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Les forces productives sont l'ensemble des facteurs de la production matérielle : la [[Force de travail|force de travail]] déployée par les travailleurs (plus ou moins formés), les instruments de production (outils, machines, connaissances techniques...) et les [[matières_premières|matières premières]]. C'est bien cet ensemble objectif qui constitue les forces productives, qui ne sont donc pas confondues avec la notion de [[Progrès social|progrès social]].
  
 
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La première motivation de Marx et [[Engels|Engels]] lorsqu'ils commencent à employer ce terme est d'insister sur l'[[Conception matérialiste de l'histoire|explication matérialiste de l'histoire]], pour lutter contre l'[[Idéalisme historique|idéalisme]] (et en particulier la [[Conception téléologique de l'histoire|conception téléologique]]). C'est là dessus qu'ils insistent dans l'Idéologie allemande&nbsp;:
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D'une certaine façon, on peut dire que ''«&nbsp;les forces productives&nbsp;(les ouvriers principalement) luttent pour s'approprier les forces productives (les moyens de production).&nbsp;»''<ref name="DeuxSens">Jean-Pierre Lefebvre, [http://visualiseur.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62021650 Les deux sens de « forces productives » chez Marx], 1979</ref>
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Version du 16 décembre 2014 à 16:01

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Les forces productives sont un concept qui rassemble la force de travail et les moyens de production.

Ce sont les forces productives associées aux rapports de production qui forment le mode de production d'une société.

1 Généralités

Les forces productives sont l'ensemble des facteurs de la production matérielle : la force de travail déployée par les travailleurs (plus ou moins formés), les instruments de production (outils, machines, connaissances techniques...) et les matières premières. C'est bien cet ensemble objectif qui constitue les forces productives, qui ne sont donc pas confondues avec la notion de progrès social.

2 Dynamique des forces productives

Les forces productives se développent dans le cadre de rapports de production donnés : la production étant sociale, elle est régie par des rapports définis entre les hommes (qui produit quoi, seul ou à plusieurs, librement ou sous contrainte...). Mais ce développement des forces productives n'est pas linéaire :

«À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une époque de révolution sociale.»[1]

Les forces productives peuvent à nouveau connaître une nouvelle ère de croissance après ce saut qualitatif[2], et généralement à une vitesse supérieure (la hausse de la productivité s'accélère).

Le niveau et la nature des forces productives est une composante essentielle de l'infrastructure (le mode de production) donc déterminant pour la superstructure sociale bâtie sur elle.

« Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s'y substituent avant que les conditions d'existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société. »[1]

3 Perspective historique

Sur le long terme, les forces productives tendent à se développer, mais de façon tout sauf linéaire.

On peut considérer que pendant le "communisme primitif" les forces sociales étaient réduites à presque rien : l'effort pour cueillir des fruits par exemple.

Dès l'apparition des premiers accroissements de productivité avec les premiers outils (révolution néolithique), les forces productives ont commencé à croître, et la division de la société humaine en classes s'en est suivi. Paradoxalement, lorsque les premières formes de noblesse se sont renforcées et ont réussi à fonder de lourds Etats bureaucratiques, elles ont aussi freiné le progrès des forces productives dans l'agriculture, alors source principale de richesse. A de nombreuses reprises, de vastes empires décadents se sont ainsi écroulés, tandis que des peuples moins avancés à leur périphérie apportaient une nouvelle période de chaos, mais aussi d'innovation.

Les forces productives ont par exemple connu un important recul à l’époque du déclin de l’Empire romain en Occident, ou à l’époque du déclin du Califat oriental au Moyen-Orient.

Les forces productives se sont développées en accentuant globalement la division du travail, puis sous le capitalisme en conduisant à une division internationale du travail.

Quelques grands jalons qui ont permis des bonds dans les forces productives :

  • Maîtrise du feu
  • Découverte de l'agriculture
  • Domestication et élevage d'animaux
  • Utilisation des animaux de trait
  • Métallurgie
  • Rotation des cultures (assolement triennal...)

