Différences entre les versions de « Capitalocène »

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Cette analyse met en évidence un fait déjà bien connu (les capitalistes délocalisent leurs moyens de production pour maximiser leur profit), et le lie à la problématique de l'augmentation des émissions de Co2, en montrant que cet état de fait n'est pas un évènement ponctuel, mais bien une caractéristique structurelle du capitalisme : tant que les capitalistes en auront la possibilité, ils exploiteront la mobilité du capital pour se trouver en permanence au sommet de la courbe de Kuznets, maximisant ainsi leurs profit, mais également les émissions de Co2. De fait, les capitalistes commencent déjà à délocaliser à nouveau leurs usines installées en Chine<ref>https://www.lepoint.fr/monde/la-guerre-commerciale-pousse-des-entreprises-chinoises-a-l-exode-11-09-2018-2250232_24.php</ref>, à mesure que le niveau de vie et l'écologie progressent dans le pays.  
 
Cette analyse met en évidence un fait déjà bien connu (les capitalistes délocalisent leurs moyens de production pour maximiser leur profit), et le lie à la problématique de l'augmentation des émissions de Co2, en montrant que cet état de fait n'est pas un évènement ponctuel, mais bien une caractéristique structurelle du capitalisme : tant que les capitalistes en auront la possibilité, ils exploiteront la mobilité du capital pour se trouver en permanence au sommet de la courbe de Kuznets, maximisant ainsi leurs profit, mais également les émissions de Co2. De fait, les capitalistes commencent déjà à délocaliser à nouveau leurs usines installées en Chine<ref>https://www.lepoint.fr/monde/la-guerre-commerciale-pousse-des-entreprises-chinoises-a-l-exode-11-09-2018-2250232_24.php</ref>, à mesure que le niveau de vie et l'écologie progressent dans le pays.  
  
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Version du 16 janvier 2020 à 12:31

Le Capitalocène est un néologisme utilisé pour décrire l'époque géologique récente, caractérisée par l'impact du développement du capitalisme sur la biosphère, et en particulier son rôle dans le changement climatique.

1 Anthropocène ou Capitalocène ?

La notion d'Anthropocène émerge au début des années 1990 pour désigner une époque géologique succédant à l'Holocène, et caractérisée par une incidence globale et significative des activités humaines sur l'écosystème terrestre. Le terme a ensuite été popularisé au cours des années 90 et 2000, pour largement dépasser aujourd'hui le seul cadre de la géologie, et ce bien que la date exacte du début de cette période soit encore sujet à débat[1].

Certains géologues critiquent cependant ce terme en argumentant que l'impact des activités humaines se poursuivra sur une durée bien trop courte pour constituer une époque géologique à part entière, dont la durée moyenne est de près de 12 Ma[2].

D'autres chercheurs, comme l'historien Jason W. Moore ou l'économiste Raj Patel[3] ont pu apporter une critique du concept d’anthropocène portant plus sur l'étymologie du terme. En effet, parler d'"époque de l'Homme" (de antropos, être humain et kainos, suffixe relatif aux époques géologiques) implique une responsabilité globale de l'être humain, en tant qu'espèce, dans les modifications de l'environnement. Or, l'analyse des données, par exemple sur les émissions de Co2, invite à relativiser ce discours :

  • Au niveau des émissions cumulées de Co2 depuis 1850, les États-Unis comptent pour près de 25%, à égalité avec les pays européens, et suivis par la Chine (~10%)[4].
  • Si l'on rapporte les émissions de Co2 aux modes de consommations, on peut estimer que 50% des émissions sont imputables aux 10% des habitants les plus riches de la planète[5].
  • Si on les rapporte aux modes de productions, 100 firmes seules peuvent être reliées à près de 71% des émissions de l'ensemble des gaz à effet de serre[6].

On constate donc que le changement climatique n'est pas réellement le fait de l'ensemble de l'humanité, dans la mesure où la responsabilité va grandement varier selon les pays ou les classes (tant au sens sociologique que marxiste du terme) à considérer.

