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===<span class="st">Moyen Âge</span>===
 
===<span class="st">Moyen Âge</span>===
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Durant tout le <span class="st">[[Moyen-Âge|Moyen Âge]]</span>, la situation des Juifs en Europe fût contrastée. Avec l'établissement des ''«&nbsp;barbares&nbsp;»'' consécutive à la désintégration de l'administration romaine, aucun [[Etat|Etat]], aucune administration stable ne se démarqua durant un certain temps, ce qui permis aux Juifs restés dans l'ancien territoire romain de se mélanger plus ou moins facilement avec les envahisseurs. Ce qui n'empêchaient pas les Rois catholiques, surtout en temps de crise, de prendre des mesures pénalisantes à leur encontre. L’Église catholique a produits beaucoup « d'argumentaires » contre la religion juive («&nbsp;peuple déicide&nbsp;» assimilé à Judas, condamnation de « l'[[usure]] juive »...).
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Durant tout le <span class="st">[[Moyen-Âge européen|Moyen Âge]]</span>, la situation des Juifs en Europe fût contrastée. Avec l'établissement des ''«&nbsp;barbares&nbsp;»'' consécutive à la désintégration de l'administration romaine, aucun [[Etat|État]], aucune administration stable ne se démarqua durant un certain temps, ce qui permis aux Juifs restés dans l'ancien territoire romain de se mélanger plus ou moins facilement avec les envahisseurs. Ce qui n'empêchaient pas les Rois catholiques, surtout en temps de crise, de prendre des mesures pénalisantes à leur encontre. L’Église catholique a produits beaucoup « d'argumentaires » contre la religion juive («&nbsp;peuple déicide&nbsp;» assimilé à Judas, condamnation de « l'[[usure]] juive »...).
    
''A contrario'', bien que discriminés, les Juifs jouissaient de grandes libertés dans le califat de Cordoue, du moins jusqu'à la Reconquista<ref>[http://zwan.nexen.net/dossiers/al-andalus/heureux-comme-un-juif-andalou-01-05-2011-5679 Interview de Maurice Kriegel à propos du judaisme dans le califat andalou]</ref>.
 
''A contrario'', bien que discriminés, les Juifs jouissaient de grandes libertés dans le califat de Cordoue, du moins jusqu'à la Reconquista<ref>[http://zwan.nexen.net/dossiers/al-andalus/heureux-comme-un-juif-andalou-01-05-2011-5679 Interview de Maurice Kriegel à propos du judaisme dans le califat andalou]</ref>.
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Les rois ont souvent repris à leur compte la judéophobie pour justifier la spoliation et l'expulsion des juifs. L'apogée de l'antisémitisme moyenâgeux sera atteint en 1306, avec l'extorsion des biens et l'expulsion de plus d'une centaine de milliers de Juifs francs par Philippe le Bel<ref>[http://www.lepoint.fr/c-est-arrive-aujourd-hui/21-juin-1306-philippe-le-bel-depouille-les-100-000-juifs-de-france-avant-de-les-expulser-21-06-2013-1684309_494.php Philippe le Bel dépouille les 100 000 juifs de France]</ref>...
 
