Féminisme libéral

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Le féminisme libéral est un féminisme désirant appliquer le libéralisme politique (égalité des droits, libertés individuelles...) aux rapports hommes-femmes.

On peut parler de féminisme bourgeois dans la mesure où ce féminisme est porté par la bourgeoisie ou plus largement par des forces politiques qui ne remettent pas en cause la société de classe.

1 Généralités

D'un point de vue marxiste, on ne peut caractériser de façon unilatérale le "féminisme bourgeois". D'une part parce que la bourgeoisie a joué un rôle progressiste face à la réaction nobiliaire, d'autre part parce que la bataille pour l'égalité des droits, si elle ne suffit pas, a été et reste nécessaire.

De plus, on ne peut pas résumer ces féministes à la bourgeoisie, car des femmes issues de la noblesse ont elles aussi porté les idées libérales (même si en dernière analyse c'est l'essor de la bourgeoisie qui a été déterminant).

Enfin, ce féminisme ne peut tout à fait être réduit à l'égalité des droits, car les réflexions des penseurs et penseuses les plus avancé-e-s de la bourgeoisie ont souvent esquissé des réflexions sur les conditions sociales d'existence, et sur la construction sociale des genres.

2 Historique

2.1 Précurseurs

Christine de Pisan (1364-1430) fut une des premières femmes de lettre en Europe. Si on ne peut pas dire qu'elle ait eut des revendications féministes, elle écrivit dans La cité des dames que l'inégalité intellectuelle entre hommes et femmes n'est pas naturelle, mais due à l'éducation et aux représentations d'elles-mêmes fournies aux femmes par le discours misogyne dominant.

Marie de Gournay, qui était proche de Michel de Montaigne, écrivait en 1584 le Promenoir de Monsieur de Montaigne, dans lequel elle expose des réflexions féministes, approfondies en 1622 dans Égalité des Hommes et des Femmes. Elle affirme elle aussi que si les femmes avaient le même accès à l'éducation que les hommes, elles compteraient tout autant de penseurs qu'eux.

La philosophie des Lumières a fait avancer la notion d'égalité des droits entre humains. Mais cela cohabitait avec une misogynie majoritaire (par exemple chez Diderot, Montesquieu ou Rousseau). François Poullain de La Barre dans De l’égalité des sexes considère que l'infériorité féminine résulte d'un simple préjugé ; Helvétius dans De l'esprit, défend l'idée d'un cerveau égal pour les hommes et les femmes, et préconise, aux antipodes de Rousseau, une éducation identique pour les deux sexes ; en 1790, Condorcet dénonce le rôle de l'Église sur l'asservissement des femmes dans Sur l’admission des femmes au droit de cité.

2.2 Révolution française de 1789

En 1793, Olympe de Gouges, Louise Lacombe et d’autres, conscientes que les « Droits de l’Homme » ne parlent en fait que du droit des hommes, rédigent en réponse les « Droits de la Femme » en proclamant que : « Si la femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir aussi celui de monter à la tribune. ». Elles revendiquaient l'égalité des droits civils et politiques, l'instauration du divorce, et la suppression du mariage religieux. Olympe de Gouges meurt guillotinée.

2.3 19e siècle

En France, la Deuxième république, en 1848, renouvèle son libéralisme à deux vitesses, en limitant le suffrage "universel" aux seuls hommes.

La Cour de cassation n'a pas manqué de le rappeler aux suffragettes en 1885 : « La Constitution du 4 novembre 1848, en substituant le régime de suffrage universel au régime censitaire ou restreint dont les femmes étaient exclues, n'a point étendu à d'autres qu'aux citoyens de sexe masculin qui, jusqu'alors, en étaient seul investis, le droit d'élire les représentants du pays. »

Vers la fin du 19e siècle, des organisations féministes se forment, en prenant des formes variées suivant les pays. Dans leur grande majorité, il s'agit d'organisations s'inscrivant dans le prolongement du libéralisme politique, réclamant les mêmes droits pour les femmes que ceux qui sont peu à peu acquis pour les citoyens hommes. De ce point de vue, on peut voir dans cette première vague féministe un « féminisme libéral ». Comme le libéralisme politique (face aux réactionnaires monarchistes), le féminisme est alors apparu globalement « à gauche » de l'échiquier politique. Mais étant donné que ces revendications étaient majoritairement portées par des femmes issues de la bourgeoisie et ne réclamaient spontanément pas plus que l'égalité juridique, les organisations ouvrières les ont également caractérisées comme « féminisme bourgeois ».

