Vers le schisme de la fraction parlementaire social-démocrate

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Le schisme de la fraction parlementaire social-démocrate ouvre un nouveau chapitre du mouvement socialiste international « du temps de guerre ».

Pendant les dix-douze dernières années, approximativement entre la guerre des Boers et le conflit actuel, le développement des forces de production et l’expansion capitaliste prirent un tour gigantesque. Parallèlement se manifestaient l’accroissement du mouvement ouvrier et l’égalisation de ses méthodes et de ses formes. Dans le domaine politique, la tactique formellement indépendante du parlementarisme s’orientait suivant la ligne du « moindre mal ». Le prolétariat anglais, par la création du Parti travailliste, s’alignait sur tout le front politique. Dans les sphères professionnelles, les différences de type anglais, français et allemand, disparurent : les comités de l’industrie dominèrent dans l’organisation; l’accord douanier devint la suprême constitution des rapports industriels.

L’uniformité des conditions et des méthodes de la lutte de classe engendra une psychologie uniforme. Dans les pays les plus anciens du capitalisme et du mouvement ouvrier, la guerre provoqua une réaction uniforme : l’affaiblissement des Partis prolétariens. En faut-il de l’aveuglement pour ne pas le voir et chercher les causes de la faillite de l’Internationale dans les livres jaunes, oranges et autres des diplomates ou dans les dispositions stratégiques des armées belligérantes ! Quel degré d’aveuglement idéologique ne faut-il pas pour voir une opposition de principe dans les tendances que défend ici Renaudel et là-bas Scheidemann ! Admettons que les coupables soient les diplomates des monarchies centrales : cela change-t-il la valeur de Plékhanov, Potriessov, Guesde, Sembat, Renaudel, Longuet, telle qu’elle s’est dévoilée dans l’épreuve des événements ? N’est-il pas clair que si demain, par la volonté du destin, se trouvaient à la tête de l’Allemagne des parangons de morale internationale tels que les Romanov et sa bureaucratie, ou même les personnalités des gouvernements français successifs, si, à la tête des Alliés se trouvaient les « pirates et les bandits » de l’école Hohenzollern, – nous demandons respectueusement à la censure de nous accorder cette hypothèse purement logique – , ces changements, mesurés à l’aide d’un étalon micrométrique, n’apporteraient rien de nouveau à la conscience politiquement nationale avec laquelle Scheidemann, Ebert, Plékhanov et Renaudel sont entrés en guerre. Mais c’est le nœud de l’affaire : le social-patriotisme paralyse la volonté et la pensée.

Qu’ont-ils à se déchaîner comme des salauds – il n’y a pas d’autre expression – contre la Social-démocratie allemande, ces chauvinistes franco-russes, sous la direction de Laskine, ce sycophante de bas étage et de Hervé, l’oracle des concierges ? Que signifie pour eux la vie intérieure de la Social-démocratie ? Cette lutte interne, que signifie-t-elle pour eux si elle ne soulage pas les armées de Nicolas, « la victoire la plus complète possible » sur l’Allemagne ?

C’est dans la Social-démocratie, le parti classique de la II' Internationale que se rencontre l’expression la plus parfaite du processus de la crise et de la renaissance socialistes.

Les autres Partis : russe, italien, serbe, roumain et bulgare, se sont montrés – subitement, à première vue – , plus stoïques que l’allemand, dans l’épreuve de fer et de feu de la guerre. Notre Social-démocratie russe, sous la forme de sa maudite émigration, joue, dans une large mesure, un rôle initiateur dans la formation de la nouvelle Internationale. Mais il serait impardonnable de se tromper soi-même quant aux prémisses historiques de ce rôle. Seul un revirement total de la Social-démocratie allemande peut assurer la création d’une Internationale révolutionnaire centralisée, tout comme, seule, la prise du pouvoir en Allemagne par le prolétariat peut assurer la victoire de la révolution sociale en Europe.

Voici pourquoi l’on peut affirmer que le schisme de la fraction parlementaire social-démocrate ouvre un nouveau chapitre du mouvement ouvrier européen.