Les rois ont souvent repris à leur compte la judéophobie pour justifier la spoliation et l'expulsion des juifs. L'apogée de l'antisémitisme moyenâgeux sera atteint en 1306, avec l'extorsion des biens et l'expulsion de plus d'une centaine de milliers de Juifs francs par Philippe le Bel<ref>[http://www.lepoint.fr/c-est-arrive-aujourd-hui/21-juin-1306-philippe-le-bel-depouille-les-100-000-juifs-de-france-avant-de-les-expulser-21-06-2013-1684309_494.php Philippe le Bel dépouille les 100 000 juifs de France]</ref>...
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Avec l'apparition et l'extension du [[Réforme protestante|protestantisme]], les tensions diminuèrent en partie.
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La papauté en elle-même garda officiellement une position de protection des juifs. La bulle papale ''Sicut Iudaeis'', d’abord publiée au 12<sup>e</sup> siècle, puis périodiquement rééditée, menaçait d’excommunier tout chrétien qui s’attaquerait physiquement à des Juifs, chercherait à les forcer à se convertir, endommagerait ou volerait leurs biens et interférerait avec leurs rites religieux. Cela était justifié par la pensée de Saint-Augustin selon laquelle ils étaient le « peuple témoin » de l’existence du Christ, méprisé mais devant être préservé comme exemple. La papauté ne fit cependant pas grand chose pour contrer les poussées d'antisémitisme au sein de la chrétienté, notamment la stigmatisation des ''conversos'' en Espagne (Juifs convertis sous la pression).
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Une distinction est souvent faite entre la ''judéophobie'' du Moyen-Âge, basée sur la religion, et l'''antisémitisme'' du 19<sup>e</sup> siècle, basée sur la « race ». Elle a un fond de vérité. Par exemple le polémiste anti-juif le plus extrême de la Castille du 15<sup>e</sup> siècle, Alonso de Espina, mettait l'accent sur le problème de la foi juive. Quand les rois catholiques d'Espagne proposèrent d'accepter les ''conversos'', officiellement leur doctrine impliquait que ceux ''n'étaient plus juifs'' une fois convertis. Néanmoins il y a davantage un continuum qu'une rupture entre idéologies racistes du Moyen-Âge et du 19<sup>e</sup> siècle. Ainsi au 15<sup>e</sup> siècle en Espagne apparaît aussi la notion de de ''limpieza de sangre'' (pureté du sang), précurseur du racisme biologique. Et inversement, dans les milieux antisémites d'aujourd'hui, des thèmes issus de la judéophobie chrétienne sont toujours recyclés.<ref>Actuel Moyen Âge, ''[https://actuelmoyenage.wordpress.com/2020/05/21/entretien-avec-francois-soyer-existe-t-il-un-antisemitisme-medieval/ Entretien avec François Soyer : Existe-t-il un antisémitisme médiéval ?]''</ref>
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Avec l'apparition et l'extension du [[Réforme protestante|protestantisme]], les tensions diminuèrent en partie. Martin Luther fit cependant de virulentes dénonciations des « usuriers juifs ».  
    
===Époque moderne===
 
===Époque moderne===
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Durant cette époque, avec le rayonnement des [[Lumières]] et la perte de vitesse des institutions religieuses de l'Epoque, la condition des Juifs en Europe s'améliora. De nombreuses professions qui leur étaient fermées leur deviennent accessibles y compris la carrière militaire (en France par exemple). Mais des siècles de discours judéophobes ont laissé des traces.
 
