Guerre

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Les guerres sont toujours des tragédies sociales, et des échecs pour l'humanité. Mais cela n'empêche pas les guerres d'éclater régulièrement dans des conditions déterminées. La division des sociétés en classes est la cause première du danger de guerre. Les marxistes considèrent généralement que les guerres correspondent aux intérêts de la classe dominante.

1 Guerres pré-capitalistes

Peu d'études des guerres des époques précédentes ont été menées du point de vue du matérialisme historique. Pourtant, bien que leurs causes et leurs mécanismes soient différents de ceux des guerres modernes, elles répondent aussi à des intérêts dominants.

« Il y a eu aussi bien des guerres impérialistes à l'époque de l'esclavage (la guerre entre Rome et Carthage fut de part et d'autre une guerre impérialiste), au moyen âge et à l'époque du capitalisme commercial. Toute guerre dans laquelle les deux belligérants oppriment des pays étrangers ou nationalités, combattant pour le partage du butin, pour savoir «qui opprimera ou pillera le plus », ne peut être appelée qu'impérialiste.  » [1]

Les guerres de la période médiévale détiennent sans doute les records historiques, comparativement : les conquêtes de Gengis Khan au 13e siècle avaient éradiqué 20% des habitant-e-s de la planète (4% pour les guerres du 20e siècle).

Exemple : analyse des croisades

2 Guerres modernes

2.1 Le capitalisme et les guerres

L'idéologie libérale affirme que le capitalisme est porteur de paix. Au milieu du 18ème siècle, à l’aube du capitalisme moderne, Montesquieu écrivait « L’effet naturel du commerce est de porter la paix ».

Joseph Schumpeter soutenait dans son essai Contribution à une sociologie des impérialismes (1919) que le capitalisme contenait une tendance à la diminution des guerres, celles-ci étant désormais majoritairement rejetées par les populations, et devant donc être justifiées par les gouvernants.

Lénine et les bolchéviks affirmeront qu'à partir de la fin du 19e siècle le capitalisme est entré dans un stade impérialiste caractérisé par les guerres et les révolutions.

2.2 Positions de Marx et Engels

Sur les différentes guerres du 19ème siècle, Marx et Engels n'avaient pas de positions systématiques. Ils soutenaient souvent tel ou tel camp, en fonction de ce qui selon eux pouvait protéger les pays les plus "progressistes" et affaiblir la réaction (et en premier lieu le régime tsariste de Russie, mais aussi l'Empire austro-hongrois).

Cela les conduit par exemple aux prises de positions suivantes[2] :

  • 1853-1856, guerre russo-turque : ils prennent parti pour la Turquie
  • 1859-1860, guerre austro-italienne : ils ne soutiennent aucun des deux
  • 1866, guerre austro-prussienne : aucun soutien, tout en souhaitant une défaite de la Prusse
  • 1870, guerre franco-allemande : défense de l’Allemagne
  • 1877-1878, guerre russo-turque : ils prennent parti pour la Turquie

2.3 Guerre dynastique et guerre nationale

Du temps de l'Association internationale des travailleurs, on faisait une distinction entre "guerre dynastique" (ou "guerre despotique") et "guerre nationale" (ou "populaire"). La guerre dynastique est une guerre décidée par le despote du pays, pour ses intérêts. La guerre nationale est une guerre dans laquelle tout le peuple se sent impliqué. C'est une distinction que l'on retrouve chez Marx, Lassale, et sans doute héritée de Fichte qui fut marqué par la Révolution française.

Par exemple les guerres de Napoléon III au Mexique ou en Cochinchine étaient des guerres dynastiques. Par des guerres au dehors, il tentait d'étayer l'édifice de l'Empire et d'affaiblir les révolutionnaires. Lorsqu'il déclara la guerre à la Prusse en 1870, l'AIT se prononce contre, tout comme par exemple les membres parisiens :

Travailleurs de France, d'Allemagne et d’Espagne, unissons nos voix en un même cri de réprobation!... La guerre pour une question de prépondérance ou de dynastie ne peut être, aux yeux des travailleurs, qu'une criminelle folie. [3]

La déclaration de l'AIT estimait par contre que du côté de l'Allemagne, la guerre était une guerre défensive, pour protéger l'unité allemande que Napoléon III refusait (l'unité nationale était la question essentielle de la révolution bourgeoise en Allemagne). Marx et Engels demandaient toutefois aux camarades allemands de ne pas s'associer aux intérêts dynastiques prussiens ni à aucune tentative de transformation de la défense en guerre d'annexion, notamment de l'Alsace et de la Lorraine.

Et en effet, après la défaite et la chute de l'Empire, les armées prussiennes se sont avancées jusqu'à Paris, ce que condamne l'AIT, et par exemple le communiqué du Parti ouvrier social-démocrate allemand du 5 septembre :

Nous protestons contre l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine. Et nous avons conscience de parler au nom de la classe ouvrière allemande. [...] Nous nous tiendrons fidèlement aux côtés de nos camarades ouvriers de tous les pays pour la cause commune internationale du prolétariat.[4]

En novembre 1870, August Bebel et Wilhelm Liebknecht, députés au Reichstag de l'Allemagne du Nord, votent contre les nouveaux crédits demandés par Bismarck, de même que les députés lassalliens.

