Jeunesse

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La jeunesse tient une place importante dans la pratique politique des communistes révolutionnaires, en tant que potentielle force d'entraînement de la classe ouvrière.

1 Généralités

1.1 Formation de la jeunesse

Avant le capitalisme, la jeunesse ne constituait pas un âge distinct. Ce qui fait émerger la jeunesse comme couche sociale, c’est l’institution scolaire. Avant le capitalisme, les futurs producteurs sont formés directement au contact des adultes dans le cadre de l’apprentissage. La nécessité d’inculquer une qualification même élémentaire à un grand nombre de futurs travailleurs sépare les jeunes des adultes dans le cadre de l’école. La jeunesse naît dans un mouvement de séparation institutionnelle, de « mise en quarantaine ». C’est la racine du fait que les jeunes vivent « dans leur propre monde » comme le disait Trotsky. L’école joue le rôle décisif, mais autres institutions pour encadrer la jeunesse : l’église, l’armée...

Malgré cette tendance à avoir des repères communs, la jeunesse n'est pas une classe sociale. Un jeune employé de caisse n'a pas du tout les mêmes intérêts que le jeune adjoint au PDG de sa chaîne d'hypermarché. Une jeune fonctionnaire n'a pas du tout les mêmes intérêts que la jeune adjointe d'un cabinet ministériel qui applique l'austérité, etc.

1.2 Radicalité

Plusieurs facteurs expliquent que la jeunesse est généralement plus radicale :

  • Les jeunes sont soit en dehors de l’appareil de production, soit exploités depuis peu de temps. Ils/elles sont beaucoup moins exposé·es aux effets aliénants du travail, moins résigné·es, et ont moins de charges (
  • Ils et elles ne sont pas encore pleinement intégré·es à la société bourgeoise : le couple, les crédits etc ne pèsent pas encore sur les jeunes, qui sont libres de tout engagement (les jeunes scolarisés ne perdent pas de salaire quand ils font grève, les JT n’ont généralement pas de famille à nourrir).
  • Le poids des défaites du passé ne repose pas sur eux (mais l'aspect négatif et que les expériences du passé leur manquent également parfois).

L'influence que parvient à avoir un parti dans la jeunesse est lié à sa radicalité. C'est ce qui faisait dire à Lénine le parti ouvrier serait toujours le parti de la jeunesse :

« Nous sommes un parti de novateurs, et la jeunesse suit toujours de préférence les novateurs. Nous sommes un parti qui combat avec abnégation un vieux régime pourri. La jeunesse sera toujours la première à marcher pour une lutte où il faut faire don de soi […] Nous serons toujours le parti de la jeunesse dans notre classe d’avant-garde ! »[1]

Trotsky faisait aussi le lien avec les "générations" :

« Quand s’use un programme ou une organisation, s’use aussi la génération qui les a portés sur ses épaules. La rénovation du mouvement se fait par la jeunesse, libre de toute responsabilité pour le passé »[2]

1.3 Récupération de la classe dominante

La classe dirigeante, qui génère l'idéologie dominante, s'efforce de gommer l’affrontement entre classes sociales qui est au cœur des processus révolutionnaires. Elle cherche souvent à gommer les affrontements de classe (par exemple en occultant la grève générale dans Mai 68), et à réduire les mouvements de jeunesse à des révoltes morales, culturelles, etc. On essaie de les présenter comme un conflit générationnel, une révolution de la jeunesse pour plus de liberté. L’intérêt de présenter les choses ainsi pour les médias bourgeois, c’est qu’ainsi il ne peut s’agir que de révolutions dont l’objectif fondamental est une simple modernisation de la société capitaliste.

2 Historique des organisations de jeunesse socialistes

2.1 Fondation

Au sein de la social-démocratie allemande, Karl Liebknecht s'engagea pour que les jeunes puissent être militants à part entière.

