917/boukharine_19170000.htm L´économie mondiale et l´impérialisme], 1915
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[http://books.google.fr/books?id=kkQhLpqk1XEC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false Historical Materialism n°33, Discovering imperialism – Social democracy to World war I], 2012
  
 
<references />
 
<references />
[[Catégorie:Théorie|Category:Théorie]] [[Catégorie:Capitalisme|Category:Capitalisme]]
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[[Category:Théorie]] [[Category:Capitalisme]]

Version du 28 septembre 2019 à 15:24

L'impérialisme a un sens général, de domination et d'expansionnisme de la part d'un pays sur d'autres, et un sens particulier de stade impérialiste du capitalisme.

1 L'impérialisme, en général

L'impérialisme, en tant qu'expansionnisme par les conquêtes d'une nation sur d'autres est un trait très ancient des sociétés humaines. Depuis que des classes dominantes existent, organisées en différents États, elles sont sans cesse engagées dans des rivalités pour l'obtention de richesses, le contrôle de ressources naturelles ou d'esclaves.

« L'histoire a connu l'impérialisme de l'Etat romain fondé sur le travail des esclaves; l'impérialisme de la propriété terrienne féodale; l'impérialisme du capital commercial et industriel; l'impérialisme de la monarchie tsariste, etc. »[1]

Il n'y a pas de théorie générale de l'impérialisme faisant consensus chez les marxistes. La plupart considèrent que l'impérialisme de chaque époque prend sa source dans le mode de production de cette époque, et ne peut donc pas avoir d'explication transhistorique (contrairement par exemple à Schumpeter).

C'est ainsi par exemple que Boukharine critiquait ceux qui définissent l'impérialisme comme la « politique de conquête en général » :

« De ce point de vue, on peut parler tout autant d'Alexandre le Macédonien et de l'impérialisme des conquérants espagnols, de l'impérialisme de Carthage et Ivan III, de la Rome antique et l'Amérique moderne, de Napoléon et de Hindenburg. Aussi simple que soit cette théorie, elle est absolument fausse. Fausse car elle «explique» tout, c'est-à-dire qu'elle n'explique absolument rien. Toute politique des classes dirigeantes (politique «pure», politique militaire, politique économique) a une signification fonctionnelle parfaitement définie. Née d'un système de production donné, elle sert à reproduire les rapports de production donnés, simplement ou sur une plus grande échelle. La politique des seigneurs féodaux renforce et élargit les relations de production féodales. La politique du capital commercial augmente la sphère de domination du capitalisme commercial. La politique du capitalisme financier reproduit la base de production du capital financier sur une échelle plus large. »[2]

1.1 Colonialisme antique et féodal

Les Grecs et les Phéniciens ont fait un pacte vers -500 pour se partager la péninsule ibérique : les Phéniciens avaient le contrôle sur les terres au sud de l’Ebre. Un des enjeux était le contrôle des mines.

Conflit entre Rome et Carthage autour de la Sicile entre -264 et -241.

Le philosophe arabe Ibn Khaldoun (1332-1406) nommait asabiyya[3] la cohésion sociale (au sens de liens plus ou moins "claniques" existant au sein d'un peuple, et decrivait comment l'asabiyya déclinait particulièrement dans les villes des grands empires, et menait à leur chute face à des peuples nomades des périphéries à la forte asabiyya, puis comment les conquérants avaient tendance à adopter le mode de vie du peuple conquis et subir le même processus. Même si cette observation à elle seule ne suffit pas (elle conduit à une analyse cyclique de l'histoire) elle comprend des éléments empiriques qui doivent être intégrés à une analyse matérialiste.

1.2 Colonialisme européen moderne

Les puissances européennes notamment avaient déjà formé des empires coloniaux aux 17ème et 18ème siècles.

« l'Angleterre et la France ont fait la guerre de Sept Ans [1756-1763] à cause des colonies, c'est‑à‑dire qu'elles ont fait une guerre impérialiste (laquelle est possible aussi bien sur la base de l'esclavage, ou du capitalisme primitif, que sur celle du capitalisme hautement développé de notre époque). »[4]

En France, la période qui est souvent appelée "la colonisation" a eu lieu sous la Troisième République, de 1871 à 1914. A cette époque, une poignée de pays (France, Allemagne, Angleterre et États-Unis) possèdent 80% du capital financier mondial.

Pour appuyer cette domination d'autres peuples, les classes dominantes occidentales ont développé des idéologies réactionnaires et oppressives comme le racialisme.

2 L'impérialisme vu par Marx et Engels

Marx et Engels n’employaient pas le terme d’impérialisme, sauf en tant que synonyme de bonapartisme. Mais ils ont écrit, de fait, sur les rapports de domination entre nations. Dans leurs premiers écrits, ils affichent un enthousiasme sans limite sur le « progrès » de la mondialisation capitaliste. Même s'ils dénoncent les méthodes brutales, cela les conduit à voir d'un bon oeil les politiques d'expansion des capitalistes occidentaux qui diffusent le mode de production capitaliste, et donc, prochainement, la révolution socialiste.

En ce qui concerne le positionnement politique en cas de guerre, Marx et Engels n’ont jamais produit de schéma simple et systématique. Ils reprenaient une opposition qui était alors courante entre « guerre dynastique » (pour les intérêts des despotes) et « guerre nationale » (ou « guerre populaire », progressiste). Comme les démocrates de l’époque, ils sont restés marqués par les conquêtes de Napoléon 1er, jugées « progressistes » parce que diffusant les idées et les transformations de 1789.

Ils cherchaient à déterminer le camp dont la victoire pourrait favoriser des révolutions démocratiques-bourgeoises et des unifications nationales. A l’inverse, ils souhaitaient la défaite des Empires aristocratiques comme l’Autriche-Hongrie et surtout la Russie tsariste qui exerçait une « suprématie en Europe » et qui était « l'ennemi de tous les peuples occidentaux, même des bourgeois de tous ces peuples ».