Durant cette époque, avec le rayonnement des [[Lumières]] et la perte de vitesse des institutions religieuses de l'Epoque, la condition des Juifs en Europe s'améliora. De nombreuses professions qui leur étaient fermées leur deviennent accessibles y compris la carrière militaire (en France par exemple). Mais des siècles de discours judéophobes ont laissé des traces.
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Un des courants politiques qui recyclera l'ancienne judéophobie et fera une passerelle avec l'antisémitisme moderne est l'[[Noblesse|aristocratie contre-révolutionnaire]], profondément haineuse envers 1789. Tour à tour, la noblesse dépossédée a accusé les protestants (notamment les Illuminatis), les [[Franc-maçonnerie|franc-maçons]] et enfin les Juifs d’être la source de ses malheurs. Dans leur logique, les masses pauvres étaient trop stupides et ignorantes pour avoir des mobiles propres, et n'ont pu être que manipulées par des forces occultes. L'imaginaire [[Théories du complot|complotiste]] était en train de naître.<blockquote>Le comte de Fersen, ambassadeur de Suède en France pendant la grande Révolution, partisan zélé du pouvoir royal, du roi et surtout de la reine, expédia plus d'une fois à son gouvernement, à Stockholm, des rapports de ce genre : "Le Juif Efraïm, émissaire de M. Herzberg, de Berlin (ministre prussien des Affaires étrangères), leur envoie (aux jacobins) de l'argent ; il n'y a pas longtemps, il a encore reçu six cent mille livres." Un journal modéré'', Les Révolutions de Paris'', exprimait cette hypothèse que, pendant l'insurrection républicaine, " des émissaires de la diplomatie européenne, tels par exemple que le Juif Efraïm, agent du roi de Prusse, pénétraient dans la foule mobile et versatile... " Le même Fersen disait dans un rapport : "Les jacobins... seraient perdus sans l'aide de la plèbe qu'ils achètent."<ref name=":0">Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr28.htm Histoire de la révolution russe - 28 Le mois de la grande calomnie]'', 1931</ref></blockquote>
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Un des courants politiques qui recyclera l'ancienne judéophobie et fera une passerelle avec l'antisémitisme moderne est l'[[Noblesse|aristocratie contre-révolutionnaire]], profondément haineuse envers 1789. Tour à tour, la noblesse dépossédée a accusé les protestants (notamment les Illuminatis), les [[Franc-maçonnerie|franc-maçons]] et enfin les Juifs d’être la source de ses malheurs. Dans leur logique, les masses pauvres étaient trop stupides et ignorantes pour avoir des mobiles propres, et n'ont pu être que manipulées par des forces occultes. L'imaginaire [[Théories du complot|complotiste]] était en train de naître.<blockquote>
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Le comte de Fersen, ambassadeur de Suède en France pendant la grande Révolution, partisan zélé du pouvoir royal, du roi et surtout de la reine, expédia plus d'une fois à son gouvernement, à Stockholm, des rapports de ce genre : "Le Juif Efraïm, émissaire de M. Herzberg, de Berlin (ministre prussien des Affaires étrangères), leur envoie (aux jacobins) de l'argent ; il n'y a pas longtemps, il a encore reçu six cent mille livres." Un journal modéré'', Les Révolutions de Paris'', exprimait cette hypothèse que, pendant l'insurrection républicaine, " des émissaires de la diplomatie européenne, tels par exemple que le Juif Efraïm, agent du roi de Prusse, pénétraient dans la foule mobile et versatile... " Le même Fersen disait dans un rapport : "Les jacobins... seraient perdus sans l'aide de la plèbe qu'ils achètent."<ref name=":0">Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr28.htm Histoire de la révolution russe - 28 Le mois de la grande calomnie]'', 1931</ref>
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===19<sup>e</sup> siècle&nbsp;: nationalisme, socialisme et antisémitisme===
 
===19<sup>e</sup> siècle&nbsp;: nationalisme, socialisme et antisémitisme===
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[[Bakounine|Bakounine]] a également écrit une attaque antisémite de Marx&nbsp;:
 
