Modifications

Aller à la navigation Aller à la recherche
1 031 octets ajoutés ,  8 février 2020 à 13:29
aucun résumé des modifications
Ligne 4 : Ligne 4 :  
Selon les auteurs et les contextes, on vise plutôt un dysfonctionnement d'une organisation générant une inefficacité (le '''bureaucratisme'''), ou une couche sociale détenant un pouvoir de domination.
 
Selon les auteurs et les contextes, on vise plutôt un dysfonctionnement d'une organisation générant une inefficacité (le '''bureaucratisme'''), ou une couche sociale détenant un pouvoir de domination.
   −
== Les formes de bureaucratie ==
+
==Les formes de bureaucratie==
   −
=== Bureaucratie de l'[[État|État]] ===
+
===Bureaucratie de l'[[État|État]]===
    
La bureaucratie étatique est typique des régimes [[Démocratie_bourgeoise|démocratiques bourgeois]] comme [[Fascisme|fascistes]] ou [[Staliniens|staliniens]] : administration encadrée par l'Etat et au service de la [[Classe_dominante|classe dominante]], [[Police_politique|police politique]]. Cette bureaucratie, lente à (ré)agir et corrompue (sauf quand ses intérêts sont menacés), est le symbole du pourrissement de la société pour de nombreux penseurs.
 
La bureaucratie étatique est typique des régimes [[Démocratie_bourgeoise|démocratiques bourgeois]] comme [[Fascisme|fascistes]] ou [[Staliniens|staliniens]] : administration encadrée par l'Etat et au service de la [[Classe_dominante|classe dominante]], [[Police_politique|police politique]]. Cette bureaucratie, lente à (ré)agir et corrompue (sauf quand ses intérêts sont menacés), est le symbole du pourrissement de la société pour de nombreux penseurs.
Ligne 14 : Ligne 14 :  
«&nbsp;La classe ouvrière ne peut pas se conten­ter de prendre telle quelle la machine de l’État et de la faire fonc­tion­ner pour son propre compte. L’instrument poli­tique de son asser­vis­se­ment ne peut ser­vir d’instrument poli­tique de son éman­ci­pa­tion.&nbsp;» «&nbsp;L’énorme para­site gou­ver­ne­men­tal, qui enserre le corps social comme un boa constric­tor dans les mailles uni­ver­selles de sa bureau­cra­tie, de sa police, de son armée per­ma­nente, de son clergé et de sa magis­tra­ture, date du temps de la monar­chie abso­lue.&nbsp;» <span>​</span><ref>Karl Marx, ''[https://www.marxists.org/francais/ait/1871/05/km18710530.htm La Guerre civile en France]'', 1871</ref><span>​</span>
 
«&nbsp;La classe ouvrière ne peut pas se conten­ter de prendre telle quelle la machine de l’État et de la faire fonc­tion­ner pour son propre compte. L’instrument poli­tique de son asser­vis­se­ment ne peut ser­vir d’instrument poli­tique de son éman­ci­pa­tion.&nbsp;» «&nbsp;L’énorme para­site gou­ver­ne­men­tal, qui enserre le corps social comme un boa constric­tor dans les mailles uni­ver­selles de sa bureau­cra­tie, de sa police, de son armée per­ma­nente, de son clergé et de sa magis­tra­ture, date du temps de la monar­chie abso­lue.&nbsp;» <span>​</span><ref>Karl Marx, ''[https://www.marxists.org/francais/ait/1871/05/km18710530.htm La Guerre civile en France]'', 1871</ref><span>​</span>
 
</blockquote>  
 
</blockquote>  
=== Bureaucratie dans les entreprises ===
+
===Bureaucratie dans les entreprises===
    
Le terme bureaucratie est le plus souvent utilisé pour viser des services d'État, (notamment par les [[Néolibéraux|néolibéraux]] qui justifient ainsi des [[Privatisations|privatisations]]), mais les entreprises connaissent aussi des formes de bureaucratie.
 
Le terme bureaucratie est le plus souvent utilisé pour viser des services d'État, (notamment par les [[Néolibéraux|néolibéraux]] qui justifient ainsi des [[Privatisations|privatisations]]), mais les entreprises connaissent aussi des formes de bureaucratie.
Ligne 22 : Ligne 22 :  
Dans un sens visant plutôt le dysfonctionnement, on peut souligner que l'économie de marché engendre des formes propres de bureaucratisme. Par exemple, de nombreux/ses employé•e•s de bureaux doivent être employé•e•s pour gérer les interfaces entre entreprises privées différentes&nbsp;: entre compagnies de chemin de fer privées<ref>Voir notamment l'état des chemins de fer britanniques dans les années 1930, racontée dans le documentaire ''L'esprit de 45'' de Ken Loach</ref>, entre bailleurs privés (agences immobilières...)...
 
Dans un sens visant plutôt le dysfonctionnement, on peut souligner que l'économie de marché engendre des formes propres de bureaucratisme. Par exemple, de nombreux/ses employé•e•s de bureaux doivent être employé•e•s pour gérer les interfaces entre entreprises privées différentes&nbsp;: entre compagnies de chemin de fer privées<ref>Voir notamment l'état des chemins de fer britanniques dans les années 1930, racontée dans le documentaire ''L'esprit de 45'' de Ken Loach</ref>, entre bailleurs privés (agences immobilières...)...
   −
=== Bureaucratie dans les [[Les_syndicats_en_France|syndicats]] ===
+
Il y a des exemples où l'absence d'[[autogestion]] produit  des absurdités, de la gestion sous-optimale. Le [[management]] tend par exemple à former une couche [[bureaucratique]]. L’ouvrier militant [[Bill Watson]] rapportait l'anecdote suivante dans son usine : la direction avait prévu un inventaire pendant une période de chômage technique, cet inventaire devant durer 6 semaines. Les ouvriers mirent au point de façon auto-organisée une méthode plus efficace qui aurait pu écourter l’inventaire. Le management y mit aussitôt fin, arguant que ''« les canaux légitimes de l’autorité, de la compétence et de la communication avaient été violés. » « Le management était prêt à tout pour empêcher les travailleurs d’organiser eux-mêmes leur travail, alors même que cela aurait permis d’achever leur inventaire plus vite, qu’ils rentrent chez eux plus tôt, avec moins de salaires à leur verser. »''<ref>Bill Watson, ''[https://libcom.org/library/counter-planning-shop-floor-bill-watson Counter-planning on the shop floor]'', 1971</ref>
 +
 