3 Débats dans la social-démocratie

Le terme d’impérialisme commence à être utilisé à la fin du 19e siècle dans la politique anglaise, où certains le dénoncent, et d’autres comme le premier ministre Chamberlain le revendiquent. A cette époque, les marxistes parlaient de « politique internationale », de colonialisme ou de militarisme. Kautsky l’emploie au plus tard en 1900.[5]

3.1 Le colonialisme et la guerre

L’opposition à la guerre qui menaçait faisait officiellement consensus dans la Deuxième internationale. Cette guerre était même caractérisée comme « impérialiste ». Mais lors du congrès de Stuttgart (1907), les délégués allemands, y compris les centristes, refusent de s’engager sur la grève générale, au motif qu’elle désintègrerait le parti. Finalement, Lénine et Luxemburg, entre autres, obtiennent les voix du centre sur cette formulation : « Au cas où la guerre éclaterait [les socialistes] ont le devoir de s’entremettre pour la faire cesser promptement et d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste. »

La social-démocratie condamnait également le colonialisme. Mais il y avait une aile droite, comme Eduard Bernstein qui disait en 1896 : « Nous condamnons certaines méthodes pour soumettre les sauvages. Mais nous ne condamnons pas l’idée que les sauvages doivent être soumis ». Il était régulièrement mis en minorité (mais jamais exclu), et combattu par les théoriciens « centristes » (Karl Kautsky, Rudolf Hilferding, Otto Bauer...).

Mais l’opportunisme allait croissant dans l’appareil social-démocrate. Une fièvre nationaliste déferle sur l’Allemagne en 1907 après un massacre colonial en Namibie, et le SPD perd soudain la moitié de ses votes. Bien que la majorité du congrès international de Stuttgart réaffirme sa condamnation du colonialisme, la droite et même des membres du centre prônent une adaptation. Bernstein osait dire que le SPD devait « développer en positif une politique coloniale socialiste ». Au Reichstag, les députés socialistes assouplissent de plus en plus leur position antimilitariste.

Dans Le socialisme et la politique coloniale (1907)[6] Kautsky polémique avec certaines positions de la droite.

3.2 Premières théories sur l'impérialisme et opportunisme

🔍 Voir : Stade impérialiste.

De nombreuses réflexions ont eu lieu sur l'impérialisme à partir des années 1900. Notamment celles de Kautsky, de Hilferding (1911), de Luxemburg (1913) ou de l'intellectuel libéral anglais John A. Hobson (1902). Tous les auteurs observaient des changements économiques majeurs (centralisation du capital en monopoles, essor du capital financier...) et tentaient d'en donner des interprétations.

Certains points importants soulevaient des débats, notamment la question de savoir si l'internationalisation du capital éloigne le risque de guerre ou non. Cette idée, originellement défendue par Bernstein (révisionniste de droite) et combattue par tous les autres, sera finalement reprise par Kautsky à partir de 1911 (théorie de l'ultra-impérialisme). Ce n'est pas seulement un changement d'analyse, car Kautsky va aussi commencer à proposer de s'allier à des franges pacifistes de la bourgeoisie. Jaurès en France aura la même évolution. Lui qui disait en 1895 que « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage » parle en 1911 du « capitalisme moderne » et des Etats-Unis comme des forces de paix.

Ces réflexions de Kautsky, de Hobson, et Hilferding auront largement influencé l'élaboration de Lénine. Sur le plan théorique, Lénine affirmera même n'avoir fait que maintenir la position initiale de Kautsky. En effet de nombreuses idées étaient présentes chez Kautsky : l'idée qu'il s'annonce une époque de guerres et de révolutions, que les révolutions coloniales pourront s'allier aux révolutions ouvrières dans les métropoles, que l'impérialisme créé une aristocratie ouvrière...

4 La guerre de 1914 et les internationalistes

4.1 La guerre impérialiste

Lorsque la Première guerre mondiale a éclaté, l'Internationale socialiste a volé en éclats. Alors qu'elle avait proclamé lors de ses congrès qu'elle s'opposerait par tous les moyens à ce que les prolétaires de tous les pays soient envoyés au front pour s'entretuer, ses principaux partis se sont rangés derrière leur bourgeoisie contre "l'étranger" (Union sacrée). Le social-chauvinisme s'étale sans honte, comme le dirigeant SPD Hermann Molkenbuhr qui dit brutalement : « Dans les deux mois qui vont suivre, nous en finirons avec la France. Nous nous tournerons alors vers l'Est. Nous en finirons avec les troupes du tsar, et, alors, dans trois mois, dans quatre au plus, nous donnerons à l'Europe une paix solide ».[7]

Pour justifier sa politique, la social-démocratie allemande s’est appuyée sur le fait que Marx et Engels décidaient au cas par cas du camp qu'il fallait soutenir dans une guerre. Les socialistes de gauche (Luxemburg, Lénine, Trotsky, Mehring, Pannekoek...), au contraire, dénonçaient clairement cette guerre mondiale comme « guerre impérialiste (c'est-à-dire une guerre de conquête, de pillage, de brigandage) ».

Luxemburg allait jusqu’à généraliser en affirmant qu’à l’époque impérialiste il n’y a plus de « guerre nationale », au sens d’alors, de guerre juste (guerre défensive, guerre de libération nationale...). Ce que Lénine critiquera.[8]

Dans le contexte de cette guerre impérialiste, il n'y avait pas de camp à soutenir, donc il fallait être partout contre la guerre, et chercher à « transformer la guerre impérialiste en guerre civile » (lutte de classe). Le révolutionnaire allemand Karl Liebknecht diffusait au front le mot d'ordre « L'ennemi principal est dans notre propre pays ! » Quant à Lénine, il est célèbre pour avoir prôné un « défatisme révolutionnaire ».