Au delà de ces considérations statistiques, l'historien Armel Campagne[7] montre que l'étude de l'histoire nous apprend que l'avènement d'une économie basée sur les énergies fossiles n'était en rien une fatalité ou une conséquence inévitable de l'évolution humaine, mais bien le produit de choix stratégiques faits par les capitalistes et les états bourgeois, poussés par les contradictions inhérentes au mode de production capitaliste. Le terme de Capitalocène semble alors beaucoup plus indiqué pour désigner cette éventuelle nouvelle époque géologique.

2 Aux origines de l'économie fossile

Dans son ouvrage L’Anthropocène contre l'Histoire[8], le géographe Andreas Malm expose le passage d'une industrie basée sur l'eau à une industrie basée sur la vapeur dans l'Angleterre du début des années 1800 :

Pendant très longtemps, la machine à vapeur de James Watt (mise en production vers 1776) est restée impopulaire auprès des industriels, qui lui préféraient l'énergie hydraulique. Celle-ci domine effectivement l'industrie britannique jusqu'au milieu des années 1820. En effet, du fait notamment de sa disponibilité naturelle ainsi que de la puissance et fiabilité supérieure des roues hydrauliques, l'énergie de l'eau était bien plus économique. Jusque dans les années 1870 au moins, toutes les études réalisées par les industriels ou économistes montrent la rentabilité supérieure de l'eau sur la vapeur. Ce n'est donc pas l'efficience de la machine de Watt qui explique l'inversion du rapport de force en sa faveur à partir de 1825/1830 et le déclin de l'hydraulique. Cela ne s'explique pas non plus par une éventuelle rareté de l'énergie hydraulique (la grande majorité du potentiel hydraulique anglais est resté inexploité).

Le succès de la vapeur s'explique en fait par deux de ses caractéristiques :

  • Son utilisation non restreinte dans l'espace : la machine à vapeur comme son combustible, le charbon, peuvent être transportés pour être amenés au plus près des forces productives (dans les grandes villes ouvrières). Inversement l'utilisation de l'énergie hydraulique de l'époque était contrainte par la présence d'un cours d'eau adéquat, qui ne coïncidait pas toujours avec la présence d'une main-d’œuvre adaptée. De fait, certains capitalistes se voyaient obligés de faire sortir de terre des villages entiers autours de leurs moyens de production hydrauliques pour assurer leur fonctionnement.
  • Son utilisation non contrainte dans le temps : la vapeur permet d'assurer un rythme de production continu tout le long d'une journée de travail et tout au long l'année. Ce n'est pas le cas de l'énergie hydraulique, qui est soumise aux aléas climatiques (sécheresses, crues violentes, variations naturelles du débit...).

Pendant longtemps ces deux faiblesses de l'hydraulique par rapport au charbon n'ont pas impacté le choix des capitalistes. En effet, elles étaient compensées par la meilleure rentabilité de l'eau, les salaires plus bas à la campagne et surtout la possibilité de moduler de manière presque illimitée la charge de travail. Une semaine de travail perdue à cause de crues pouvait par exemple être rattrapée en augmentant le temps de travail ou la cadence les semaines suivantes.

Cette situation va cependant évoluer avec le développement de mouvements ouvriers et de syndicats à partir des années 1820. Les grandes grèves de 1830 ont mis au jour la faiblesse de l'hydraulique pour les capitalistes : en campagne, difficile de trouver une main-d’œuvre de remplacement pour briser les grèves, alors qu'en ville les patrons disposaient d'une force de réserve qualifiée et abondante. Les lois de plafonnement des durées de travail (comme les Factory Act de 1833) ont fini d'asseoir la domination de la vapeur : les capitalistes de l'hydraulique ne pouvaient plus modifier les cadences à leur bon vouloir pour compenser les aléas climatiques, sans s'exposer alors à des sanctions.
On conclu de cette analyse que le passage d'une économie basée sur l'eau à une économie basée sur un combustible fossile, le charbon (Andreas Malm parle alors d'économie fossile) peut être compris comme une stratégie des capitalistes anglais, leur permettant de maintenir leur taux de profit en optimisant l'exploitation des travailleurs face aux conquêtes arrachées par ces derniers.

Par la suite, les mécaniques capitalistes de la concurrence entraînent, dans une économie en phase de mondialisation, le passage à la vapeur chez l'ensemble des capitalistes occidentaux. L'impérialisme anglais impose également la "fossilisation" de l'économie de ses colonies, par la force lorsque c'est nécessaire.