[[Bakounine|Bakounine]] a également écrit une attaque antisémite de Marx&nbsp;:
<blockquote>«&nbsp;Les Juifs constituent aujourd'hui en Allemagne une véritable puissance. Juif lui-même, Marx a autour de lui tant à Londres qu'en France et dans beaucoup d'autres pays, mais surtout en Allemagne, une foule de petits Juifs, plus ou moins intelligents et instruits, vivant principalement de son intelligence et revendant en détail ses idées. Se réservant à lui-même le monopole de la grosse politique, j'allais dire de la grosse intrigue, il leur en abandonne volontiers le côté petit, sale, misérable, et il faut dire que, sous ce rapport, toujours obéissants à son impulsion, à sa haute direction, ils lui rendent de grands services&nbsp;: inquiets, nerveux, curieux, indiscrets, bavards, remuants, intrigants, exploitants, comme le sont les Juifs partout, agents de commerce, bellettrists, politiciens, journalistes, courtiers de littérature en un mot, en même temps que courtiers de finance, ils se sont emparés de toute la presse de l'Allemagne, à commencer par les journaux monarchistes les plus absolutistes, et depuis longtemps ils règnent dans le monde de l'argent et des grandes spéculations financières et commerciales&nbsp;: ayant ainsi un pied dans la Banque, ils viennent de poser ces dernières années l'autre pied dans le socialisme, appuyant ainsi leur postérieur sur la littérature quotidienne de l'Allemagne... Vous pouvez vous imaginer quelle littérature nauséabonde cela doit faire. Eh bien, tout ce monde juif qui forme une seule secte exploitante, une sorte de peuple sangsue, un parasite collectif dévorant et organisé en lui-même, non seulement à travers les frontières des États, mais à travers même toutes les différences d'opinions politiques, ce monde est actuellement, en grande partie du moins, à la disposition de Marx d'un côté, et des Rothschild de l'autre. Je sais que les Rothschild, tout réactionnaires qu'ils sont, qu'ils doivent être, apprécient beaucoup les mérites du communiste Marx&nbsp;; et qu'à son tour le communiste Marx se sent invinciblement entraîné, par un attrait instinctif et une admiration respectueuse, vers le génie financier des Rothschild. La solidarité juive, cette solidarité si puissante qui s'est maintenue à travers toute l'histoire les unit.&nbsp;» <ref>Michel Bakounine, Œuvres complètes, éditions Champ libre, 1974, volume 2, L'Italie 1871-1872, page 109.</ref></blockquote>  
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«&nbsp;Les Juifs constituent aujourd'hui en Allemagne une véritable puissance. Juif lui-même, Marx a autour de lui tant à Londres qu'en France et dans beaucoup d'autres pays, mais surtout en Allemagne, une foule de petits Juifs, plus ou moins intelligents et instruits, vivant principalement de son intelligence et revendant en détail ses idées. Se réservant à lui-même le monopole de la grosse politique, j'allais dire de la grosse intrigue, il leur en abandonne volontiers le côté petit, sale, misérable, et il faut dire que, sous ce rapport, toujours obéissants à son impulsion, à sa haute direction, ils lui rendent de grands services&nbsp;: inquiets, nerveux, curieux, indiscrets, bavards, remuants, intrigants, exploitants, comme le sont les Juifs partout, agents de commerce, bellettrists, politiciens, journalistes, courtiers de littérature en un mot, en même temps que courtiers de finance, ils se sont emparés de toute la presse de l'Allemagne, à commencer par les journaux monarchistes les plus absolutistes, et depuis longtemps ils règnent dans le monde de l'argent et des grandes spéculations financières et commerciales&nbsp;: ayant ainsi un pied dans la Banque, ils viennent de poser ces dernières années l'autre pied dans le socialisme, appuyant ainsi leur postérieur sur la littérature quotidienne de l'Allemagne... Vous pouvez vous imaginer quelle littérature nauséabonde cela doit faire. Eh bien, tout ce monde juif qui forme une seule secte exploitante, une sorte de peuple sangsue, un parasite collectif dévorant et organisé en lui-même, non seulement à travers les frontières des États, mais à travers même toutes les différences d'opinions politiques, ce monde est actuellement, en grande partie du moins, à la disposition de Marx d'un côté, et des Rothschild de l'autre. Je sais que les Rothschild, tout réactionnaires qu'ils sont, qu'ils doivent être, apprécient beaucoup les mérites du communiste Marx&nbsp;; et qu'à son tour le communiste Marx se sent invinciblement entraîné, par un attrait instinctif et une admiration respectueuse, vers le génie financier des Rothschild. La solidarité juive, cette solidarité si puissante qui s'est maintenue à travers toute l'histoire les unit.&nbsp;» <ref>Michel Bakounine, Œuvres complètes, éditions Champ libre, 1974, volume 2, L'Italie 1871-1872, page 109.</ref>
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===Fin du 19<sup>e</sup> siècle&nbsp;: un antisémitisme populaire===
 
===Fin du 19<sup>e</sup> siècle&nbsp;: un antisémitisme populaire===
    
Un des théoriciens de l'antisémitisme français de la fin du 19<sup>e</sup> siècle est Edouard Drumont, dont les livres se vendent alors autant que ceux de Zola... Son premier livre est La France juive (avril 1886), dans lequel il oppose «&nbsp;Aryens&nbsp;» et «&nbsp;Sémites&nbsp;», avançant même que cette lutte a été le moteur de l'histoire... Il affirme «&nbsp;Le seul auquel la Révolution ait profité est le Juif. Tout vient du Juif&nbsp;; tout revient au Juif.&nbsp;». Le [[Monarchiste|monarchiste]] Drumont n'hésite pas à se revendiquer du [[Charles_Fourier|fouriériste]] [[Alphonse_Toussenel|Toussenel]] en se parant d'une pseudo-critique sociale&nbsp;:
 
