Front unique

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Qu’est-ce qu’un front unique ? C’est un accord visant des actions délimitées, pratiques et communes que le parti révolutionnaire propose, ou met en place avec, d’autres organisations basées sur le prolétariat, sur d’autres classes exploitées ou sur ceux qui souffrent de l’oppression nationale ou sociale. Les principes qui le gouvernent peuvent être résumés par la métaphore militaire "Marcher séparément, frapper ensemble". Cela veut dire tout à la fois l’indépendance politique et organisationnelle des forces révolutionnaires prolétariennes, et l’unité d’action contre un ennemi commun. Ces principes gouvernent les rapports entre l’avant-garde révolutionnaire et les autres organisations des exploités et des opprimés dans le combat contre le capitalisme, l’impérialisme et contre toutes les formes de réaction. Ces principes s’appliquent à divers domaines, qui peuvent être divisés en deux catégories  générales : le front unique ouvrier, dont l’objectif est de créer l’unité de classe et l’indépendance lors d’un combat concret contre la bourgeoisie ; et une alliance ou bloc avec des classes opprimées non-prolétariennes contre la réaction, notamment, à l’époque actuelle, contre l’impérialisme et ses agents. Le front unique, bloc ou alliance peut passer par les phases suivantes : un appel, suivi de négociations entre organisations, suivi d’un accord, puis sa mise en application et enfin sa rupture ou dissolution. Ce n’est que dans une minorité de cas qu’il connaîtra toutes ces phases.

1 Front unique, action coïncidente et bloc militaire

Le front unique doit pourtant être bien distingué des actions purement épisodiques et coïncidentes, où n’existe aucun accord sur un objectif commun immédiat ou des tactiques coordonnées. De telles actions coïncidentes, par exemple un syndicat fasciste soutenant une grève ouvrière justifiée, n’impliquent nullement qu’il y ait un front unique.

De même, le front unique doit être distingué d’une simple participation à une manifestation de masse dont la base politique et la direction sont contestées par l’organisation  révolutionnaire et pour lesquelles cette dernière ne prend aucune responsabilité. Dans ces circonstances, le parti révolutionnaire ne forme aucun bloc avec les dirigeants, il n’accorde aucun soutien à leurs slogans, il les critique ouvertement et fait de la propagande et de l’agitation sur ses propres mots d’ordre.

Bref, le front unique doit être fait entre des organisations avec lesquelles il est justifié que le prolétariat révolutionnaire conclue des accords temporaires pour l’action commune. Il faut établir une autre distinction entre les actions politiques et un bloc exclusivement militaire, un accord afin de coordonner des forces armées contre un ennemi commun. Dans une situation de guerre, de tels accords pourraient être passés avec des forces bourgeoises, sans pour autant constituer un front unique.

Pourtant, dans d’autres circonstances, un bloc militaire - par exemple, la formation d’une milice ouvrière antifasciste - pourrait avoir clairement un caractère de front unique. Qu’un tel bloc soit d’abord militaire n’est pas une question décisive puisque la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. La question clef est plutôt : à quoi sert le bloc et avec qui sera-t-il fait ?

2 Une tactique dans une stratégie révolutionnaire

En utilisant la tactique de front unique, les révolutionnaires visent en premier lieu à établir un rapport continu entre le parti révolutionnaire et les masses ouvrières. Il doit être permanent, mais il doit aussi passer par des changements constants, parce que la lutte de classe elle-même est à la fois permanente et toujours en train de changer de forme. Le front unique est donc une tactique omniprésente, une tactique qui, de façon répétée, est utilisée sous une forme ou sous une autre, dans un domaine ou un autre. Néanmoins, aucune forme de front unique ne constitue un élément permanent de la stratégie du parti révolutionnaire. Le front unique n’est pas une stratégie mais une tactique. En fait, c’est une série de tactiques au sein de la stratégie d’ensemble du prolétariat.

