Différences entre les versions de « Armées vertes »

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[[File:RévolteTambov.png|thumb|right|246x349px|La [[révolte de Tambov]], une des plus importantes rébellions paysannes]]Les '''armées vertes''' sont les soulèvements armés de paysans qui, pendant la [[Guerre_civile_russe|guerre civile russe]] (1917-1922), ont tenté de chasser de leurs terres les [[armées_blanches|armées blanches]] et l'[[Armée_rouge|Armée rouge]] à la fois.
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[[File:RévolteTambov.png|thumb|right|246x349px|La <!--LINK 0:0-->, une des plus importantes rébellions paysannes]]Les '''armées vertes''' sont les soulèvements armés de paysans qui, pendant la [[Guerre_civile_russe|guerre civile russe]] (1917-1922), ont tenté de chasser de leurs terres les [[Armées_blanches|armées blanches]] et l'[[Armée_rouge|Armée rouge]] à la fois.
  
Elles étaient des révoltes contre la [[conscription|conscription]], les [[Réquisitions_dans_les_campagnes|réquisitions agricoles]] pour nourrir les troupes et les villes, le [[Communisme_de_guerre|monopole d’État du commerce]]... Les premières bandes vertes se sont constituées à partir de 1918<ref>{{harvsp|Marie|2005|p=107}}.</ref>. Ces armées vont du petit détachement de 500 à 600 hommes à des troupes beaucoup plus conséquentes, comme [[Makhnovchtchina|l'armée de Makhno]] qui compta jusqu'à 30 000 hommes<ref>{{harvsp|Marie|2005|p=10}}.</ref>.
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Elles étaient des révoltes contre la [[Conscription|conscription]], les [[Réquisitions_dans_les_campagnes|réquisitions agricoles]] pour nourrir les troupes et les villes, le [[Communisme_de_guerre|monopole d’État du commerce]]... Les émeutes paysannes apparaissent surtout à l'été 1918, prennent de l’ampleur entre 1919 et 1920 pour culminer durant l’hiver 1920-1921, avant d'être réprimées. Ces armées vont du petit détachement de 500 à 600 hommes à des troupes beaucoup plus conséquentes, comme [[Makhnovchtchina|l'armée de Makhno]] qui compta jusqu'à 30 000 hommes.
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Les documents historiques sur les armées vertes sont très limités et provienent pour la plupart de ceux qui les ont combattus. Les paysans étaient souvent illettrés et la plupart des leaders ont été exécutés.
  
 
== La paysannerie en 1917 ==
 
== La paysannerie en 1917 ==
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{{Article détaillé|Mouvement paysan en 1917}}
 
{{Article détaillé|Mouvement paysan en 1917}}
  
L'essentiel de la population de l'[[Empire_russe|Empire russe]] est paysanne lorsqu'éclate la [[révolution_de_1917|révolution de 1917]]. La [[révolution_de_Février|révolution de Février]] est une révolution urbaine qui renverse le [[tsarisme|tsarisme]], et qui touche d'abord peu les campagnes. Une bonne partie des forces vives de la paysannerie, et notamment la [[jeunesse|jeunesse]], est alors enrôlée dans l'[[Armée_russe_en_1917|armée]].
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L'essentiel de la population de l'[[Empire_russe|Empire russe]] est paysanne lorsqu'éclate la [[Révolution_de_1917|révolution de 1917]]. La [[Révolution_de_Février|révolution de Février]] est une révolution urbaine qui renverse le [[Tsarisme|tsarisme]], et qui touche d'abord peu les campagnes. Une bonne partie des forces vives de la paysannerie, et notamment la [[Jeunesse|jeunesse]], est alors enrôlée dans l'[[Armée_russe_en_1917|armée]].
  
Mais progressivement dans les mois qui suivent, les paysans s'impatientent. Les réformateurs leur promettent un [[partage_des_terres|partage des terres]] et la fin de la domination de la [[noblesse|noblesse]], notamment le [[parti_socialiste-révolutionnaire|parti socialiste-révolutionnaire]] (SR) qui est alors le plus gros parti de Russie et se veut le représentant des masses. Mais les promesses ne se concrétisent pas. Le [[Gouvernement_provisoire_russe|gouvernement provisoire]] s'appuie sur les [[possédants|possédants]], et trouve des excuses pour différer toute réforme structurelle. Il avance notamment qu'il faut poursuivre la [[Première_Guerre_mondiale|guerre]] à tout prix, et que cela empêche de tenir une [[Assemblée_constituante_russe|Assemblée constituante]], et qu'avant une telle assemblée on ne peut rien trancher.
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Mais progressivement dans les mois qui suivent, les paysans s'impatientent. Les réformateurs leur promettent un [[Partage_des_terres|partage des terres]] et la fin de la domination de la [[Noblesse|noblesse]], notamment le [[Parti_socialiste-révolutionnaire|parti socialiste-révolutionnaire]] (SR) qui est alors le plus gros parti de Russie et se veut le représentant des masses. Mais les promesses ne se concrétisent pas. Le [[Gouvernement_provisoire_russe|gouvernement provisoire]] s'appuie sur les [[Possédants|possédants]], et trouve des excuses pour différer toute réforme structurelle. Il avance notamment qu'il faut poursuivre la [[Première_Guerre_mondiale|guerre]] à tout prix, et que cela empêche de tenir une [[Assemblée_constituante_russe|Assemblée constituante]], et qu'avant une telle assemblée on ne peut rien trancher.
  
A partir de l'été et surtout de l'automne 1917, des révoltes paysannes éclatent un peu partout. Le [[parti_bolchévik|parti bolchévik]] gagne une majorité dans les [[soviets|soviets]] ouvriers et soldats des villes. Le [[parti_SR|parti SR]] connaît une scission, la majorité de la base, plus à gauche, se rallie à l'avis des bolchéviks qui défendent qu'une seconde révolution est nécessaire. Ce sera la [[révolution_d'Octobre|révolution d'Octobre]].
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A partir de l'été et surtout de l'automne 1917, des révoltes paysannes éclatent un peu partout. Le [[Parti_bolchévik|parti bolchévik]] gagne une majorité dans les [[Soviets|soviets]] ouvriers et soldats des villes. Le [[Parti_SR|parti SR]] connaît une scission, la majorité de la base, plus à gauche, se rallie à l'avis des bolchéviks qui défendent qu'une seconde révolution est nécessaire. Ce sera la [[Révolution_d'Octobre|révolution d'Octobre]].
  