3 Des liens entre profits et émissions de CO2

Fig.1 : Courbe de Kuznets

Dans les années 1990, des économistes théorisent le concept de courbe environnementale de Kuznets, qui reprend le principe de courbe de Kuznets (Fig.1, décrivant une évolution théorique des inégalités en fonction du PIB/hab d'un pays) en l'appliquant aux dégradations environnementales. La logique est la suivante :

  • Pays peu développés -> Faibles dégradations dues à une faible activité économique
  • Pays en développement -> Augmentation de l'impact environnemental avec l'activité économique croissante
  • Pays développés -> Diminution du fait d'évolutions technologiques, sociales et réglementaires

Les données empiriques n'apportent malheureusement que peu de preuves de la dynamique théorisée par les adeptes des courbes de Kuznets. Par exemple, les courbe des émissions de Co2 en fonction du temps[9] des principaux pays émetteurs entre 1970 et 2017 ne fait apparaître cette tendance pour aucune nation, même les plus développées.

Une seule variable liée au dioxyde de carbone semble suivre cette tendance de baisse dans les pays développés et de hausse dans les pays en développement, l'intensité Co2 c'est-à-dire le montant de Co2 libéré par unité de production[10]. En effet, la technologie et les normes progressant, les moyens de production des pays développés deviennent plus ''propres'' et émettent de moins en moins de Co2 à production égale. Sauf que la production ne reste pas égale, et ne peut pas le rester puisque la course au profit dans laquelle sont investis les capitalistes leur impose d’augmenter régulièrement la production (même si ce n'est évidemment pas le seul paramètre sur lequel ils peuvent jouer pour augmenter leurs profits).

Si le montant de Co2 libéré par unité de production ne diminue pas assez vite pour compenser l'augmentation du nombre d'unités produites, les émissions totales de Co2 ne diminuent pas. La courbe de Kuznets n'est donc valable que pour l'intensité Co2 mais pas pour les émissions totales.

Mais la principale faiblesse des courbes de Kuznets est surtout de ne pas tenir compte de la mobilité du capital dans une économie mondialisée, et des incitations pour les capitalistes à user de cette mobilité. Pour s'en convaincre, appliquons la logique des courbes de Kuznets au profit potentiellement réalisable par un capitaliste[11] :

  • Pays peu développés -> Faible potentiel de profit (absence d'infrastructures énergétiques et industrielles fiable et d'une main-d’œuvre habituée au travail en usine)
  • Pays en développement -> Augmentation du potentiel (présence des infrastructures de base et d'une main-d’œuvre abondante, précaire et peu protégée)
  • Pays développés -> Diminution du potentiel (augmentation des salaires, émergence de réglementations sociales et environnementales)
Fig. 2 : Courbe de Kuznets inverse

On voit que le potentiel de profit prend la forme d'une courbe de Kuznets, comme l'intensité Co2 !

Cela met en évidence les limites d'une logique considérant les pays séparément : les capitalistes vont chercher à maximiser le profit en étant présent au sommet de la courbe de Kuznets, or en faisant cela ils vont également maximiser l'intensité Co2, donc la pollution générée. En prenant en compte la mobilité du capital, on peut donc définir une "courbe de Kuznets inverse" (Fig.2) qui montre le mouvement du capital sur cette courbe.

Cette analyse met en évidence un fait déjà bien connu (les capitalistes délocalisent leurs moyens de production pour maximiser leur profit), et le lie à la problématique de l'augmentation des émissions de Co2, en montrant que cet état de fait n'est pas un évènement ponctuel, mais bien une caractéristique structurelle du capitalisme : tant que les capitalistes en auront la possibilité, ils exploiteront la mobilité du capital pour se trouver en permanence au sommet de la courbe de Kuznets, maximisant ainsi leurs profit, mais également les émissions de Co2. De fait, les capitalistes commencent déjà à délocaliser à nouveau leurs usines installées en Chine[12], à mesure que le niveau de vie et l'écologie progressent dans le pays.

Cette dynamique est l'une des causes de l'incompatibilité entre capitalisme et écologie, montrant la nécessité d'une articulation entre socialisme et écologie pour faire face au changement climatique.