En poursuivant une forme donnée du front unique, les révolutionnaires doivent avoir les yeux fixés sur la stratégie suivante : la prise du pouvoir par des conseils ouvriers et paysans, par des milices, et l’établissement d’une société mondiale communiste à travers la révolution prolétarienne.

Afin de réaliser cette stratégie en pratique, un parti léniniste-trotskyste indépendant est une nécessité absolue. Seul un tel parti peut exprimer une indépendance de classe totale vis à vis de la bourgeoisie, et diriger le prolétariat dans le combat pour établir sa propre dictature. Pour y arriver, il faut transformer des noyaux révolutionnaires, au début assez petits, en partis de masse qui ont gagné la confiance des couches les plus larges des masses exploitées. Aujourd’hui, l’écrasante majorité des travailleurs du monde soutient des organisations non-révolutionnaires, voire contre-révolutionnaires. Les révolutionnaires doivent dévoiler la nature de ces organisations, et faire en sorte qu’elles ne dirigent plus le prolétariat et les opprimés.

3 L’importance de l’unité d’action

Evidemment, la seule dénonciation propagandiste de leurs erreurs et de leurs crimes ne suffira pas. Ce serait trop facile. Il faut démontrer dans la pratique que les organisations dirigées par les réformistes, voire les centristes, ne peuvent pas défendre ou combattre de façon adéquate pour les intérêts de la classe ouvrière.

Le parti révolutionnaire doit se servir d’une gamme de tactiques qui démontrent aux masses, lors de la lutte de classe, qu’il est le seul parti ouvrier conséquent. A son tour, le parti doit apprendre à diriger les luttes actuelles de masse, à montrer sa capacité à être une direction de rechange.

Il doit donc montrer à la fois son initiative indépendante et sa capacité à coordonner ses forces loyalement avec d’autres organisations ouvrières de masse. La masse de la classe ouvrière, qui n’est pas encore convaincue de la nécessité d’une direction révolutionnaire, doit apprendre à faire confiance aux communistes lors des combats quotidiens, et à les comparer aux dirigeants en place, peu fiables.

C’est là le rôle vital de la tactique de front unique dans la construction d’un parti  révolutionnaire. Ainsi, l’acquis durable d’une politique correcte de front unique est d’exposer les limitations du réformisme, de l’anarchisme, du syndicalisme, du centrisme et des idéologies et programmes bourgeois et petit-bourgeois au sein de la classe ouvrière, et de montrer la possibilité de remplacer toutes les directions vacillantes et inconséquentes, par une direction communiste révolutionnaire. A chaque étape, une telle politique doit renforcer l’organisation révolutionnaire en favorisant un recrutement accru et l’établissement de racines profondes au sein des organisations de masse. Néanmoins, le front unique n’est pas uniquement un moyen de construire le parti révolutionnaire. Il constitue une tactique dans la lutte de classe dont le but est d’établir l’unité combative la plus large possible des masses exploitées et opprimées, malgré leur différenciation politique actuelle. L’objectif de cette unité est de repousser les attaques des patrons et des gouvernements bourgeois et d’arracher de meilleures conditions économiques, sociales et politiques pour la classe ouvrière et ses alliés, de façon à se rapprocher de l’objectif du renversement du capitalisme. En ce sens, dès le début, le front unique surgit des besoins de la lutte de classe. Pour cette raison, les révolutionnaires ne font pas que répondre aux appels à l’action commune contre l’ennemi de classe ; ils sont les premiers à lancer de tels appels là où la lutte de classe exige l’unité d’action. En conséquence, le front unique présuppose d’un côté le maintien d’une organisation révolutionnaire indépendante, basée sur un programme de revendications transitoires pour la prise du pouvoir et le renversement du capitalisme. Ce parti doit participer au front unique en tant que détachement indépendant et ne pas s’y dissoudre. De l’autre, la nécessité du front unique présuppose l’existence de larges masses non-révolutionnaires, sous l’influence d’autres forces politiques. C’est pourquoi le front unique ne peut pas être considéré comme une série d’actions ininterrompues, ayant le même partenaire et allant jusqu’à la prise du pouvoir. Son utilisation continue ne constitue qu’une série de tactiques dans le cadre de la stratégie globale du parti prolétarien d’avant-garde. Cette stratégie comprend nécessairement l’action indépendante du parti. Sous des formes très diverses, le front unique se fait et se défait sans cesse. Il ne doit jamais se transformer en une subordination systématique de l’avant-garde prolétarienne à une plate-forme limitée de revendications qui seraient acceptables pour les dirigeants non-révolutionnaires des organisations de masses. Une telle politique reléguerait le programme révolutionnaire à une propagande passive et limiterait l’agitation aux seules revendications immédiates ou, au mieux, à quelques revendications transitoires. En fait le front unique constitue une unité différenciée. C’est une action commune pour des objectifs clairement délimités et prescrits ; il implique aussi la critique la plus claire des partenaires du front unique. Sans le premier, les attaques capitalistes ne peuvent être repoussées, ni de nouveaux acquis arrachés. Sans le deuxième, les acquis ne peuvent être maintenus, et la révolution ne peut faire de progrès.

