Calcul économique en économie socialiste

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Le débat sur le calcul économique en économie socialiste est un débat qui a animé les économistes à partir des années 1920 autour de la possibilité même d'une économie socialiste, suite aux critiques lancées par les économistes libéraux de l'École autrichienne (Ludwig von Mises, Friedrich Hayek...). Ceux-ci avançaient qu'en empêchant des prix libres (déterminés par le jeu du marché), la planification socialiste engendre des prix qui divergent des valeurs des biens. Les principaux contradicteurs ont été dans un premier temps des tenants du « socialisme de marché » comme Oskar Lange.

1 Historique

1.1 Antécédants

Dès sa formation au 19e siècle, l'économie socialiste et en particulier l'économie marxiste s'est affrontée aux économistes « classiques » (tout en s'inspirant largement de leurs travaux) qui faisaient l'apologie du laissez-faire. Aussitôt après la popularisation des travaux de Marx, des critiques apparurent : celles de Böhm-Bawerk (1896), de Bortkiewicz[1], de Pierson (1902)[2], de Menger et de Wieser.

Néanmoins le mouvement ouvrier n'en était encore qu'à ses débuts, et le contexte dominant restait celui de l'expansion du libre-échange, abattant les anciens obstacles hérités du féodalisme. Si des débats émergent sur le protectionnisme vers la fin du 19e siècle, cela reste des débats entre économistes bourgeois et la question d'une économie planifiée reste dans l'arrière plan.

1.2 La guerre de 1914-1918 et l'interventionnisme étatique

Pendant la Première guerre mondiale, les États bourgeois prennent des mesures d'exception qui vont parfois jusqu'à des nationalisations de secteurs entiers pour appuyer l'effort de guerre. Cette tendance (bien qu'elle connaisse un reflux dès la fin de la guerre), combinée à la révolution bolchévique de 1917, va engendrer de nombreuses prises de positions.

Par exemple, l'intellectuel autrichien Otto Neurath, qui pris des responsabilités dans l'éphémère République des conseils de Bavière (avril-mai 1919), défendait la planification totale de l'économie, en avançant que les statistiques et le positivisme logique pourraient remplacer la monnaie.

En réaction, Ludwig von Mises publie en 1920 Le calcul économique dans une économie socialiste[3], et en 1922, Socialisme.

1.3 Stagnation des années 1930

Dans les années 1920 et 1930, des articles apparurent dans les journaux économiques anglophones, arguant qu'un calcul rationnel était, au moins théoriquement, possible en régime socialiste. La crise de 1929, qui débouche sur une profonde et longue période de dépression économique dans les pays capitalistes, ébranle les certitudes des économistes bourgeois et favorise les courants hétérodoxes et marxistes, d'autant plus que l'URSS continue dans la période à connaître une forte croissance.

Un des plus célèbres articles de cette période fut publié en 1933 par H.D. Dickinson : Price Formation in a Socialist Economy. Il soutenait qu'un procédé d'essais et d'erreurs pouvait remplacer le marché. L'idée suivait celle de Enrico Barone, lui-même se basant sur l'idée de l'école de Lausanne (Walras, Pareto) croyant qu'on peut formaliser l'économie en un système d'équation complexe.

En 1935, Friedrich Hayek publie Collectivist Economic Planning : Critical Studies of the Possibility of Socialism dans lequel il réaffirme les critiques de von Mises. Il complètera ses critiques dans un article de 1940[4].

En 1935 également, Boris Brutzkus, un russe anti-bolchévik vivant en Israël, publie Economic Planning in Soviet Russia.

1.4 L'après 1945

En plus de Hayek, qui continuera jusqu'à sa mort à polémiquer contre le communisme, de nombreux auteurs prolongent les critiques libérales : Michel Polanyi en 1951[5]... Les critiques seront particulièrement virulentes aux Etats-Unis pendant le maccarthysme.

Néanmoins, la présence de l'immense Bloc de l'Est et la force du mouvement ouvrier (malgré sa bureaucratisation) imposant des compromis aux capitalistes (« fordisme »...) maintenait les ultra-libéraux dans une position affaiblie, face à un courant dominant keynésien et une minorité marxiste assez forte.

1.5 Les années 1980

Après le ralentissement économique des années 1970, une offensive dérégulatrice gagne un à un tous les pays capitalistes. Pour justifier ce tournant comme inévitable, une véritable contre-offensive idéologique est alors menée (« tournant néolibéral »). La stagnation qui est observée en URSS et les témoignagnes qui se multiplient sur les gaspillages bureaucratiques contribuent à décrédibiliser progressivement l'idée de planification.