L'Union Internationale des Organisations de Jeunesse Socialiste (UIOJS) fut fondée les 24-27 avril 1907 à Stuttgart, par 20 délégués jeunes représentant 13 pays, en tant que section de jeunesse de la Deuxième Internationale. Le bureau international fut basé à Vienne (l'Union internationale de la jeunesse socialiste occupe toujours ces locaux depuis). Dirigée par Hendrik de Man au moment de sa fondation, l’UIOJS est ensuite présidée de 1908 à 1925 par Robert Danneberg, un militant autrichien alors proche de l’antimilitarisme radical de Karl Liebknecht. Participèrent aussi à la fondation Angelica Balabanova (pour les traductions) et Henriette Roland Holst.

2.2 La Première guerre mondiale

En 1914, le déclenchement de la Première Guerre mondiale met un terme au travail de l’UIOJS. Le conflit et le soutien apporté par les différents partis socialistes des pays belligérants à leurs gouvernements (Union sacrée) empêchent en effet toute coopération internationale et l’UIOJS cesse d’exister dans les faits.

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Les opposants à la guerre basés en Suisse tentent alors d’unifier les jeunes socialistes européens sur des bases nouvelles. Sous l’impulsion de Willi Münzenberg, ils appellent à la tenue d’une conférence internationale antimilitariste des sections de jeunes qui se tient à Berne en avril 1915. Si cette conférence ne suit pas encore les appels de Lénine à la guerre civile révolutionnaire, elle entérine le principe du « socialisme révolutionnaire » et appelle à la recréation du mouvement des jeunes socialistes indépendamment des différents partis socialistes « chauvins ». La conférence de Berne décide aussi d’une nouvelle publication intitulée Die Jugendinternationale (La Jeune Internationale) et de la mise en place d’un Bureau International de la jeunesse basé à Zurich. Willi Münzenberg est élu à la tête de cette UIOJS reconstitué. Lénine critiquera certaines positions de ces jeunes, mais estimait très important de dialoguer avec eux.[3]

En 1918, toutes les organisations de jeunesse socialistes d’Europe – à l’exception des allemands, français et néerlandais – avaient adhéré à l’UIOJS reconstituée.

2.3 L'impact de la révolution d'Octobre

Bien qu’antimilitariste, l’UIOJS reconstituée est néanmoins partagée sur la manière de mettre fin au conflit. La faction centriste souhaite l'établissement d'un arbitrage contraignant tandis que l’aile gauche, influencée par la révolution russe de 1917, appelle à une révolution internationale pour combattre la guerre capitaliste. Cette division est à mettre en parallèle avec les divergences apparues lors de la Conférence de Zimmerwald entre une majorité pacifiste et une gauche révolutionnaire.

La moyenne d’âge du parti bolchévik est de 19 ans en 1917. En Russie, le rôle des jeunes (en particulier des étudiants) dans la fondation des partis révolutionnaires a également été prépondérant à la fin du 19e et début du 20e siècle.

2.4 L'Internationale des Jeunes Communistes

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En mars 1919, l'Internationale communiste est créée à Moscou à l’initiative de Lénine. Le 20 novembre 1919, l’UIOJS tient sa première conférence d’après-guerre à Berlin. La conférence se tient clandestinement dans une brasserie (l’interdiction du parti communiste en Allemagne ne sera levée qu’en décembre) et réunie 19 délégués représentant 14 pays. La décision est prise au cours de ce congrès de renommer l’organisation « Internationale des jeunes communistes » (IJC). Le congrès de Berlin est ainsi de fait le dernier de l’UIOJS et le premier de l’IJC.

Il est décidé que l’IJC aurait son siège à Berlin et un programme politique est adopté. Un comité exécutif de cinq membres est aussi mis en place. Il est constitué de Leo Flieg (Allemagne), Willi Münzenberg (Allemagne), Luigi Polano (Italie), Oskar Samuelson (Suède), Lazar Sackin (Russie) et Willi Münzenberg (Allemagne), qui en prend la direction. Elle compte jusqu’à 800 000 membres à son apogée en 1921. Elle est financièrement indépendante de l’IC. Les jeunes forment l’essentiel des troupes des PC au moment de la plus grande vague révolutionnaire que l’Europe ait connu (1918-1923). A tel point que dans certains pays, c’est la jeunesse socialiste qui se change en PC, en section de l’IC, comme en Belgique ou dans l’Etat Espagnol.

En URSS, les jeunesses communistes ("komsomol") deviennent un grand appareil du parti pour formater la jeunesse.