Un des théoriciens de l'antisémitisme français de la fin du 19<sup>e</sup> siècle est Edouard Drumont, dont les livres se vendent alors autant que ceux de Zola... Son premier livre est La France juive (avril 1886), dans lequel il oppose «&nbsp;Aryens&nbsp;» et «&nbsp;Sémites&nbsp;», avançant même que cette lutte a été le moteur de l'histoire... Il affirme «&nbsp;Le seul auquel la Révolution ait profité est le Juif. Tout vient du Juif&nbsp;; tout revient au Juif.&nbsp;». Le [[Monarchiste|monarchiste]] Drumont n'hésite pas à se revendiquer du [[Charles_Fourier|fouriériste]] [[Alphonse_Toussenel|Toussenel]] en se parant d'une pseudo-critique sociale&nbsp;:
<blockquote>«&nbsp;Aujourd’hui, grâce au Juif, l’argent auquel le monde chrétien n’attachait qu’une importance secondaire et n’assignait qu’un rôle subalterne est devenu tout-puissant. La puissance capitaliste concentrée dans un petit nombre de mains gouverne à son gré toute la vie économique des peuples, asservit le travail et se repaît des gains iniques acquis sans labeur.&nbsp;»</blockquote>  
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«&nbsp;Aujourd’hui, grâce au Juif, l’argent auquel le monde chrétien n’attachait qu’une importance secondaire et n’assignait qu’un rôle subalterne est devenu tout-puissant. La puissance capitaliste concentrée dans un petit nombre de mains gouverne à son gré toute la vie économique des peuples, asservit le travail et se repaît des gains iniques acquis sans labeur.&nbsp;»
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La Ligue antisémitique de France naît au cours de l’année 1889 et sa première manifestation est une affiche appelant les électeurs parisiens à voter pour tout candidat voulant «&nbsp;abattre la puissance de Rothschild&nbsp;». Ce sont Drumont et Jacques de Biez qui en sont à l’origine. Ce dernier expose les idées de la ligue dans une interview en 1889&nbsp;:
 
La Ligue antisémitique de France naît au cours de l’année 1889 et sa première manifestation est une affiche appelant les électeurs parisiens à voter pour tout candidat voulant «&nbsp;abattre la puissance de Rothschild&nbsp;». Ce sont Drumont et Jacques de Biez qui en sont à l’origine. Ce dernier expose les idées de la ligue dans une interview en 1889&nbsp;:
<blockquote>«&nbsp;Nous sommes des socialistes, car nous demandons des comptes à la féodalité financière. Nous sommes des nationaux-socialistes, car nous attaquons la finance internationale et nous voulons que la France soit aux Français. Nous sommes pour les ouvriers contre les exploiteurs.&nbsp;»</blockquote>  
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«&nbsp;Nous sommes des socialistes, car nous demandons des comptes à la féodalité financière. Nous sommes des nationaux-socialistes, car nous attaquons la finance internationale et nous voulons que la France soit aux Français. Nous sommes pour les ouvriers contre les exploiteurs.&nbsp;»
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En septembre 1890, ''La Croix'' se proclame «&nbsp;le journal le plus antijuif de France&nbsp;» et un de ses rédacteurs peut affirmer&nbsp;: «&nbsp;L’affaire de la juiverie passionne de nouveau tous les Chrétiens… Un grand nombre de semi-incrédules commencent à trouver qu’en France, il n’y a de vrais Français que les catholiques.&nbsp;»
 