Au lendemain de l'[[Insurrection_d'Octobre_1917|insurrection]], lors du [[2e_congrès_des_soviets|2<sup>e</sup> congrès des soviets de Russie]], la majorité constituée de [[bolchéviks|bolchéviks]] et de [[SR_de_gauche|SR de gauche]] vote les [[Premières_mesures_du_gouvernement_bolchevik|premières mesures révolutionnaires]], en particulier le [[décret_sur_la_terre|décret sur la terre]] adressé immédiatement aux paysans de tout le pays. Ce décret reprend les revendications des paysans eux-mêmes, et affirme que la propriété privée de la terre est abolie, que les terres des nobles doivent être partagées par les [[comités_agraires|comités de paysans]].
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Au lendemain de l'[[Insurrection_d'Octobre_1917|insurrection]], lors du [[2e_congrès_des_soviets|2<sup>e</sup> congrès des soviets de Russie]], la majorité constituée de [[Bolchéviks|bolchéviks]] et de [[SR_de_gauche|SR de gauche]] vote les [[Premières_mesures_du_gouvernement_bolchevik|premières mesures révolutionnaires]], en particulier le [[Décret_sur_la_terre|décret sur la terre]] adressé immédiatement aux paysans de tout le pays. Ce décret reprend les revendications des paysans eux-mêmes, et affirme que la propriété privée de la terre est abolie, que les terres des nobles doivent être partagées par les [[Comités_agraires|comités de paysans]]. Le [[décret_sur_la_paix|décret sur la paix]] répond aussi aux aspirations immédiates de la majorité des soldats, qui ne veulent plus de la guerre et veulent rentrer chez eux et profiter du partage des terres.
  
 
Cela va provoquer un ralliement massif des paysans, qui approuveront massivement ces mesures, comme le montreront les votes suivants dans les congrès paysans.
 
Cela va provoquer un ralliement massif des paysans, qui approuveront massivement ces mesures, comme le montreront les votes suivants dans les congrès paysans.
  
== Les causes de l’insurrection ==
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== La guerre civile et les soulèvements paysans ==
  
De 1918 à 1920, les armées vertes coopèrent à plusieurs reprises avec l'armée rouge pour repousser les armées blanches qui souhaitent restaurer la monarchie et sont soutenues par les pays occidentaux qui craignent la contagion bolchevique. Mais les armées vertes combattent aussi contre les armées rouges. Ainsi en 1918, l’État comptabilise 245 révoltes paysannes dirigées contre le pouvoir bolchévique, et en 1919, des régions entières passent sous le contrôle de paysans révoltés, organisés en bande de plusieurs milliers, voire dizaines de milliers d’hommes<ref>{{harvsp|Werth|2012|p=161}}.</ref>. Ces bandes combattent notamment les Rouges en Polésie biélorusse et dans la région de la Volga, et les Blancs sur les arrières de l'[[Alexandre_Koltchak|amiral Koltchak]], en Sibérie et dans l’Oural. En se liant selon la conjoncture et à plusieurs reprises, à l’armée rouge ou l’armée blanche dans le but de combattre l’autre, les armées vertes leur ont donné l’occasion de prendre ponctuellement l’avantage sur leurs ennemis<ref>{{harvsp|Courtois|1997|p=167}}.</ref>. Les révoltes reprennent de manière beaucoup plus intense après la défaite de l'armée blanche en 1920. Pour écraser les armées paysannes, le gouvernement lance alors de véritables expéditions militaires dans le but de «&nbsp;pacifier&nbsp;» les régions en révolte.
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=== Les débuts de la guerre civile ===
  
Les affrontements entre armées vertes et armées bolcheviques ont été particulièrement sanglants en Ukraine, dans le [[Gouvernement_de_Tambov|gouvernement de Tambov]] et en Sibérie occidentale. Ils ont entraîné des déplacements de population massifs, des pillages et destructions de récoltes, et fait beaucoup de victimes.
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La [[révolution_d'Octobre|révolution d'Octobre]] provoque des regroupements de [[contre-révolutionnaires|contre-révolutionnaires]] qui se radicalisent, formant des [[armées_blanches|armées blanches]] dans certaines régions rurales. Celles-ci sont dirigées par des officiers souhaitant restaurer la monarchie, ou en tout cas pour un régime autoritaire (comme le voulait [[Affaire_Kornilov|Kornilov]]). Très vite [[Intervention_alliée_pendant_la_guerre_civile_russe|les pays occidentaux]] et le [[Impérialisme_japonais|Japon]] interviennent dans le conflit en soutenant les Blancs. C'est le début de la [[Guerre_civile_russe|guerre civile]] qui durera jusqu'en 1922,durant laquelle de nombreuses forces peu coordonnées se battent sur le sol de l'ancien [[Empire_russe|Empire]].
  
L’information dont on dispose aujourd’hui sur les armées vertes est cependant limitée. Les paysans étaient souvent illettrés et la plupart des chefs de ces mouvements ont été exécutés par le régime. La plupart des informations que l'on a sur les armées vertes proviennent de ce fait des écrits de leurs ennemis<ref name="Marie">{{harvsp|Marie|2005|p=10-11}}.</ref>.
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Dans tout le pays, [[Armée_russe_en_1917|l'ancienne armée]] est en décomposition, avec énormément de déserteurs. Le nouvel Etat à Petrograd ne contrôle vraiment que le coeur industriel de la Russie. La [[Paix_de_Brest-Litovsk|paix conclue]] par les [[bolchéviks|bolchéviks]] engendre le retour massif de paysans-soldats dans leur région (dont un certain nombre participeront aux armées vertes). Pour se défendre sur plusieurs fronts à la fois, et au nom de l'efficacité, les bolchéviks recréent progressivement en 1918 une armée centralisée, l'[[Armée_rouge|Armée rouge]], à partir des troupes de partisans ([[gardes_rouges|gardes rouges]], régiments bolchéviks...).
  
Les émeutes paysannes commencent dès l’été 1918 et prennent de l’ampleur entre 1919 et 1920 pour culminer durant l’hiver 1920-1921. On distingue communément deux raisons immédiates&nbsp;: les réquisitions et la conscription dans l’armée rouge.
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Les «&nbsp;armées vertes&nbsp;» naissent en Russie et en Ukraine début 1918. Dans les zones tenues par les Blancs, elles se forment pour les chasser, et convergent avec les Rouges des autres zones. Mais dans les zones où les paysans ont initialement accueilli avec sympathie la révolution bolchévique, des soulèvements éclatent également. Les deux premières raisons sont la [[Réquisitions_dans_les_campagnes|politique de réqusition agricole]], et la [[conscription|conscription]] dans l'[[Armée_rouge|Armée rouge]].
  