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L’organisation interne de la JC, remodelée en 1924-1925, se compose à la base de la cellule formée dans les usines. Elle a pour but de défendre les jeunes travailleurs et se réunit une fois par semaine. Émanant de cette cellule, un bureau tient des assemblées générales et fixe les actions, la propagande et le recrutement. À l’étage supérieur de la pyramide, le rayon rassemble l’ensemble des cellules existant sur un territoire délimité. Ces cellules et rayons sont regroupés en régions, chargées, entre autres, de relayer les informations prises au niveau national. L’encadrement des adultes se veut discret et n’est pas inscrit dans les statuts officiels de la JC.

En 1932, la JC est une organisation satellite aux effectifs stagnants, avoisinant les 4 000 adhérents. Pendant ses dix premières années d'existence, la JC ne sera pas vraiment une priorité du PC. Vers 1933, la direction de l'Internationale donne pour consigne d'y remédier, ce qui est aussitôt relayé. Lors du comité central de juillet 1933, Jacques Duclos reconnait que « le Parti a délaissé ce travail et a laissé disparaître des cellules de jeunesses communistes »

Après le tournant de 1934 vers la politique de Front populaire, les JC vont proposer aux Jeunesses socialistes de fusionner en une seule organisation. Plus largement, la JC multiplie les discours envers les jeunes paysans et les jeunes intellectuels et fonde en 1937 une Union des jeunesses agricoles de France. En parallèle, elle va parler de plus en plus de sports et de loisirs, et de moins en moins de politique. L'Avant-garde, qui se disait « organe de défense des jeunes travailleurs » va se diluer en 1938 en « Grand Journal de la Jeunesse ».

De février 1934 à février 1937, le nombre d’adhérents à la JC passe de 4 000 à plus de 100 000. La JC met en avant le scoutisme, le tourisme, le sport, la musique, le théâtre, les chants... Elle organise des soirées cinéma, des cours de dessin, du ping-pong... Les foyers communistes deviennent des lieux de sociabilité pour les jeunes travailleurs qui veulent se distraire. Les bals peuvent servir à financer la création de ces foyers. Enfin, cette nouvelle JC tend aussi à se propager dans des endroits reculés. Pour exemple, les nouvelles structures de la JC comme l’Union de la jeunesse agricole de France permettent l’apparition de Maison de jeunes paysans dans les Pyrénées-Orientales.

En 1943, l’IJC est dissoute, en même temps que le Komintern, par Staline qui souhaitait ainsi détendre ses relations avec les alliés.

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À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, les vainqueurs réunissent en novembre 1945 à Londres une « conférence mondiale de la jeunesse ». Elle débouche sur la création le 8 novembre de la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique (FMJD), organisation à laquelle adhèrent les mouvements de jeunesse communistes mais que les staliniens essaient de rendre le plus large possible. La FMJD se veut une organisation « anti-impérialiste de gauche ». Son siège est à Paris, et son président, un Français, Guy de Boysson, jeune communiste futur dirigeant de la banque soviétique en France. Mais lors du début de la guerre froide en 1947 puis du coup de Prague (1948), beaucoup d'organisations pro-américaines se sont retirés de la FMJD.

2.5 L'Internationale des Jeunes Socialistes

Deux organisations fondées en 1921, le Groupe de travail international des jeunes socialistes et l'Internationale de la jeunesse ouvrière de tendance sociale-démocrate fusionnèrent dans l'Internationale des Jeunes Socialistes en 1923 à Hambourg.

En 1930 les JS en France comptent 8 168 membres, et connaissent une progression jusqu'à 11 685 membres en 1932.

Après la Seconde Guerre mondiale, elle prend le nom d'Union internationale de la jeunesse socialiste lors du congrès du 30 septembre 1946 à Paris.

2.6 Quatrième internationale

Les organisations issues du trotskisme tentent de mettre sur pied à leur échelle des organisations de jeunesse. Par exemple avec les Rencontres internationales de jeunes de la Quatrième internationale (Secrétariat-Unifié).