En septembre 1890, ''La Croix'' se proclame «&nbsp;le journal le plus antijuif de France&nbsp;» et un de ses rédacteurs peut affirmer&nbsp;: «&nbsp;L’affaire de la juiverie passionne de nouveau tous les Chrétiens… Un grand nombre de semi-incrédules commencent à trouver qu’en France, il n’y a de vrais Français que les catholiques.&nbsp;»
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Lors de la [[Révolution_de_Février_1917|révolution bourgeoise de Février 1917]], l'antisémitisme d'Etat disparaît officiellement. Près de 700 textes de lois et décrets tsaristes sur les Juifs sont abolis. Un des délégués du soviet, Moishe Grouzenberg, s'exclame&nbsp;:
 
Lors de la [[Révolution_de_Février_1917|révolution bourgeoise de Février 1917]], l'antisémitisme d'Etat disparaît officiellement. Près de 700 textes de lois et décrets tsaristes sur les Juifs sont abolis. Un des délégués du soviet, Moishe Grouzenberg, s'exclame&nbsp;:
<blockquote>''«&nbsp;A présent par la volonté souveraine du peuple révolutionnaire nous sommes des citoyens. Camarades, si l'Etat russe d'avant la révolution était une prison de dimensions monstrueuse, qui ne connaissait que des prisonniers et des géôliers, la cellule la plus infecte, la chambre de la torture, en était réservée à nous, peuple juif de six millions d'âmes.&nbsp;»<ref name="JJM-2009">Jean-Jacques Marie, [https://books.google.fr/books?id=HKhSCwAAQBAJ&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false ''L'antisémitisme en Russie, de Catherine II à Poutine''], 2009</ref>''</blockquote>  
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''«&nbsp;A présent par la volonté souveraine du peuple révolutionnaire nous sommes des citoyens. Camarades, si l'Etat russe d'avant la révolution était une prison de dimensions monstrueuse, qui ne connaissait que des prisonniers et des géôliers, la cellule la plus infecte, la chambre de la torture, en était réservée à nous, peuple juif de six millions d'âmes.&nbsp;»<ref name="JJM-2009">Jean-Jacques Marie, [https://books.google.fr/books?id=HKhSCwAAQBAJ&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false ''L'antisémitisme en Russie, de Catherine II à Poutine''], 2009</ref>''
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Mais cet antisémitisme structurel en Russie n'a pas disparu. L'antisémitisme était très répandu dans la population, et quand les [[Soviets|soviets]] se sont constitués en 1917, ils ont eu à le combattre parmi les soldats, les ouvriers et les paysans. Parmi l'influence de masse qu'ont atteinte les [[Bolchéviks|bolchéviks]], il y avait parfois des poussées ''«&nbsp;d'antisémitisme populaire&nbsp;»'', dirigées contre les [[Menchéviks|menchéviks]], le [[Gouvernement_provisoire_(Russie)|gouvernement provisoire]]...&nbsp; Les cadres du [[Parti_bolchévik|parti bolchévik]] tentaient de combattre ce phénomène comme ils pouvaient <ref>Brendan McGeever, ''[http://alencontre.org/societe/histoire/les-bolcheviks-et-lantisemitisme.html Les Bolcheviks et l’antisémitisme]'', 19 juillet 2017</ref>, incités par des groupes juifs auto-organisés au sein du camp révolutionnaire<ref>Revue Période, ''[http://revueperiode.net/auto-organisation-des-juifs-et-bolchevisme-lantisemitisme-dans-la-revolution-russe/ Auto-organisation des juifs et bolchévisme : l’antisémitisme dans la révolution russe]'', 2016</ref>.
 
Mais cet antisémitisme structurel en Russie n'a pas disparu. L'antisémitisme était très répandu dans la population, et quand les [[Soviets|soviets]] se sont constitués en 1917, ils ont eu à le combattre parmi les soldats, les ouvriers et les paysans. Parmi l'influence de masse qu'ont atteinte les [[Bolchéviks|bolchéviks]], il y avait parfois des poussées ''«&nbsp;d'antisémitisme populaire&nbsp;»'', dirigées contre les [[Menchéviks|menchéviks]], le [[Gouvernement_provisoire_(Russie)|gouvernement provisoire]]...&nbsp; Les cadres du [[Parti_bolchévik|parti bolchévik]] tentaient de combattre ce phénomène comme ils pouvaient <ref>Brendan McGeever, ''[http://alencontre.org/societe/histoire/les-bolcheviks-et-lantisemitisme.html Les Bolcheviks et l’antisémitisme]'', 19 juillet 2017</ref>, incités par des groupes juifs auto-organisés au sein du camp révolutionnaire<ref>Revue Période, ''[http://revueperiode.net/auto-organisation-des-juifs-et-bolchevisme-lantisemitisme-dans-la-revolution-russe/ Auto-organisation des juifs et bolchévisme : l’antisémitisme dans la révolution russe]'', 2016</ref>.
 