'''Les réquisitions'''&nbsp;: en janvier 1919, la recherche désordonnée des surplus agricoles est remplacée par un système centralisé de planification. Chaque province, chaque canton, et chaque communauté villageoise, doit verser à l’État un quota de produits agricoles fixé préalablement. Aux récoltes de blé, sont ajoutés des produits comme les céréales, la pomme de terre, le miel, la viande, la crème, le lait, et bien d’autres. Les paysans se voient réquisitionner leurs «&nbsp;excédents&nbsp;» de production pour nourrir l’armée et les villes<ref name="Marie" />. Une fois ces produits réquisitionnés, les autorités distribuent des reçus donnant le droit à des produits manufacturés, mais ces produits manufacturés ne représentent que 15&nbsp;% des besoins de la population et ont une valeur bien inférieure aux produits agricoles réquisitionnés<ref>{{harvsp|Courtois|1997|p=132}}.</ref>.
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'''Les réquisitions'''. Les [[Réquisitions_dans_les_campagnes|réquisitions]], utilisées par le gouvernement provisoire et abolies en octobre 1917, sont très vite rétablies. La guerre et la révolution ont ruiné l'économie et les villes ont faim. Des détachements de [[gardes_rouges|gardes rouges]] partent dans les campagnes demander des vivres et de plus en plus, s'en saisir de force. La création de l'[[Armée_rouge|Armée rouge]] va accentuer le besoin de vivres. En janvier 1919, la recherche désordonnée des surplus agricoles est remplacée par un système centralisé. Chaque province, chaque canton, et chaque communauté villageoise, doit verser à l’État un quota de produits agricoles fixé préalablement. Aux récoltes de blé, sont ajoutés des produits comme les céréales, la pomme de terre, le miel, la viande, la crème, le lait, et bien d’autres. Les paysans se voient réquisitionner leurs «&nbsp;excédents&nbsp;» de production pour nourrir l’armée et les villes. Une fois ces produits réquisitionnés, les autorités distribuent des reçus donnant le droit à des produits manufacturés, mais ces produits manufacturés ne représentent que 15&nbsp;% des besoins de la population et ont une valeur bien inférieure aux produits agricoles réquisitionnés.
  
'''Le refus de la conscription&nbsp;:''' La conscription des paysans dans l'armée rouge est une autre explication des révoltes paysannes. On estime le nombre de déserteurs de l'armée rouge en 1919-1920 à plus de 3 millions. Le gouvernement mène alors une politique de répression, notamment en fusillant les déserteurs et en prenant leurs familles en otage. Cette politique répressive a pour conséquence le fait que les déserteurs viennent renflouer les armées vertes<ref>{{harvsp|Courtois|1997|p=133}}.</ref>.
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'''Le refus de la conscription&nbsp;:''' On estime le nombre de déserteurs de l'armée rouge en 1919-1920 à plus de 3 millions. Le gouvernement mène alors une politique de répression, notamment en fusillant les déserteurs et en prenant leurs familles en otage. Cette politique répressive a pour conséquence le fait que les déserteurs viennent renflouer les armées vertes.
  
'''Le refus de la dictature communiste'''&nbsp;: au-delà du refus de la circonscription et des réquisitions, les paysans rejettent plus généralement toute intrusion d’un pouvoir qu’ils considèrent comme étranger<ref>{{harvsp|Courtois|1997|p=134}}.</ref>. Cependant, si ces bandes s'associent souvent avec des groupes d'opposition au bolchevisme&nbsp;: SR, blancs, anarchistes&nbsp;; ils le font davantage pour des raisons stratégiques que pour des raisons idéologiques. Il s’agit avant tout de soulèvements spontanés de paysans mécontents, sans qu’ils n’aient pour autant une idéologie spécifique<ref>{{harvsp|Radkey|1976|p=84-85}}.</ref>.
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Plus généralement, les paysans tendent à rejeter toute forme contrainte venant d’un pouvoir central considéré comme étranger. Il y a&nbsp; une aspiration à vivre presque en autarcie, accrue par le fait que le commerce et l'administration se sont effondrés. Si ces bandes s'associent souvent avec des groupes d'opposition au bolchevisme (SR, blancs, anarchistes...) elles le font davantage pour des raisons tactiques que pour des raisons idéologiques.
  
== De 1917 à 1920: le début de la guerre civile ==
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=== De 1918 à 1920: l'effort pour chasser les Blancs ===
  
Les armées vertes naissent en Russie et en Ukraine début 1918. Fin 1918, les bolcheviks décident de reprendre l’Ukraine car c’est une région agricole très riche. Le territoire ukrainien est ainsi occupé jusqu’au fleuve du Dniepr. Les productions agricoles sont alors ponctionnées et envoyées vers la Russie, et les grandes propriétés foncières sont nationalisées<ref>{{harvsp|Marie|2005|p=103}}.</ref>. Les premières insurrections en Ukraine face à ce phénomène ont lieu au printemps 1919<ref>{{harvsp|Graziosi|2010|p=133}}.</ref>. Ces révoltes teintées d'anticommunisme sont d'une extrême violence, notamment parce que le sentiment national ukrainien est très fort et que les bolchéviks ne lui prêtent attention que lorsqu'il s'agit de le réprimer. Les paysans qui se sont aguerris pendant la guerre contre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie vont dès lors constituer de véritables armées paysannes conduites notamment par [[Petlioura|Petlioura]], [[Makhno|Makhno]], [[Hryhoriy|Hryhoriy]], Zeleny<ref>{{harvsp|Courtois|1997|p=137}}.</ref>. Ces armées paysannes sont décidées à se battre pour leurs revendications, et chaque conquête d’une ville se termine par un gigantesque pillage<ref>{{harvsp|Courtois|1997|p=107}}.</ref>. Les armées paysannes de Hryhoriy par exemple, composées de 20000 hommes armés, parviennent à prendre toute une série de villes au sud de l’Ukraine en avril-mai 1919 et organisent ensuite des [[Pogroms|pogroms]] sanglants contre les Juifs<ref name="Werth 138">{{harvsp|Werth|2012|p=138}}.</ref>.
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En 1918, le pouvoir soviétique comptabilise 245 révoltes paysannes dirigées contre lui, et en 1919, des régions entières passent sous le contrôle de paysans révoltés, organisés en bande de plusieurs milliers, voire dizaines de milliers d’hommes. Ces bandes combattent notamment les Rouges en Polésie biélorusse et dans la région de la Volga, et les Blancs sur les arrières de l'[[Alexandre_Koltchak|amiral Koltchak]], en Sibérie et dans l’Oural. En se liant selon la conjoncture et à plusieurs reprises, à l’armée rouge ou l’armée blanche dans le but de combattre l’autre, les armées vertes leur ont donné l’occasion de prendre ponctuellement l’avantage sur leurs ennemis.
  