3 Autres organisations

3.1 Jeunesse ouvrière chrétienne

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En 1925, un abbé belgé créé la Jeunesse ouvrière chrétienne, qui deviendra rapidement une organisation de masse, bien implantée des les usines et les quartiers populaires. Elle se prétendait apolitique et était active pour défendre des revendications spécifiques pour les jeunes travailleur-se-s.

Elle devient la première organisation de jeunes (120 à 130 000 sympathisants en 1937 contre 100 000 pour la JC), ce qui préoccupait les Jeunesses communistes :

« […] nous devons dire que notre jeunesse n’est pas encore orientée vers un véritable travail de rassemblement des jeunesses ouvrières pendant que les chrétiens, eux, font un grand travail dans cette branche. »[4]

Les JC ont été attentifs aux revendications mises en avant par la JOC, et en ont repris une grande partie, notamment sur l’orientation professionnelle, la sécurité des jeunes travailleurs ou l’organisation des loisirs. A tel point que la JOC s'indignait :

« Nous ne pouvons accepter de voir les jeunes chômeurs servir de tremplin à l’agitation révolutionnaire. Les JC ont copié notre programme non pas approximativement comme on tente de le faire croire mais mot à mot. »[5]

Les communistes dénonçaient la JOC comme une organisation bourgeoise, voire fascisante. Elle tentait cependant de s'adresser à la base :

« La JOC prétend défendre vos intérêts. Mais le pape et les curés qui la dirigent mènent la croisade contre la Russie soviétique. »[6]

Le mouvement se déconfessionnalisme peu à peu après 1945. Aujourd'hui en France, la JOC regroupe 10 000 jeunes de 15 à 30 ans.

3.2 L'Organisation juive de combat

L'Organisation juive de combat (OJC) est le groupe qui mena l'insurrection du ghetto de Varsovie en 1941. C'était une lutte héroïque, 200 combattants armés en tout et pour tout, au milieu d’une population affamée, tenant tête à 2000 SS et supplétifs, avec tanks et aviation. L’OJC était un front unique des organisations de jeunesse socialistes juives. Presque tous les combattants sont des très jeunes, le commandement : « 110 ans à nous cinq ». L’OJC organise des exécutions de policiers et de collabos, réquisitionne la fortune des riches, et résiste aux assauts nazis pendant plusieurs semaines.

3.3 Extrême droite

La révolte de la jeunesse ne se dirige pas automatiquement sur les bonnes cibles. Dans les années 1930, une partie non négligeable de la jeunesse était radicalisée vers l'extrême droite. La première étape de la construction du mouvement nazi en Allemagne a été de gagner la majorité chez les étudiants, ce qui a été fait bien avant que le parti nazi ne gagne des millions d’électeurs (même chose en Espagne et en Italie). Et une fois les fascismes au pouvoir, l'embrigadement de la jeunesse constitue une consolidation du régime (ballilas de Mussolini, jeunesses hitlériennes...).

En France aussi, l'extrême droite était extrêmement implantée dans la jeunesse, surtout étudiante :

  • les Camelots du Roi, jeunes de l'Action française
  • les Jeunesses patriotes
  • les Fils et Filles de Croix-de-Feu
  • les Volontaires nationaux, fondés par le colonel de La Rocque en juillet 1933

Les JC sont en perpétuel affrontement avec ces mouvements, en particulier lors de la vente de L’Avant Garde. Au congrès de l’Internationale communiste des jeunes le 9 août 1935, Raymond Guyot, secrétaire général de la JC, déclare que :

« les ligues fascistes avaient avec elles le 6 février 1934 une certaine partie de la jeunesse en particulier des étudiants, des fils de commerçants, des employés, des jeunes chômeurs ».[7]

Toutefois, après le tournant "unitaire" de 1934, les JC se retrouveront à tendre la main aux "fascistes" d'hier. Ainsi, le 18 juillet 1936 en « une » de L’Avant Garde, peut-on lire : « Nous te tendons la main, jeunes volontaires nationaux. ». Même pendant la grève générale de juin 1936, c'est l'Action française qui domine au Quartier latin.

4 Autonomie de la jeunesse

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Il y eut et il y a beaucoup de débats au sein du mouvement ouvrier et socialiste sur la question de savoir si les jeunes doivent être organisés séparément, et si oui, si cette organisation doit être autonome / indépendante de l'organisation "soeur".