Personne ne dira que le groupe oppositionnel de Haase et Ledebour a péché par manque de patience ou par un excès d’initiative révolutionnaire. Au contraire, il a fait tout son possible , – tant qu’il en avait la possibilité physique – , pour réduire son opposition au minimum et sauver l’unité de son organisation. Personne ne dira – en tout cas, nous ne le dirons pas – que les conceptions du groupe Haase-Ledebour se distinguent par la netteté politique et, raison de plus, par la fermeté social-révolutionnaire. En dépit de fortes divergences individuelles dans le groupe, ses opinions aboutissent au pacifisme socialiste : pour lui, la guerre se présente, non comme une étape vers le développement des contradictions mondiales et la locomotive de l’Histoire, mais comme un « malheur colossal » qui a arrêté le développement de la culture, en particulier celle qui s’exprimait par la lutte du prolétariat. Ces pacifistes ne voient qu’une fin rapide, si possible « inoffensive » de la guerre, qui assurerait le rétablissement de « l’ancienne » organisation et de ses méthodes «  éprouvées ». C’est ignorer totalement que l’Impérialisme, tendant à la domination mondiale (une pensée de fous et d’idiots, selon Haase) ne rendra pas possible le retour sur les anciennes routes. Le prolétariat, devant la crainte de la dissolution politique, devra accomplir un saut historique sur une marche plus haute de la lutte révolutionnaire.

Donc, le schisme de la fraction social-démocrate est un événement de grande importance.

Le prolétariat allemand, comme l’industrie allemande, est né avec une rapidité fiévreuse. Le développement industriel engendrait sans cesse des contradictions, mais il les résolvait par son expansion même. L’absence de démocratie bourgeoise entraîna la lutte du prolétariat pour la prise du pouvoir. La tactique de la Social-démocratie consistait à éviter des heurts trop violents avec un Pouvoir fortement concentré, à accumuler les problèmes non résolus et, en vue de leurs futures solutions, de rassembler les forces organisatrices. Toute l’énergie de classe du prolétariat, tout son idéalisme créateur ne trouvèrent pas d’exutoire dans une lutte ouverte, pleine d’abnégation pour son idéal et se dispersèrent dans l’établissement de l’organisation du Parti, dans l’agrandissement, l’enrichissement de cette dernière. Dans son propre Parti, dans ses comités, ses coopératives, le prolétariat ne trouva pas d’arme pour une lutte directe, mais le succédané de ce qu’il ne trouvait pas dans le gouvernement : sa propre « démocratie ouvrière » où il se sentait patron. « Le fétichisme organisationnel » de la Social-démocratie allemande – quel moujik ne se moquerait pas du « Fritz » à cette occasion ? – s’est révélé comme un affaiblissement du développement prolétarien.

Hilferding a répété, il n’y a pas longtemps, une pensée, paradoxale par la forme, qu’il exprimait souvent autrefois : la Social-démocratie allemande est devenue, par la force de la dialectique historique, un facteur anti-révolutionnaire freinant l’énergie révolutionnaire du prolétariat. Tout mécanisme possède sa force d’inertie qui ne peut être vaincue que par la force vive de la vapeur, de l’électricité, etc. L’organisation ouvrière a, elle aussi, son inertie qui n’est combattue que par la force vive de l’énergie prolétarienne. Mais dans cette organisation qui remettait toujours à plus tard les solutions énergiques, l’inertie finit par atteindre des dimensions colossales. Quand la guerre impérialiste secoua les fondements capitalistes des sociétés et mit en question le développement de l’Europe, quand sonna l’heure de « l’action décisive », l’appareil du Parti, se refusant à une refonte interne profonde, se trouva en contradiction avec son propre but. Le personnel dirigeant se montra incomparablement plus lié avec les besoins du Capitalisme qu’avec les problèmes du Socialisme et, suivant le courant social-patriotique, entraîna les masses avec lui. L’idée de la discipline et de l’unité organiques devint une arme réactionnaire directe dans les mains du personnel dirigeant qui se transforma en une oligarchie. De même qu’en France l’idée de la République, héritière de la Révolution, etc…, fut un moyen idéologique pour hypnotiser les masses, de même en Allemagne, l’idée de la démocratie ouvrière. L’exploitation du fétichisme organisationnel fut accomplie par les sociaux-patriotes, avec l’appui actif du centre oppositionnel, qui plaçait l’unité au-dessus du but grâce auquel l’organisation avait été créée. Il fallut vingt mois de guerre et d’hostilité entre les sociaux-patriotes et les intérêts élémentaires des classes laborieuses, pour amener au schisme. Ce dernier porte un coup mortel au fétichisme organisationnel. Il y a maintenant deux fractions devant le prolétariat allemand l’obligeant à faire son choix dans le feu de l’action, le délivrant de l’automatisme de la discipline devenu l’arme de la réaction impérialiste. C’est seulement par la faillite de la routine que le prolétariat allemand arrivera à l’unité et à la discipline de l’action révolutionnaire.

Le schisme – l’étape la plus importante sur cette voie !