2.4 Guerre objectivement progressiste

Marx et Engels soutenaient les guerres qui selon eux poursuivaient des buts progressistes, comme l'unfication nationale, mais ils prenaient parfois parti alors qu'ils étaient politiquement contre les deux camps. La guerre franco-allemande de 1870 est un exemple à mi chemin car ils considéraient que la "guerre est en train de devenir nationale", mais en même temps ils détestaient Bismarck, qui se retrouvait à la tête de cette nation allemande. Ce genre de raisonnement montre que pour eux, la victoire d'un camp peut être objectivement progressiste, malgré les régimes réactionnaires.

C'est ce type de raisonnement qui conduit Lénine (et l'ensemble de la social-démocratie) à soutenir la défaite de la Russie contre le Japon (1904), qui aurait un « rôle historiquement progressiste », tout en affirmant qu’il ne s’agissait pas d’un soutien à « l’impérialisme japonais »[5].[6][7]

2.5 Guerre impérialiste

Au début du 20e siècle, les tensions diplomatiques en Europe et les jeux d'alliance faisaient clairement craindre une guerre généralisée. L'Internationale socialiste disait que si elle éclatait, ce serait une « guerre impérialiste », dont aucun camp ne serait progressiste. Elle affirmait donc son opposition à cette guerre, notamment lors des congrès de 1907 et 1912.

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Pourtant lorsque la Première guerre mondiale éclate, la social-démocratie trahit complètement et quasiment partout, les députés votent les crédits de guerre, les dirigeants syndicaux suspendent toute lutte de classe, et se rangent derrière "leur" bourgeoisie. Seuls les révolutionnaires maintiennent l'opposition à la guerre, soit avec des mots d'ordre comme "paix sans annexion" (Trotsky, Liebknecht, Luxemburg), soit par le défaitisme révolutionnaire (Lénine).

Les révolutionnaires vont alors réaffirmer et théoriser davantage sur la spécificité de la nouvelle période. Non seulement la guerre de 1914-1918 est une guerre impérialiste, mais cela découlerait nécessairement du "stade impérialiste" (Trotsky, Lénine...) qui aurait commencé depuis les années 1870.

Certains comme Rosa Luxemburg affirmaient même qu'à cette époque, il ne pouvait y avoir que des guerres impérialistes. Lénine critiquait cela en prenant l'hypothèse de guerres de libération des pays dominés comme guerres progressistes[8].

Ces considérations concernent la ligne générale du parti. Cependant, comment le mettre en pratique au milieu d'une vague chauvine ?

« Si le prolétariat se révèle impuissant à empêcher la guerre au moyen de la révolution --et elle est l'unique moyen d'empêcher la guerre--, les travailleurs, avec le peuple entier, devront participer à l'armée et à la guerre. Les mots d'ordre individualistes et anarchistes d'objection de conscience, résistance passive, désertion, sabotage, sont radicalement opposés aux méthodes de la révolution prolétarienne. [...] Il demeure un combattant, apprend à manier les armes, explique, même dans les tranchées, la signification de classe de la guerre, regroupe autour de lui les mécontents, les réunit dans des cellules, transmet les idées et les mots d'ordre du parti, suit attentivement les changements d'état d'esprit des masses, le reflux de la vague patriotique, la montée de l'indignation et, au moment critique, appelle les soldats à soutenir les ouvriers. »[9]

2.6 Guerre de libération nationale

«Nous n'avons jamais mis et nous ne mettrons jamais sur le meme plan toutes les guerres. Marx et Engels soutenaient la guerre revolutionnaire des Irlandais contre la Grande-Bretagne, des Polonais contre le tsar, quoique, dans ces deux guerres nationales, les chefs étaient pour la plupart des bourgeois, parfois même des féodaux, en tout cas des réactionnaires catholiques. Quand Abd El Krim s'est soulevé contre la France, les démocrates et les social-democrates ont parlé avec mépris de la lutte d'un « tyran sauvage » contre la « démocratie ». Le parti de Leon Blum soutenait ce point de vue. Mais nous, marxistes et bolcheviks, considérions la guerre des Rifains contre la domination imperialiste comme une guerre progressiste. »[10]

2.7 Guerre et révolution

La guerre et la révolution peuvent sembler des exacts opposés : la guerre oppose (généralement) des peuples entre eux en faisant une unité nationale par delà les classes, tandis que la révolution attise la guerre civile au sein d'un peuple, et généralement cherche des solidarités à l'étranger. Cependant elles ont des points communs, en particulier l'effervescence populaire (alors qu'en temps normal les classes dominées vivent dans la résignation), qui peuvent paradoxalement créer des passerelles de l'une à l'autre.