4.2 Question nationale et pays dominés

La social-démocratie s'était historiquement affirmée pour le droit à l'auto-détermination des peuples. Elle avait surtout abordé le problème des minorités nationales au sein ou vis-à-vis des vieux empires oppresseurs (les Hongrois ou les Serbes vis-à-vis des Autrichiens, les Polonais vis-à-vis de tous les voisins, les nombreuses minorités dans l'Empire russe, les Irlandais vis-à-vis de l'Angleterre...). Cela constituait ce que les socialistes et les républicains progressistes appelaient la « question nationale ». Le colonialisme et l'impérialisme, qui passent au devant de la scène au début du 20e siècle, ont bien sûr des points communs avec ces questions. D'ailleurs la commission chargée d'élaborer l'orientation anti-impérialiste lors du 2e congrès de l'Internationale communiste s'appelait « commission nationale et coloniale ».[9] Elle s'intéressait à la fois aux « mouvements révolutionnaires des pays dépendants ou lésés dans leurs droits (par exemple, l'Irlande, les noirs d'Amérique, etc.) », des colonies, et des « pays financièrement dépendants ».

Lénine résumait l'objectif central :

« En premier lieu, quelle est l'idée essentielle, fondamentale de nos thèses ? La distinction entre les peuples opprimés et les peuples oppresseurs. Nous faisons ressortir cette distinction, contrairement à la II° Internationale et à la démocratie bourgeoise. (...) 70 % de la population du globe, appartient aux peuples opprimés, qui ou bien se trouvent placés sous le régime de dépendance coloniale directe, ou bien constituent des Etats semi‑coloniaux (...) ou encore vaincus par l'armée d'une grande puissance impérialiste se trouvent sous sa dépendance en vertu de traités de paix.»

Lénine prenait position dès 1915 pour les guerres de libération nationale qui seraient menées par des pays dominés :

 « Si demain le Maroc déclarait la guerre à la France, l’Inde à l’Angleterre, la Perse ou la Chine à la Russie, etc., […] tout socialiste appellerait de ses vœux la victoire des États opprimés, dépendants, lésés dans leurs droits, sur les "grandes" puissances oppressives, esclavagistes, spoliatrices. »[10]

Cela impliquait donc une position de défaitisme révolutionnaire pour les communistes des pays impérialistes.

Rompant avec la social-démocratie qui cautionnait de plus en plus la politique coloniale, les communistes mènent une lutte anti-impérialiste réelle. Il s'affirment clairement pour les mouvements anti-colonialistes, et pour la défaite des troupes coloniales de "leur" impérialisme. Par exemple :

  • En Russie, les bolchéviks se lancent lors de la révolution de 1917 dans une politique de reconnaissance des peuples opprimés par le tsarisme.
  • Les communistes organisent avec leurs sections orientales et d'autres forces anti-impérialistes le Congrès des peuples de l'Orient en 1920.
  • En France, la jeune SFIC organisait des militants communistes et anti-impérialistes comme Hadjali Abdelkader, ou Nguyen-Ai-Quac (le futur Ho Chi Minh).

Alors que les partis social-démocrates n'étaient présents quasiment qu'en Europe, des partis communistes émergent dans de nombreux pays dominés à la suite de la révolution russe. D’importants débats agitent alors l’Internationale communiste, sur la stratégie et la tactique qu'il convient d'adopter pour combiner au mieux la lutte des classes et la lutte des peuples opprimés. Quelle attitude devaient avoir les communistes vis-à-vis des partis bourgeois anti-impérialistes ? Quels compromis pouvaient-ils voire devaient-ils faire, et ne pas faire ? Cela conduit l'Internationale à adopter le front unique anti-impérialiste en 1922.

4.3 Un nouveau type d'impérialisme

Les bolchéviks ne niaient pas qu’il y avait des grandes puissances et des guerres impérialistes avant le capitalisme. A leur époque il coexistait des puissances capitalistes et de vieux empires basés sur la propriété foncière, en déclin (Empire chinois, Empire ottoman, Empire austro-hongrois, Empire russe…). En particulier, la Russie était mise dans le sac des « nations dominatrices (grands-russes, anglo-américains, allemands, français, italiens, japonais, etc.) »[11] Ils combattaient aussi bien les « monarchies impérialistes » que les« bourgeoisies impérialistes », tout en constatant que les puissances basées sur l’ancien type d’impérialisme déclinaient. Par exemple Radek rappelait que Marx et Engels (entre 1845 et 1890) considéraient la Russie tsariste comme la principale puissance (réactionnaire) :

 « […] la Russie tsariste et féodale qui, bien qu'à cette époque, sous l'influence du développement capitaliste elle commençât à se désagréger et ne puisât plus sa force que dans la rivalité des puissances capitalistes, n'en avait pas moins à sa disposition des millions de paysans abêtis qu'elle eût pu envoyer en Europe pour réprimer un mouvement révolutionnaire. »[12]

Lénine précisait :

« Au Japon et, en Russie, le monopole de la force militaire, l'immensité du territoire ou des commodités particulières de spoliation des allogènes, de la Chine, etc., suppléent en partie, remplacent en partie le monopole du capital financier contemporain, moderne. » « En Russie, l'impérialisme capitaliste du type moderne s’est pleinement révélé dans la politique du tsarisme à l'égard de la Perse, de la Mandchourie, de la Mongolie; mais ce qui, d'une façon générale, prédomine en Russie, c'est l'impérialisme militaire et féodal. »[13]

L'impérialisme que décrivent les communistes du début du 20e siècle, c'est donc majoritairement cet « impérialisme capitaliste du type moderne ». C'est lui que Lénine théorise dans son ouvrage L'impéralisme, stade suprême du capitalisme[14] (1917). Il soutient qu'il n'y a pas simplement des politiques impérialistes dont la bourgeoisie pourrait se passer, mais que l'impérialisme est l'aboutissement du capitalisme avancé. Pour lui, cela découle des caractéristiques économiques suivantes :

Les conséquences sont ensuite les suivantes :

  • les surprofits générés par la surexploitation impérialiste des pays dominés permet aux capitalistes d'acheter la couche dirigeante du mouvement ouvrier politique et syndical (aristocratie ouvrière), ce qui constitue la base matérielle du réformisme
  • les trusts se partagent le monde économiquement (guerre commerciale, dumping, recours au protectionnisme...)
  • les intérêts des trusts fusionnés avec ceux de leurs Etats conduisent aux politiques de conquête, et aux guerres pour le repartage du monde.

