États-Unis d'Europe

De Wikirouge
Aller à la navigation Aller à la recherche
EuropeRougeSurFondBlanc.gif

Les Etats-Unis d'Europe sont une hypothétique fédération des Etats d'Europe. C'est pour différents courants politiques un idéal d'intégration européenne, pour des raisons qui peuvent être différentes. Les communistes révolutionnaires sont parmi les rares à défendre encore cette perspective, sous la forme d'Etats-Unis socialistes d'Europe.

1 Historique

1.1 L'idéal progressiste

L'Europe a évidemment des caractéristiques communes. D'autant plus que les Etats-Nations actuels, qui tendent à être fétichisés, sont en réalité largement des constructions politiques : les différentes bourgeoisies ont unifié un marché sur un territoire donné en créant une idéologie nationale, passant presque toujours par une culture et une langue nationale (pour la plupart au XVIIIème-XIXème siècle). Des frontières ont ainsi été figées là où au Moyen-Âge et avant, il y avait surtout continuité. L'idée d'une Europe unie a donc une base matérielle.

Cette Europe unie, plusieurs progressistes l'ont imaginée et appelée de leurs voeux, en la voyant comme un idéal de civilisation et de pacifisme. Par exemple l'abbé de Saint-Pierre parlait au XVIIIème siècle d'un « grand projet de l'union des princes chrétiens pour rendre la paix perpétuelle en Europe ».[1] Plus tard, Victor Hugo reprenait cette idée, en la voyant comme une tendance que la société bourgeoise allait réaliser. Il faisait des analogies entre l'unification bourgeoise des différentes régions, l'exemple des Etats-Unis, et l'unification européenne :

« Un jour viendra où la guerre paraîtra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Pétersbourg et Berlin, entre Vienne et Turin, qu'elle serait impossible et qu'elle paraîtrait absurde aujourd'hui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie.

Un jour viendra où la France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l'Alsace, toutes nos provinces, se sont fondues dans la France.

Un jour viendra où il n'y aura plus d'autres champs de bataille que les marchés s'ouvrant au commerce et les esprits s'ouvrant aux idées.

Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d'un grand sénat souverain qui sera à l'Europe ce que le parlement est à l'Angleterre, ce que la diète est à l'Allemagne, ce que l'Assemblée législative est à la France.

Un jour viendra où l'on montrera un canon dans les musées comme on y montre aujourd'hui un instrument de torture, en s'étonnant que cela ait pu être. »[2]

Etats-Unis d'Europe est également le titre de la revue que la Ligue internationale permanente de la paix a créé après la Conférence de la paix de Genève en 1867, revue qui a paru jusqu'en 1939.

1.2 Démenti brutal par le capitalisme

Les Etats-Unis d'Europe n'ont pas vu le jour, et au contraire le capitalisme a montré à quel point il posait un obstacle fondamental à sa réalisation. Ce que les idéalistes n'ont pas vu, c'est que derrière les Etats, il y a des classes dominantes. En particulier, des bourgeoisies ont réussi à former et unifier des Etats à leur service : les bourgeois français ont créé la France, les bourgeois allemands l'Allemagne... Cela ne s'est pas fait graduellement et harmonieusement, mais par des guerres et des révolutions (révolution française, révolution des Etats-Unis puis guerre civile...). De même, maintenant que les Etats bourgeois sont formés, il est pratiquement impossible qu'ils soient dépassés par une voie pacifique.

Au contraire, à chaque fois que l'Europe a été au plus près d'être unifiée, ça a été par la conquête militaire : les guerres napoléoniennes, le troisième Reich allemand... L'entrée dans l'époque impérialiste au début du XXème siècle, avec ses deux guerres mondiales centrées sur l'Europe, n'a fait qu'approfondir les tensions guerrières et les risques que cela fait encourir aux peuples européens.

1.3 Pression des puissances concurrentes

Le morcellement de l'Europe de l'Ouest en différentes puissances l'a fortement pénalisée par rapport aux Etats-Unis, où le marché capitaliste unifié est bien plus vaste. C'est pourquoi au cours du XXème siècle, et particulièrement à l'issue de la Seconde guerre mondiale, les Etats-Unis sont devenus la puissance dominante. Cela a créé une pression à la coopération des bourgeoisies européennes.

En 1915, Lénine analysait :

« Du point de vue des conditions économiques de l’impérialisme, c’est-à-dire des exportations de capitaux et du partage du monde par les puissances coloniales "avancées" et "civilisées", les États-Unis d’Europe sont, en régime capitaliste, ou bien impossibles, ou bien réactionnaires. (...) Certes, des ententes provisoires sont possibles entre capitalistes et entre puissances. En ce sens, les États-Unis d’Europe sont également possibles, comme une entente de capitalistes européens ... dans quel but ? Dans le seul but d’étouffer en commun le socialisme en Europe, de protéger en commun les colonies accaparées contre le Japon et l’Amérique, extrêmement lésés dans l’actuel partage des colonies, et qui se sont renforcés au cours de ces cinquante dernières années infiniment plus vite que l’Europe monarchique et arriérée, laquelle déjà pourrit de vieillesse. Comparée aux États-Unis d’Amérique, l’Europe dans son ensemble signifie stagnation économique. Sur la base économique d’aujourd’hui, c’est-à-dire en régime capitaliste, les États-Unis d’Europe signifieraient l’organisation de la réaction en vue de contenir le développement plus rapide de l’Amérique. »[3]

1.4 L'Union européenne

EuroDictatureCapitaliste.JPG
🔍 Voir : Union européenne.