4 Deux erreurs jumelles : gauchisme et opportunisme

Les erreurs dans l’application du front unique commencent lorsque cette unité différenciée est remplacée par une identité formelle entre les tâches de l’organisation révolutionnaire et les besoins immédiats et limités de la classe ouvrière. Un exemple de ce genre d’erreurs, le gauchisme, qui commence toujours par opposer le programme révolutionnaire aux revendications actuelles et aux tâches de la classe ouvrière.

Pour le gauchiste, le front unique devient un ultimatum dont il ne souhaite que le rejet par les dirigeants réformistes ou centristes, croyant qu’une telle politique va "démasquer" ces derniers aux yeux des masses. Or une telle procédure n’a qu’un caractère purement littéraire. Les dirigeants réformistes ne sont jamais démasqués parce qu’ils refusent de mettre en oeuvre une tactique ou une stratégie révolutionnaire, mais plutôt parce qu’ils refusent de combattre pour les intérêts immédiats des masses. Les sectaires évitent d’être testés sur le terrain de la lutte de classe, craignant d’être tenté par l’opportunisme. Exemple inverse : l’opportunisme. Il ne part pas de la plate-forme de lutte, ni même d’une seule revendication découlant des besoins objectifs de la lutte de classe. Non, son point de départ est plutôt son estimation de la conscience actuelle des masses. Pire, les  opportunistes basent souvent leur politique de front unique sur ce que les dirigeants non-révolutionnaires des masses sont supposés être prêts à accepter.

C’est le contraire des propositions avancées par les révolutionnaires en vue d’un front unique, qui, même si elles ne vont pas jusqu’à mettre en avant le "programme entier", iront au-delà des propositions timides des dirigeants réformistes, et même au-delà de la conscience générale des masses. Car l’objectif du front unique doit être de lier la conscience actuelle des masses (et notamment des sections avancées) aux tâches brûlantes de l’heure, dictées par la nature des attaques de l’ennemi.

Attention, le front unique n’est pas une stratégie, il n’existe pas de "programme de front unique" allant, sans interruption, des combats actuels jusqu’à la prise du pouvoir. L’organisation révolutionnaire avance les éléments de son programme qui apparaissent nécessaires pour unir des forces plus larges dans un combat concret. Ayant déterminé la nature de l’attaque et l’équilibre des forces de classe, l’organisation révolutionnaire soulève des revendications concrètes qui, prises ensemble, constituent une unité combative pour repousser l’attaque donnée ou arracher un nouvel acquis.

C’est pourquoi le caractère des revendications qui se trouvent au coeur du front unique ne peut être défini de manière schématique. Les revendications doivent être spécifiques, précises et éviter toute revendication artificielle ou accessoire, tout cadre idéologique, n’ayant pas de rapport avec l’accomplissement de l’objectif commun.