C'est avec cette grille d'analyse que l'Internationale communiste expliquait la vague de colonisation de la fin du 19e siècle, et la nécessité de la marche à la guerre au début du 20e siècle : le monde ayant été entièrement englobé dans les sphères d'influence de telle ou telle métropole, que ce soit par occupation directe ou par tutelle économique, seule la guerre pouvait repartager les territoires. Or, l'Allemagne et le Japon connaissaient une forte croissance industrielle, et n'avaient que peu de colonies, contrairement aux vieilles puissances comme la France et l'Angleterre, qui stagnaient. Le jeu des alliances diplomatiques en fonction des intérêts de chaque puissance a tôt eu fait d'entraîner la première guerre mondiale.

4.4 Le pacifisme bourgeois de la Société des Nations

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Dans les années précédant la guerre de 1914, les blocs d'alliance se constituaient en fonction de leurs intérêts, et les grandes puissances marchaient à la guerre. Aucun observateur sincère ne pouvait dire qu'il y avait en Europe un bloc progressiste/pacifiste (d'un côté les démocraties française et anglaise, mais alliées au tsarisme russe, de l'autre les empires centraux allemand et austro-hongrois...). C'est pour cela notamment que Lénine soutenait que malgré les différences de régimes (monarchies, républiques…), les grandes puissances mènent toutes une politique réactionnaire en politique étrangère.

Après la boucherie de la Première guerre mondiale, le président des États-Unis, Woodrow Wilson, propose la création d'une Société des Nations chargée de maintenir la paix et le commerce international. L'attitude du mouvement ouvrier fut très clivée : d'un côté les restes de la Deuxième internationale applaudissaient (Kautsky y voyant l'homme de son ultra-impérialisme), de l'autre la Troisième internationale s'en tenait nettement à l'écart :

« Tandis que Kautsky, Longuet et les autres représentants de la 2e Internationale saluaient Wilson et invitaient les ouvriers à le soutenir, notre Internationale (...) déclarait que la démarche de Wilson était une tentative faite par les ploutocrates de New-York et de Chicago pour assujettir l’Europe et le monde entier »[15]

Finalement, la Société des nations a vu le jour sans les États-Unis, car Wilson n'a pas eu le soutien du Congrès des États-Unis. Certains socialistes comme Albert Einstein ont fondé beaucoup d’espoirs dans la SDN et la démilitarisation concertée.[16] Au milieu des tensions des années 1930, la SDN vole en éclats. Trotsky commente de la façon suivante cette tendance :

« Tous les gouvernements ont peur de la guerre. Mais aucun n'est libre de son choix. […] La SDN, qui, selon son programme officiel, devait «organiser la paix», et qui était en réalité conçue pour perpétuer le système de Versailles, neutraliser l'hégémonie des Etats-Unis et constituer un bastion contre l'Orient rouge, n'a pu surmonter le choc des contradictions impérialistes. »[17]

5 Les années 1930 et la guerre de 1939-1945

Pendant les années 1930, avec la nouvelle marche à la guerre, de nouveaux débats émergent, notamment parmi les trotskistes.

5.1 Le camp du fascisme et le camp de la démocratie ?

Fallait-il soutenir le "camp des démocraties" (Etats-Unis, Angleterre, France) face au "camp fasciste" (Allemagne, Italie, Japon) ? Lorsque cette position est défendue par le groupe palestinien Haor, Trotsky la qualifie de « pas dangereux vers le social-patriotisme ».

Trotsky réaffirmait qu'aucun de ces camps impérialistes ne pouvait être soutenu, reprenant la même logique que celle de la Première guerre mondiale. Dans les thèses de 1934, il disait que la guerre serait de même nature que celle de 1914 (partage impérialiste du monde) et qu'il y aurait comme en 1914 des régimes réactionnaires dans les deux camps, et que cette différence devenait secondaire dans un contexte de guerre impérialiste :

« Naturellement il existe une difference de confort entre les différents wagons du train. Mais, quand le train plonge clans un abime, la distinction entre la démocratie décadente et le fascisme meurtrier disparaît devant l'effondrement de l' ensemble du systeme capitaliste »[18]

Par ailleurs, tout en critiquant le pacifisme bourgeois comme illusoire, il estimait que « le mot d'ordre de paixn'est nullement en contradiction avec la formule stratégique du défaitisme […] quand il émane des quartiers ouvriers et des tranchées où il se mêle à celui de la fraternisation entre soldats des armées ennemies, unissant les opprimés contre les oppresseurs. »[17]

Alors au contact de ses partisans aux États-Unis, il combattait le pacifisme bourgeois et l’union sacrée « contre le fascisme », tout en partant de ces sentiments :

« Il est, bien sûr, important d'expliquer aux ouvriers avancés que le véritable combat contre le fascisme est la révolution socialiste. Mais il est plus urgent, plus impératif, d'expliquer aux millions d'ouvriers américains que la défense de leur “ démocratie ” ne peut être confiée à un maréchal Pétain américain »[19]