4 Forces productives sous le capitalisme

Le capitalisme connaît à la fin du 19ème siècle et jusqu'à la Première guerre mondiale une période de croissance relativement forte. En revanche, la guerre plonge l'Europe dans la régression économique, et l'économie a du mal à redémarrer après la fin de la guerre. L'Internationale communisme pense alors que « les forces productives ne peuvent plus se développer dans le cadre du régime capitaliste. »[3]

En 1928, Trotsky écrit :

« Théoriquement, on ne peut pas dire qu'il ne saurait y avoir un nouveau chapitre de progression capitaliste générale dans les pays les plus avancés, dominateurs et animateurs. Mais pour cela, le capitalisme devrait au préalable sauter par-dessus de hautes barrières dans le domaine des classes et des relations entre États : écraser pour longtemps la révolution prolétarienne, réduire définitivement la Chine en esclavage, renverser la République des soviets, etc. […] En dernière analyse, cette question sera tranchée par la lutte des forces mondiales »[4]

En 1938, alors que le monde capitaliste ne parvient pas à sortir de la Grande dépression, Trotsky écrit que "les forces productives ont cessé de croître"[5]. Cela exprimait la profonde stagnation d'alors, dans un contexte de faible rentabilité du capital productif. Il est vrai que Trotsky semblait penser que les forces productives avaient définitivement cessé de croître :

« [...] nous voyons que les cycles des crises et des périodes de prospérité forme une ligne de déclin. Cela signifie maintenant que la société a totalement épuisé ses possibilités internes et doit ètre remplacée [...]»[6]

En revanche, les vastes destructions de la Seconde guerre mondiale ont permis de relancer l'accumulation, et les forces productives ont connu un bond dans ce qui a été appelé rétrospectivement "les 30 glorieuses".

En raison des contradictions fondamentales du capitalisme, et principalement la contradiction entre d'une part des forces productives toujours plus socialisées, et d'autre part des moyens de production privés, les forces productives sont chroniquement sous utilisées sous le capitalisme.

  • Allemagne : en RFA le taux d'utilisation des capacités de production était arrivé dans les 60%, a grimpé à 90% à la réunification grâce à l'absorption d'un gigantesque nouveau marché.
  • USA aujourd'hui : 69%

Par ailleurs, il peut y avoir croissance des forces productives sans qu'il n'y ait d'amélioration pour les exploités, notamment dans le cas des pays dominés. Par exemple Kautsky écrivait en 1907 qu’en Inde il y a « une augmentation continue de la famine et de la misère, en dépit d'un flux important de capitaux anglais vers l'Inde et d'une augmentation conséquente des forces productives du pays ».

5 Les communistes et les forces productives

5.1 Un facteur objectif de la révolution

Les forces productives représentent une condition objective à la révolution socialiste de deux façons.

Les forces productives doivent atteindre un seuil minimal, à partir duquel non seulement le capitalisme est apparu, mais a développé une grande industrie permettant de répondre aux besoins de la majorité de la population.

Par ailleurs, les marxistes considèrent qu'une société qui est capable de développer les forces productives est "forte", et donc peu susceptible d'être renversée.

« Tant que la société est capable de développer les forces productives et d’enrichir la nation elle demeure forte et stable. »[6]

Or, sous le capitalisme, les forces productives connaissent des cycles de crise et de reprise. Une conclusion serait que les crises, ou plus exactement les périodes de suraccumulation, sont elles-mêmes une condition objective permettant la révolution.

5.2 Contre la centralisation militariste

Partant du constat du renforcement politique de l'appareil d'État impérialiste, en pleine période de "capitalisme d'État" et de guerre mondiale, Boukharine écrivait en 1916 :

« Tout autre nouveau développement des organismes d'Etat — avant la révolution socialiste — n'est possible que sous la forme d'un capitalisme d'Etat militariste. La centralisation devient celle de la caserne. Dans la couche supérieure de la société une vile clique militaire accroît inévitablement sa force, aboutissant à une brutale mise au pas et à une sanglante répression du prolétariat. [...] La social-démocratie doit voter contre l'introduction de tout monopole, de toute union douanière, etc. Certains adhérents du centre du Parti essaient en vain de démontrer que de telles innovations signifient une régression économique. Mais ce n'est pas la raison de notre tactique. Au contraire, d'un point de vue économique isolé et limité « nationalement », ces formes entraînent une centralisation supplémentaire et un progrès indubitable. Le véritable point est que ce progrès n'est rien de plus qu'un renforcement et un soutien du militarisme et de l'impérialisme. Soutenir l'Etat contemporain veut dire soutenir le militarisme. De nos jours la tâche historique n'est pas de s'inquiéter pour les nouveaux développements des forces productives (elles sont parfaitement adéquates pour la réalisation du socialisme), mais de préparer une attaque universelle contre les gangsters du gouvernement.»[7]

5.3 Critique écologiste

Depuis plusieurs décennies, des courants écologistes ont adressé pour critique au marxisme qu'il ferait un but en soi de l'augmentation des forces productives (productivisme), et donc de la consommation d'énergie et de ressources.