 +
===Bureaucratie dans les [[Les_syndicats_en_France|syndicats]]===
    
Les syndicats majeurs ([[CGT|CGT]], [[CFDT|CFDT]]...), censés représentés les salariés, trahissent souvent leurs bases, en signant des compromis avec le patronat, n'allant pas jusqu'au bout des revendications promises... Cela est dû à l[[Aristocratie_du_travail|'aristocratie du travail]], syndicalistes priviligiés collaborant avec la [[Classe_dominante|classe dominante]], pour leurs intérêts communs. Les travailleurs devront, dans l'optique d'une révolution socialiste, dépasser le cadre maladif du syndicalisme et revendiquer un pouvoir total.
 
Les syndicats majeurs ([[CGT|CGT]], [[CFDT|CFDT]]...), censés représentés les salariés, trahissent souvent leurs bases, en signant des compromis avec le patronat, n'allant pas jusqu'au bout des revendications promises... Cela est dû à l[[Aristocratie_du_travail|'aristocratie du travail]], syndicalistes priviligiés collaborant avec la [[Classe_dominante|classe dominante]], pour leurs intérêts communs. Les travailleurs devront, dans l'optique d'une révolution socialiste, dépasser le cadre maladif du syndicalisme et revendiquer un pouvoir total.
   −
=== Bureaucratie dans les partis ===
+
===Bureaucratie dans les partis===
    
Comme les syndicats, les partis politiques importants sont des structures où une nette différence est visible entre la base du parti (les petits et moyens militants) et la sphère dirigeante (personnalités du Parti, gros et très gros financiers...). Cette structure est parfois complètement indépendante des militants, bien qu'ils soient nécessaires lors des élections...
 
Comme les syndicats, les partis politiques importants sont des structures où une nette différence est visible entre la base du parti (les petits et moyens militants) et la sphère dirigeante (personnalités du Parti, gros et très gros financiers...). Cette structure est parfois complètement indépendante des militants, bien qu'ils soient nécessaires lors des élections...
Ligne 32 : Ligne 34 :  
Dans les dictatures aux Partis uniques, la bureaucratie du Parti se confond avec celle de l'Etat (Parti-Etat, donc bureaucratie du Parti-Etat). La question de la bureaucratie tenait à coeur pour [[Léon_Trotsky|Trotsky]], qui s'alarmait de la bureaucratisation du PCUS. Ce dernier prônait une [[Centralisme_démocratique|organisation centralisée mais démocratique]], aux antipodes de la politique stalinienne.
 
Dans les dictatures aux Partis uniques, la bureaucratie du Parti se confond avec celle de l'Etat (Parti-Etat, donc bureaucratie du Parti-Etat). La question de la bureaucratie tenait à coeur pour [[Léon_Trotsky|Trotsky]], qui s'alarmait de la bureaucratisation du PCUS. Ce dernier prônait une [[Centralisme_démocratique|organisation centralisée mais démocratique]], aux antipodes de la politique stalinienne.
   −
== Manifestations ==
+
==Manifestations==
   −
=== Dépersonnalisation et mécanisation ===
+
===Dépersonnalisation et mécanisation===
    
Max Weber a particulièrement souligné ce processus de dépersonnalisation accompli par la «&nbsp;rationalisation&nbsp;» du fonctionnement et la stricte délimitation des rôles, - ces rôles définis et distribués de manière fixe et impersonnelle ne prenant eux-mêmes une signification qu’en fonction de l’organisation pour laquelle ils ont été prévus. En d’autres termes&nbsp;: le bureaucratisme implique une aliénation des personnes dans les rôles et des rôles dans l’appareil.
 
Max Weber a particulièrement souligné ce processus de dépersonnalisation accompli par la «&nbsp;rationalisation&nbsp;» du fonctionnement et la stricte délimitation des rôles, - ces rôles définis et distribués de manière fixe et impersonnelle ne prenant eux-mêmes une signification qu’en fonction de l’organisation pour laquelle ils ont été prévus. En d’autres termes&nbsp;: le bureaucratisme implique une aliénation des personnes dans les rôles et des rôles dans l’appareil.
Ligne 42 : Ligne 44 :  
[[Hannah_Arendt|Hannah Arendt]] conçoit la bureaucratie comme le pouvoir&nbsp;«&nbsp;d’un système complexe de bureaux où ni un seul, ni les meilleurs, ni le petit nombre, ni la majorité, personne ne peut être tenu pour responsable, et que l’on peut justement qualifier de règne de l’Anonyme&nbsp;». Dans ce cadre, la bureaucratie ne permet pas de contrôle et met en place une «&nbsp;conspiration involontaire&nbsp;» qui peut exécuter des actes qu’aucun individu n’appuierait, mais dans lesquels tous sont finalement complices&nbsp;: «&nbsp;dans une bureaucratie pleinement développée, il ne reste plus personne avec qui l’on puisse discuter, à qui l’on puisse présenter des griefs, sur qui les pressions du pouvoir pourraient être exercées&nbsp;».
 
