Révolution permanente déviée

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La « révolution permanente déviée » est le nom donné à une nouvelle conception de la théorie de la révolution permanente de Trotsky, élaborée par Tony Cliff dans les années 1960.

1 Contexte

Si la théorie de la révolution permanente supposait le rôle révolutionnaire de la classe ouvrière dans les pays dominés, la vague de révolutions anticoloniales après la deuxième guerre mondiale dans le « tiers-monde » (Chine, Cuba mais aussi Égypte, Algérie, Ghana, Indonésie, Vietnam, etc.) semblait contredire la théorie. Ces révolutions visaient l’indépendance nationale, le développement économique et la réforme sociale. Le problème, c’est que la classe ouvrière n’y joua aucun rôle.

Après la révolution chinoise (1949) et la révolution cubaine (1953), Tony Cliff, militant révolutionnaire anglais, essaya de voir ce qui n’allait pas dans la théorie, en tentant d’identifier les éléments constants et les éléments contingents.

2 Analyse de Tony Cliff

Indéniablement, le caractère contre-révolutionnaire de la bourgeoisie était une constante. Par contre le rôle révolutionnaire de la classe ouvrière n’avait rien d’inéluctable. Et sans classe ouvrière révolutionnaire, l’essentiel de la théorie de Trotsky s’effondrait.

Pour Cliff, plusieurs facteurs sont entrés en jeu : l’affaiblissement de la main-mise impérialiste dans le contexte de la guerre froide, l’importance croissante de l’État dans les pays arriérés, l’impact négatif du réformisme et du stalinisme sur la classe ouvrière et leurs
politiques d’alliances inter-classes, et surtout l’importance croissante de l’intelligentsia dans la direction et l’unification de la nation.

Des couches d’intellectuels révoltés ont développé un nationalisme radical résolu à combattre l’impérialisme et les dictatures qui dominaient leurs pays. Leur but n’était pas la démocratie. Ils voulaient moderniser, réformer. Ils savaient ce qu’ils avaient à faire pour le bien du peuple et n’avaient pas de temps à perdre. Ils voulaient créer des États-nations modernes, avec des infrastructures économiques et sociales développées.

Le capital privé étant très faible, il fallait procéder rapidement à une accumulation de capital dirigée par l’État. Ils ont pris le pouvoir et instauré des régimes capitalistes d’État autoritaires qui ont bafoué les revendications populaires de réformes sociales qu’ils prétendaient porter.

Le courant trotskiste de Cliff reprochait au courant dominant d'appliquer mécaniquement la théorie de la révolution permanente aux révolutions du tiers-monde de ces années, et de les soutenir sans réserve en attendant leur transcroissance en révolution socialiste.

3 Critiques

Dans un article de 2010[1], Neil Davidson revient sur ce qu’il analyse comme des ambigüités dans la théorie de la révolution permanente déviée de Tony Cliff.

Il évoque ainsi la faiblesse de la notion d’intelligentsia à rendre compte des particularités des fractions de classe impliquées dans les coups d’État militaires (comme en Égypte ou en Éthiopie) et surtout le fait que la théorie de Cliff englobait deux types très différents de révolutions : sociales et politiques.

Pour Cliff la déviation de la révolution permanente signifiait que les objectifs révolutionnaires n’étaient plus prolétariens, comme dans la théorie de Trotsky, mais bourgeois. Davidson souligne néanmoins une différence profonde entre une révolution dans laquelle le système féodal est remplacé par le capitalisme d’État (comme en Chine en 1949) et une révolution qui permet simplement un changement d’orientation et de personnel politique à la tête d’un État déjà capitaliste (comme à Cuba en 1959, mais aussi comme dans toutes les révolutions depuis celles de 1989 dans les pays de l’Est jusqu’au « révolutions de couleur » de ces anciennes républiques soviétiques).

Dans la plupart de ces révolutions, il s’agissait donc d’un combat entre des fractions de la bourgeoisie déjà dominante et non d’une lutte pour les intérêts de la bourgeoisie tout entière.

4 Notes et sources

Tony Cliff, La Révolution permanente déviée, 1963

Que faire, Jusqu'au bout ! La theorie de la revolution permanente, 2011

  1. Neil Davidson, From deflected permanent revolution to the law of uneven and combined development, International Socialism Journal n°128, octobre 2010