On trouve par exemple cette formule dans le programme de 1928 de l'Internationale communiste :

« La propriété privée des moyens de production abolie et transformée en propriété collective, le système communiste mondial substitue aux lois élémentaires du marché mondial et de la concurrence, au procès aveugle de la production sociale, l'organisation consciente et concertée - sur un plan d'ensemble - tendant à satisfaire les besoins rapidement croissants de la société. Les crises dévastatrices et les guerres plus dévastatrices encore disparaîtront avec l'anarchie de la production et de la concurrence. Au gaspillage formidable des forces productives, au développement convulsif de la société, le communisme oppose l'emploi systématique de toutes les ressources matérielles de la société et une évolution économique indolore basés sur le développement illimité, harmonieux et rapide des forces productives. »[8]

6 Evolutions et débats sur le concept de forces productives

6.1 Moyens de production ou productivité ?

Marx n'a pas légué de définition très précise de ce qu'il entendait par forces productives, et certains courants ou auteurs ont développé des conceptions parfois divergentes.

La première motivation de Marx et Engels lorsqu'ils commencent à employer ce terme est d'insister sur l'explication matérialiste de l'histoire, pour lutter contre l'idéalisme (et en particulier la conception téléologique). C'est là dessus qu'ils insistent dans l'Idéologie allemande :

« L’histoire n’est autre chose que la succession des différentes générations, dont chacune exploite les matériaux, les capitaux, les forces productives, qui lui sont transmis par toutes les générations précédentes » [...] « Cette conception montre que la fin de l’Histoire n’est pas de se résoudre en "conscience de soi" , comme "esprit de l’Esprit" , mais qu’à chaque stade se trouvent donnés un résultat matériel, une somme de forces de productives, un rapport avec la nature et entre les individus, créés historiquement et transmis à chaque génération par celle qui la précède, une masse de forces productives, de capitaux et de circonstances. Cette somme de forces de production, de capitaux, de formes sociales de relations et d’échange, que chaque individu et que chaque génération trouve comme des données existantes, est la base concrète de ce que les philosophes se sont représenté comme "substance" et "essence" de l’Homme »[9]

Dans l'Idéologie allemande, ils écrivent parfois "forces productives" (Produktivkräfte), parfois "forces de production" (Produktionskräfte).

Quand Marx utilise "forces productives" au pluriel, il semble qu'il l'associe plutôt au sens anti-idéaliste, plutôt repris de littérature politique française. Quand il utilise "force productive" au singulier (repris du "productive power" des économistes anglais) il désigne la "productivité". C'est ce sens qui devient prépondérant à partir de 1857-1858 et dans Le Capital.

Dans l'Anti-Düring, Engels identifie nettement "forces productives" et moyens de production.

D'une certaine façon, on peut dire que « les forces productives (les ouvriers principalement) luttent pour s'approprier les forces productives (les moyens de production). »[10]

6.2 Forces productives et rapports de production

Quel est le lien entre forces productives et rapports de production ? De fait, il existe de fortes connexions entre la notion de forces productives et la notion de rapports de production.

« un mode de production déterminé est toujours lié à un mode déterminé de collaboration ou de degré social, ce mode de collaboration étant lui même une force productive »

Ce qui fait dire à certains marxistes :

« Il apparait dans cette définition du lien social comme force productive une totale imbrication des notions de forces productives et de rapports de production. Si l’on se situe du point de vue de l’action humaine sur le milieu naturel on parlera de forces productives ; si l’on se situe du point de vue des rapports constitutifs de la société on parlera de rapports de production. [...] Marx entendait ne pas penser ces deux plans, et les faits qui s’y rapportent, selon une relation de causalité mécanique. C’est la vulgate marxiste introduite dans la Social Démocratie Allemande des années 1900 qui traita les rapports constitutifs des classes comme des effets de la production traitée en cause : le matérialisme historique dégénérait en déterminisme économique. »[11]

7 Notes et sources

  1. 1,0 et 1,1 Critique de l'économie politique - Préface, Karl Marx, 1859 Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « criticeco » est défini plusieurs fois avec des contenus différents.
  2. On retrouve là la notion dialectique de transformation de la quantité en qualité.
  3. https://www.marxists.org/francais/inter_com/1921/ic3_13.htm
  4. Trotsky, L'Internationale Communiste après Lenine, 1928
  5. Trotsky, Le programme de transition, 1938
  6. 6,0 et 6,1 Trotsky,Discussion sur le programme de transition, 1938 Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « TK1938 » est défini plusieurs fois avec des contenus différents.
  7. Boukharine, Contribution à une théorie de l'Etat impérialiste, 1916
  8. Internationale Communiste, VI° Congrès, Programme, 1928
  9. Karl Marx, Friedrich Engels, L’idéologie Allemande, 1845
  10. Jean-Pierre Lefebvre, Les deux sens de « forces productives » chez Marx, 1979
  11. Gérard Vaysse, Forces productives et progrès dans la pensée de Karl Marx, 1992