[[Hannah_Arendt|Hannah Arendt]] conçoit la bureaucratie comme le pouvoir&nbsp;«&nbsp;d’un système complexe de bureaux où ni un seul, ni les meilleurs, ni le petit nombre, ni la majorité, personne ne peut être tenu pour responsable, et que l’on peut justement qualifier de règne de l’Anonyme&nbsp;». Dans ce cadre, la bureaucratie ne permet pas de contrôle et met en place une «&nbsp;conspiration involontaire&nbsp;» qui peut exécuter des actes qu’aucun individu n’appuierait, mais dans lesquels tous sont finalement complices&nbsp;: «&nbsp;dans une bureaucratie pleinement développée, il ne reste plus personne avec qui l’on puisse discuter, à qui l’on puisse présenter des griefs, sur qui les pressions du pouvoir pourraient être exercées&nbsp;».
   −
=== Fonctionnement descendant ===
+
===Fonctionnement descendant===
    
Dans un système bureaucratique les communications ne circulent que selon une seule direction, du haut de l’organisation hiérarchisée vers sa base. Le sommet n’est pas informé en retour des répercussions et des réceptions des «&nbsp;messages&nbsp;» (ordres, enseignements) qu’il a émis. Cette absence de ''«&nbsp;feed-back&nbsp;»'' constitue l’un des traits essentiels du bureaucratisme tel que Trotsky le décrit dans son ''Cours nouveau''. Dans un autre style, Kafka décrit le même processus&nbsp;: les communications téléphoniques descendent du Château au Village&nbsp;; mais dans la direction inverse, les messages sont «&nbsp;brouillés&nbsp;».
 
Dans un système bureaucratique les communications ne circulent que selon une seule direction, du haut de l’organisation hiérarchisée vers sa base. Le sommet n’est pas informé en retour des répercussions et des réceptions des «&nbsp;messages&nbsp;» (ordres, enseignements) qu’il a émis. Cette absence de ''«&nbsp;feed-back&nbsp;»'' constitue l’un des traits essentiels du bureaucratisme tel que Trotsky le décrit dans son ''Cours nouveau''. Dans un autre style, Kafka décrit le même processus&nbsp;: les communications téléphoniques descendent du Château au Village&nbsp;; mais dans la direction inverse, les messages sont «&nbsp;brouillés&nbsp;».
Ligne 50 : Ligne 52 :  
Dans un syndicat bureaucratisé, on peut admettre parfois la possibilité que des responsables ou des militants de base découvrent intuitivement et dans l’action la réponse juste à une situation donnée&nbsp;; mais on conserve en même temps la conviction que la stratégie d’ensemble de la lutte doit se fonder sur un savoir plus large, élaboré ''au sommet'', et qui doit être transmis. D’où la critique du ''spontanéisme'' et, en même temps, ce climat scolaire des stages de formation des cadres&nbsp;: on retourne à l’école pour apprendre la ligne de l’organisation.
 
Dans un syndicat bureaucratisé, on peut admettre parfois la possibilité que des responsables ou des militants de base découvrent intuitivement et dans l’action la réponse juste à une situation donnée&nbsp;; mais on conserve en même temps la conviction que la stratégie d’ensemble de la lutte doit se fonder sur un savoir plus large, élaboré ''au sommet'', et qui doit être transmis. D’où la critique du ''spontanéisme'' et, en même temps, ce climat scolaire des stages de formation des cadres&nbsp;: on retourne à l’école pour apprendre la ligne de l’organisation.
   −
=== Suivisme et carriérisme ===
+
===Suivisme et carriérisme===
    
En d’autres termes&nbsp;: les techniques bureaucratiques de la formation concourent à développer le conformisme des attitudes, dont une des conséquences les plus marquantes est le manque d’initiative et, par suite, le renforcement de la séparation en deux étages caractéristiques de l’organisation bureaucratisée. Dans le langage politique on nomme ce conformisme&nbsp;: le suivisme. Les comportements suivistes de soumission aux leaders et aux idéologies, leurs motivations éventuelles (fidélisme&nbsp;? carriérisme&nbsp;?) sont quelques-uns des symptômes les plus révélateurs d’un «&nbsp;climat&nbsp;» bureaucratisé.
 
En d’autres termes&nbsp;: les techniques bureaucratiques de la formation concourent à développer le conformisme des attitudes, dont une des conséquences les plus marquantes est le manque d’initiative et, par suite, le renforcement de la séparation en deux étages caractéristiques de l’organisation bureaucratisée. Dans le langage politique on nomme ce conformisme&nbsp;: le suivisme. Les comportements suivistes de soumission aux leaders et aux idéologies, leurs motivations éventuelles (fidélisme&nbsp;? carriérisme&nbsp;?) sont quelques-uns des symptômes les plus révélateurs d’un «&nbsp;climat&nbsp;» bureaucratisé.
Ligne 56 : Ligne 58 :  
Le carriérisme est la conception bureaucratique de la profession. Dans le langage politique et traditionnel, le terme sert à désigner, - et condamner&nbsp;-, «&nbsp;l’arrivisme&nbsp;» du politicien professionnel, du membre de l’appareil dont le souci essentiel est de «&nbsp;monter&nbsp;» à tout prix, en faisant toutes les concessions nécessaires, en pratiquant le suivisme envers tel leader aussi longtemps que ce leader est «&nbsp;bien placé&nbsp;». Il s’agit non plus de servir les buts que poursuit l’organisation, mais de servir l’organisation, et de s’en servir.
 