Toute proposition concrète de front unique devrait se limiter à un seul type de revendications, par exemple des revendications économiques immédiates, des revendications  démocratiques, des revendications transitoires. Elle peut être proposée, ou faite, sur la base d’une série de revendications liées entre elles comme une série d’actions combinées afin de répondre à une crise donnée. Elle peut aussi se limiter à une seule revendication, une seule action - une grève, une action armée - ou une campagne d’actions plus longue.

On peut critiquer de façon valable une proposition de front unique à partir du moment où une revendication essentielle a été exclue, à laquelle il aurait été possible de gagner les masses, et dont le refus par les dirigeants aurait permis de les démasquer. Mais l’absence d’une ou de plusieurs revendications révolutionnaires d’une plateforme de front unique ne constitue pas une critique valable. La présence de telles revendications dans une situation non révolutionnaire est plutôt révélatrice d’un propagandisme passif, d’un l’esprit scolastique et du sectarisme. Par contre, dans les conditions d’une montée massive de la lutte de classe, il devient indispensable de combattre pour de telles revendications révolutionnaires qui constituent alors la meilleure expression du front unique.

Le front unique peut varier en ce qui concerne sa forme et sa longévité, selon la nature de l’attaque. En tout cas, les revendications doivent être associées à des méthodes de lutte claires et précises (par exemple manifestations, grèves, groupes de défense, milices armées) et à des formes d’organisation (par exemple comités de grève, comités de mobilisation, conseils ouvriers). Les comités qui existent afin de coordonner une série d’actions diverses ou répétées sont des organisations de front unique, donc en ce sens, le front unique va au delà de l’action elle-même (par exemple une manifestation), car il implique aussi une préparation et une évaluation après coup. Mais, nous dira-t-on, avec quelles forces peut-on faire un front unique ou un bloc basé sur les principes du front unique ? Il n’existe pas de réponse définitive. Cela dépend de l’époque, du type de pays (impérialiste, semi-colonie ou Etat ouvrier dégénéré), des objectifs de la lutte, des forces de classes impliquées, et du degré de différenciation de classe.

Par exemple, dans un pays impérialiste, un "front unique" avec un parti bourgeois n’est pas admissible, parce qu’aucune section de la bourgeoisie n’a de différence d’intérêt fondamentale avec le reste de sa classe qui pourrait la conduire à être une alliée fiable et combative pour le prolétariat. Qui plus est, pour former une telle alliance elle poserait comme condition préalable que le prolétariat subordonne sa lutte de classe (pour les revendications immédiates et son combat pour le pouvoir) aux objectifs limités de l’alliance. Bref, une telle alliance serait un front populaire.

Où est la différence ? Le front populaire est un bloc entre des forces bourgeoises et des organisations ouvrières par lequel ces dernières acceptent des programmes qui retiennent les travailleurs à l’intérieur des limites de la propriété privée et qui protègent l’Etat bourgeois. Ce qui distingue un front unique d’un front populaire, ce n’est pas la participation en elle-même d’une force ouvertement bourgeoise ou petite-bourgeoise, mais plutôt la subordination politique du prolétariat à la plate-forme de la bourgeoisie. Un tel bloc peut être aussi dangereux lorsqu’il comprend une force bourgeoise très faible ("l’ombre de la bourgeoisie").

Les partis ouvriers qui ont appliqué ces pseudo "fronts uniques" "en défense de la démocratie" ont tous fini par défendre la bourgeoisie et le capitalisme contre le prolétariat (par exemple en Espagne en 1936, au Chili en 1973).

Comme l’a dit Trotsky, le front populaire est un noeud coulant passé autour du cou du prolétariat. Aucun front populaire n’a jamais ouvert la voie au socialisme. Ils ont ouvert, au contraire, de façon répétée, la voie à la contre-révolution. De véritables trotskystes combattent toujours les fronts populaires. Ils sont en faveur de l’unité ouvrière, et pour l’indépendance vis à vis de la bourgeoisie, et non pour l’unité avec cette dernière.