[[Fichier:White-Army-Propaganda-Trotsky.jpg|vignette|298x298px|Propagande des [[Armées blanches|Blancs]] représentant [[Léon Trotsky|Trotski]] en diable rouge avec une étoile de David]]
 
[[Fichier:White-Army-Propaganda-Trotsky.jpg|vignette|298x298px|Propagande des [[Armées blanches|Blancs]] représentant [[Léon Trotsky|Trotski]] en diable rouge avec une étoile de David]]
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Le régime nazi en particulier a fait de l'antisémitisme son ciment, et transformé la colère issue de la décomposition sociale en la plus terrible boucherie de l'histoire humaine.
 
Le régime nazi en particulier a fait de l'antisémitisme son ciment, et transformé la colère issue de la décomposition sociale en la plus terrible boucherie de l'histoire humaine.
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L'idéologie [[National-socialiste|national-socialiste]] s'est construite notamment sur une réaction au [[Bolchévisme|bolchévisme]]. Il ne s'agissait pas de nier le caractère populaire de la révolution d'Octobre, mais d'en faire le résultat d'un [[Théories du complot|complot]]. En novembre 1921 fut publié à Munich un pamphlet intitulé ''«&nbsp;Bolchévisme juif&nbsp;»'' et préfacé par Alfred Rosenberg, l’idéologue nazi. Le but de cette étude était de montrer que la révolution russe, par son contenu, ses idées et ses dirigeants, était profondément juive&nbsp;: ''«&nbsp;Depuis le jour de son apparition, le bolchévisme est une entreprise juive.&nbsp;»'' Manipulant le nombre des commissaires du peuple juifs, Rosenberg tente de démontrer que ''«&nbsp;la dictature prolétarienne qui pèse sur le peuple ruiné, affamé, est un plan préparé dans les bouges de Londres, New York et Berlin&nbsp;»''. La haine antisémite ciblait bien entendu particulièrement ''«&nbsp;le juif Trotsky-Bronstein&nbsp;»''.<blockquote>En février 1931, Ludendorff écrit que, derrière le dos des bolcheviks, se dressait le capital financier mondial, principalement juif, unifié dans la lutte contre la Russie tsariste et l'Allemagne impérialiste. " Trotsky arriva d'Amérique, par la Suède, à Pétersbourg, pourvu de grosses sommes fournies par le capital mondial. D'autres fonds furent transmis d'Allemagne aux bolcheviks par le Juif Solmssen, " (''Ludendorffs Volkswarte'', 15 février I931.) <ref name=":0" /></blockquote>Peu avant le déclenchement de la [[Seconde_guerre_mondiale|Seconde guerre mondiale]], [[Trotsky|Trotsky]] faisait un pronostic qui s'est avéré terriblement réel&nbsp;:
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L'idéologie [[National-socialiste|national-socialiste]] s'est construite notamment sur une réaction au [[Bolchévisme|bolchévisme]]. Il ne s'agissait pas de nier le caractère populaire de la révolution d'Octobre, mais d'en faire le résultat d'un [[Théories du complot|complot]]. En novembre 1921 fut publié à Munich un pamphlet intitulé ''«&nbsp;Bolchévisme juif&nbsp;»'' et préfacé par Alfred Rosenberg, l’idéologue nazi. Le but de cette étude était de montrer que la révolution russe, par son contenu, ses idées et ses dirigeants, était profondément juive&nbsp;: ''«&nbsp;Depuis le jour de son apparition, le bolchévisme est une entreprise juive.&nbsp;»'' Manipulant le nombre des commissaires du peuple juifs, Rosenberg tente de démontrer que ''«&nbsp;la dictature prolétarienne qui pèse sur le peuple ruiné, affamé, est un plan préparé dans les bouges de Londres, New York et Berlin&nbsp;»''. La haine antisémite ciblait bien entendu particulièrement ''«&nbsp;le juif Trotsky-Bronstein&nbsp;»''.<blockquote>
<blockquote>''«&nbsp;'' Le nombre de pays qui expulsent les Juifs ne cesse de croître. Le nombre de pays capables de les accueillir diminue (…) ''On peut sans peine imaginer ce qui attend les Juifs dès le déclenchement de la guerre mondiale à venir. Même si la guerre est écartée, le prochain développement de la réaction mondiale implique avec certitude l’extermination physique des Juifs.&nbsp;»<ref>Trotsky, [https://www.marxists.org/archive/trotsky/1940/xx/jewish.htm On the Jewish Problem], 1937-1940</ref>''</blockquote>
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En février 1931, Ludendorff écrit que, derrière le dos des bolcheviks, se dressait le capital financier mondial, principalement juif, unifié dans la lutte contre la Russie tsariste et l'Allemagne impérialiste. " Trotsky arriva d'Amérique, par la Suède, à Pétersbourg, pourvu de grosses sommes fournies par le capital mondial. D'autres fonds furent transmis d'Allemagne aux bolcheviks par le Juif Solmssen, " (''Ludendorffs Volkswarte'', 15 février I931.) <ref name=":0" />
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</blockquote>Peu avant le déclenchement de la [[Seconde_guerre_mondiale|Seconde guerre mondiale]], [[Trotsky|Trotsky]] faisait un pronostic qui s'est avéré terriblement réel&nbsp;:
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''«&nbsp;'' Le nombre de pays qui expulsent les Juifs ne cesse de croître. Le nombre de pays capables de les accueillir diminue (…) ''On peut sans peine imaginer ce qui attend les Juifs dès le déclenchement de la guerre mondiale à venir. Même si la guerre est écartée, le prochain développement de la réaction mondiale implique avec certitude l’extermination physique des Juifs.&nbsp;»<ref>Trotsky, [https://www.marxists.org/archive/trotsky/1940/xx/jewish.htm On the Jewish Problem], 1937-1940</ref>''
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[[Fichier:Propagande-antisémite-nazie.jpg|vignette|Propagande nazie : « Derrière les forces ennemies, le Juif » (1941)]]
 