Le carriérisme est la conception bureaucratique de la profession. Dans le langage politique et traditionnel, le terme sert à désigner, - et condamner&nbsp;-, «&nbsp;l’arrivisme&nbsp;» du politicien professionnel, du membre de l’appareil dont le souci essentiel est de «&nbsp;monter&nbsp;» à tout prix, en faisant toutes les concessions nécessaires, en pratiquant le suivisme envers tel leader aussi longtemps que ce leader est «&nbsp;bien placé&nbsp;». Il s’agit non plus de servir les buts que poursuit l’organisation, mais de servir l’organisation, et de s’en servir.
   −
=== Glissement de l'objectif de l'organisation ===
+
===Glissement de l'objectif de l'organisation===
    
Un autre mécanisme caractéristique est celui que Robert Michels a nommé ''le déplacement des buts''. Soit l’exemple des organisations politiques et syndicales. Au départ, l’appareil était conçu comme un ''moyen'' pour réaliser certaines fins&nbsp;: le [[Socialisme|socialisme]], si le but de l’organisation était révolutionnaire. A ce but premier s’est progressivement substitué celui d’une victoire politique du Parti, qui finit par mobiliser tout le travail de l’organisation. On a admis au départ que la réalisation du socialisme suppose d’abord la prise de pouvoir et cet objectif ''intermédiaire'' devenu principal et même unique, finit par déterminer l’idéologie et l’ensemble des activités du parti.
 
Un autre mécanisme caractéristique est celui que Robert Michels a nommé ''le déplacement des buts''. Soit l’exemple des organisations politiques et syndicales. Au départ, l’appareil était conçu comme un ''moyen'' pour réaliser certaines fins&nbsp;: le [[Socialisme|socialisme]], si le but de l’organisation était révolutionnaire. A ce but premier s’est progressivement substitué celui d’une victoire politique du Parti, qui finit par mobiliser tout le travail de l’organisation. On a admis au départ que la réalisation du socialisme suppose d’abord la prise de pouvoir et cet objectif ''intermédiaire'' devenu principal et même unique, finit par déterminer l’idéologie et l’ensemble des activités du parti.
Ligne 62 : Ligne 64 :  
D’autre part, dans la conscience des bureaucrates, l’attachement à l’organisation&nbsp;-, à ses structures, à sa vie interne, à ses rites&nbsp;-, finit par devenir, en même temps qu’un devoir absolu, une source de valeurs et de satisfactions. Et surtout, le système bureaucratique constitue un nouvel univers aliénant&nbsp;: pour le responsable national, les organismes régionaux et locaux constituent l’horizon et la limite de l’univers quotidien&nbsp;; la perception du bureaucrate s’arrête au dernier niveau de l’étage bureaucratique. La base finit par lui devenir à ce point étrangère qu’il en oublie son existence dans le temps qui sépare les périodes de consultation électorale. Ainsi se développent à l’intérieur de la bureaucratie un ensemble de traditions, de modèles de comportement, un vocabulaire spécifique, - tout un «&nbsp;savoir&nbsp;» dont la possession en commun renforce les liens des initiés en même temps que s’accentue la cassure entre les deux étages.
 
D’autre part, dans la conscience des bureaucrates, l’attachement à l’organisation&nbsp;-, à ses structures, à sa vie interne, à ses rites&nbsp;-, finit par devenir, en même temps qu’un devoir absolu, une source de valeurs et de satisfactions. Et surtout, le système bureaucratique constitue un nouvel univers aliénant&nbsp;: pour le responsable national, les organismes régionaux et locaux constituent l’horizon et la limite de l’univers quotidien&nbsp;; la perception du bureaucrate s’arrête au dernier niveau de l’étage bureaucratique. La base finit par lui devenir à ce point étrangère qu’il en oublie son existence dans le temps qui sépare les périodes de consultation électorale. Ainsi se développent à l’intérieur de la bureaucratie un ensemble de traditions, de modèles de comportement, un vocabulaire spécifique, - tout un «&nbsp;savoir&nbsp;» dont la possession en commun renforce les liens des initiés en même temps que s’accentue la cassure entre les deux étages.
   −
=== Conservatisme d'appareil ===
+
===Conservatisme d'appareil===
    
''La résistance au changement'' est l’une des séquences du déplacement des buts. Comme le marque [[Max_Weber|Max Weber]], la bureaucratie «&nbsp;tend à persévérer dans son être&nbsp;», c’est-à-dire à conserverses structures, - même lorsqu’elles deviennent inadéquates à de nouvelles situations, son idéologie, - même si elle ne concerne qu’un état ancien, - ses cadres, alors même qu’ils ne peuvent plus s’ajuster la forme nouvelle de la société. En d’autres termes les ''conduites d’assimilation'' - c’est-à-dire d’utilisation de schèmes élaborés pour répondre à des situations anciennes - l’emportent sur les ''conduites d’accommodation'' qui supposent l’élaboration de nouveaux schèmes d’action, plus adéquats pour répondre à de nouvelles situations.
 