En Russie, les insurrections sont essentiellement dues au [[Communisme_de_guerre|communisme de guerre]] marqué par la militarisation générale de la société. C’est une «&nbsp;réglementation de la consommation dans une forteresse assiégée&nbsp;» selon l’expression de [[Trotsky|Trotsky]]<ref>{{harvsp|Marie|2005|p=186}}.</ref>. Les insurrections connaissent des moments forts entre mars et août 1919, notamment dans les régions de la Moyenne et de la Haute Volga. Ainsi, les révoltes paysannes dans la Moyenne Volga et en Ukraine permettent durant l’été 1919 à l’amiral [[Koltchak|Koltchak]] et au général [[Denikine|Denikine]] d’enfoncer les lignes bolcheviks. Mais au lieu de poursuivre son offensive en direction des armées de Denikine qui s'approchent de [[Saratov|Saratov]], et de se coordonner avec les armées blanches du sud, Koltchak décide de forcer le passage vers l'ouest pour arriver le premier à Moscou<ref name="Werth 154">{{harvsp|Werth|2012|p=154}}.</ref>. Les bolchéviks dirigent alors le gros de leurs armées contre lui, et ses troupes doivent battre retraite dans des conditions très difficiles. Comme les paysans sibériens s’étaient soulevés contre le gouvernement qui avait décrété le retour des terres aux anciens propriétaires fonciers<ref name="Werth 154" />, l’armée rouge profite de cette retraite précipitée de l’armée blanche pour massacrer des paysans, et se venger du fait qu’ils aient participé au succès temporaire de l'amiral Koltchak<ref>{{harvsp|Courtois|1997|p=118}}.</ref>.
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Mais de 1918 à 1920, globalement, les paysans armés font basculer le rapport de force en faveur des rouges. En effet, quand les soulèvement conduisent plus ou moins volontairement à un retour des Blancs, ceux-ci maintiennent les réquisitions et les enrôlements pour leurs propres troupes, tout en remettant en place dans leur sillage l'Ancien régime (abitraire total, privilèges des nobles et des bourgeois...). Cela conduit à de nouveaux soulèvements chassant les Blancs.
  
=== L'armée verte de Makhno ===
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[[Trotsky|Trotsky]] parle des ''«&nbsp;verts&nbsp;»'' en juin 1919, qui se retrouvent manipulés par les Blancs. Il ajoute :
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<blockquote>
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''«&nbsp;Le pouvoir soviétique montre la plus grande indulgence pour les déserteurs qui honnêtement et de leur propre volonté reviennent aux rangs de l'Armée rouge. Mais il ne peut y avoir de quartier pour les bandits, les opportunistes et les pillards qui se retrouvent dans des groupes «verts». Ils doivent être exterminés en temps utile. Les bois et les volost doivent être purgés des canailles «vertes».&nbsp;»<ref>Trotsky, ''[https://www.marxists.org/archive/trotsky/1919/military/ch63.htm Green and white]'', Ecrits militaires, Volume 2, 1919</ref>''
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</blockquote>
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Les insurrections connaissent des moments forts entre mars et août 1919, notamment dans les régions de la Moyenne et de la Haute Volga. Ainsi, les révoltes paysannes dans la Moyenne Volga et en Ukraine permettent durant l’été 1919 à l’amiral [[Koltchak|Koltchak]] et au général [[Denikine|Denikine]] d’enfoncer les lignes bolcheviques. Mais au lieu de poursuivre son offensive en direction des armées de Denikine qui s'approchent de Saratov, et de se coordonner avec les armées blanches du sud, Koltchak décide de forcer le passage vers l'ouest pour arriver le premier à Moscou. Les bolchéviks dirigent alors le gros de leurs armées contre lui, et ses troupes doivent battre retraite dans des conditions très difficiles. Comme les paysans sibériens s’étaient soulevés contre le gouvernement qui avait décrété le retour des terres aux anciens propriétaires fonciers, l’Armée rouge profite de cette retraite précipitée de l’armée blanche pour massacrer des paysans, et se venger du fait qu’ils aient participé au succès temporaire de l'amiral Koltchak.
  
{{article détaillé|Makhnovisme}}
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=== L'Ukraine, les armées vertes et la Makhnovchtchina ===
  
Mais l’armée qui reste entre 1918 et 1920 la plus connue de cette période est l’armée de Makhno, qui a un programme à la fois national, social, et anarchisant<ref name="Werth 138" />. Makhno constitue dès septembre 1918 un contingent d’une centaine d’hommes et organise des expéditions punitives contre les commandos armés des grands propriétaires<ref>{{harvsp|Marie|2005|p=54}}.</ref>. En décembre 1918, suite à l’entrée de l’[[Armée_populaire_ukrainienne|armée nationaliste de Petlioura]] dans Kiev, Makhno organise sa première grande opération, et prend [[Ekaterinoslav|Ekaterinoslav]] avec les bolcheviks<ref>{{harvsp|Marie|2005|p=102}}.</ref>. Après avoir combattu contre Petlioura, harcelé les troupes de Denikine en retraite, repoussé celles de [[Piotr_Nikolaïevitch_Wrangel|Piotr Nikolaïevitch Wrangel]], Makhno est mis hors la loi par les bolcheviks. Comme il refuse de dissoudre son armée, il est traqué pendant neuf mois par l’armée rouge, jusqu’à ce qu'il se réfugie en Roumanie. En 1921, l'armée rouge est supérieure en nombre car elle n’a plus à combattre les blancs, et après plusieurs mois de combats acharnés, les derniers partisans de Makhno franchissent la frontière roumaine<ref>{{harvsp|Marie|2005|p=181}}.</ref>.
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Fin 1918, les bolcheviks décident de reprendre l’Ukraine (d'abord [[Traité_de_Brest-Litovsk|cédée aux Allemands]]) car c’est une région agricole très riche. Le territoire ukrainien est ainsi occupé jusqu’au fleuve du Dniepr. Les productions agricoles sont alors ponctionnées et envoyées vers la Russie, et les grandes propriétés foncières sont nationalisées. Les premières insurrections en Ukraine face à ce phénomène ont lieu au printemps 1919. Ces révoltes teintées d'anticommunisme sont d'une extrême violence, notamment parce que le [[Question_nationale_en_URSS|sentiment national]] ukrainien est très fort. Les paysans qui se sont aguerris pendant la guerre contre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie vont dès lors constituer de véritables armées paysannes conduites notamment par [[Petlioura|Petlioura]], [[Makhno|Makhno]], [[Nikifor_Grigoriev|Grigoriev]], Zeleny. Ces armées paysannes sont décidées à se battre, et chaque conquête d’une ville se termine par un gigantesque pillage. Les armées paysannes de Hryhoriy par exemple, composées de 20000 hommes armés, parviennent à prendre toute une série de villes au sud de l’Ukraine en avril-mai 1919 et organisent ensuite des [[Pogroms|pogroms]] sanglants contre les Juifs.
  
