Dix jours qui ébranlèrent le monde

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Dix jours qui ébranlèrent le monde a été écrit par John Reed, à la fin de 1918. Ce journaliste, poète et révolutionnaire, étudiant à Harvard progressivement radicalisé, a déjà assisté au soulèvement mexicain de 1911, rendu compte des horreurs de la première guerre mondiale sur un peu tous les fronts, et venait de passer, de septembre 17 à mars 1918 les six mois les plus intenses de sa vie. Son regard extérieur, ses talents d’écrivain et d’analyste nous ont laissé le témoignage le plus vivant, le plus concret de la révolution prolétarienne d'Octobre 1917.

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Dans un monde en guerre totale, la vie économique et l’armée russe étaient complètement désorganisées. Le manque d’armes, de vivres, les dysfonctionnements énormes des transports, orchestrés dans certains cercles dirigeants, amenaient délibérément la Russie à la ruine, afin de signer une paix séparée avec l’Allemagne.

La révolution de Février qui vit la chute du tsarisme mit un coup d’arrêt, juste à temps. La situation s’améliora alors réellement, mais la lune de miel fut brève : les classes possédantes n’aspiraient qu’à une révolution politique, aboutissant à une république, voire une monarchie constitutionnelle. Les masses populaires, elles, voulaient une véritable démocratie ouvrière. « Les masses laborieuses comprenaient la possibilité que même sous un gouvernement libéré du tsarisme, si ce gouvernement était contrôlé par d'autres classes sociales, ils pourraient continuer à mourir de faim ». Ainsi, au milieu d’une guerre étrangère, la révolution politique a donné naissance à une révolution sociale.

Le 15 octobre, John Reed a un entretien avec le Rockfeller russe : « la révolution est une maladie, les puissances étrangères devront intervenir, les nations doivent se rendre compte du danger que le bolchevisme constitue pour leurs propres pays : les idées de la dictature du prolétariat et de la révolution sociale mondiale sont contagieuses. Les transports sont désorganisés, les usines ferment leur portes, les Allemands avancent. La famine et la défaite pourraient ramener le peuple russe à la raison ». Et en effet, des cadres des chemins de fer sont surpris par les ouvriers à saboter les machines, Riga a de fait été livrée au Allemands.

La population est affamée, les spéculateurs font monter les prix. Autour des femmes qui en grelottant font la queue pour du pain et du lait, de mystérieux individus errent, chuchotant « que les Juifs ont accaparés les stocks alimentaires et que les membres des soviets vivent dans le luxe ». Les masses désespérées clament que la bourgeoisie attentent à la vie des gens.

Il est clair que la situation est révolutionnaire. Comme le disait Lénine « La révolution vient quand la classe dirigeante ne peut plus vivre comme avant, et que la classe dominée ne veut plus vivre comme avant ».

La fille d’un des amis bourgeois de John Reed rentre un après-midi en proie à une crise d’hystérie : une receveuse de tramway l’a traitée de « camarade ». Le personnel des restaurants et hôtels est syndiqué et refuse les pourboires. « Ce n’est pas parce qu’un homme doit gagner sa vie en servant à table qu’il faut l’insulter en lui offrant un pourboire ! ».

En fait, le pays entier apprend à lire, et lit, car il veut savoir. Dans chaque ville, jusqu’à la plus petite, des milliers de journaux s’affrontent. Quantités de meetings se tiennent simultanément à Petrograd. Chaque coin de rue est une tribune politique. La discussion jaillit spontanément dans les trains, dans les tramways, partout, toujours.

A la campagne, des paysans incendient les manoirs et s’emparent des domaines. Les grèves sont massives, et nombreuses. Au front, toujours plus de soldats « votent avec leurs pieds », ils désertent. Parfois, ils élisent leurs officiers. Les soldats, les ouvriers, les paysans s’organisent en soviets, des assemblées de représentants où les débats sont agités, mais forgent leurs participants. Leurs revendications sont très souvent l’arrêt de la guerre, la terre au paysans et la journée de huit heures. Or, le gouvernement provisoire, dirigé par les socialistes « modérés » de Kerenski alliés aux « Cadets », s’oppose de plus en plus aux revendications ouvrière...

En attendant, il cède petit à petit sur l’ensemble de son programme, tout en aggravant les mesures de répression. Ainsi, la peine de mort est rétablie sur le front, exécutée par les officiers réactionnaires. Les lock-out des usines « trop » revendicatives se multiplient.

Les reportages de Reed le conduisent à pénétrer dans tous les milieux sociaux, il se rend au front, y constate le dénuement des soldats-paysans ; dans les usines, où il peut mesurer la radicalisation des ouvriers. Il rencontre les principaux dirigeants politiques, Kerenski, Trotsky, etc…

Face aux discours dominants sur la Révolution d’Octobre, qui ne serait qu’un Coup d’Etat organisé par une secte de conspirateurs, le témoignage de Reed est des plus précieux.

Ainsi, on peut suivre les préparatifs de l’insurrection durant Octobre, dont tout le monde parle alors, à droite comme à gauche. La « conspiration » compte des centaines de milliers de partisans. Reed assiste à la prise du palais d’Hiver où siège le gouvernement provisoire par les troupes de gardes rouges et de marins. Il court ensuite assister à la réunion du congrès des soviets, où le nouveau gouvernement révolutionnaire, le conseil des commissaires du peuple, est élu les 25-26 octobre.

Reed s’intéresse aussi aux adversaires des bolcheviks, il suit leurs vaines tentatives pour s’opposer à la marée montante révolutionnaire. Ce dont le journaliste rend compte, et dont il est conscient, c’est l’agonie d’une société et la naissance d’un monde nouveau, c’est le festival des opprimés, l’éveil politique de tout un peuple.

Le récit de Reed s’étend sur les premiers mois d’existence du nouveau pouvoir, qui tient ses promesses, sur la réforme agraire comme sur la question de la paix. Il est confronté aussi aux premières crises, soulèvement d’officiers, grève des fonctionnaires (soutenue par le patronat), hostilité de presque tous les partis politiques. La réponse des révolutionnaires est loin de l’image aujourd’hui véhiculée, celle de sanguinaires. Sans soutien social, les adversaires des soviets et des bolcheviks sont impuissants. Nombre d’officiers sont relâchés après avoir juré qu’ils ne se rebelleraient plus. La plupart iront former les armées blanches de la guerre civile. Au sein du parti bolchevik, où l’unanimité ne règne pas, des membres de premier plan négocient avec les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires pour former un gouvernement de toutes les forces de gauche. Ces discusssions échouent car les socialistes « modérés » exigent le départ de Lénine et de Trotsky. Surtout, de Février à Octobre, ces partis, au pouvoir, n’ont réalisé aucune des réformes qui figuraient dans leurs programmes.

Dans une Europe en guerre depuis trois ans, la victoire des travailleurs russes et des paysans, et leur appel à une paix immédiate, suscite un immense espoir. Arrêter la guerre est possible, de même qu’il est possible de construire un monde nouveau.

Le livre de Reed n'est pas une analyse politique froide et distanciée mais une fresque haute en couleurs, anecdotes et « grands évènements » s’y côtoient, avec toujours ces foules mobilisées, organisées, cette révolution, le pouvoir des travailleurs.