4.1 Lénine

Lénine a beaucoup réfléchi au rôle des jeunes dans l’activité révolutionnaire et à leur place comme catégorie à part entière dans l’organisation communiste.

« le groupement de jeunes n’est pas une copie du Parti mais un collaborateur qui a sa propre direction »[8]

« Nous devons être, sans réserve partisans de l’indépendance de l’union de la jeunesse sur le plan de l’organisation non seulement parce que les opportunistes craignent cette indépendance, mais quant au fond. Car, sans une complète indépendance, la jeunesse ne pourra pas faire son éducation de bons socialistes, ni se préparer à faire progresser le socialisme. Donc, pour l’indépendance la plus complète de l’union de la jeunesse, mais aussi pour une complète liberté de la critiquer en toute camaraderie pour ses erreurs ! »[3]

4.2 Trotsky

Fin 1923, lorsqu'il défend un Cours nouveau plus démocratique, dans le parti bolchévik, et notamment le fait que le parti se subordonne réellement son appareil, Trotsky est accusé de vouloir monter la jeunesse contre la vieille garde.[9]

4.3 L'Internationale communiste

Les premières années de l’IJC sont marquées par la question des relations entre les mouvements de jeunesse et les partis communistes qui apparaissent dans chaque pays.

Lors du Congrès fondateur, Lazar Sackin, le délégué russe, défend l’idée que les mouvements de jeunesse doivent être placés sous la direction et le contrôle direct des partis. Cette conception est combattue par les délégués d’Europe occidentale qui conçoivent les organisations de jeunesse comme des mouvements indépendants ayant un rôle d’avant-garde. Le compromis trouvé lors de ce Congrès affirme que l’IJC n’est pas une organisation « sœur » du Komintern mais constitue une « partie » de celui-ci. Les organisations de jeunesse membres de l’IJC doivent soit suivre le programme du parti membre de l’Internationale communiste dans leur pays soit suivre directement le programme de l’Internationale communiste.

Malgré cette décision, l’IJC reste divisée entre les tenants d’une ligne indépendante (menés par les allemands) et les partisans d’un contrôle étroit du mouvement de jeunesse par le Komintern (menés par les pro-russes).

Ces divisions culminent en 1921 lors de l’organisation du Deuxième Congrès de l’IJC. Les partisans d’un contrôle des partis sur les mouvements de jeunesse proposent que ce Congrès se tienne durant l’été à Moscou en parallèle avec le Troisième Congrès du Kominterm. Zinoviev, président du comité exécutif du Komintern, appuie cette proposition. Néanmoins, le comité exécutif de l’IJC, dans lequel les tenants d’une ligne indépendante sont majoritaires, choisit d’organiser le Congrès à Iéna en avril. La délégation russe annonce alors son refus de participer au Congrès. Quatre jours après sa convocation, le lieu du Congrès doit être transféré en urgence à Berlin pour des raisons de sécurité. La session est ensuite brusquement interrompue suite aux injonctions du Comité exécutif du Komintern. Suite a cette interruption, le Deuxième Congrès de l’IJC est réorganisé à Moscou au mois de juin, en parallèle avec le Troisième Congrès du Komintern comme le souhaitaient les pro-russes. Ce retour à Moscou marque la défaite définitive des tenants d’une ligne indépendante des partis. Le Deuxième Congrès de l’IJC et le Troisième Congrès du Komintern actent la subordination des mouvements de jeunesse aux partis.

Le siège de l’IJC est transféré à Moscou et tous les Congrès de l’IJC qui seront organisés par la suite (1922, 1924, 1928 et 1935) se dérouleront tous à Moscou.

Le 16 novembre 1935, Raymond Guyot déclare dans l’Humanité : « la JC doit cesser d’être un petit parti, elle doit être une organisation de masse, sans parti de jeunes. » Après le Front populaire, La JC, qui est désormais une organisation de jeunes ouverte à tous, devient officiellement « indépendante » de son parti. Alors qu’en 1933-1935, l’Humanité avait consacré attention et propagande à la JC, celle-ci disparaît progressivement de ses colonnes.