C'est notamment pour cela que la social-démocratie allemande et l'Internationale ouvrière refusèrent de se revendiquer du féminisme, vu alors comme un mouvement de femmes bourgeoises. Mais cela ne les empêchait pas de reprendre les revendications d'égalité des droits, à la suite de Marx et Engels. Les marxistes comme Eleanor Marx ou Clara Zetkin soutenaient que l'égalité formelle (juridique) ne déboucherait pas sur l'égalité réelle, et que le socialisme était nécessaire.

Selon les circonstances, notamment lorsqu'il n'existait pas de force politique libérale prête à s'allier aux organisations féministes, ces dernières ont pu se rapprocher du socialisme. Des féministes (même issues de la bourgeoisie) ont mis en avant le fait que les femmes subissaient comme la classe ouvrière une oppression, et avaient intérêt à s'allier.

En France, ce fut par exemple le cas avec Hubertine Auclert, qui intervient au congrès ouvrier de Marseille en 1879. Ou encore avec une féministe comme Madeleine Pelletier qui se concevait d'abord comme une féministe et chercha plusieurs formes de militantisme au sein du mouvement socialiste, anarchiste et communiste.

En plus de l'égalité des droits, certaines « féministes » du 19e siècle ont investi beaucoup d'effort (et d'argent pour certain·e·s philanthropes) dans l'aide matérielle (accès aux soins, à l'éducation...) aux femmes et aux jeunes filles. C'est par exemple le cas de Nadejda Stassova.

2.4 Années 1910

Certaines femmes n'hésitent pas à mettre en avant les revendications des femmes, tout en défendant la société bourgeoise. Par exemple en Finlande en 1907, Hélène Salpakari, militante nationaliste bourgeoise, déclare :

« Il est important qu'avec la nouvelle Assemblée vienne le droit de vote pour les femmes ! Le peuple de Finlande a lutté pour le retour des libertés et il est juste que les femmes aient elles aussi leur part de liberté. Elle forment encore maintenant une caste sans aucun droit, et, si nos socialistes parlent des injustices sociales, il faut bien voir que c'est là la plus grande de toutes les injustices, et non, comme ils le prétendent, les différences entre les classes sociales. Dans ce pays, chaque citoyen est libre. Seule la femme ne l'est pas ! Et aujourd'hui, quand toutes les forces sont nécessaires pour la défense des libertés, il est essentiel que les femmes puissent participer à ce combat ! »[1]

2.5 Années 1920

Dans les années 1920, dans certains milieux, des femmes remettent en question certaines normes. Des jupes plus courtes font leur apparition... En 1924, les jupes sont à environ 26 cm du sol ; en 1925, elles sont à 30 ou 35 cm ; en 1926, elles sont à 40 cm puis rallongent progressivement jusqu’en 1930 où elles se stabiliseront à 30 ou 32 cm du sol.

Un style "garçonne" apparaît (cheveux courts, vêtements plus longilignes...). Le terme devient synonyme de femme active et autonome, libre de ses mouvements — elle sort, danse, fume, a des pratiques sportives ou de plein air, conduit une automobile, voyage —, et aux mœurs libérées, faisant fi des convenances — elle affiche une liaison hors mariage, voire son homosexualité ou sa bisexualité, ou vit ouvertement en union libre.[2]

2.6 Années 1960-1970

2.7 Années 1980 à aujourd'hui

Les constitutions démocratiques reconnaissent désormais qu'aucun individu ne peut être discriminé en raison de son sexe. Cependant la parité hommes-femmes n'est atteinte nulle part. Le parlement suédois compte environ 45% de femmes, tandis qu'en France et en Italie, elles sont environ 11%. Le Conseil de l'Europe, s'appuyant sur la convention des Nations unies de 1981, recommande une participation minimale de 30% de femmes.