« Je crois qu'il nous faut aussi examiner le mot d'ordre suivant lequel nous ne sommes évidemment pas opposés à une guerre contre des agresseurs, mais qu'elle doit être menée par une armée d'ouvriers et de fermiers, sous le contrôle de syndicats, sous un gouvernement d'ouvriers et de fermiers. »[20]

Par ailleurs, dans la guerre_civile_espagnole, Trotsky ne renvoyait pas dos-à-dos le camp républicain et le camp fasciste. Il était pour que les communistes du monde entier fassent leur possible pour aider militairement le camp républicain, et pour saboter les renforts destinés au camp fasciste. Y avait-il une contradiction entre cette position de parti-pris et la neutralité dans un cas de guerre mondiale ? Trotsky argumentait de la façon suivante :

« On peut nous objecter ceci : pendant une guerre entre deux Etats bourgeois, le prolétariat, quel que soit, dans son pays, le régime politique, doit adopter la position selon laquelle «la défaite de notre propre gouvernement est le moindre mal ». Cette règle n'est-elle pas également applicable à une guerre civile dans laquelle s'affrontent deux gouvemements bourgeois ? Elle ne l'est pas. Dans une guerre entre deux Etats bourgeois, l'objectif en jeu est une conquête imperialiste, non la lutte entre democratie et fascisme. Dans la guerre civile espagnole, la question est : démocratie ou fascisme. »[21]

5.2 Soutien inconditionnel aux pays dominés ?

En cas de conflit entre pays impérialiste et pays dominé, Trotsky maintenait la position classique de l'Internationale communiste :

  • un défaitisme révolutionnaire pour les communistes du pays impérialistes : la défaite d'une bourgeoisie impérialiste l'affaiblit aussi dans ses rapports avec la classe ouvrière de la métropole, et favorise la lutte révolutionnaire
  • un défensisme révolutionnaire pour les communistes du pays dominé : faire un front politico-militaire avec les forces anti-impérialistes, tout en conservant l'indépendance politique et les objectifs communistes, utiliser la situation créée par la lutte de libération nationale pour la pousser jusqu'à une lutte révolutionnaire communiste, devant ensuite s'étendre au monde entier (révolution permanente)

C'est en quelque sorte un prolongement militaire du front unique anti-impérialiste.

Pour Trotsky, ce principe reste systématiquement valable, et les autres facteurs (quel est le premier pays qui a attaqué, quel type de régime est à la tête du pays dominé ou du pays impérialiste...) ne doivent pas entrer en ligne de compte pour lui. Il insistait là dessus, par exemple à l'occasion du soutien à l'Ethiopie agressée par l'Italie de Mussolini :

« Bien entendu, nous sommes pour la défaite de l’Italie et pour la victoire de l’Éthiopie, et nous devons donc faire tout notre possible pour empêcher, par tous les moyens en notre pouvoir, que d’autres puissances impérialistes soutiennent l’impérialisme italien et en même temps faciliter du mieux que nous pouvons la livraison d’armes, etc. à l’Éthiopie. Néanmoins, nous devons faire valoir que cette lutte n’est pas dirigée contre le fascisme,mais contre l’impérialisme.Quand c’est de guerre qu’il s’agit, il n’est pas question pour nous de savoir qui est "le meilleur", du Négus [le monarque éthiopien] ou de Mussolini, mais d’un rapport de forces et du combat d’une nation sous-développée pour sa défense contre l’impérialisme. » [22]

Il peut paraître plus intuitif que l'on peut "plus facilement" s'allier à un régime démocratique bourgeois qu'à un régime autoritaire. Mais ce n'est pas du tout sur ce critère que se base le front unique anti-impérialiste. L'enjeu prioritaire est de lutter contre le renforcement des impérialistes : leur victoire signifie le renforcement d'une puissante bourgeoisie (donc y compris face aux prolétaires des pays impérialistes), et au contraire leur défaite donne de l'espoir à tous les peuples opprimés.

« Si Mussolini l’emporte, cela signifiera le renforcement du fascisme, la consolidation de l’impérialisme et le découragement des peuples coloniaux en Afrique et ailleurs. La victoire du Négus, en revanche, constituerait un coup terrible pour l’impérialisme dans son ensemble et donnerait un élan puissant aux forces rebelles des peuples opprimés. Il faut vraiment être complètement aveugle pour ne pas le voir. » [23]

Par ailleurs, il ne faut avoir aucune illusion sur les prétextes démocratiques qu'utilisent les gouvernements impérialistes : dans la réalité ils ne veulent pas des droits démocratiques dans les pays qu'ils dominent, car cela n'a que pour résultat de menacer leurs intérêts.

« il règne aujourd’hui au Brésil un régime semi-fasciste qu’aucun révolutionnaire ne peut considérer sans haine. Supposons cependant que, demain, l’Angleterre entre dans un conflit militaire avec le Brésil. Je vous le demande : de quel côté sera la classe ouvrière ? Je répondrai pour ma part que, dans ce cas, je serait du côté du Brésil "fasciste contre l’Angleterre "démocratique". Pourquoi ? Parce que, dans le conflit qui les opposerait, ce n’est pas de démocratie ou de fascisme qu’il s’agirait. Si l’Angleterre gagnait, elle installerait à Rio de Janeiro un autre fasciste, en enchaînerait doublement le Brésil. Si au contraire le Brésil l’emportait, cela pourrait donner un élan considérable à la conscience démocratique et nationale de ce pays et conduire au renversement de la dictature de Vargas. La défaite de l’Angleterre porterait en même temps un coup à l’impérialisme britannique et donnerait un élan au mouvement révolutionnaire du prolétariat anglais. Réellement, il faut n’avoir rien dans la tête pour réduire les antagonismes mondiaux et les conflits militaires à la lutte contre fascisme et démocratie. Il faut apprendre à distinguer sous tous leurs masques, les exploiteurs, les esclavagistes et les voleurs ! »[24]

5.3 Le camp de l'URSS ?

Pour les trotskistes, une nouvelle difficulté s'ajoutait à la situation : la présence de l'URSS, considérée comme un Etat ouvrier dégénéré, dirigé par une bureaucratie contre-révolutionnaire mais progressiste malgré elle. Trotsky défendait une ligne de défense inconditionnelle de l'URSS face aux puissances capitalistes.