''La résistance au changement'' est l’une des séquences du déplacement des buts. Comme le marque [[Max_Weber|Max Weber]], la bureaucratie «&nbsp;tend à persévérer dans son être&nbsp;», c’est-à-dire à conserverses structures, - même lorsqu’elles deviennent inadéquates à de nouvelles situations, son idéologie, - même si elle ne concerne qu’un état ancien, - ses cadres, alors même qu’ils ne peuvent plus s’ajuster la forme nouvelle de la société. En d’autres termes les ''conduites d’assimilation'' - c’est-à-dire d’utilisation de schèmes élaborés pour répondre à des situations anciennes - l’emportent sur les ''conduites d’accommodation'' qui supposent l’élaboration de nouveaux schèmes d’action, plus adéquats pour répondre à de nouvelles situations.
Ligne 69 : Ligne 71 :     
[[Trotsky|Trotsky]] emploie explicitement ce terme&nbsp;:
 
[[Trotsky|Trotsky]] emploie explicitement ce terme&nbsp;:
<blockquote>''«&nbsp;Tout parti, même le plus révolutionnaire, élabore inévitablement son conservatisme d'organisation&nbsp;: sinon, il manquerait de la stabilité nécessaire. Mais, en l'occurrence, tout est affaire de degré. Dans un parti révolutionnaire, la dose nécessaire de conservatisme doit se combiner avec l'entier affranchissement de la routine, la souplesse d'orientation, l'audace agissante. (...) Le conservatisme du Parti, comme son initiative révolutionnaire, trouvent leur expression la plus concentrée dans les organes de la direction.&nbsp;»<ref>Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1924/09/19240915h.htm Les leçons d'Octobre]'', 1924</ref>''</blockquote>  
+
<blockquote>''«&nbsp;Tout parti, même le plus révolutionnaire, élabore inévitablement son conservatisme d'organisation&nbsp;: sinon, il manquerait de la stabilité nécessaire. Mais, en l'occurrence, tout est affaire de degré. Dans un parti révolutionnaire, la dose nécessaire de conservatisme doit se combiner avec l'entier affranchissement de la routine, la souplesse d'orientation, l'audace agissante. (...) Le conservatisme du Parti, comme son initiative révolutionnaire, trouvent leur expression la plus concentrée dans les organes de la direction.&nbsp;»<ref>Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1924/09/19240915h.htm Les leçons d'Octobre]'', 1924</ref>''</blockquote>  
 
Il utilise même ponctuellement le terme de bureaucratie dans ce sens de conservatisme au sujet du [[Parti_bolchévik|parti bolchévik]] au coeur de l'[[Insurrection_d'Octobre|insurrection de 1917]] (sans bien sûr tirer un trait d'égalité avec ce qu'il est devenu par la suite)&nbsp;:
 
Il utilise même ponctuellement le terme de bureaucratie dans ce sens de conservatisme au sujet du [[Parti_bolchévik|parti bolchévik]] au coeur de l'[[Insurrection_d'Octobre|insurrection de 1917]] (sans bien sûr tirer un trait d'égalité avec ce qu'il est devenu par la suite)&nbsp;:
 
<blockquote>''«&nbsp;'' Presque partout, il fallait très souvent une impulsion simultanée et d'en haut et d'en bas pour briser les dernières hésitations du Comité local, l'obliger à rompre avec les conciliateurs et à prendre la tête du mouvement. (...) ''Dans la bureaucratie s'installe, inévitablement, l'esprit conservateur. L'appareil ne peut remplir sa fonction révolutionnaire qu'autant qu'il demeure un instrument au service du parti, c'est-à-dire subordonné à une idée et contrôlé par la masse. &nbsp;»<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr43.htm Histoire de la révolution russe]'', 1930</ref>''</blockquote>  
 
<blockquote>''«&nbsp;'' Presque partout, il fallait très souvent une impulsion simultanée et d'en haut et d'en bas pour briser les dernières hésitations du Comité local, l'obliger à rompre avec les conciliateurs et à prendre la tête du mouvement. (...) ''Dans la bureaucratie s'installe, inévitablement, l'esprit conservateur. L'appareil ne peut remplir sa fonction révolutionnaire qu'autant qu'il demeure un instrument au service du parti, c'est-à-dire subordonné à une idée et contrôlé par la masse. &nbsp;»<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr43.htm Histoire de la révolution russe]'', 1930</ref>''</blockquote>  
=== Sclérose et nécrose ===
+
===Sclérose et nécrose===
    
Le conservatisme, l'absence de montée des informations et de renouvellement du "bas vers le haut", l'incapacité à s'adapter à des changements extérieurs, tout cela peut conduire à une paralysie de l'organisme bureaucratisé et en fin de compte à sa propre perte.
 
Le conservatisme, l'absence de montée des informations et de renouvellement du "bas vers le haut", l'incapacité à s'adapter à des changements extérieurs, tout cela peut conduire à une paralysie de l'organisme bureaucratisé et en fin de compte à sa propre perte.
   −
== Racines ==
+
==Racines==
    
Lorsque l'on présente essentiellement la bureaucratie comme une maladie par rapport à un fonctionnement sain, la vision généralement sous-tendue est qu'il est possible d'avoir une action corrective ou compensatrice pour en limiter les effets.
 
Lorsque l'on présente essentiellement la bureaucratie comme une maladie par rapport à un fonctionnement sain, la vision généralement sous-tendue est qu'il est possible d'avoir une action corrective ou compensatrice pour en limiter les effets.
Ligne 92 : Ligne 94 :  
Pour beaucoup de politologues ou sociologues, une explication courramment donnée à la bureaucratisation est un exécutif faible ou instable, comme ce fut le cas par exemple lors de la <abbr class="abbr" title="Quatrième">IV<sup>e</sup></abbr> République française, où l'administration disposait d'un pouvoir authentiquement autonome. Cette situation s'est présentée par exemple en URSS du fait de la mainmise de l'administration sur l'économie&nbsp;; ainsi, les missions confiées à l'administration étant particulièrement nombreuses et techniques, il était difficile pour le pouvoir politique d'exercer un vrai contrôle sur l'administration, qui se voyait ainsi déléguer de nombreuses parcelles de pouvoir.
 