La révolte de Makhno contre les Blancs puis les Rouges, reste l’une des plus remarquables non seulement par sa durée (près de trois ans), par son ampleur (au moins {{nombre|50000|partisans}}<ref name="Werth 162">{{harvsp|Werth|2012|p=162}}.</ref> organisés en une véritable armée), par sa diversité (les partisans de Makhno se recrutaient parmi les paysans mais aussi parmi les cheminots, les employés, et étaient composés des nationalités les plus diverses présentes en Ukraine&nbsp;: Juifs, Grecs, Russes, Cosaques), mais aussi par son programme anarchiste. «&nbsp;Nous sommes pour les bolcheviks mais contre les communistes&nbsp;» expliquait Makhno. Pour les bolcheviks qui ne s'étaient pas opposés à la mainmise des paysans sur les terres&nbsp;; contre les communistes qui appliquaient les réquisitions, établissaient des «&nbsp;communes&nbsp;» ([[Kolkhoze|kolkhozes]]), et prenaient tout le pouvoir entre leurs mains au nom des [[Soviets|soviets]]<ref name="Werth 162" />.
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Mais l’armée qui reste entre 1918 et 1920 la plus connue de cette période est l’armée de Makhno (la ''«&nbsp;[[Makhnovchtchina|Makhnovchtchina]]&nbsp;»''), qui a un programme à la fois national, social, et [[Anarchisme_russe|anarchisant]]. Makhno constitue dès septembre 1918 un contingent d’une centaine d’hommes et organise des expéditions punitives contre les commandos armés des grands propriétaires. En décembre 1918, suite à l’entrée de l’[[Armée_populaire_ukrainienne|armée nationaliste de Petlioura]] dans Kiev, Makhno organise sa première grande opération, et prend Ekaterinoslav avec les bolcheviks.
  
== 1920 à 1922: L'État contre les paysans ==
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Mais les makhnovistes sont en aussi en conflit larvé avec les bolchéviks, dont ils refusent le centralisme. Le conflit reprend aussitôt les Blancs repoussés. Après un autre front commun contre [[Piotr_Nikolaïevitch_Wrangel|Wrangel]] en 1920, l'Armée rouge prend définitivement le dessus sur la Makhnovchtchina en 1921.
  
Au début de 1920, l'armée blanche, à l'exception de quelques unités éparses dirigées par le baron Wrangel en Crimée, est défaite<ref>{{harvsp|Courtois|1997|p=139}}.</ref>. Le danger d'un retour des grands propriétaires semble donc éloigné. Les insurrections paysannes contre les bolcheviks redoublent alors d'intensité.
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=== 1920 à 1922: L'État contre les paysans ===
  
Les Rouges ayant conquis presque la totalité de la Sibérie réclament la réquisition des blés dans l’ensemble des productions agricoles. Le 20 juillet 1920, Moscou signe un décret qui ordonne aux paysans de donner tous leurs excédents de blés de l’année, ainsi que les réserves qu’ils ont accumulées les années précédentes<ref>{{harvsp|Marie|2005|p=188}}.</ref>. Les réquisitions augmentent tellement drastiquement, que les paysans n’ont plus de quoi vivre. À Tambov, les quotas de réquisitions passent par exemple de 288 à 432 millions de kilos. Remplir ces quotas reviendrait dès lors à laisser mourir de faim la paysannerie<ref name="Courtois">{{harvsp|Courtois|1997|p=157}}.</ref>. De plus, la nationalisation de la totalité des industries de l'État à travers le [[Gosplan|Gosplan]] ne lui permet pas de faire des échanges viables avec la paysannerie. La quasi-totalité des entreprises restent hors de contrôle, la quantité des biens manufacturés que l'État pouvait échanger reste négligeable et leur valeur en 1920 représente à peine 150 millions de roubles-or, soit 20 fois moins que la production agricole<ref>{{harvsp|Werth|2012|p=161}}</ref>. C’est pourquoi au cours de l'hiver 1920-1921, une dizaine d'armées insurrectionnelles se constituent en Sibérie occidentale et dans les provinces de la Moyenne-Volga<ref>{{harvsp|Werth|2012|p=167}}.</ref>, dont la [[Révolte_de_Tambov|révolte de Tambov]] montre l’organisation la plus aboutie d’une armée paysanne.
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Au début de 1920, les armées blanches, à l'exception de quelques unités éparses dirigées par le baron Wrangel en Crimée, sont défaites. Le danger d'un retour des grands propriétaires semble s'éloigner. Les insurrections paysannes contre les bolcheviks redoublent alors d'intensité. Le gouvernement lance alors de véritables expéditions militaires dans le but de «&nbsp;pacifier&nbsp;» les régions en révolte.
  
=== La révolte de Tambov ===
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Les Rouges ayant conquis presque la totalité de la Sibérie réclament la réquisition des blés dans l’ensemble des productions agricoles. Le 20 juillet 1920, Moscou signe un décret qui ordonne aux paysans de donner tous leurs excédents de blés de l’année, ainsi que les réserves qu’ils ont accumulées les années précédentes. Les réquisitions augmentent tellement drastiquement, que les paysans n’ont plus de quoi vivre. À Tambov, les quotas de réquisitions passent par exemple de 288 à 432 millions de kilos.
  
{{article détaillé|Révolte de Tambov}}
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De plus, le secteur industriel, même nationalisé et débarrassé des bourgeois, est trop faible et en crise pour échanger l'équivalent en produits manufacturés avec les paysans. La valeur totale des produits de l'industrie en 1920 représente à peine 150 millions de roubles-or, soit 20 fois moins que la production agricole (''«&nbsp;[[crise_des_ciseaux|crise des ciseaux]]&nbsp;»''). C’est pourquoi au cours de l'hiver 1920-1921, une dizaine d'armées insurrectionnelles se constituent en Sibérie occidentale et dans les provinces de la Moyenne-Volga.
  
En août 1920, le ravitaillement effectué dans le bourg de Khitrovo dégénère en une révolte qui se propage dans toute la région. Une armée de paysans se constitue à partir de ce bourg, puis s'agrandit, pour atteindre quatorze mille hommes. En quelques semaines, cette révolte paysanne se transforme en un mouvement insurrectionnel bien organisé, dirigé par [[Alexandre_Antonov|Alexandre Antonov]]. Cette armée compte à son apogée cinquante mille hommes. Antonov met en place une organisation efficace de milices paysannes, dotées d'un système de propagande et d'un service de renseignement. En mai 1920, le Congrès régional paysan de Tambov adopte un programme insurrectionnel<ref name="Courtois" />&nbsp;: abolition du Parti Communiste, convocation d'une assemblée constituante sur la base du suffrage universel, abolition des réquisitions<ref name="Werth 162" />... Début 1921, les révoltes embrasent de nouvelles régions&nbsp;: la Basse-Volga, mais aussi la Sibérie occidentale. De janvier à mars, les bolcheviks perdent le contrôle des provinces de [[Tioumen|Tioumen]], d’[[Omsk|Omsk]], de [[Tcheliabinsk|Tcheliabinsk]], et d’[[Ekaterinbourg|Ekaterinbourg]]<ref>{{harvsp|Courtois|1997|p=159}}.</ref>. Ces armées vertes se constituent en unités de guérilla mobiles. Leurs activités consistent à attaquer les systèmes de communication soviétiques, leurs usines, les voies ferrés, et les détachements de l'armée rouge si la taille de leurs détachements est comparable aux leurs<ref>{{harvsp|Raleigh|2002|p=337-341}}.</ref>. Lorsque les paysans parviennent à faire prisonniers des Rouges, ceux-ci sont cruellement punis&nbsp;: soldats et fonctionnaires bolcheviks sont mutilés, leurs familles torturées, et les victimes sont souvent enterrées vivantes<ref>{{harvsp|Radkey|1976|p=319-321}}.</ref>.
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La plus massive fut la [[Révolte_de_Tambov|révolte de Tambov]] (aussi appelée ''«&nbsp;armée bleue&nbsp;»''), dirigée par [[Alexandre_Antonov|Alexandre Antonov]].
  