Si deux blocs impérialistes se forment et entrent en guerre, et que l'URSS se retrouve dans l'un des deux camps, quel impact cela doit-il avoir ? Comment concilier défaitisme révolutionnaire et défense de l'URSS ?

Pour Trotsky, il fallait maintenir la ligne de défaitisme révolutionnaire, dans un sens général de refus de l'Union sacrée avec sa bourgeoisie, même si elle est alliée momentanément avec l'URSS, mais il fallait néanmoins adapter la tactique, en favorisant de fait la victoire du camp militaire dans lequel se trouverait l'URSS :

« Le prolétariat d'un pays capitaliste qui se trouve l'allié de l'U.R.S.S. doit conserver pleinement et complètement son irréductible hostilité au gouvernement impérialiste de son propre pays. En ce sens, sa politique ne sera pas différente de celle d'un prolétariat dans un pays qui combat l'U.R.S.S. Seulement, dans la nature des actions pratiques, il peut apparaître, en fonction des conditions concrètes de la guerre, des différences considérables. Par exemple, il serait absurde et criminel, en cas de guerre entre l'U.R.S.S. et le Japon, que le prolétariat américain sabote l'envoi de munitions américaines à l'U.R.S.S. Mais le prolétariat d'un pays combattant l'U.R.S.S. devrait absolument recourir à de telles actions : grèves, sabotages, etc. »[25]

Cette position de Trotsky entraine des critiques fortes parmi les trotskistes, notamment de Leonetti et Bauer, qui considéraient que Trotsky affaiblissait trop le "défaitisme révolutionnaire", ou du dirigeant du PSR belge Georges Vereeken, qui l'accusait de revenir à une forme indirecte d'Union sacrée.

5.4 L'Occupation et la Résistance

L'occupation allemande pendant la Seconde guerre mondiale a soulevé aussi de nombreuses divergences entre communistes révolutionnaires sur l'attitude à avoir par rapport à la Résistance.

Même si Trotsky disait que la France sous les bottes allemandes était « en train de devenir une nation opprimée »[26], il refusait de s’adresser à De Gaulle, comme le faisait Marceau Pivert.

6 Evolutions du capitalisme et des rapports impérialistes

6.1 Impérialisme soviétique ?

Face aux agissements de la bureaucratie stalinienne, de nombreux marxistes (et non-marxistes) ont dénoncé dès les années 1930 un impérialisme soviétique. Trotski n'était pas absolument opposé à parler d'une certaine forme d'impérialisme, mais il ne voulait pas que soit tiré de trait d'égalité entre l'impérialisme soviétique et l'impérialisme des pays capitalistes, en raison de la nature de l'Etat soviétique, Etat ouvrier dégénéré selon lui et selon la majorité des trotskistes.

« Peut-on qualifier d'impérialisme la politique d'expansion actuelle du Kremlin? Avant tout il faudrait s'entendre sur le contenu social que nous conférons à ce terme. L'histoire a connu l'impérialisme de l'Etat romain fondé sur le travail des esclaves; l'impérialisme de la propriété terrienne féodale; l'impérialisme du capital commercial et industriel; l'impérialisme de la monarchie tsariste, etc. La force motrice de la bureaucratie soviétique réside, sans aucun doute, dans sa volonté d'accroître son pouvoir, son prestige, ses revenus. C'est ce même élément d'impérialisme - pris dans le sens le plus large du terme - qui fut dans le passé la marque spécifique de toutes les monarchies, oligarchies, castes dirigeantes, classes et milieux divers. Pourtant, dans la littérature politique contemporaine, du moins dans la littérature marxiste, par "impérialisme" on entend la politique d'expansion du capital financier qui a un contenu économique bien défini. Appliquer à la politique du Kremlin le terme d'impérialisme sans expliquer en fait ce que l'on entend par-là, cela revient tout simplement à identifier la politique de la bureaucratie bonapartiste avec la politique du capitalisme monopoliste, en se fondant sur le fait que l'un et l'autre utilisent la force militaire à des fins d'expansion. Une telle identification, propre seulement à semer la confusion, convient à des démocrates petits-bourgeois plutôt qu'à des marxistes. »[1]

Ainsi, il maintenait la ligne politique de défense de l'URSS face aux impérialismes capitalistes.

6.2 Coopération pacifique entre grandes puissances ?

Au début du 20e siècle, le marxiste Karl Kautsky défend l'idée que le capitalisme va vers un super-impérialisme, qui entre autre a pour effet d'éloigner la perspective de guerres entre puissances (ceci à la veille de la Première guerre mondiale...). Lénine et Boukharine ont combattu sa théorie. D'autres thèses plus récentes reprennent des éléments similaires, comme l'Empire de Negri et Hardt.

Factuellement, la tendance à l'internationalisation du capital, et à l'interpénétration des intérêts de nombreux capitalistes, a connu un développement sans précédent après la Seconde guerre mondiale. L'intégration de l'Union européenne en est sans doute le symbole l'exemple le plus avancé. C. Serfati parle de « bloc transatlantique hiérarchisé » pour décrire le pôle Etats-Unis Union européenne, au sein duquel les Etats-Unis sont nettement dominants.[27] La volonté affichée de constituer un grand marché transatlantique (TAFTA / TTIP) est un pas de plus dans ce sens.

On peut également souligner l'intégration assez forte de ce bloc transatlantique avec le Japon (formant la "Triade").

Les tensions demeurent cependant. Des forces centrifuges sont perceptibles, même si pour l'instant elles ne l'emportent pas. Ce sont par exemple des conflits au sujet de formes protectionnisme (droits de douane...).