Pour beaucoup de politologues ou sociologues, une explication courramment donnée à la bureaucratisation est un exécutif faible ou instable, comme ce fut le cas par exemple lors de la <abbr class="abbr" title="Quatrième">IV<sup>e</sup></abbr> République française, où l'administration disposait d'un pouvoir authentiquement autonome. Cette situation s'est présentée par exemple en URSS du fait de la mainmise de l'administration sur l'économie&nbsp;; ainsi, les missions confiées à l'administration étant particulièrement nombreuses et techniques, il était difficile pour le pouvoir politique d'exercer un vrai contrôle sur l'administration, qui se voyait ainsi déléguer de nombreuses parcelles de pouvoir.
   −
== Historique dans la pensée politique ==
+
==Historique dans la pensée politique==
   −
=== Précurseurs ===
+
===Précurseurs===
 
[[File:AdministrationRoyalePrusse1719.jpg|frame|right|282x370px|La bureaucratie de l'administration royale en 1719 en Prusse]]
 
[[File:AdministrationRoyalePrusse1719.jpg|frame|right|282x370px|La bureaucratie de l'administration royale en 1719 en Prusse]]
 
Le terme ''bureaucratie'' aurait été employé pour la première fois, selon Littré, en 1745, par V. de Gournay. Mirabeau en fait usage un peu plus tard «&nbsp;Nous connaissons, écrit-il, la tactique de ce département (des finances), toute réduite en bureaucratie.&nbsp;» La conscience d’un pouvoir effectif des ''bureaux'' en liaison avec le problème politique se dessine dès lors, comme on peut encore le voir en certains passages de l’oeuvre de Rousseau concernant la dégénérescence des [[Etat|Etats]] par développement continu d’un système administratif qui tend à devenir système de pouvoir. Cependant, c’est seulement à partir de [[Hegel|Hegel]] que la bureaucratie se constitue en tant que concept politique.
 
Le terme ''bureaucratie'' aurait été employé pour la première fois, selon Littré, en 1745, par V. de Gournay. Mirabeau en fait usage un peu plus tard «&nbsp;Nous connaissons, écrit-il, la tactique de ce département (des finances), toute réduite en bureaucratie.&nbsp;» La conscience d’un pouvoir effectif des ''bureaux'' en liaison avec le problème politique se dessine dès lors, comme on peut encore le voir en certains passages de l’oeuvre de Rousseau concernant la dégénérescence des [[Etat|Etats]] par développement continu d’un système administratif qui tend à devenir système de pouvoir. Cependant, c’est seulement à partir de [[Hegel|Hegel]] que la bureaucratie se constitue en tant que concept politique.
   −
=== Hegel et Marx ===
+
===Hegel et Marx===
    
L’Etat hégélien comprend trois étages hiérarchisés&nbsp;: au sommet, le pouvoir&nbsp;; à la «&nbsp;base&nbsp;» la société civile&nbsp;; entre ces deux niveaux enfin&nbsp;: les relais administratifs qui constituent la nécessaire médiation et font passer le «&nbsp;concept&nbsp;» de l’Etat dans la vie de la société civile. Ce pourquoi Hegel déclare que ''«&nbsp;l’Administration est l’esprit de l’Etat&nbsp;»''. La réplique de [[Marx|Marx]]&nbsp;: ''«&nbsp;La Bureaucratie n’est pas l’esprit de l’Etat, mais son manque d’esprit&nbsp;»'' résume l’essentiel de la critique marxiste&nbsp;; ce que Hegel nommait ''Administration'', Marx le nomme ''Bureaucratie'' et le changement de termes marque déjà le passage d’une qualification positive à une qualification négative. Marx reprend ces trois étages, mais renverse le jugement qu'il en fait, adoptant un point de vue de classe et révolutionnaire. La bureaucratie est liée au pouvoir dont elle est l’instrument.
 
L’Etat hégélien comprend trois étages hiérarchisés&nbsp;: au sommet, le pouvoir&nbsp;; à la «&nbsp;base&nbsp;» la société civile&nbsp;; entre ces deux niveaux enfin&nbsp;: les relais administratifs qui constituent la nécessaire médiation et font passer le «&nbsp;concept&nbsp;» de l’Etat dans la vie de la société civile. Ce pourquoi Hegel déclare que ''«&nbsp;l’Administration est l’esprit de l’Etat&nbsp;»''. La réplique de [[Marx|Marx]]&nbsp;: ''«&nbsp;La Bureaucratie n’est pas l’esprit de l’Etat, mais son manque d’esprit&nbsp;»'' résume l’essentiel de la critique marxiste&nbsp;; ce que Hegel nommait ''Administration'', Marx le nomme ''Bureaucratie'' et le changement de termes marque déjà le passage d’une qualification positive à une qualification négative. Marx reprend ces trois étages, mais renverse le jugement qu'il en fait, adoptant un point de vue de classe et révolutionnaire. La bureaucratie est liée au pouvoir dont elle est l’instrument.
Ligne 106 : Ligne 108 :  
Dans la société que Marx analyse, la bureaucratie, la police, l’armée, l’Eglise et les Juges sont des ''moyens'' au service d’un Etat qui n’est lui-même qu’un ''moyen'', un instrument d’oppression au service de la [[Classe_dominante|classe dominante]]. Aujourd'hui "bureaucratie" n'est plus utilisé comme synonyme d'administration, mais pour désigner un phénomène qui touche aussi bien l'administration à proprement parler que la Justice, l'armée, l'Eglise et potentiellement n'importe quelle organisation.
 