L'Après-guerre était un contexte particulier :

  • les 30 glorieuses ont permis une baisse des tensions inter-impérialistes pour plusieurs décennies
  • la volonté de résister au déclin face aux Etats-Unis était forte
  • le bloc de l'Est accentuait la nécessité politique de renforcer les liens entre capitalistes européens

Cela a rendu possible l'Union européenne, l'expérience la plus avancée d'intégration européenne. Cependant, elle est très loin d'être un Etat fédéral, et son avenir est largement compromis par les tensions ravivées qui résultent de la crise mondiale et en particulier de la zone euro.

Certaines voix se prononcent pour un saut qualitatif vers le fédéralisme, comme Jacques Attali, mais elles restent très minoritaires.

2 Position du mouvement socialiste

En tant que pointe avancée du mouvement progressiste, les courants socialistes ont repris à leur compte la perspective des Etats-Unis d'Europe. Cependant, la façon dont ils l'ont fait recoupe ses divergences internes, et notamment le clivage réforme-révolution.

2.1 Etats-Unis républicains d'Europe

La social-démocratie du début du XXème siècle (Internationale ouvrière) débattait des Etats-Unis d'Europe. Fallait-il en faire un mot d'ordre ? Si oui, sous quelle forme ? Fallait-il revendiquer les Etats-Unis républicains d'Europe, comme un progrès même sans que cela soit des Etats socialistes ?

Le Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie avait pris position contre le mot d'ordre d'Etats-Unis d'Europe, ce que Lénine explique ainsi [3]:

  • politiquement, ce serait évidemment un progrès si l'unification européenne pouvait être réalisée a priori
  • mais économiquement, le capitalisme engendre des développement différents entre pays, des intérêts différents, et les puissances ont des colonies à elles ; elles ne "partagent" leur profit que par le rapport de force
  • donc « les États-Unis d’Europe sont, en régime capitaliste, ou bien impossibles, ou bien réactionnaires. »

2.2 Etats-Unis socialistes d'Europe

Les socialistes, du moins ceux qui gardent au moins en parole l'objectif de renverser le capitalisme, défendent la perspective des Etats-Unis socialistes d'Europe (quel que soit le nom réel que prendrait cette fédération).

Mais pour la plupart des révolutionnaires, il n'y a que des Etats ouvriers qui pourraient  - et devraient - suite à des révolutions socialistes nationales, édifier cette fédération socialiste.

« L'inégalité du développement économique et politique est une loi absolue du capitalisme. Il s'ensuit que la victoire du socialisme est possible au début dans un petit nombre de pays capitalistes ou même dans un seul pays capitaliste pris à part. Le prolétariat victorieux de ce pays, après avoir exproprié les capitalistes et organisé chez lui la production socialiste, se dresserait contre le reste du monde capitaliste en attirant à lui les classes opprimées des autres pays, en les poussant à s'insurger contre les capitalistes, en employant même, en cas de nécessité, la force militaire contre les classes d'exploiteurs et leurs États. »[3]

Cela ne veut pas dire que le socialisme dans un seul pays est possible, mais que l'étincelle révolutionnaire va nécessairement démarrer dans quelques voire un seul pays.

3 Etats-Unis du monde

Pour beaucoup de ceux qui envisagent des Etats-Unis d'Europe, c'est une étape vers des Etats-Unis du monde.

Par exemple la perspective de Victor Hugo allait jusque là.

« Un jour viendra où il n'y aura plus d'autres champs de bataille que les marchés s'ouvrant au commerce et les esprits s'ouvrant aux idées (...)
Un jour viendra où l'on verra ces deux groupes immenses, les Etats-Unis d'Amérique, les Etats-Unis d'Europe placés en face l'un de l'autre, se tendant la main par-dessus les mers, échangeant leurs produits, leur commerce, leur industrie, leurs arts, leurs génies, défrichant le globe, colonisant le désert, améliorant la création sous le regard du Créateur, et combinant ensemble, pour en tirer le bien-être de tous, ces deux forces infinies, la fraternité des hommes et la puissance de Dieu ».[2]

« Elle s'appellera l'Europe, au vingtième siècle, et, aux siècles suivants, plus transfigurée encore, elle s'appellera l'Humanité. » [4]

GlobeRouge.gif

De même pour les communistes, les Etats-Unis d'Europe sont la fédération qui devrait (parce que les économies européennes sont très interdépendantes) et pourraient (parce que les liens révolutionnaires seront plus facile à nouer) être réalisée la plus rapidement, mais si le socialisme l'emporte, c'est à l'échelle du monde entier. En conséquence, c'est une fédération socialiste du monde qui est l'objectif, permettant de faire disparaitre la notion même d'Etat sous le communisme.

« Les États-Unis du monde sont cette forme d'État - forme d'union et de liberté des nations, - que nous rattachons au socialisme, - en attendant que la victoire totale du communisme amène la disparition définitive de tout État, y compris l'État démocratique. »[3]

4 Notes et sources

  1. Abbé de Saint-Pierre, Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe, 1713
  2. 2,0 et 2,1 Victor Hugo, Discours à l'occasion du Congrès international de la paix de Paris, 21 août 1849
  3. 3,0 3,1 3,2 et 3,3 Lénine, Du mot d'ordre des États-Unis d'Europe, 1915
  4. Victor Hugo, Paris-guide, exposition universelle de 1869