Par ailleurs il faut souligner que ces alliances qui tendent à réunir des blocs plus larges se sont en grande partie "contre" d'autres blocs. Pendant la guerre froide, la rivalité avec le Bloc de l'Est a beaucoup contribué au rapprochement des grandes puissances occidentales. Aujourd'hui, les négociateurs du TAFTA évoquent explicitement l'enjeu de renforcer le bloc transatlantique par rapport aux BRICS, tout comme le Marché trans-pacifique entre les Etats-Unis et ses alliés en Asie est a clairement vocation à isoler la Chine.

6.3 Militarisme structurel ?

La théorie classique de l'impérialisme (Lénine) considère que le militarisme (interventions militaires, développement des dépenses militaires...) est intrinsèque au capitalisme. Ce sont la plupart du temps les réformistes qui insistent sur la possibilité d'un capitalisme pacifique et qui appellent à s'allier à des secteurs de la bourgeoisie vus comme pacifistes.

Mais même du point de vue de la vision classique, des questions demeurent : pourquoi les différentes pays capitalistes ont-ils des politiques plus ou moins pacifiques ou pro-guerre ? quels intérêts les interventions militaires servent-elles ?

Les marxistes insistent généralement sur les intérêts économiques : le contrôle de marchés et de ressources naturelles (pétrole, uranium...).

Pour Claude Serfati, il faut prendre en compte une autonomie partielle de l'appareil d'Etat, et en particulier du complexe militaro-industriel en son sein. Celui-ci est par exemple puissant dans la politique française depuis l'époque de De Gaulle (secteur industriel qui concentre une recherche de pointe, beaucoup d'emplois, 30% de la production d'armes destinée à la vente...). Ce complexe agit comme un puissant lobby qui favorise la tendance de l'impérialisme français à intervenir militairement. De même aux Etats-Unis : Serfati prend l'exemple de l'intervention en Irak, qui était dans l'intérêt immédiat de quelques grands groupes, mais qui aurait finalement été contre-productif pour les Etats-Unis.[27] A l'inverse le militarisme est plus réduit dans des puissances comme l'Allemagne et le Japon, pour des raisons historiques (vaincus de la Seconde guerre mondiale).

6.4 Décolonisation et néocolonialisme

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Dans le sillage de la décolonisation, les luttes contre l'impérialisme ont été nombreuses. Elles se sont aussi inscrites dans un contexte de guerre froide : beaucoup de pays ont reçu le soutien intéressé de l'URSS qui tentait également de pérenniser sa sphère d'influence. C'est pourquoi de nombreux mouvements (petits-)bourgeois nationalistes ont pris le paravant idéologique du "communisme" dans l'Après-guerre (castrisme, socialisme arabe...). Qu'ils aient l'intention de réaliser une planification dictatoriale ou simplement un timide réformisme social, ces courants gênaient l'impérialisme, qui a bien souvent réussi à les déstabiliser.

La plupart des pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique du Sud, qu'ils aient ou non connus des gouvernements anti-impérialistes, sont rapidement repassés sous la coupe des occidentaux dans l'Après-guerre. Même si leurs gouvernements sont formellement indépendants, ils sont en réalité sous la domination des multinationales étrangères et de leurs Etats. Ainsi, il y a une forme de domination impérialiste qui perdure, que l'on peut appeler néocolonialisme ou semi-colonisation.

Le discours dominant actuel de la bourgeoisie reconnaît que chaque peuple a la droit à disposer de lui-même, que chaque Etat doit être indépendant, etc... reléguant la domination a la sphère économique. Le passé colonial est alors présenté globalement comme "une erreur regrettable". Néanmoins, la fierté du dominant est conservée par les forces d'extrême droite, et la droite tend à glisser dans ce registre. Par exemple au cours de son mandat, le président Sarkozy a affirmé "son refus de toute repentance", en clamant que la France n'avait jamais commis de crime contre l'humanité, passant sous silence la torture en Algérie, l'esclavage, le régime de Vichy, les Kanaks, les zoo humains... Même si de tels propos sont généralement condamnés comme des "excès", certains politiciens lâchent parfois des formules réactionnaires assumant un impérialisme brutal. Comme Sivlio Berlusconi :

« On ne peut pas mettre sur le même plan toutes les civilisations. Il faut être conscient de notre supériorité, de la supériorité de la civilisation occidentale. L'Occident continuera à occidentaliser et à s'imposer aux peuples. »[28]

6.5 Basculement de certains rapports de force ?

Trotsky faisait en 1914 le pronostic que la guerre aurait pour effet de libérer les colonies, et par ce biais de saper une base du capitalisme européen :

« A ceci vient se joindre un facteur décisif : le réveil capitaliste des colonies auquel la guerre donnera une forte impulsion. La désorganisation de l’ordre mondial entraînera celle de l'ordre colonial. Les colonies perdront leur caractère «colonial». Quoi qu'il en soit de l'issue du conflit, le résultat ne peut en être que l'amoindrissement de la base du Capitalisme européen. »[29]

Cela n'a pas été aussi rapide, mais les communistes constataient qu’après la guerre de 1914-1918, « les pays coloniaux et semi-coloniaux, profitant de l’affaiblissement des Etats impérialistes, obtiennent une plus grande indépendance économique. »[30]

Par ailleurs Lénine parle aussi dans son ouvrage de semi-colonies, au sujet des pays qui conservent une indépendance politique formelle. Mais il semble dire que, dans le contexte de l'époque, les semi-colonies tendent à disputées par les impérialistes voulant les coloniser. Par exemple Lénine dit que la Perse, la Chine et la Turquie sont des semi-colonies en voie de colonisation. Lénine évoque aussi d'autres formes de « pays dépendants », citant l’Argentine et le Portugal. Or par ailleurs, le Portugal est aussi cité parmi les puissances coloniales. Il semble donc que pour Lénine, un pays impérialiste peut lui-même être dépendant d'une plus grande puissance.

