Pouvoir des travailleur·ses

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La dictature du prolétariat est une formule militante employée par Marx à l'encontre de la dictature du capital sous ses différentes façades (démocratie bourgeoise, dictature fasciste...). Il s'agirait de la formation d'un nouvel Etat, dit Etat ouvrier, où les travailleurs joueraient un rôle actif dans la construction du socialisme et dans la marche vers le communisme.

1 Idée générale

La dictature du prolétariat est d'abord une formulation militante de Marx. Dans les années 1840, Marx et Engels arrivent à la conclusion que pour créer une société communiste, il est nécessaire que la classe ouvrière réorganise l'économie dans un sens collectiviste : les grands moyens de production sont gérés démocratiquement par les producteurs associés, et la planification remplace le marché. Etant donné que cela signifie supprimer la bourgeoisie en tant que classe en l'expropriant, il s'agit d'une dictature du prolétariat.

Une fois cette transformation réalisée, les classes disparaissent : la dictature du prolétariat laisse place au communisme. Le socialisme transforme en profondeur l'humanité, faisant disparaître les classes sociales. Les différences d'intérêt majeures disparaissent, les individus et les collectifs s'épanouissent librement. Dans un contexte où les mentalités atteignent un stade supérieur, et où l'abondance relative de biens matériels est assurée, la distribution des biens peut se détacher de tout critère méritocratique. Concrètement, les services et les biens sont distribués de plus en plus en fonction des besoins, et non plus en fonction du travail accompli (chacun contribuant à hauteur de ses capacités). C'est ce que Marx synthétisait dans la formule « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». Etant donné que la raison d'être de l'Etat est de maintenir les rapports d'exploitation de la classe dominante, dans le contexte du socialisme, on assiste à une extinction de l'Etat.

2 Historique de la notion et des débats

2.1 Dictature sous la Rome antique

Le terme « dictature » vient du latin « dictatura », qui désignait, à l'époque de la République romaine, une magistrature exceptionnelle qui attribuait tous les pouvoirs à un seul homme (le dictateur – étymologiquement « celui qui parle »). Cette magistrature suprême, assortie de règles de désignation précises et temporaires (six mois maximum), était accordée en cas de danger grave contre la République. Tombée en désuétude à la fin du IIIe siècle av. J.-C., reprise par Sylla et Jules César, la dictature est abolie après la mort de ce dernier.

2.2 Révolution française

Les révolutionnaires français de 1789 ont énormément puisé leur symbolique dans la Rome antique. Ce sont eux qui font entrer dans le vocabulaire politique moderne les termes « dictature », « république », « prolétaires »... A cette époque « dictateur » n'a donc pas le sens moderne d'autocrate, pour lequel on parlait plutôt de « tyran » (dans l'Antiquité) puis « despote » (sous l'Ancien régime).

Il y avait à la fois l'idée de violence politique (la Terreur de 1793 reste le symbole de la dictature de Robespierre), l'idée que la dictature exprime la volonté du peuple, et l'idée de période temporaire.

En particulier, Marat avançait que pour mater les forces de la contre-révolution, il fallait un « dictateur », « un chef éclairé et incorruptible », un « tribun militaire » (ou encore un triumvirat), faisant preuve de son intelligence de la situation et de son dévouement à la cause démocratique. On lui confie alors une magistrature extraordinaire, pour déjouer les complots et mener le peuple à la victoire.[1] Cette notion de dictature temporaire pour faire advenir la nouvelle République imprègne toute la politique des jacobins.

Les communistes utopiques, Babeuf le premier, héritent de cette idée qui influencera nettement le mouvement socialiste.

2.3 « Dictature du prolétariat »

Blanqui aurait été le premier à forger l'expression « dictature du prolétariat », en s'inspirant directement de la notion de dictature des révolutionnaires bourgeois de 1789.

2.4 Marx et Engels

Dans le Manifeste communiste (1847), Marx n'emploie pas encore ce terme. Il écrit que « la première étape dans la révolution ouvrière est la constitution du prolétariat en classe dominante, la conquête de la démocratie. »[2]

La « constitution du prolétariat en classe dominante », c'est précisément ce que Marx et Engels ont appelé par la suite « dictature du prolétariat ». Ils entendaient par là la domination collective de la classe ouvrière sur la bourgeoisie pour lui retirer son pouvoir, et ils n'opposaient pas cette domination de classe à la démocratie. Au contraire, étant donné que la dictature du prolétariat est pour la première fois dans l'histoire la dictature d'une classe majoritaire, elle ne peut être qu'une démocratie d'un niveau supérieur. Engels écrivait encore en 1891 :

« Une chose absolument certaine, c'est que notre Parti et la classe ouvrière ne peuvent arriver à la domination que sous la forme de la république démocratique. Cette dernière est même la forme spécifique de la dictature du prolétariat, comme l'a déjà montré la grande Révolution française. »[3]

Pendant la révolution de 1848 en Allemagne, Marx et Engels défendent la nécessité de « mesures dictatoriales » pour établir la démocratie et vaincre la réaction (qui a vaincu).[4]

Dans Les luttes de classe en France (1850), Marx utilise beaucoup la notion de dictature de classe. Dans les événéments révolutionnaires et contre-révolutionnaires, il montre comment une classe ou une coalition de classe impose sa domination à une/des autre(s) classe(s). Assez admiratif de Blanqui, Marx écrit alors :

« [par opposition au socialisme petit-bourgeois] le prolétariat se groupe de plus en plus autour du socialisme révolutionnaire, autour du communisme pour lequel la bourgeoisie elle-même a inventé le nom de Blanqui. Ce socialisme est la déclaration permanente de la révolution, la dictature de classe du prolétariat, comme point de transition nécessaire pour arriver à la suppression des différences de classes en général »[5]

Leur conviction profonde est que cette dictature de classe, temporaire, aboutirait à une société sans classe, et donc sans Etat. Après cette révolution, on pourrait comme dans  l'idée de Saint-Simon passer du « gouvernement des hommes à l'administration des choses ».[6]  La même année 1850, la « dictature du prolétariat » est inscrite comme objectif de la Société universelle des communistes révolutionnaires dans ses statuts[7].