[[Fichier:Propagande-antisémite-nazie.jpg|vignette|Propagande nazie : « Derrière les forces ennemies, le Juif » (1941)]]
 
Dans le même article de décembre 1938, Trotsky ne met pas seulement en garde contre le danger de l’extermination des Juifs mais également contre l’imminence de cette catastrophe&nbsp;; il appelle tous les éléments progressistes à aider la révolution mondiale. Cette tâche devient presque obligatoire pour les Juifs, y compris la bourgeoisie juive, car au moment où la Palestine se révèle un «&nbsp;tragique mirage&nbsp;», le Birobidjan une «&nbsp;farce bureaucratique&nbsp;» et où l’Europe et l’Amérique ferment leurs frontières à l’immigration juive, seule la révolution peut les sauver du massacre&nbsp;:
 
Dans le même article de décembre 1938, Trotsky ne met pas seulement en garde contre le danger de l’extermination des Juifs mais également contre l’imminence de cette catastrophe&nbsp;; il appelle tous les éléments progressistes à aider la révolution mondiale. Cette tâche devient presque obligatoire pour les Juifs, y compris la bourgeoisie juive, car au moment où la Palestine se révèle un «&nbsp;tragique mirage&nbsp;», le Birobidjan une «&nbsp;farce bureaucratique&nbsp;» et où l’Europe et l’Amérique ferment leurs frontières à l’immigration juive, seule la révolution peut les sauver du massacre&nbsp;:

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