En avril 1921, le bureau politique du gouvernement décide de nommer le général [[Toukhatchevski|Toukhatchevski]] pour liquider les bandes paysannes d'Antonov dans le gouvernement de Tambov. À la tête de cent mille hommes équipés d'artillerie lourde et d'avions, l'armée rouge vient à bout de l'armée d'Antonov au prix d'une violence extrême sur la population paysanne. Des exécutions, prises d'otage, internements dans des camps de concentration et déportations de villages entiers, sont effectués au nom de la «&nbsp;pacification&nbsp;» des régions soulevées<ref>{{harvsp|Radkey|1976|p=167}}.</ref>. Si l'armée paysanne d'Antonov est défaite, elle fut avec celle de Makhno, la seule armée paysanne véritablement organisée<ref>{{harvsp|Radkey|1976|p=158}}.</ref>. La guerre contre les campagnes continue dans les autres régions – en Ukraine, Sibérie occidentale, provinces de la Volga et Caucase – jusqu'à la seconde moitié de 1922<ref>{{harvsp|Radkey|1976|p=168}}.</ref>.
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La guerre contre les campagnes continue dans les autres régions – en Ukraine, Sibérie occidentale, provinces de la Volga et Caucase – jusqu'à la seconde moitié de 1922.
  
 
== Les causes de l'échec des armées vertes ==
 
== Les causes de l'échec des armées vertes ==
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Les causes de l'échec des armées vertes sont surtout dues à la supériorité numérique et technique de l'armée rouge.
 
Les causes de l'échec des armées vertes sont surtout dues à la supériorité numérique et technique de l'armée rouge.
  
Sur le plan militaire, on a aussi mentionné l'incapacité des détachements insurrectionnels à se coordonner avec des mouvements similaires. L'insurrection va rarement plus loin que le contrôle d’un territoire par une armée de paysans<ref>{{harvsp|Marie|2005|p=198}}.</ref>. De plus, les relations à l'intérieur des bandes ont souvent été empreintes de tensions, car elles incluaient aussi bien des paysans que des koulaks, des travailleurs, et des Blancs. Les nombreux différends entre les membres des armées vertes ne leur ont ainsi pas permis de lutter assez efficacement contre l'armée rouge, beaucoup mieux organisée<ref>{{harvsp|Radkey|1976|p=49-59}}</ref>.
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Sur le plan militaire, on a aussi mentionné l'incapacité des détachements insurrectionnels à se coordonner avec des mouvements similaires. L'insurrection va rarement plus loin que le contrôle d’un territoire par une armée de paysans. De plus, les relations à l'intérieur des bandes ont souvent été empreintes de tensions, car elles incluaient aussi bien des paysans que des koulaks, des travailleurs, et des Blancs. Les nombreux différends entre les membres des armées vertes ne leur ont ainsi pas permis de lutter assez efficacement contre l'armée rouge, beaucoup mieux organisée.
 
 
La grande [[Famine_russe_de_1921-1922|famine russe de 1921-1922]] a aussi eu un très fort impact sur les bandes rebelles. La sécheresse ajoutée aux réquisitions a fait perdre aux bandes rebelles l'appui des villages plus repliés sur leurs problèmes<ref name="Graziosi">{{harvsp|Graziosi|2010|p=45}}.</ref>.
 
  
Enfin, on peut avancer l’idée que l'adoption de la [[Nouvelle_politique_économique|NEP]] par Lénine en 1921 a répondu partiellement aux revendications paysannes&nbsp;: les réquisitions sont remplacées par une taxe en nature et les campagnes se voient accorder une relative liberté du commerce<ref name="Graziosi" />. Les armées vertes n’ont donc plus la même raison d’être.
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La grande [[Famine_russe_de_1921-1922|famine russe de 1921-1922]] a aussi eu un très fort impact sur les bandes rebelles. La sécheresse ajoutée aux réquisitions a fait perdre aux bandes rebelles l'appui des villages plus repliés sur leurs problèmes.
  
Cependant, que ce soit pour les propagandistes des années 1860-1870, la politique industrialiste du tsar, ou la politique de [[Dékoulakisation|dékoulakisation]] en marche forcée des campagnes effectuée par Staline entre 1929 et 1933, le pouvoir central russe, et surtout le pouvoir bolchevique, n’a jamais réussi à penser la question paysanne. La collectivisation forcée et accélérée en Ukraine a notamment débouché sur une famine en 1932-1933 qui a provoqué entre 2,5 et 3 millions de morts.
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Enfin, on peut avancer l’idée que l'adoption de la [[Nouvelle_politique_économique|NEP]] par Lénine en 1921 a répondu partiellement aux revendications paysannes&nbsp;: les réquisitions sont remplacées par une taxe en nature ([[prodnalog|''prodnalog'']]) et les campagnes se voient accorder une relative liberté du commerce. Les armées vertes n’ont donc plus la même raison d’être.
  
 
== Bibliographie ==
 
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*{{ouvrage|langue=en|nom=Raleigh|prénom=Donald|titre=Experiencing Russia’s Civil War|éditeur=Princeton University|lieu=Princeton|année=2002}}.  
 
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Version du 6 octobre 2017 à 16:42

Fichier:RévolteTambov.png
La , une des plus importantes rébellions paysannes

Les armées vertes sont les soulèvements armés de paysans qui, pendant la guerre civile russe (1917-1922), ont tenté de chasser de leurs terres les armées blanches et l'Armée rouge à la fois.

Elles étaient des révoltes contre la conscription, les réquisitions agricoles pour nourrir les troupes et les villes, le monopole d’État du commerce... Les émeutes paysannes apparaissent surtout à l'été 1918, prennent de l’ampleur entre 1919 et 1920 pour culminer durant l’hiver 1920-1921, avant d'être réprimées. Ces armées vont du petit détachement de 500 à 600 hommes à des troupes beaucoup plus conséquentes, comme l'armée de Makhno qui compta jusqu'à 30 000 hommes.

Les documents historiques sur les armées vertes sont très limités et provienent pour la plupart de ceux qui les ont combattus. Les paysans étaient souvent illettrés et la plupart des leaders ont été exécutés.

1 La paysannerie en 1917

L'essentiel de la population de l'Empire russe est paysanne lorsqu'éclate la révolution de 1917. La révolution de Février est une révolution urbaine qui renverse le tsarisme, et qui touche d'abord peu les campagnes. Une bonne partie des forces vives de la paysannerie, et notamment la jeunesse, est alors enrôlée dans l'armée.