En 1991, lorsque le nombre d'élues suédoises a chuté de 38% à 33%, les féministes ont menacé de fonder un parti féminin avec ses propres listes électorales. Un sondage leur ayant attribué 40% des intentions de vote a convaincu les partis de constituer des listes paritaires aux élections de 1994.

En France, la loi du 6 juin 2000 sur la parité vise à favoriser l'égal accès des femmes et à des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.

En Norvège, depuis 2006, seules les entreprises disposant d'un conseil d'administration (CA) composé d'au moins 40 % de femmes pourront s'inscrire au registre des sociétés anonymes.

3 Différentialisme ou universalisme

Le féminisme libéral n'implique pas automatiquement une position tranchée dans le débat entre universalisme et différentialisme.

Historiquement, le différentialisme ayant été dominant, les féministes de la première vague revendiquaient majoritairement d'êtres "égales et différentes". La société bougeoise semble toutefois compatible avec une remise en question au moins partielle des genres (et plus largement du modèle hétérosexiste).

Un débat traverses les féministes républicaines au sujet de l'universalité. Certaines pensent qu'il faut remettre en question la "neutralité" de la "République une et indivisible" :

« il faut repenser l'universalisme, quitter la conception abstraite, la neutralité qui a marqué la domination masculine, faire reconnaître que la souveraineté s'incarne dans les hommes et les femmes. » Elisabeth Guigou

Ce à quoi d'autres répondent :

« Plutôt que d'accuser l'universel d'être masculin pour mieux le jeter aux poubelles de l'histoire, il eût été plus juste de mettre en accusation les hommes qui bafouent le principe de l'universalité. » Elisabeth Badinter[3]

4 Critiques marxistes

4.1 Eleanor Marx

Par exemple Eleanor Marx disait qu'elles avaient des « revendications parfaitement justes »[4], mais qu'elles « proviennent en règle générale des couches aisées » et que « aucune d'entre elles ne va au-delà pour atteindre les fondements de la société elle-même : la détermination économique. » Pour elle, l'oppression des femmes, qu'elle ne niait pas, avait la même fondation que l'oppression des travailleur-se-s, le capitalisme. Par conséquent le féminisme bourgeois était vain :

« Les femmes sont soumises à une tyrannie masculine organisée comme les ouvriers sont soumis à la tyrannie organisée des oisifs. Même lorsque ceci est saisi, il ne faut jamais se lasser de faire comprendre que pour les femmes, comme pour les travailleurs, il n'y a pas dans la société actuelle de solution effective aux difficultés et aux problèmes qui se présentent. Tout ce qui est fait, quel que soit le cortège de trompettes qui l'annonce, n'est que palliatif, non pas solution. »

Elle faisait une analogie avec le pacifisme bourgeois :

« Tout comme sur la question de la guerre le Congrès a souligné la différence entre l'ordinaire "ligue bourgeoise pour la paix", qui crie «Paix, paix» là où il n'y a de la paix nulle part, et le parti économique de la paix, le parti socialiste, qui veut supprimer les causes de la guerre - de même sur la "question des femmes" le Congrès a aussi clairement souligné la différence entre le parti [bourgeois] des "droits des femmes" d'une part, qui ne reconnaît aucune lutte de classe, mais seulement une lutte entre les sexes [...] et, d'autre part, le vrai parti des femmes, le parti socialiste, qui a une compréhension de base des causes économiques de la position défavorable actuelle des travailleuses. »[5]

4.2 Clara Zetkin et les socialistes allemands

Clara Zetkin, une dirigeante socialiste allemande importante, reprenait globalement ces critiques.

« Le droit de vote ou l'égalité civile de la femme, une fois inscrits dans les lois et les codes, l'exploitation économique des femmes n'en sera pas supprimée pour autant. »

Les militant-e-s socialistes allemand-e-s rejetaient le terme de féminisme, qu'elles associaient au féminisme bourgeois. Les féministes bourgeoises qui centraient leur combat sur l'égalité des droits, appelées Frauenrechtlerinnen (littéralement les "droit-des-femmistes") étaient vertement critiquées.