Même parmi les socialistes, l'idée d'un socialisme de marché comme seul compromis possible gagne du terrain. On peut noter par exemple en 1983 la parution du livre d'Alec Nove, The Economics of Feasible Socialism, auquel répondra en détail Ernest Mandel[6]. Mandel défendra l'idée que la phase socialiste est une cohabitation de marché régulé et de secteurs publics gratuits, ces derniers (et donc la planification) gagnant du terrain à mesure que se réalise une sorte de « saturation des besoins » (abondance relative).

1.6 Le débat aujourd'hui

L'effondrement de l'Union soviétique et le passage à l'économie de marché de la plupart des pays du Bloc de l'Est a été largement utilisé pour discréditer la perspective d'une économie socialiste. Les défenseurs du capitalisme pensent pouvoir décréter la fin de l'histoire.

Avec le recul du mouvement ouvrier organisé et des idées communistes, le débat sur le calcul économique semble largement ignoré. Les apologistes du capitalisme continuent cependant à défendre l'idée que l'économie socialiste est disqualifiée par l'impossibilité de réaliser un calcul économique efficace.[7][8]

2 L'expérience de l'URSS

🔍 Voir : Planification en URSS.

L'expérience de l'URSS est évidemment utilisée abondamment par les critiques du socialisme. Bien que l'économie planifiée bureaucratiquement du régime stalinien ne soit pas du socialisme, il est nécessaire d'étudier cette expérience pour élaborer une réponse marxiste révolutionnaire aux critiques.

3 Principaux arguments

3.1 Gaspillage structurel de moyens de production

Dans une société où les moyens de production sont socialisés, ils n'ont pas de prix de marché. Les libéraux avancent que dans ces conditions, il est impossible de faire les bons choix en terme d'investissement (en quantité, dans le choix entre deux technologies différentes...).

3.2 Impossibilité de connaître la myriade d'information nécessaire

Hayek développe l’idée que l’information pertinente pour le calcul économique est dispersée, que seul « l’ordre spontané » du marché permet la coordination de cette myriade d’informations (par la formation des prix), tandis qu’un planificateur central pourra difficilement l’obtenir et la rassembler.

3.3 Critique des pseudo-prix

Des mécanismes de marché ont été utilisés en URSS, bien que toujours subordonnés au contrôle politique de l'Etat. Les libéraux répondent que « le marché ne peut être imité artificiellement ».

3.4 Dépendance aux autres pays

Les libéraux avancent que l'URSS pouvait s'appuyer sur l'observation des prix sur le marché mondial (établi par les marchés des pays capitalistes) et qu'ainsi elle ne tâtonnait pas totalement dans le noir. Selon eux, un communisme mondial se serait effondré encore plus vite. Ils prennent donc le contrepied de l'argument des trotskistes, selon lequel l'impossiblité du « socialisme dans un seul pays » est le facteur principal de l'échec soviétique.

« Les responsables du Gosplan était littéralement incapables d’établir une échelle de prix et en étaient réduits à utiliser les espions du KGB pour récupérer les catalogues de La Redoute ou de Sears. La plus grande entreprise de planification économique jamais conçue n’avait ainsi due sa survie... qu’à l’existence d’économies de marché à ses portes et les écrits de Mises, formellement interdits par le pouvoir soviétique comme naguère par les nazis, circulaient de mains en mains au cœur même de l’appareil de planification (anecdote rapportée, notamment, par Yuri Maltsev, un des économistes chargés par Gorbachev de mettre en œuvre la perestroika).  » George Kaplan

4 Notes et sources

  1. Michel Rosier, De l’erreur de la rectification par Bortkiewicz d’une prétendue erreur de Marx, 2003
  2. Nicolaas Pierson, Le problème de la valeur dans une société socialiste, 1902
  3. Ludwig von Mises, Le calcul économique dans une économie socialiste, 1920
  4. Firedrich Hayek, Socialist Calculation III: The Competitive
  5. Michael Polanyi, La Logique de la liberté, 1951
  6. Ernest Mandel, En défense de la planification socialiste, Quatrième Internationale n°25, septembre 1987
  7. https://www.wikiberal.org/wiki/Débat_sur_le_calcul_économique_en_régime_socialiste
  8. http://fr.liberpedia.org/Impossibilité_du_calcul_économique_en_régime_socialiste