Nous exigeons donc des partis ouvriers et des syndicats dont les dirigeants ont suivi la voie de la collaboration de classe et du front populaire, qu’ils rompent avec les partis capitalistes, qu’ils défendent les droits ouvriers et qu’ils luttent pour le pouvoir ouvrier.

5 Front unique et front populaire dans les pays semi-coloniaux

Néanmoins, des conditions différentes peuvent parfois exister dans une colonie ou un pays semi-colonial. La bourgeoisie nationale peut se trouver écrasée et exploitée par le grand capital impérialiste, opprimée par l’intervention armée de l’impérialisme ou par des forces militaires locales agissant pour le compte de l’impérialisme.

Soumis à une telle pression, des partis nationalistes bourgeois peuvent alors ne pas se contenter d’utiliser une rhétorique anti-impérialiste, mais aussi, à de rares moments, participer à un combat réel contre les impérialistes ou leurs agents locaux. Normalement, dans de telles situations, c’est la petite-bourgeoisie radicale qui participe à ces combats d’une façon conséquente, et le prolétariat peut former avec elle un front unique anti-impérialiste (FUAI). Mais on ne peut pas exclure la possibilité qu’un parti bourgeois, avec une base plébéienne de masse, fasse de même. Dans ce cas, un tel parti pourrait être inclu dans la proposition d’un FUAI. Si les mains du prolétariat ne sont pas liées, s’il n’y a aucune renonciation à la lutte pour le pouvoir (et encore moins la promesse de soutenir un gouvernement bourgeois), un tel FUAI ne serait pas un front populaire.

Dans les pays semi-coloniaux (et même durant certaines circonstances très particulières dans les pays impérialistes ou les Etats ouvriers dégénérés), des forces politiquement bourgeoises, ayant une base de masse plébéienne, ou même ouvrière, et souffrant d’une oppression sociale systématique (par exemple des minorités nationales ou raciales, des femmes) pourraient participer à des actions basées sur les principes du front unique, sans qu’un tel bloc devienne de ce fait transformé en front populaire. Evidemment, les questions mises à l’ordre du jour ne pourraient qu’être défensives et limitées, à la fois dans leur portée et dans leur durée. La question fondamentale est de savoir si les revendications pour lesquelles ces forces seraient prêtes à combattre seraient suffisantes, ou nécessaires pour la propre lutte des travailleurs à ce moment-là. Des partis bourgeois représentant des victimes de l’oppression nationale ou raciale ou des organisations de femmes bourgeoises pourraient être associées à des actions ou des campagnes unies, notamment là où leurs dirigeants ont le soutien de larges secteurs des opprimés, notamment des travailleurs opprimés. Pour le parti révolutionnaire, l’objectif d’une telle action unie, mis à part la maximalisation des forces rassemblées contre la réaction, serait d’entraîner la rupture de la base prolétarienne avec les dirigeants bourgeois des opprimés. L’action unie mettrait ces dirigeants à l’épreuve de la lutte.