5 Exemples de radicalité

5.1 Dans les grèves

Dans les entreprises, si les jeunes sont souvent moins syndiqués que les « anciens », ils sont néanmoins souvent plus contestataires et ont recours à des formes plus spectaculaires de lutte : non seulement l’absentéisme et le dénigrement carnavelesque du patronat, mais parfois le sabotage ou la séquestration de petits chefs ou de patrons… « Dans toutes les grèves du second Empire — surtout quand elles concernent les grandes entreprises modernes (mines, textile) — les jeunes ouvriers sont au premier rang ». L’historienne Michelle Perrot l’a elle aussi montré pour les grèves de la période 1871-1890 : parmi les meneurs des grèves, la catégorie des 20-25 ans se détache nettement ; plus de 70 % des grévistes ont entre 15 et 34 ans ; plus précisément, 42 % ont entre 20 et 29 ans ; « 35 ans marque une chute sensible ». Au cours des grèves les plus puissantes — celles des mineurs et des métallos à Rives-de-Gier (1894), au Creusot (1899), à Longwy (1905), celles du Front populaire puis de Mai 68 —, ils se sont distingués par leur forte présence parmi les grévistes, l’absence de responsabilités familiales jouant en faveur d’un plein engagement dans la grève. Chaque fois, ces grèves furent caractérisées par leur spontanéité, leur caractère souvent violent, mais aussi leur ténacité.[10]

5.2 Étudiants

Au 19e siècle et durant une bonne partie du 20e siècle, jusqu’aux années 1960 environ, les étudiants n’étaient, quant à eux, pas socialement liés à la classe ouvrière. Ils étaient au contraire une très faible minorité des classes d’âge concernées, issus très généralement de la moyenne et de la grande bourgeoisie. Mais la prolongation même de leurs études contribuait à aiguiser leur esprit critique. Dès lors, ils se trouvèrent fréquemment à l’initiative de mouvements insurrectionnels, liés non à des revendications économiques, mais à des objectifs politiques et démocratiques, lorsqu’il s’agissait de lutter contre un régime autocratique, pour la conquête et la défense de certaines libertés. Les étudiants participèrent ainsi aux grandes révolutions européennes du 19e siècle. En France, lors des journées de juillet 1830 qui mirent à bas la monarchie restaurée, celle de Charles X, les étudiants participèrent au pillage d’armureries, donnèrent les premiers coups de feu contre l’armée du roi et aidèrent à dresser les premières barricades ; dans les quartiers populaires de l’Est parisien, étudiants républicains et ouvriers participèrent ensemble à la résistance armée, puis à l’offensive finalement victorieuse. En février 1848, ils furent aussi très présents parmi les insurgés qui renversèrent le régime de Louis-Philippe et proclamèrent la République, mais aussi parmi les révolutionnaires du « printemps des peuples » un peu partout en Europe. Dans chacun de ces moments révolutionnaires, le rôle de la classe ouvrière a été moteur et véritablement déterminant ; mais les étudiants ont souvent concouru à déclencher les mouvements.

Cette sensibilité particulière des étudiants à la défense des libertés démocratiques leur a souvent fait rejoindre les ouvriers en lutte. Le cas de la Russie au début du 20e siècle est à cet égard frappant. Subissant directement les contraintes d’un régime particulièrement oppressif, les étudiants se soulevèrent à maintes reprises contre le tsarisme. C’est pourquoi, dès 1901, Lénine en appelait à la jonction des travailleurs et des étudiants :

« Les meilleurs représentants de nos classes instruites ont prouvé et consacré, comme en fait foi le sang de milliers de révolutionnaires suppliciés par le gouvernement, leur capacité et leur volonté de secouer de leurs pieds la poussière de la société bourgeoise pour rejoindre les rangs des socialistes. Et il est indigne du titre de socialiste, l’ouvrier qui peut voir d’un œil indifférent le gouvernement envoyer la troupe contre la jeunesse universitaire. L’étudiant a aidé l’ouvrier ; l’ouvrier doit venir au secours de l’étudiant »[11]

L'année 1968 et plus généralement les années 1970 sont aussi un exemple majeur de radicalisation politique de la jeunesse.