Mais dans leurs premiers écrits, Marx et Engels n'ont pas encore d'idée arrêtée sur la forme que prendrait une révolution socialiste, et donc sur son impact sur l'Etat.

Marx remarque ensuite qu'au travers de la révolution de 1848 puis du coup d'Etat de Napoléon III, la machine bureaucratique d'Etat s'est perfectionnée toujours plus. Il soutient que seule la classe ouvrière pourra et devra la « briser ».[8]

En 1852, Marx considère que ses réflexions sur la dictature du prolétariat font partie de ses trois contributions originales par rapport aux historiens bourgeois.[9]

2.5 La commune de Paris (1871)

Dans son pamphlet La_Guerre_Civile_en_France, Marx revient à chaud sur l'expérience de la Commune de 1871, et proclame que l'embryon d'auto-gouvernement de la classe ouvrière à Paris est « la forme politique enfin trouvée »[10] de la dictature du prolétariat. Pour lui il devient alors très clair que l'État bourgeois ne se réforme pas mais doit être brisé et remplacé par d'autres institutions.

La Commune de Paris a fait la grave erreur de laisser intacts de larges pans de l'appareil d'Etat autour d'elle, comme la Banque de France ou l'armée versaillaise, qui ont pu se renforcer après le premier choc révolutionnaire et détruire l'embryon d'Etat ouvrier. En ne construisant pas sa dictature révolutionnaire contre la bourgeoisie, la Commune a laissé la bourgeoisie reconstituer sa dictature. Marx reprochait donc à la Commune de ne pas avoir pris suffisamment de mesures « dictatoriales » (contre la bourgeoisie), d'avoir été « trop gentille » avec la réaction.

2.6 L'Internationale ouvrière (1889-1914)

Dans l'Internationale ouvrière (1881-1914), une forte tendance réformiste l'a emporté dans la pratique, malgré la proclamation d'un objectif révolutionnaire. La dictature du prolétariat était une formule creuse, que les révisionnistes voulaient abandonner, et que les centristes interprétaient comme un long processus graduel.

2.7 La révolution russe de 1917

La rupture de Lénine avec les réformistes dans la pratique va aussi l'amener à une rupture théorique, prenant la forme d'un retour à Marx et Engels. Il livre le fruit de ses réflexions dans le livre L'Etat et la révolution, écrit juste au seuil de la révolution russe de 1917. Il définit clairement la révolution socialiste comme la destruction de l'Etat bourgeois et son remplacement par un Etat ouvrier réalisant la dictature du prolétariat, cet Etat ouvrier étant voué à dépérir (ce n'est plus qu'un « demi-Etat »). Il se démarque d'une part des anarchistes qui veulent "abolir l'Etat" sans se préoccuper des bases matérielles qui rendent possibles ou non cette "abolition", et d'autre part des socialistes réformistes qui ont en réalité abandonné la révolution en voulant simplement accéder à l'Etat bourgeois.

Après l'expérience de la Commune de Paris de 1871, la révolution d'Octobre 1917 est la première dictature du prolétariat de l'Histoire qui s'étend à tout un pays.

Les libéraux bourgeois ont bien évidemment dénoncé immédiatement la Russie soviétique comme une terrible dictature, du fait de l'absence de liberté des bourgeois. Ils ont été rejoint en choeur par les principaux dirigeants social-démocrates, y compris Karl Kautsky. En réponse, Lénine écrivit :

« La démocratie prolétarienne est un million de fois plus démocratique que n'importe quelle démocratie bourgeoise ; le pouvoir des soviets est des millions de fois plus démocratique que la plus démocratique des républiques bourgeoises... Parmi les pays bourgeois les plus démocratiques, en est-il un seul dans le monde où, dans sa masse, l'ouvrier moyen, le salarié agricole moyen ou, en général, le semi-prolétaire des campagnes, c'est-à-dire le représentant de la masse opprimée, de l'énorme majorité de la population, jouissent, ne serait-ce qu'à peu près, d'une liberté aussi grande qu'en Russie soviétique d'organiser des réunions, dans les meilleurs locaux, d'une liberté aussi grande d'avoir, pour exprimer leurs idées, défendre leurs intérêts, les plus grandes imprimeries et les meilleurs stocks de papier ; d'une liberté aussi grande d'appeler justement des hommes de leur classe à gouverner et à "policer" l'État ? »[11]

Sous Lénine, c'était bien la dictature du prolétariat qui était établi. Cette dictature se présentait comme une démocratie large, riche, complète pour le prolétariat, qui disposait alors de tous les moyens pour exercer tout le pouvoir. Mais, par la suite, le régime soviétique a vu apparaître, dans ses organes dirigeants, une caste de bureaucrates.

Il n'y eut plus aucune liberté pour la classe ouvrière ni pour personne sous la dictature stalinienne.

3 Notes et sources

Dominique Colas, La dictature démocratique et la démocratie populaire. Oxymore et pléonasme... chez quelques marxistes, 1999