Dans la société que Marx analyse, la bureaucratie, la police, l’armée, l’Eglise et les Juges sont des ''moyens'' au service d’un Etat qui n’est lui-même qu’un ''moyen'', un instrument d’oppression au service de la [[Classe_dominante|classe dominante]]. Aujourd'hui "bureaucratie" n'est plus utilisé comme synonyme d'administration, mais pour désigner un phénomène qui touche aussi bien l'administration à proprement parler que la Justice, l'armée, l'Eglise et potentiellement n'importe quelle organisation.
   −
=== Bakounine ===
+
===Bakounine===
    
[[Bakounine|Bakounine]] a de fait plus milité dans les sections de base de la [[Première_internationale|Première internationale]] que [[Marx|Marx]], qui siégeait seulement au Conseil général et n'allait presque jamais aux congrès. Il s'est intéressé de prêt aux tendances à la bureaucratisation, qu'il décrit notamment dans la ''Protestation de l’Alliance,'' rédigée au cours de l’été 1871. Il critique notamment les membres des Comités genevois&nbsp;:
 
[[Bakounine|Bakounine]] a de fait plus milité dans les sections de base de la [[Première_internationale|Première internationale]] que [[Marx|Marx]], qui siégeait seulement au Conseil général et n'allait presque jamais aux congrès. Il s'est intéressé de prêt aux tendances à la bureaucratisation, qu'il décrit notamment dans la ''Protestation de l’Alliance,'' rédigée au cours de l’été 1871. Il critique notamment les membres des Comités genevois&nbsp;:
Ligne 114 : Ligne 116 :  
Il faut néanmoins souligner que s'il critiquait fortement ''«&nbsp;l'autoritarisme&nbsp;»'' du Conseil général de l'AIT, il n'a jamais considéré que sa société secrète centralisée, la [[Fraternité_internationale|Fraternité internationale]], pouvait également être critiquée.
 
Il faut néanmoins souligner que s'il critiquait fortement ''«&nbsp;l'autoritarisme&nbsp;»'' du Conseil général de l'AIT, il n'a jamais considéré que sa société secrète centralisée, la [[Fraternité_internationale|Fraternité internationale]], pouvait également être critiquée.
   −
=== Evolutions dans le marxisme ===
+
===Evolutions dans le marxisme===
    
Un glissement de sens va ensuite se produire dans les analyses de [[Lénine|Lénine]], [[Trotsky|Trotsky]], [[Gramsci|Gramsci]], ou [[Rosa_Luxemburg|Rosa Luxemburg]]. La bureaucratie ne désigne plus un ''système de transmission'' de pouvoir vers la base, mais un ''système de décision'' de ce pouvoir, fusionné avec lui. En termes de structures&nbsp;: on ne distingue plus trois étages&nbsp;; les deux étages du «&nbsp;sommet&nbsp;» sont maintenant confondus.
 
Un glissement de sens va ensuite se produire dans les analyses de [[Lénine|Lénine]], [[Trotsky|Trotsky]], [[Gramsci|Gramsci]], ou [[Rosa_Luxemburg|Rosa Luxemburg]]. La bureaucratie ne désigne plus un ''système de transmission'' de pouvoir vers la base, mais un ''système de décision'' de ce pouvoir, fusionné avec lui. En termes de structures&nbsp;: on ne distingue plus trois étages&nbsp;; les deux étages du «&nbsp;sommet&nbsp;» sont maintenant confondus.
Ligne 128 : Ligne 130 :  
La bureaucratie dirigeante (''[[Nomenklatura|nomenklatura]]'') qui va ensuite se généraliser dans les États dits ''«&nbsp;socialistes&nbsp;»'' rendra ces débats plus vifs. Certains, contrairement aux [[Trotskistes|trotskistes]], vont considérer qu'elle est devenue une nouvelle classe dominante.
 
La bureaucratie dirigeante (''[[Nomenklatura|nomenklatura]]'') qui va ensuite se généraliser dans les États dits ''«&nbsp;socialistes&nbsp;»'' rendra ces débats plus vifs. Certains, contrairement aux [[Trotskistes|trotskistes]], vont considérer qu'elle est devenue une nouvelle classe dominante.
   −
=== Max Weber ===
+
===Max Weber===
    
Max Weber considérait qu'une condition d’existence d’une bureaucratie moderne était la séparation des producteurs directs d’avec les moyens de production et des formes d’existence communautaires des sociétés pré-capitalistes.
 
Max Weber considérait qu'une condition d’existence d’une bureaucratie moderne était la séparation des producteurs directs d’avec les moyens de production et des formes d’existence communautaires des sociétés pré-capitalistes.
Ligne 134 : Ligne 136 :  
Au sujet de la fusion de toutes les entreprises en un seul ensemble [[Étatisation|étatisé]], Max Weber faisait le [[Pronostic|pronostic]] suivant, qui peut sembler prémonitoire (mort en 1920, il n'a pas vraiment connu la société soviétique). Dans un texte de 1918, il expliquait que la suppression du capitalisme privé ne mettrait pas ''«&nbsp;en pièces la cage d’acier du travail industriel moderne (...). La conséquence en serait plutôt que c’est la direction même des entreprises étatisées ou organisées en une sorte d’économie collective qui deviendrait bureaucratique. (...) Si le capitalisme privé était supprimé, la bureaucratie étatique dominerait seule. Bureaucratie privée et bureaucratie publique (...) se réuniraient dans une hiérarchie unique (...) qui donc exercerait une emprise plus totale&nbsp;»''<ref>Max Weber, ''Parlement et gouvernement dans le nouvel ordre allemand'', dans Actuel Marx n° 11 Puf,1972, p. 63 et 64.</ref>.
 