Le système capitaliste a besoin après-guerre d’une massification de l’enseignement supérieur qui fait naître un groupe social de centaines de milliers voire de millions de lycéens et d’étudiants. En se massifiant, la couche des étudiants devient (en moyenne) moins bourgeoise et plus populaire. Par ailleurs, les grandes luttes à l'échelle internationale dans la décennie précédente (en Chine, à Cuba, en Algérie, au Vietnam..) stimulent une radicalisation, qui se fait largement en dehors des partis staliniens et social-démocrates, peu attractifs, et donc ces étudiants sont moins encadrés par les bureaucraties. De fait, les mouvements étudiants ont la particularité d'être généralement auto-organisés (coordinations étudiantes avec délégués des différentes universités mobilisées...).

En France ce qui était au départ une manif de 30 000 étudiants pour la libération de militants arrêtés par la police se transforme en affrontements avec la police qui débouchent sur une grève générale de 10 millions de travailleurs. Mais 68, c’est aussi le mouvement étudiant au Pakistan qui déclenche une crise sociale telle que le régime dictatorial chute, le mouvement massif qui déclenche également des crises sociales importantes en Egypte ou au Mexique, et c’est encore l’occupation de l’université de Belgrade en juin 68 qui déclenche le mouvement révolutionnaire contre la dictature bureaucratique.

5.3 Au sein des partis ouvriers

La Deuxième internationale était sous la surface marxiste gangrenée par l'opportunisme, surtout dans les sphères des dirigeants des syndicats et des partis (de fait dominés par des membres plus agés). La jeunesse était plus radicale, et elle était notamment influencée par les positions de Karl Liebknecht. Après l'éclatement de la guerre, dès avril 1915, de nombreux jeunes social-démocrates participent à une conférence internationale antimilitariste à Berne.

A propos de la révolution russe, voici ce que Trotsky explique du rôle essentiel des jeunes au sein du parti bolchevik :

« Tout parti révolutionnaire trouve de prime abord un appui dans la jeune génération de la classe montante. La sénilité politique s’exprime par la perte de la capacité d’entraîner la jeunesse. Les partis de la démocratie bourgeoise, éliminés de la scène, sont contraints d’abandonner la jeunesse à la révolution ou au fascisme. Le bolchevisme, dans l’illégalité, fut toujours le parti des jeunes ouvriers. Les mencheviks s’appuyaient sur des milieux supérieurs et plus âgés de la classe ouvrière, non sans en tirer une certaine fierté et considéraient de haut les bolcheviks. Les événements montrèrent impitoyablement leur erreur : au moment décisif, la jeunesse entraîna les hommes d’âge mûr et jusqu’aux vieillards »[12]

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En 1934, l'aile gauche de la social‑démocratie belge était représentée entre autre par les Jeunes Gardes socialistes, organisation de jeunesse du POB, en principe « autonome » depuis 1926. Elle avait triplé ses effectifs en deux ans, atteignant 25 000 membres en 1933, sous la direction d'un militant de la « gauche », son secrétaire général Fernand Godefroid.

Les Jeunes Gardes socialistes du Nord-Pas-de-Calais étaient influencés par leurs camarades belges. En témoigne par exemple cette affiche pour une fête à Phalempin, municipalité socialiste du Nord. Un an après la victoire du Front populaire, la gauche de la SFIO et en particulier la jeunesse veut réaffirmer qu'elle a une visée révolutionnaire. Cette affiche et, plus généralement, le port de l’uniforme et les défilés à dimension paramilitaire des JGS suscitent une vive opposition dans la majorité du parti.

A la même époque, la jeunesse dans la SFIO connaissait aussi une dynamique de radicalisation vers la gauche. En particulier au sein des Jeunesses socialistes de la Seine influencées par le groupe de Marceau Pivert et les trotskystes qui y pratiquaient l’entrisme dans les années 1930.

Au début des années 1960, une majorité de jeunes socialistes allèrent rejoindre des partis tout nouvellement fondés, qui se disaient anticapitalistes et revendiquaient l’indépendance de l’Algérie : le Parti socialiste autonome (PSA) puis le Parti socialiste unifié (PSU).