Dans son autobiographie, Trotski essaie d'expliquer les choses ainsi :

« Il existe beaucoup de gens de cette sorte, dont toute vie, jour après jour, se passe dans une monotonie sans espoir. C'est sur eux que repose la société contemporaine. Le tocsin de la mobilisation générale intervient dans leur existence comme une promesse. Tout ce dont on a l'habitude et la nausée est rejeté; on entre dans le royaume du neuf et de l'extraordinaire. Les changements qui doivent se produire par la suite sont encore moins prévisibles. Peut-on dire que cela ira mieux ou plus mal? Mieux, bien sûr... Comment [l'ouvrier] trouverait-il pire que ce qu'il a connu en temps "normal"?

Je rôdais par les rues centrales de cette Vienne que je connaissais si bien et j'observais la foule qui peuplait d'une façon si insolite le quartier chic du Ring : là, des espoirs s'étaient éveillés. Et ces espoirs ne s'étaient-ils pas partiellement réalisés déjà? En tout autre temps, est-ce que des facteurs du chemin de fer, des blanchisseuses, des cordonniers, des ouvriers et des apprentis des faubourgs auraient pu se sentir chez eux maîtres de la situation, sur le Ring. La guerre s'empare de tous, et, par suite, les opprimés, ceux que la vie a trompés se sentent alors comme à un niveau d'égalité avec les riches et les puissants. Que ceci ne soit pas pris pour un paradoxe: dans les dispositions de la foule viennoise qui manifestait à la gloire des armes des Habsbourg je retrouvais certains traits que je connaissais depuis les journées d'octobre 1905, à Pétersbourg. Ce n'est pas pour rien que la guerre s'est souvent montrée dans l'histoire comme la mère de la révolution... »[11]

2.8 Guerres révolutionnaires ?

Les révolutionnaires peuvent-ils étendre par la guerre la révolution ?

En 1848, Marx et Engels espéraient une vague de révolutions démocratiques-bourgeoises en Europe, et appelaient même les révolutionnaires à marcher sur la Russie pour renverser le régime tsariste vu comme la principale menace de réaction. Comme les démocrates de l’époque, ils sont restés marqués par les conquêtes de Napoléon 1er, jugées « progressistes » parce que diffusant les idées et les transformations de la révolution de 1789.

Après la révolution de février 1917, Lénine revenait sur les réflexions et positions qu'avaient prises les bolchéviks :

«  que ferait notre Parti si la révolution le portait sur-le-champ au pouvoir ? [...] Nous aurions à soutenir une guerre révolutionnaire contre la bourgeoisie allemande. Cette guerre nous la ferions. Nous ne sommes pas des pacifistes. Nous sommes les ennemis des guerres impérialistes pour le partage du butin entre capitalistes, mais nous avons toujours déclaré qu'il serait absurde pour le prolétariat révolutionnaire de répudier les guerres révolutionnaires qui peuvent se révéler indispensables dans l'intérêt du socialisme. »[12]

Cette question va se poser de manière très concrète aux bolchéviks lors des débats sur la paix de Brest-Litovsk.

3 Cas concrets

4 Armement

Plusieurs périodes ont été marquées par des courses aux armements rapides. D'autres périodes ont vu un grand nombre de pays capitalistes diminuer notablement leur stock d'armement.

La bourgeoisie a un rapport contradictoire au militarisme : l'État bourgeois s'arme en taxant les entreprises, ce qui représente en général une perte (sauf pour le secteur de l'armement), mais dans le même temps les patrons peuvent financer volontiers ces dépenses s'ils pensent pouvoir y gagner "nationalement" à terme.

Lors de la course aux armements précédant la Première guerre mondiale, le ministre des affaires étrangères anglais Edward Grey écrivait à Theodore Roosevelt :

« La rivalité économique avec l'Allemagne n'inquiète pas beaucoup nos gens, et ils admirent son industrie puissante et son génie de l'organisation. Mais ils n'aiment pas les trouble-fête. Ils soupçonnent l'empereur de « Weltpolitik » et ils voient que l'Allemagne accélère le rythme de ses armements pour dominer l'Europe, et impose ainsi une charge horrible de dépenses inutiles à toutes les autres puissances. En deux mots comme en cent, pour garantir la paix, nous devons maintenir notre entente avec la France. »

5 Notes et sources

  1. Lénine, Pour une révision du programme du parti, octobre 1917
  2. Robin Goodfellow, Marx Engels et la guerre, 1993
  3. AIT, Première adresse du Conseil Général sur la guerre franco-allemande, 1870
  4. AIT, Seconde adresse du Conseil Général sur la guerre franco-allemande, 1870
  5. Lénine, La chute de Port-Arthur, 14 janvier 1905
  6. Lénine, Le capital europeen et l'autocratie, 5 avril 1905
  7. Lénine, La debacle, 9 juin 1905
  8. Lénine, A propos de la brochure de Junius, 1916
  9. Trotsky, La guerre et la IVe Internationale, 10 juin 1934
  10. Trotsky, Lettre a Diego Rivera, 23 septembre 1937
  11. Léon Trotsky, Ma vie, 1930
  12. Lénine, Lettre d'adieu aux ouvriers suisses, 26 mars (8 avril) 1917