Crise financière de 2008 en Islande

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La crise islandaise est la situation politique instable issue de la crise financière de 2008. Le mécontement de la population est profond, mais il a été jusqu'à présent été canalisé dans des formes "citoyennes" et institutionnelles. De ce fait, le cas de l'Islande est souvent érigé en modèle par des réformistes antilibéraux.

1 Contexte

1.1 Généralités sur l'économie

L'Islande est un petit pays de 326 000 habitants, dont les deux tiers sont regroupés dans l'agglomération de Reykjavik. Elle est associée à l'Europe, fait partie de l'espace Schengen, mais n'est pas membre de l'Union Européenne. Elle possède sa propre monnaie, la couronne islandaise. 

Un atout majeur de l'Islande est le fait qu'elle soit située à cheval sur les plaques tectoniques eurasienne et nord-américaine, et qu'elle bénéficie par là d'une énergie géothermique abondante. Avec l'hydrologie qui permet aussi beaucoup de barrages électriques, cela lui a permis de disposer d'une énergie renouvelable très abordable. Résultat, plus de 80% de l'énergie primaire utilisée est renouvelable (le reste étant le pétrole importé), et la quasi-totalité de l'électricité.

Comme l'Islande peut produire facilement beaucoup plus d'électricité mais difficilement l'exporter, elle a attiré des industries qui consomment beaucoup d'énergie, notamment l'extraction / transformation de l’aluminium (entreprise états-unienne Alcoa, principale industrie du pays). Elle a aussi développé la production d'hydrogène, qui est disponible dans les stations service pour les voitures à pile à combustible.

Les 77 % d'agriculteurs des années 1900 ne sont plus, au début du XXIe siècle, que 4 %. Les terres arables en Islande représentent moins de 1 % de la surface de l'île. Cependant, l'utilisation de la géothermie permet de chauffer des serres, comme à Hveragerði, ce qui permet au pays de se fournir en certains aliments qui ne pousseraient autrement pas sur l'île.

Le pays dépend aussi beaucoup de la pêche (60% des revenus à l'exportation), et du tourisme.

1.2 Une énorme bulle financière

Depuis les années 2000, la bourgeoisie islandaise a surtout misé sur la financiarisation de son économie. Les banques du pays (récemment privatisées) se sont lancées dans d'importantes activités spéculatives, et notamment le commerce de produits dérivés comme les subprimes. Elles rejoignaient et alimentaient une bulle financière massive dans les banques et hedge funds de tous les grands pays capitalistes. Vu le peu de déposants locaux, les banques islandaises ont massivement emprunté aux banques étrangères, en particulier anglaises, néerlandaises et danoises. Le volume des actifs financiers s'est envolé bien au dessus de l'économie réelle, passant de 100% du PIB à plus de 1000% en 2003. Selon un rapport du FMI de l’époque, «l’Islande fonctionnait intrinsèquement comme un fonds spéculatif, empruntant à l’étranger pour acquérir des avoirs extérieurs »[1]. Le crédit intérieur est aussi fortement encouragé, et beaucoup d’islandais empruntent, en particulier pour acheter leurs maisons (80% de propriétaires). En 2007, les ménages islandais sont endettés à près de 250% de leurs revenus (contre par exemple près de 85% en France en 2012).

Tout cela a conduit à une forte hausse de la masse monétaire, et pour contrer l'inflation (14% avant la crise), la banque centrale islandaise a augmenté ses taux d'intérêts directeurs, jusqu'à 15,5 %. Mais cette "politique de l'argent cher" a eu pour effet d'attirer la spéculation internationale, intéressée par la technique du carry trade : emprunter de l'argent dans une devise peu chère, et utiliser cet argent pour acheter des devises chères (comme la couronne islandaise), et empocher la différence de taux d'intérêts. D'où l'effet de bulle : de plus en plus demandée, la couronne islandaise se renchérit rapidement, jusqu'à devenir la monnaie la plus surévaluée au monde en 2007.[2]

Tirée par cette bulle, la croissance a augmenté de 4,5 % par an en moyenne. Pour un temps, cela a eu des retombées positives y compris pour les travailleurs islandais (comme en Grèce, en Espagne...). Étant donné le peu d'habitant par rapport à l'ampleur des profits fictifs, l'effet a été spectaculaire : en 2007 l'Islande avait atteint la première place mondiale de l’IDH.

2 Évènements

2.1 Déclencheur : crise de 2008

Lorsque la bulle a éclaté aux États-Unis suite à la crise immobilière en octobre 2008, elle a entraîné l'Islande, dont l'économie (réelle) plus faible l'a rendue plus vulnérable. Les banques islandaises ne trouvent soudain plus à emprunter sur le marché interbancaire, et se retrouvent avec des dettes énormes, les créditeurs exigeant paiement alors qu'il n'apparaissait plus possible d'obtenir de nouveaux emprunts. A tel point que la banque centrale islandaise n’a pas les moyens de les couvrir. L'insolvabilité est si massive que l'État nationalise les banques - donc socialise les pertes - pour éviter un effondrement.

La dette privée se transforme donc en un instant en une énorme dette publique : de 22 % du PIB en 2007, elle bondit à 100 %. L’effondrement de la couronne islandaise (- 50% en moyenne) a pour résultat de doubler le poids des remboursements des particuliers et des entreprises, endettés en devises étrangères pour la plupart. Cela, les agences de notation ne l'avaient absolument pas vu venir, et ce n'est qu'a posteriori qu'elles dégradent la note de l'Islande.

2.2 Conséquences pour les travailleurs

Comme d'autres pays européens touchés par la crise, l'Islande a reçu un "prêt" du FMI de 2,25 milliards d’euros, contre une plus grande soumission aux impérialistes. Cela se traduit notamment par des mesures d'austérité équivalentes à 10 % du PIB.