Au sujet de la fusion de toutes les entreprises en un seul ensemble [[Étatisation|étatisé]], Max Weber faisait le [[Pronostic|pronostic]] suivant, qui peut sembler prémonitoire (mort en 1920, il n'a pas vraiment connu la société soviétique). Dans un texte de 1918, il expliquait que la suppression du capitalisme privé ne mettrait pas ''«&nbsp;en pièces la cage d’acier du travail industriel moderne (...). La conséquence en serait plutôt que c’est la direction même des entreprises étatisées ou organisées en une sorte d’économie collective qui deviendrait bureaucratique. (...) Si le capitalisme privé était supprimé, la bureaucratie étatique dominerait seule. Bureaucratie privée et bureaucratie publique (...) se réuniraient dans une hiérarchie unique (...) qui donc exercerait une emprise plus totale&nbsp;»''<ref>Max Weber, ''Parlement et gouvernement dans le nouvel ordre allemand'', dans Actuel Marx n° 11 Puf,1972, p. 63 et 64.</ref>.
   −
=== Evolutions dans la sociologie ===
+
===Evolutions dans la sociologie===
    
L’élaboration [[Sociologique|sociologique]] du concept de bureaucratie s’est effectuée en trois temps. Dans une première étape, qui commence avec [[Max_Weber|Max Weber]], on insistait surtout sur la ''rationalité'' de l’organisation bureaucratique. Dans la seconde étape, au contraire, on a mis l’accent sur des processus de ''dysfonctionnement'' (Merton)&nbsp;: tout en conservant les éléments essentiels de l’analyse weberienne, on tend ainsi à considérer que cette analyse appartient plutôt au chapitre des conceptions traditionnelles de l’organisation<ref>Cf. par exemple : SIMON et MARSCH : Organizations.</ref>. La troisième étape, enfin, celle qui est marquée en particulier par les thèses de Whyte, de Riesman, constitue en un certain sens un retour à Weber&nbsp;; les thèses de Weber sur la bureaucratie impliquent en effet, outre l’effort pour élaborer un concept opératoire nécessaire à l’analyse sociale, une philosophie de l’histoire. La lecture des chapitres d’''Economie et société'' consacrés à la bureaucratie montre que pour leur auteur la civilisation industrielle est en même temps, - et nécessairement&nbsp;-, une civilisation bureaucratique. D’où l’orientation de la «&nbsp;nouvelle sociologie&nbsp;», et plus précisément de ceux que W. Dennis a récemment nommé&nbsp;: ''les révisionnistes''. Pour ces néo-webériens, - en particulier pour Argyris, pour McGrégor, - la bureaucratie est en quelque sorte un mal inévitable.
 
L’élaboration [[Sociologique|sociologique]] du concept de bureaucratie s’est effectuée en trois temps. Dans une première étape, qui commence avec [[Max_Weber|Max Weber]], on insistait surtout sur la ''rationalité'' de l’organisation bureaucratique. Dans la seconde étape, au contraire, on a mis l’accent sur des processus de ''dysfonctionnement'' (Merton)&nbsp;: tout en conservant les éléments essentiels de l’analyse weberienne, on tend ainsi à considérer que cette analyse appartient plutôt au chapitre des conceptions traditionnelles de l’organisation<ref>Cf. par exemple : SIMON et MARSCH : Organizations.</ref>. La troisième étape, enfin, celle qui est marquée en particulier par les thèses de Whyte, de Riesman, constitue en un certain sens un retour à Weber&nbsp;; les thèses de Weber sur la bureaucratie impliquent en effet, outre l’effort pour élaborer un concept opératoire nécessaire à l’analyse sociale, une philosophie de l’histoire. La lecture des chapitres d’''Economie et société'' consacrés à la bureaucratie montre que pour leur auteur la civilisation industrielle est en même temps, - et nécessairement&nbsp;-, une civilisation bureaucratique. D’où l’orientation de la «&nbsp;nouvelle sociologie&nbsp;», et plus précisément de ceux que W. Dennis a récemment nommé&nbsp;: ''les révisionnistes''. Pour ces néo-webériens, - en particulier pour Argyris, pour McGrégor, - la bureaucratie est en quelque sorte un mal inévitable.
Ligne 144 : Ligne 146 :  
Dans son livre ''La bureaucratie'' (1956), Alfred Sauvy introduit le terme de <span class="citation">«&nbsp;burelain&nbsp;»</span>, par analogie avec <span class="citation">«&nbsp;châtelain&nbsp;»</span>, pour désigner le bureaucrate dans son royaume. Le phénomène bureaucratique a été étudié dans les années 1960 en France par le consultant Octave Gélinier et le sociologue Michel Crozier.
 
Dans son livre ''La bureaucratie'' (1956), Alfred Sauvy introduit le terme de <span class="citation">«&nbsp;burelain&nbsp;»</span>, par analogie avec <span class="citation">«&nbsp;châtelain&nbsp;»</span>, pour désigner le bureaucrate dans son royaume. Le phénomène bureaucratique a été étudié dans les années 1960 en France par le consultant Octave Gélinier et le sociologue Michel Crozier.
   −
== Bureaucratie et technocratie ==
+
==Bureaucratie et technocratie==
    
{{Voir|Technocratie}}
 
{{Voir|Technocratie}}
Ligne 150 : Ligne 152 :  
Le terme de technocratie, souvent employé aujourd'hui, est souvent utilisé pour désigner la même chose que la bureaucratie, mais en insistant sur la séparation entre "sachants" et "non-sachants".
 
Le terme de technocratie, souvent employé aujourd'hui, est souvent utilisé pour désigner la même chose que la bureaucratie, mais en insistant sur la séparation entre "sachants" et "non-sachants".
   −
== Notes et sources ==
+
==Notes et sources==
    
Georges Lapassade, ''[http://www.preavis.org/breche-numerique/article911.html Bureaucratie, bureaucratisme, bureaucratisation]'', 2009
 
Georges Lapassade, ''[http://www.preavis.org/breche-numerique/article911.html Bureaucratie, bureaucratisme, bureaucratisation]'', 2009

Menu de navigation