La grande dépression des années 1930 a affaibli les métropoles occidentales, et l'accentuation de la lutte des classes en leur sein a contribué à faire lâcher prise partiellement à l'impérialisme. Puis la seconde guerre mondiale a pour un temps créé un repli de l'Europe sur elle-même, tout en propulsant l'impérialisme états-unien au rang de superpuissance mondiale. Dès lors, celui-ci allait mener une politique étrangère de plus en plus agressive, qui avait déjà commencé dès la fin du 19e (domination sur Cuba, l'annexion des Philippines...), mais qui faisait maintenant de l'Amérique Latine sa chasse gardée, et s'étendait toujours plus.

Certains grands pays d'Amérique Latine ont pu au début du 20e siècle acquérir une autonomie relative et s'industrialiser partiellement.

A la fin du 20e siècle, de nombreux pays qui étaient devenus relativement indépendants de l'impérialisme ont donné des signes d'allégeance pragmatiques au capital étranger (Libye, Syrie, Iran, Yémen...).

Enfin, il faut aussi penser que même les pays qui refusent tout lien avec l'impérialisme sont tout de même largement affectés, notamment par les politiques d'embargo (Cuba, Corée du Nord, Chine sous Mao...).

La Chine ou plus généralement les "BRICS" (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) sont l'objet de nombreux débats parmi les marxistes. Sont-ils devenus des pays impérialistes ? Sont-ils toujours dominés ?

7 Impérialisme, immigration et racisme

Dans L'impérialisme, Lénine écrit que les pays impérialistes deviennent des foyers d’immigration, car les travailleurs quittent les pays où les salaires sont les plus bas. Citant Hobson, il note que des vieux pays d’émigration comme l’Angleterre et l’Allemagne sont devenus des pays d’immigration. D’où une tendance à la différenciation sociale au sein de la classe ouvrière :

« En France, les travailleurs de l'industrie minière sont "en grande partie" des étrangers : Polonais, Italiens, Espagnols. Aux Etats-Unis, les immigrants de l'Europe orientale et méridionale occupent les emplois les plus mal payés, tandis que les ouvriers américains fournissent la proportion la plus forte de contremaîtres et d'ouvriers exécutant les travaux les mieux rétribués. L’impérialisme tend à créer, également parmi les ouvriers, des catégories privilégiées et à les détacher de la grande masse du prolétariat. »

8 Usage du terme « impérialisme »

En 1826, "impérialisme" est employé comme "promotion de l’Empire" dans le contexte post-napoléonien. Parfois utilisé en Angleterre, dans un sens neutre ou positif relatif à l’expansion de la civilisation occidentale, mais utilisé depuis le début plus ou moins comme reproche.

Le sens de “domination d’un pays sur un autre” semble établi à partir de 1878. A cette époque le terme se répand au Royaume-Uni, des « anti-impérialistes » critiquant la politique anglaise dans le monde (menée notamment par Disraeli), et très vite certains défenseurs de cette politique se désignent eux-mêmes comme « impérialistes » (comme Chamberlain).

Lorsque les Etats-Unis annexent les Philippines en 1898, une « Anti-imperialist League » se forme pour s’y opposer.

9 Notes et sources

Historical Materialism n°33, Discovering imperialism – Social democracy to World war I, 2012

  1. 1,0 et 1,1 Trotsky, Encore et encore une fois sur la nature de l'URSS, 1939
  2. Boukharine, Imperialism and World Economy, Chapter 9: Imperialism as an Historic Category, 1915
  3. https://fr.wikipedia.org/wiki/Asabiyya
  4. Lénine, A propos de la brochure de Junius, 1916
  5. Karl Kautsky, Germany, England and the World­Policy, 1900
  6. Karl Kautsky, Le socialisme et la politique coloniale, 1907
  7. Léon Trotsky, Ma vie, 1930
  8. Lénine, A propos de la brochure de Junius, 1916
  9. Lénine, II° congrès de l'IC, Rapport de la commission nationale et coloniale, 1920
  10. Lénine et Zinoviev, Le socialisme et la guerre, 1915
  11. Lénine, La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes, 1916
  12. Karl Radek, La question polonaise et l'Internationale, 1920
  13. Lénine, L’impérialisme et la scission du socialisme, 1916
  14. Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916
  15. Trotsky, Discours prononcé au deuxième Congrès de l'Internationale Communiste, 1920
  16. http://www.taurillon.org/albert-einstein-federaliste
  17. 17,0 et 17,1 Trotsky, La guerre et la IVe Internationale, 1934
  18. Trotsky, Manifeste d'alarme de la IV° Internationale, 26 mai 1940
  19. Trotsky, Combattre le pacifisme, 13 août 1940
  20. Trotsky, Discussion sur la lutte contre la guerre et l'amendement Ludlow, 22 mars 1938
  21. Trotsky, Contre le « défaitisme » en Espagne, 14 septembre 1937
  22. Trotsky, Le conflit italo-éthiopien », 17 juillet 1935
  23. Trotsky, À propos des dictateurs des hauteurs d’Oslo, 22 avril 1936
  24. Trotsky, La lutte anti-impérialiste, 23 septembre 1938
  25. Trotsky, La guerre et la IVe Internationale, 10 juin 1934
  26. Trotsky, Notre cap ne change pas, 30 juin 1940
  27. 27,0 et 27,1 Claude Serfati, Qui s’intéresse encore à l’impérialisme français ?, 2016
  28. Silvio Berlusconi, Le Figraro, 28 septembre 2001
  29. Trotsky, La guerre et l'Internationale, 31 octobre 1914
  30. Internationale Communiste, 4e congrès, Projet de programme, 1922