6 Savoir mettre en place et continuer le front unique

La possibilité ou non d’un front unique donné ne dépend pas de l’histoire des autres partis faisant partie du bloc. Si de 1917 à 1933, à des moments différents, le front unique fut nécessaire avec des organisations de masse dirigées par Kerensky, Noske, ou Staline - tous responsables de l’assassinat de travailleurs révolutionnaires - nous ne pouvons pas refuser le front unique avec les dirigeants actuels. Le front unique avec des dirigeants contre-révolutionnaires est un mal nécessaire, d’où le dicton bien connu que le front unique peut être fait "avec le diable et sa grand-mère", mais il ne signifie pas un vote de confiance en faveur de cette direction. En effet, la liberté de critiquer ces dirigeants à travers l’action commune est un principe essentiel du front unique. Une telle critique doit être dirigée aussi bien contre les vacillations des partenaires du bloc au moment de l’action commune, que contre leurs erreurs politiques plus larges. Il ne faut pas se limiter à une propagande commune, car cela conduirait à ce que des différences importantes - voire décisives - entre réforme et révolution soient mises de côté. Le seul matériel commun autorisé sont des publications liées au front unique (par exemple les bulletins du comité de grève, des tracts appelant à une manifestation). L’équilibre exact entre l’action commune et la critique ne peut pas être avancée selon des formules toutes prêtes. Nous nous réservons le droit de critiquer nos partenaires avant, pendant et après l’action commune. Le moment et la façon dont nous exerçons ce droit dépend du jugement concret que nous faisons dans des circonstances données. Mais cette critique doit obligatoirement être faite. Le front unique doit être orienté vers la base et la direction. Nous rejetons l’idée du front unique "à la base" comme un piège gauchiste voué à l’échec. Si les travailleurs pouvaient être convaincus de rompre avec leurs dirigeants par un tel appel direct et unilatéral, il n’y aurait aucunement besoin d’un front unique. En orientant l’appel au front unique vers les dirigeants, l’objectif est de les obliger à entrer en action. A travers cette expérience, et non pas par des "révélations" déclamatoires, nous pouvons montrer aux masses que les limitations de leurs dirigeants sont fatales. Dans la grande majorité des cas, le front unique demeurera au stade d’une proposition, sans pouvoir se transformer en accord formel avec les dirigeants réformistes. Dans ces conditions, il restera au niveau d’une campagne d’agitation et de propagande populaire, orientée vers la base des organisations réformistes. Parfois, le front unique "à la base", peut être nécessaire là où les dirigeants ont refusé d’agir avec les révolutionnaires. Alors, il est nécessaire de combiner les dénonciations des dirigeants avec des propositions d’action dirigées vers la base, dont l’objectif est qu’elles soient menées par une direction révolutionnaire. Néanmoins, même ici la tactique a pour but d’exercer une pression sur les dirigeants afin qu’ils mènent l’action qui, si elle réussit, ne pourra qu’entraîner encore plus de couches à agir.

7 Il faut savoir rompre un front unique...

Rompre le front unique peut être aussi important que de le créer. Quand le front unique a rempli son objectif, que le but soit atteint ou non, il doit être redéfini ou rompu et il faut en tirer les leçons. Les circonstances suivantes pourraient nécessiter la rupture du front unique: quand le front unique n’est maintenu que sous la forme d’un exercice littéraire ou diplomatique et n’implique aucune obligation d’agir ; quand les partenaires du bloc sabotent ou minent les objectifs du front unique en refusant de le mettre en oeuvre ou en passant des compromis avec l’ennemi de classe ; quand les partenaires du front unique refusent de prendre au sérieux l’extension du front unique à d’autres forces de masse et limitent le bloc à la taille d’une secte. Mais en même temps, les révolutionnaires doivent tenter de maintenir l’unité d’action avec la direction de la base, établissant leur propre direction et gagnant à leurs rangs les meilleurs éléments des organisations nonrévolutionnaires. Ainsi donc, pour que le front unique soit admissible, il est essentiel de suivre les conseils ci-dessus. Toutefois, pris seuls, ils ne garantissent pas qu’il sera correct ou qu’il réussira. Seule une analyse concrète d’une situation concrète peut révéler quelle est la base correcte pour une proposition de front unique. Il faut du leadership et de l’expérience, accumulés depuis des années d’intervention dans la lutte des classes, pour déterminer quelles propositions de front unique sont admissibles et nécessaires, et vers quelles forces il faut orienter ces revendications. Néanmoins, en comprenant l’objectif et les principes fondamentaux du front unique, les révolutionnaires peuvent éviter bien des erreurs élémentaires et inutiles.