Le journal 24 stundir ferme (perte de vingt emplois). Morgunblaðið, un autre journal, supprime des emplois et s'associe au groupe média 365. Icelandair a constaté une baisse significative des demandes de vols intérieurs. Dans le secteur bancaire nationalisé, l'État bourgeois se charge directement des restructurations : par exemple Nýi Landsbanki, la nouvelle entité constituée sur les ruines de la Landsbanki, passe de 1 500 salariés à 1 000.

Par ailleurs, la monnaie islandaise s’est effondrée, le pays connaissant une importante inflation (jusqu’à 18%), ce qui constitue une baisse nette des salaires réels. Cela a contribué à étrangler encore plus les prolétaires islandais d’autant que nombres d’entre eux avaient contractés des prêts immobiliers avant 2008, prêts indexés sur l’inflation… Qui ont donc vu leurs taux d’intérêts exploser entre 2008 et 2012 ! Aujourd’hui, le taux d’endettement des ménages est de 225%. Pour pouvoir le rembourser, les Islandais ont été autorisés à puiser dans leurs retraites complémentaires : tant pis pour les économies…

Des manifestations ont lieu régulièrement devant le Parlement, pour exiger la démission du gouvernement et du directeur de la banque centrale, ainsi que des élections anticipées. Des affrontements ont lieu avec la police. Le pays - qui n'a pas d'armée - n'avait plus connu cela depuis 60 ans.[3]

2.3 Icesave et le non remboursement... des étrangers

Une part importante des épargnants (surtout de la banque Icesave) étaient des étrangers attirés par les forts taux d'intérêt. Au Royaume-Uni, les clients d'Icesave (de nombreuses municipalités ou autres organismes) constatèrent le 7 octobre 2008 qu'ils ne pouvaient plus retirer de fonds. De la même façon, beaucoup de banques européennes ont des centaines de millions d'euros d'exposition dans les banques islandaises. Les fonds des clients belges et luxembourgeois investis auprès de la filiale luxembourgeoise de la banque Kaupthing furent également inaccessibles en octobre 2008. Rapidement, le gouvernement britannique place l'Islande sur la liste des pays terroristes afin de pouvoir saisir les avoirs des filiales britanniques de la Landsbanki[4], avant sa nationalisation. Cela a conduit a des paniques et à des crispations entre les débiteurs islandais et ses créanciers, que la bourgeoisie islandaise a utilisé pour faire d'un problème global de la finance capitaliste une affaire nationaliste, pour couper court à toute remontée de la lutte de classe.

Le parlement prévoyait un accord avec les créanciers anglais et néerlandais pour étaler le remboursement des dettes de Icesave (3,5 milliards de dollars)[5], ce qui revenait à ce que chaque habitant doive verser 100 euros par mois pendant 8 ans. Suite au refus du président Islandais de promulguer l'accord, un référendum a été organisé le 6 mars 2010. Le résultat fut un non à plus de 93 %, avec un taux de participation de 63 %. En conséquence, les politiciens sortent un projet de remboursement à un taux plus faible et sur une durée plus longue. Le nouveau refus du président Islandais de promulguer le deuxième accord conduit à un deuxième référendum le 9 avril 2011. Les Islandais se sont prononcés à 58,9 % contre ce deuxième plan (taux de participation de 70 %).

Cependant, au delà de la bombe médiatique, il n'est pas question pour les capitalistes islandais de se mettre à dos la finance internationale : la sanction serait immédiate en terme de dégradation de note et d'explosion des taux d'emprunt, et les repésailles politiques des États puissants ne se feraient pas attendre. Il s'agit de négociations qui sont imposées par la rébellion du peuple islandais, et qui mettent plus dans l'embarras qu'autre chose les politiciens islandais.

D'une part l'écrasante majorité de la dette privée devenue publique est déjà payée par le prolétariat islandais, d'autre part même la "dette Icesave" sera remboursée, malgré les deux référendums. En effet, la maison mère de la banque Icesave, Landsbanki, avait toujours affirmé être en mesure de rembourser cette dette. Ce qu'elle confirma encore une fois en septembre 2011 et effectua un premier virement à ses créanciers britanniques et hollandais en décembre 2011.

2.4 Assemblée constituante

Terminons sur cette histoire de « constitution citoyenne« , censée être l’aboutissement de la mobilisation populaire:

Elle n’a tout simplement pas attiré les foules : la participation aux élections qui devait élire l’assemblée constitutionnelle n’a  finalement été que de… 36%.

De plus, le 25 janvier 2011, la Cour suprême a invalidé ces résultats de l’élection de l’Assemblée constitutionnelle. Finalement, ils ont dû être “désignées” par le Parlement. Voilà pour leur fameuse « démocratie nouvelle »…

La composition de cette assemblée , censée être « à l’image du peuple » parle d’elle-même : [6]

  • 5 profs d’Université,
  • 4 journalistes et présentateurs télé,
  • 3 médecins,
  • 2 mathématiciens,
  • 2 directeurs de musée,
  • 1 manager,
  • 1 pasteur,
  • 1 directeur de théâtre,
  • 1 chef d’entreprise,
  • 1 président de syndicat,
  • 1 juriste,
  • 1 porte-parole d’association de consommateurs,
  • 1 fermier,
  • 1 étudiant.

Et que dire de la « e-participation » tant vantée par les démocrates : même en comptant tous les réseaux sociaux,le débat n’a suscité que 3 600 commentaires et 370 propositions, soit respectivement 1,1 % et 0,12 % de la population de l’île (si on part du principe de 1 commentaire et une propositions par personne) !

3 Notes et sources

Islande: une « révolution citoyenne » qui fait pschitt, Tant qu'il y aura de l'argent...