Une minorité parmi les femmes socialistes, notamment derrière Lilly Braun, prônait un rapprochement avec les organisations féministes bourgeoises. Gertrude Guillaume-Shack, qui fut une dirigeante féministe, rejoignit le SPD en 1885, puis dut s'exiler en Angleterre en 1886 où elle rencontre Engels. Après quelques échanges, elle rompt avec les socialistes en 1887.

4.3 Internationale ouvrière

L'Internationale socialiste des femmes (ISF) a été créée en 1907 comme organisation sœur de l'Internationale ouvrière. Sa première conférence eut lieu du 17 au 19 août 1907 à Stuttgart (Allemagne). Elle établit un secrétariat international sous la direction de Clara Zetkin, et adopta une résolution pour le droit de vote des femmes, qui fut le départ d'une campagne active des organisations socialistes de femmes, dans la société, mais aussi au sein de leurs propres partis. Parmi les 7 femmes déléguées par la SFIO, Madeleine Pelletier vota contre la résolution affirmant qu'il fallait maintenir strictement une indépendance par rapport au féminisme bourgeois.

Cette coupure organisationnelle et idéologique a surtout été marquée en Allemagne, où le SPD, parti de masse, avait aussi des organes féminin de masse. Clara Zetkin lance en 1891 le journal féminin Gleichheit (égalité), qui atteindra les 100 000 exemplaires diffusés. A partir de janvier 1892 sera aussi publié à Vienne un Arbeiterinnenzeitung (journal des travailleuses). Ces journaux, dans lesquels écrivaient Louise Kautsky, Eleanor Marx ou Laura Lafargue, se voulaient aborder la question des femmes d'un point de vue marxiste.

En France, cette coupure était beaucoup moins nette. De nombreuses militantes se revendiquait à la fois féministes et socialistes, adhérant à la fois au parti socialiste et à des organisations féministes interclassistes.

Étant donné que Clara Zetkin dominait les femmes socialistes allemandes, et qu'elle faisait partie de la gauche révolutionnaire, tandis que la plupart de ses contradictrices étaient proches du révisionnisme de Bernstein, de nombreux marxistes considèrent que « la question de l'attitude envers le féminisme bourgeois divisait les socialistes en ailes droite et gauche. »[6]

4.4 Internationale communiste

L'Internationale communiste dénonçait comme illusoire l'émancipation des femmes par la seule conquête de l'égalité des droits (formels) :

« Ce que le communisme donnera à la femme, en aucun cas, le mouvement féminin bourgeois ne saurait le lui donner. Aussi longtemps qu'existera la domination du capital et de la propriété privée, l'affranchissement de la femme n'est pas possible. Le droit électoral ne supprime pas la cause première de l'asservissement de la femme dans la famille et dans la société et ne lui donne pas la solution du problème des rapports entre les deux sexes.  »[7]

L'IC critiquait la collaboration de classe que représente la participation de femmes socialiste à des organisations du féminisme bourgeois :

« tout rapport de l'ouvrière avec le féminisme bourgeois, de même que tout appui apporté par elle à la tactique de demi-mesures et de franche trahison des social-coalitionnistes et des opportunistes ne fait qu'affaiblir les forces du prolétariat et, en retardant la révolution sociale, empêche en même temps la réalisation du communisme, c'est-à-dire l'affranchissement de la femme. Nous n'atteindrons au communisme que par l'union dans la lutte de tous les exploités et non par l'union des forces féminines des deux classes opposées. »[7]

5 Notes et sources

  1. Citée dans Ici, sous l'Étoile polaire de Väinö Linna
  2. https://fr.wikipedia.org/wiki/Garçonne_(mode)
  3. Nouvel Observateur du 14-20 janvier 1999
  4. Eleanor Marx, La question féminine, 1886
  5. Eleanor Marx, How Should We Organise? 1892
  6. Hal Draper et Anne G. Lipow, Marxist Women versus Bourgeois Feminism, 1976
  7. 7,0 et 7,1 III° Congrès de l'Internationale communiste, La propagande parmi les femmes, 1921