8 Le front unique ouvrier

Une application spécifique et fondamentale du front unique est le front unique ouvrier. L’objectif du front unique ouvrier est de créer le maximum d’unité d’action pour le prolétariat contre la bourgeoisie. Au coeur de cette tactique se trouve le besoin de l’indépendance de classe. Son principe fondamental est le défi lancé par l’organisation révolutionnaire aux dirigeants réformistes ou centristes des organisations ouvrières de masse ou d’une certaine taille: "Rompez avec la bourgeoisie !" L’unité des travailleurs implique une rupture avec la bourgeoisie, son Etat et ses partis. Les principes du front unique ouvrier sont ceux exposés ci-dessus, appliqués à la lutte de classe unie du prolétariat, qu’elle soit défensive ou offensive. Il peut être appliqué à la fois aux actions les plus limitées ou défensives, et à une offensive contre tout l’ordre bourgeois. Au front unique ouvrier s’oppose tout bloc avec les partis ou les représentants individuels de la bourgeoisie. Le prolétariat ne rejette pas le soutien d’individus ou même de forces organisées venus d’autres classes. Dans des secteurs opprimés racialement ou nationalement, il est permis de travailler avec des forces bourgeoises (par exemple contre la répression étatique, pour l’égalité des droits ou contre des attaques fascistes). Mais de telles actions communes ne nécessitent pas de "réserver une place" pour la bourgeoisie juive ou noire au sein du front unique ouvrier contre le fascisme. Elles obligent encore moins les révolutionnaires à subordonner ou limiter leurs propres revendications dans l’espoir de gagner des alliés peu sûrs au sein de la petite-bourgeoisie ou parmi des notables bourgeois dissidents. Dans les pays impérialistes, les partis bourgeois sont incapables d’effectuer des actions progressistes systématiques, et les révolutionnaires doivent s’opposer à leur participation à des fronts communs avec les organisations ouvrières. Le front unique ouvrier ne peut être limité aux seuls syndicats comme le voulaient les bordiguistes. Il s’applique également - et encore plus lors d’une lutte aiguë - aux partis politiques qui se disent des partis ouvriers et qui organisent des secteurs importants du prolétariat. L’objectif est d’arracher les dirigeants réformistes aux chambres des députés, aux banquets et des réunions secrètes avec l’ennemi de classe, et de les obliger à conduire leur base dans la rue, sur les piquets de grève, voire, dans des conditions révolutionnaires, sur les barricades. Le fait que ces dirigeants puissent être des agents assermentés de la bourgeoisie ne peut être considéré comme un argument empêchant que la proposition de front unique leur soit adressée. Ce qui est décisif, c’est que ces traîtres aient encore, sinon la confiance, du moins le contrôle des larges secteurs du prolétariat, et que le parti révolutionnaire n’ait pas encore gagné la confiance ou la direction organisée de ces masses. Nous rejetons tout soutien à un gouvernement des partis ouvriers réformistes et des partis de la bourgeoisie, une coalition de "gauche" ou un front populaire. Si un pseudo-front unique est organisé ou un front populaire est formé entre les organisations ouvrières de masse et les partis bourgeois, les révolutionnaires doivent développer des tactiques afin de chasser ces partis en démontrant aux travailleurs qu’ils ne peuvent pas mener un combat de masse, qu’ils bloquent et trahissent de tels combats, et que les dirigeants réformistes mettent sans cesse en avant la "nécessité" de conserver leur soutien pour freiner les luttes. La tactique de front unique ouvrier nécessite aussi de revendiquer que les partis réformistes rompent avec la bourgeoisie et luttent pour un gouvernement ouvrier. Lors de crise politique aiguë, ce slogan peut devenir la revendication principale de l’heure. Front unique et gouvernement ouvrier Qu’est-ce qu’un véritable gouvernement ouvrier ? C’est un gouvernement qui prend des mesures décisives pour désarmer la bourgeoisie et armer les travailleurs ; qui aide les travailleurs dans leurs lutte afin de saisir les principaux bastions du pouvoir capitaliste - les banques et les principaux monopoles industriels. Evidemment, de telles mesures ne peuvent être mises en oeuvre sur le terrain de la politique électorale et parlementaire. Aux travailleurs réformistes qui ont des illusions dans le parlementarisme, nous disons : "Mettez vos partis au pouvoir, obligez-les à prendre de telles mesures, mais organisez la mobilisation de vos syndicats et de vos partis afin de vous préparer à l’inévitable déclaration de guerre civile que ne manquera pas de lancer la bourgeoisie si vos dirigeants prennent des mesures sérieuses menaçant la propriété privée. Nous soutiendrons de façon critique la victoire électorale de vos partis et nous les défendrons contre une attaque bourgeoise." Aux travailleurs centristes qui croient que la combinaison d’une victoire parlementaire et d’une mobilisation de masse indépendante sera suffisante, nous disons : "Il serait suicidaire de lier les actions de masse de la classe ouvrières aux échéances électorales, de respecter les majorités et les minorités, de refuser d’attaquer les forces armées au nom du respect de la constitution." Un "gouvernement ouvrier" qui ne gagne pas les soldats à sa cause et qui ne prend pas les armes des mains des officiers, qui ne crée pas une milice ouvrière et qui ne dissout pas la police, est condamné. Pour que les communistes soutiennent la prise du pouvoir par une force politique non révolutionnaire, deux conditions doivent être réunies. D’abord, ce doit être une organisation ouvrière. Deuxièmement, les communistes doivent expliquer clairement qu’ils seront toujours dans l’opposition. Dans certaines circonstances exceptionnelles, les communistes eux-mêmes peuvent former un gouvernement commun avec des forces non-révolutionnaires ouvrières et paysannes. Un tel gouvernement ne constituerait pas encore la dictature prolétarienne. Mais, comme l’a dit l’Internationale Communiste, en s’assurant du respect de certaines conditions, les communistes pourraient soutenir un tel gouvernement. Un tel gouvernement doit être basé sur des conseils ouvriers et des milices des ouvriers et des paysans. Il doit attaquer et désarmer immédiatement la bourgeoisie en tant que classe. Il doit imposer le contrôle ouvrier sur la production et permettre la critique totale de l’action gouvernementale par les communistes. Dans un tel gouvernement, les communistes pourraient constituer une minorité. Bref, de tels gouvernements sont des gouvernements ouvriers révolutionnaires, une forme de gouvernement transitoire vers la dictature prolétarienne. Les communistes devraient chercher à utiliser ces nouvelles positions afin d’achever le renversement de la classe capitaliste et d’instaurer une nouvelle dictature révolutionnaire.

9 En conclusion : des comités de grèves aux conseils ouvriers

Dernier élément du front unique ouvrier : la création des organisations de base de la classe ouvrière. Quand des grèves éclatent, nous devons exiger la création de comités de grève de la base, à travers lesquels les masses peuvent contrôler l’orientation de leurs luttes et empêcher les trahisons bureaucratiques. Pendant les moments de lutte de classe intense, les communistes cherchent à développer des organisations plus larges, plus combatives et plus démocratiques : les conseils ouvriers. Dans ces instances, nous combattons pour que les représentants soient élus et révocables par des assemblées de masse. Les conseils doivent être construits partout dans le pays, mais centralisés au niveau national. Ils doivent avoir pour objectif de s’armer et de gagner les soldats à leur cause. De cette façon, le front unique joue son rôle à chaque niveau de la lutte révolutionnaire : du travail syndical, en passant par des mouvements de grève jusqu’à l’organisation des travailleurs pour qu’ils exercent leur propre pouvoir sur toute la société. L’application flexible et correcte de cette tactique fournit une arme puissante au service des masses. A un moment ou un autre, les révolutionnaires qui n’apprenent pas comment s’en servir vont se tromper profondément, menant ainsi tous ceux qui les suivent ver l’échec. L’enjeu est de taille