Mais progressivement dans les mois qui suivent, les paysans s'impatientent. Les réformateurs leur promettent un partage des terres et la fin de la domination de la noblesse, notamment le parti socialiste-révolutionnaire (SR) qui est alors le plus gros parti de Russie et se veut le représentant des masses. Mais les promesses ne se concrétisent pas. Le gouvernement provisoire s'appuie sur les possédants, et trouve des excuses pour différer toute réforme structurelle. Il avance notamment qu'il faut poursuivre la guerre à tout prix, et que cela empêche de tenir une Assemblée constituante, et qu'avant une telle assemblée on ne peut rien trancher.

A partir de l'été et surtout de l'automne 1917, des révoltes paysannes éclatent un peu partout. Le parti bolchévik gagne une majorité dans les soviets ouvriers et soldats des villes. Le parti SR connaît une scission, la majorité de la base, plus à gauche, se rallie à l'avis des bolchéviks qui défendent qu'une seconde révolution est nécessaire. Ce sera la révolution d'Octobre.

Au lendemain de l'insurrection, lors du 2e congrès des soviets de Russie, la majorité constituée de bolchéviks et de SR de gauche vote les premières mesures révolutionnaires, en particulier le décret sur la terre adressé immédiatement aux paysans de tout le pays. Ce décret reprend les revendications des paysans eux-mêmes, et affirme que la propriété privée de la terre est abolie, que les terres des nobles doivent être partagées par les comités de paysans. Le décret sur la paix répond aussi aux aspirations immédiates de la majorité des soldats, qui ne veulent plus de la guerre et veulent rentrer chez eux et profiter du partage des terres.

Cela va provoquer un ralliement massif des paysans, qui approuveront massivement ces mesures, comme le montreront les votes suivants dans les congrès paysans.

2 La guerre civile et les soulèvements paysans

2.1 Les débuts de la guerre civile

La révolution d'Octobre provoque des regroupements de contre-révolutionnaires qui se radicalisent, formant des armées blanches dans certaines régions rurales. Celles-ci sont dirigées par des officiers souhaitant restaurer la monarchie, ou en tout cas pour un régime autoritaire (comme le voulait Kornilov). Très vite les pays occidentaux et le Japon interviennent dans le conflit en soutenant les Blancs. C'est le début de la guerre civile qui durera jusqu'en 1922,durant laquelle de nombreuses forces peu coordonnées se battent sur le sol de l'ancien Empire.

Dans tout le pays, l'ancienne armée est en décomposition, avec énormément de déserteurs. Le nouvel Etat à Petrograd ne contrôle vraiment que le coeur industriel de la Russie. La paix conclue par les bolchéviks engendre le retour massif de paysans-soldats dans leur région (dont un certain nombre participeront aux armées vertes). Pour se défendre sur plusieurs fronts à la fois, et au nom de l'efficacité, les bolchéviks recréent progressivement en 1918 une armée centralisée, l'Armée rouge, à partir des troupes de partisans (gardes rouges, régiments bolchéviks...).

Les « armées vertes » naissent en Russie et en Ukraine début 1918. Dans les zones tenues par les Blancs, elles se forment pour les chasser, et convergent avec les Rouges des autres zones. Mais dans les zones où les paysans ont initialement accueilli avec sympathie la révolution bolchévique, des soulèvements éclatent également. Les deux premières raisons sont la politique de réqusition agricole, et la conscription dans l'Armée rouge.

Les réquisitions. Les réquisitions, utilisées par le gouvernement provisoire et abolies en octobre 1917, sont très vite rétablies. La guerre et la révolution ont ruiné l'économie et les villes ont faim. Des détachements de gardes rouges partent dans les campagnes demander des vivres et de plus en plus, s'en saisir de force. La création de l'Armée rouge va accentuer le besoin de vivres. En janvier 1919, la recherche désordonnée des surplus agricoles est remplacée par un système centralisé. Chaque province, chaque canton, et chaque communauté villageoise, doit verser à l’État un quota de produits agricoles fixé préalablement. Aux récoltes de blé, sont ajoutés des produits comme les céréales, la pomme de terre, le miel, la viande, la crème, le lait, et bien d’autres. Les paysans se voient réquisitionner leurs « excédents » de production pour nourrir l’armée et les villes. Une fois ces produits réquisitionnés, les autorités distribuent des reçus donnant le droit à des produits manufacturés, mais ces produits manufacturés ne représentent que 15 % des besoins de la population et ont une valeur bien inférieure aux produits agricoles réquisitionnés.

Le refus de la conscription : On estime le nombre de déserteurs de l'armée rouge en 1919-1920 à plus de 3 millions. Le gouvernement mène alors une politique de répression, notamment en fusillant les déserteurs et en prenant leurs familles en otage. Cette politique répressive a pour conséquence le fait que les déserteurs viennent renflouer les armées vertes.

Plus généralement, les paysans tendent à rejeter toute forme contrainte venant d’un pouvoir central considéré comme étranger. Il y a  une aspiration à vivre presque en autarcie, accrue par le fait que le commerce et l'administration se sont effondrés. Si ces bandes s'associent souvent avec des groupes d'opposition au bolchevisme (SR, blancs, anarchistes...) elles le font davantage pour des raisons tactiques que pour des raisons idéologiques.

2.2 De 1918 à 1920: l'effort pour chasser les Blancs

En 1918, le pouvoir soviétique comptabilise 245 révoltes paysannes dirigées contre lui, et en 1919, des régions entières passent sous le contrôle de paysans révoltés, organisés en bande de plusieurs milliers, voire dizaines de milliers d’hommes. Ces bandes combattent notamment les Rouges en Polésie biélorusse et dans la région de la Volga, et les Blancs sur les arrières de l'amiral Koltchak, en Sibérie et dans l’Oural. En se liant selon la conjoncture et à plusieurs reprises, à l’armée rouge ou l’armée blanche dans le but de combattre l’autre, les armées vertes leur ont donné l’occasion de prendre ponctuellement l’avantage sur leurs ennemis.

Mais de 1918 à 1920, globalement, les paysans armés font basculer le rapport de force en faveur des rouges. En effet, quand les soulèvement conduisent plus ou moins volontairement à un retour des Blancs, ceux-ci maintiennent les réquisitions et les enrôlements pour leurs propres troupes, tout en remettant en place dans leur sillage l'Ancien régime (abitraire total, privilèges des nobles et des bourgeois...). Cela conduit à de nouveaux soulèvements chassant les Blancs.