C’est bien souvent des jeunes qu’est venue la contestation contre les bureaucraties dans le mouvement ouvrier. Ce fut le cas par exemple au sein du PCF lors de la crise de 1931, dite du groupe « Barbé-Célor », dirigeants des Jeunesses communistes accusés par l’appareil stalinien de tenir des réunions fractionnelles clandestines au sein du parti et taxés de « gauchisme » ; ce fut encore le cas pendant la guerre d’Algérie lors de la crise dite « Servin-Canova », et ses rebondissements en 1965 quand, à l’issue d’un travail d’opposition puis de fraction à l’intérieur de l’Union des étudiants communistes (UEC), une centaine de jeunes militants (parmi lesquels Alain Krivine) furent exclus et fondèrent la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR).

5.4 Plus récemment

La jeunesse a joué un rôle majeur dans les révolutions arabes de 2011 qui ont renversé les dictateurs Moubarak (Egypte) et Ben Ali (Tunisie). Les jeunes en armes étaient en première ligne pour défendre les bastions révolutionnaires (place Tahrir, quartiers insurgés de Tunis...). Les martyrs morts avant (comme Mohamed Bouazizi) ou pendant le soulèvement sont en grande majorité des jeunes. Des lycéens et collégiens ont obtenu que les programmes scolaires soient purgés de toutes références aux soi-disant réalisations positives de Moubarak et ont aboli les châtiments corporels. Les clubs de supporters ultra, très jeunes, ont été à l'avant garde des affrontements avec la police. Les mobilisations ont eu lieu dans une grande solidarité avec les grèves ouvrières (souvent elles-mêmes menées par des jeunes travailleurs), et par ailleurs la conscience de l'importance de la classe ouvrière était présente, comme le montre ce texte du bloggeur et militant révolutionnaire Hossam El-Hamalawy :

« Tout le temps où nous étions place Tahrir, nous pouvions contrôler la place Tahrir, mais nous ne contrôlions pas le reste du pays. Hosni Mubarak et son entourage étaient toujours en place et tenaient le bâton du pouvoir entre les mains. (…) Mais les grèves généralisées de mercredi et jeudi ont changé la situation. Les étudiants pouvaient manifester et occuper leurs universités pendant toute une année. Le gouvernement peut les fermer. Les juges pouvaient organiser des manifs héroïques. Le gouvernement peut fermer les tribunaux-il a des cours militaires. Si les journalistes manifestent, le gouvernement peut fermer les journaux. Mais les travailleurs, s’ils font grève, c’est « game over ». La partie est terminée parce que la machine ne marchera pas. Il n’y a pas d’argent qui circule, il n’y a plus de trains plus de bus, les usines ne tournent plus. C’est « game over ». [13]

6 Notes et sources

  1. Lénine, « La crise du menchevisme », Proletari, 7 déc. 1906, ibidem, p. 183.
  2. Léon Trotsky, Programme de transition, chapitre XX.
  3. 3,0 et 3,1 Lénine, L’Internationale de la jeunesse, déc. 1916
  4. Archives départementales de Seine-Saint-Denis, Archives du parti communiste français, 3MI7/48, dossier 3310.
  5. Jeunesse ouvrière, deuxième quinzaine d’avril 1935.
  6. Archives départementales de Seine-Maritime, 1M 315, Papillon de la Jeunesse communiste.
  7. Archives départementales de Seine-Saint-Denis, Archives du parti communiste français, 283 J69, Fonds Raymond Guyot, Internationale communiste des jeunes, le 9 août 1935
  8. Lénine, Textes sur la jeunesse, Moscou, Éditions du Progrès, 1970.
  9. Léon Trotsky, Cours Nouveau, 1923
  10. Tendance Claire du NPA, Les jeunes : victimes particulières du système capitaliste... et particulièrement enclins à la révolte, 2007
  11. Lénine, « Enrôlement forcé de 183 étudiants », Iskra, février 1901, republié in Lénine, Textes sur la jeunesse, Moscou, Editions du progrès, 1970, p. 81.
  12. Trotsky, La Révolution trahie, VII, 1936
  13. http://www.jadaliyya.com/pages/index/1387/english-translation-of-interview-with-hossam-el-ha