Trotsky parle des « verts » en juin 1919, qui se retrouvent manipulés par les Blancs. Il ajoute :

« Le pouvoir soviétique montre la plus grande indulgence pour les déserteurs qui honnêtement et de leur propre volonté reviennent aux rangs de l'Armée rouge. Mais il ne peut y avoir de quartier pour les bandits, les opportunistes et les pillards qui se retrouvent dans des groupes «verts». Ils doivent être exterminés en temps utile. Les bois et les volost doivent être purgés des canailles «vertes». »[1]

Les insurrections connaissent des moments forts entre mars et août 1919, notamment dans les régions de la Moyenne et de la Haute Volga. Ainsi, les révoltes paysannes dans la Moyenne Volga et en Ukraine permettent durant l’été 1919 à l’amiral Koltchak et au général Denikine d’enfoncer les lignes bolcheviques. Mais au lieu de poursuivre son offensive en direction des armées de Denikine qui s'approchent de Saratov, et de se coordonner avec les armées blanches du sud, Koltchak décide de forcer le passage vers l'ouest pour arriver le premier à Moscou. Les bolchéviks dirigent alors le gros de leurs armées contre lui, et ses troupes doivent battre retraite dans des conditions très difficiles. Comme les paysans sibériens s’étaient soulevés contre le gouvernement qui avait décrété le retour des terres aux anciens propriétaires fonciers, l’Armée rouge profite de cette retraite précipitée de l’armée blanche pour massacrer des paysans, et se venger du fait qu’ils aient participé au succès temporaire de l'amiral Koltchak.

2.3 L'Ukraine, les armées vertes et la Makhnovchtchina

Fin 1918, les bolcheviks décident de reprendre l’Ukraine (d'abord cédée aux Allemands) car c’est une région agricole très riche. Le territoire ukrainien est ainsi occupé jusqu’au fleuve du Dniepr. Les productions agricoles sont alors ponctionnées et envoyées vers la Russie, et les grandes propriétés foncières sont nationalisées. Les premières insurrections en Ukraine face à ce phénomène ont lieu au printemps 1919. Ces révoltes teintées d'anticommunisme sont d'une extrême violence, notamment parce que le sentiment national ukrainien est très fort. Les paysans qui se sont aguerris pendant la guerre contre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie vont dès lors constituer de véritables armées paysannes conduites notamment par Petlioura, Makhno, Grigoriev, Zeleny. Ces armées paysannes sont décidées à se battre, et chaque conquête d’une ville se termine par un gigantesque pillage. Les armées paysannes de Hryhoriy par exemple, composées de 20000 hommes armés, parviennent à prendre toute une série de villes au sud de l’Ukraine en avril-mai 1919 et organisent ensuite des pogroms sanglants contre les Juifs.

Mais l’armée qui reste entre 1918 et 1920 la plus connue de cette période est l’armée de Makhno (la « Makhnovchtchina »), qui a un programme à la fois national, social, et anarchisant. Makhno constitue dès septembre 1918 un contingent d’une centaine d’hommes et organise des expéditions punitives contre les commandos armés des grands propriétaires. En décembre 1918, suite à l’entrée de l’armée nationaliste de Petlioura dans Kiev, Makhno organise sa première grande opération, et prend Ekaterinoslav avec les bolcheviks.

Mais les makhnovistes sont en aussi en conflit larvé avec les bolchéviks, dont ils refusent le centralisme. Le conflit reprend aussitôt les Blancs repoussés. Après un autre front commun contre Wrangel en 1920, l'Armée rouge prend définitivement le dessus sur la Makhnovchtchina en 1921.

2.4 1920 à 1922: L'État contre les paysans

Au début de 1920, les armées blanches, à l'exception de quelques unités éparses dirigées par le baron Wrangel en Crimée, sont défaites. Le danger d'un retour des grands propriétaires semble s'éloigner. Les insurrections paysannes contre les bolcheviks redoublent alors d'intensité. Le gouvernement lance alors de véritables expéditions militaires dans le but de « pacifier » les régions en révolte.

Les Rouges ayant conquis presque la totalité de la Sibérie réclament la réquisition des blés dans l’ensemble des productions agricoles. Le 20 juillet 1920, Moscou signe un décret qui ordonne aux paysans de donner tous leurs excédents de blés de l’année, ainsi que les réserves qu’ils ont accumulées les années précédentes. Les réquisitions augmentent tellement drastiquement, que les paysans n’ont plus de quoi vivre. À Tambov, les quotas de réquisitions passent par exemple de 288 à 432 millions de kilos.

De plus, le secteur industriel, même nationalisé et débarrassé des bourgeois, est trop faible et en crise pour échanger l'équivalent en produits manufacturés avec les paysans. La valeur totale des produits de l'industrie en 1920 représente à peine 150 millions de roubles-or, soit 20 fois moins que la production agricole (« crise des ciseaux »). C’est pourquoi au cours de l'hiver 1920-1921, une dizaine d'armées insurrectionnelles se constituent en Sibérie occidentale et dans les provinces de la Moyenne-Volga.

La plus massive fut la révolte de Tambov (aussi appelée « armée bleue »), dirigée par Alexandre Antonov.

La guerre contre les campagnes continue dans les autres régions – en Ukraine, Sibérie occidentale, provinces de la Volga et Caucase – jusqu'à la seconde moitié de 1922.

3 Les causes de l'échec des armées vertes

Les causes de l'échec des armées vertes sont surtout dues à la supériorité numérique et technique de l'armée rouge.

Sur le plan militaire, on a aussi mentionné l'incapacité des détachements insurrectionnels à se coordonner avec des mouvements similaires. L'insurrection va rarement plus loin que le contrôle d’un territoire par une armée de paysans. De plus, les relations à l'intérieur des bandes ont souvent été empreintes de tensions, car elles incluaient aussi bien des paysans que des koulaks, des travailleurs, et des Blancs. Les nombreux différends entre les membres des armées vertes ne leur ont ainsi pas permis de lutter assez efficacement contre l'armée rouge, beaucoup mieux organisée.

La grande famine russe de 1921-1922 a aussi eu un très fort impact sur les bandes rebelles. La sécheresse ajoutée aux réquisitions a fait perdre aux bandes rebelles l'appui des villages plus repliés sur leurs problèmes.

Enfin, on peut avancer l’idée que l'adoption de la NEP par Lénine en 1921 a répondu partiellement aux revendications paysannes : les réquisitions sont remplacées par une taxe en nature (prodnalog) et les campagnes se voient accorder une relative liberté du commerce. Les armées vertes n’ont donc plus la même raison d’être.

4 Bibliographie

  • Nicolas Werth, Histoire de l’Union Soviétique, Paris, PUF, (1re éd. 1995).
  • Jean-Jacques Marie, La guerre-civile russe 1917-1922, Paris, Autrement, .
  • Andrea Graziosi, Histoire de l'URSS, Paris, PUF, .
  • Stéphane Courtois (dir.), Le livre noir du communisme : crimes, terreur et répression, Paris, Pocket, .
  • (en) Olivier Radkey, The Unknown Civil War in Soviet Russia : a study of the Green Movement in the Tambov Region, Stanford, Hoover institution press, .
  • (en) Donald Raleigh, Experiencing Russia’s Civil War, Princeton, Princeton University, .

5 Notes

  1. Trotsky, Green and white, Ecrits militaires, Volume 2, 1919