Lettre du CE de l’Internationale Communiste à la fédération de la Seine du PCF

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Le comité exécutif de l'Internationale Communiste à la fédération de la Seine du Parti Communiste Français.

Chers Camarades,

L'Internationale a consacré une part importante de ses travaux, pendant la dernière session de son comité exécutif élargi, à l'étude de la situation du parti français et notamment de sa plus importante organisation, la fédération de la Seine.

Plusieurs mois auparavant, en février, l'Exécutif élargi avait déjà traité cette question, en collaboration avec une forte délégation du parti français, et avait signalé à celle-ci les dangers que faisait courir à cette fédération et au parti l'adoption d'un principe fédéraliste à la base de l'organisation communiste.

La persistance évidente des préjugés fédéralistes et l'absence de tout redressement qui aurait conformé l'organisation communiste parisienne à la structure générale de l'Internationale et de tous les partis communistes affiliés ont obligé l'Exécutif à organiser une délibération spéciale ayant trait à la fédération de la Seine. En plein accord avec le secrétaire général du parti français et tous les délégués français présents, et après d'amples discussions, tant en commission qu'en séance plénière, l'Exécutif a adopté à l'unanimité une résolution invitant la fédération de la Seine à se constituer selon les règles contenues dans les thèses de l'Internationale sur la structure et l'organisation des partis communistes.

L'Internationale est convaincue de voir cette résolution bien accueillie par l'écrasante majorité des camarades français, éclairés tant par les démonstrations théoriques des communistes clairvoyants que par l'expérience pratique dont l'état présent de la fédération de la Seine confirme la signification. Elle tient à faire de cette résolution un commentaire public, dans l'esprit d'amicale franchise révolutionnaire qui est de règle entre communistes internationaux, pour soumettre sa conception à l'appréciation et à la discussion de tous les militants.

Les principes et les règles d'organisation établis par l'Internationale ne sont pas le fruit d'une spéculation intellectuelle, mais les conclusions d'une expérience de trois quarts de siècle de lutte émancipatrice du prolétariat des deux mondes. La classe ouvrière n'a pas en vain combattu et souffert en franchissant les premières étapes de la route révolutionnaire. Ses défaites comme ses victoires lui ont enseigné la nécessité de la cohésion dans les rangs des prolétaires combattants, de la discipline dans l'organisation de classe, de la direction unique.

C’est pourquoi les congrès communistes internationaux, condensant dans des thèses et résolutions spéciales la somme de connaissances et d'expériences acquises par les partis ouvriers de tous les pays, ont formulé le principe du centralisme démocratique comme base fondamentale de l'organisation politique du prolétariat. Centralisme parce qu'il est nécessaire d'assurer l'unité d'action de toutes les parties du prolétariat, la simultanéité des actions entreprises sous un mot d'ordre commun, ce qui n'est possible qu'avec une concentration réelle de la direction entre les mains d'organes centraux et locaux, ayant un effectif stable et ferme dans leur ligne politique. Démocratique , parce que ces organes centraux et locaux dirigeants, qui, dans certaines conditions, peuvent être très restreints, sont élus et contrôlés par tous les membres du parti et responsables devant eux.

On reproche parfois à la concentration de la direction de mener au despotisme des chefs, à l'inactivité relative de la masse et à la création d'un régime oligarchique. Il va de soi que, mal appliqué, le centralisme peut dégénérer en oligarchisme. La faute n'en est pas au centralisme, mais à l'application erronée de ses méthodes et de ses prérogatives. En réalité, le centralisme rigoureux de l'organisation contribue au plus haut point à l'activité de la masse en assurant la continuité d'une direction politique régulière et stable. Dire que la classe ouvrière n'a pas besoin de chefs, c'est induite les ouvriers en erreur. Sans une rigoureuse sélection des dirigeants sur l'échelle locale et nationale, sans un contrôle permanent de l'action des chefs, la classe ouvrière n'obtiendra jamais la victoire. La structure soviétiste d'une organisation de parti mène au système de roulement dans la direction, à l'amorphisme de la direction et à l'absence de responsabilité personnelle. C'est précisément dans un tel système qu'il se forme fréquemment, à l'intérieur du cadre de l'organisation, des groupes qui ne sont contrôlés par personne, mais qui s'emparent effectivement de la direction, à l'insu de la masse, laquelle se laisse bercer par les avantages trompeurs du fédéralisme.

C'est seulement en se fondant sur un malentendu que l'on fait état en l'occurrence du régime fédératif de la République soviétiste. La République soviétiste n'applique le fédéralisme dans son organisation étatique qu'autant qu'il lui faut établir l'union entre d'immenses territoires peuplés de races et de groupes nationaux différents (Blancs-Russiens, Ukrainiens, Géorgiens, Arméniens, etc.). Une telle forme d'organisation est nécessitée par des considérations nationales spéciales (langue officielle, école nationale, etc.). Mais les révolutionnaires russes n'ont jamais appliqué et n'appliqueront jamais le principe du fédéralisme dans la construction du parti du prolétariat. Les organisations communistes ukrainiennes, géorgiennes et autres, sont encastrées dans un parti unique, non sur des principes fédéralistes, mais sur des bases rigoureusement centralisées. Et sans ce centralisme dans le parti la classe ouvrière russe n'aurait jamais réussi à défendre la République des Soviets, ni même à la fonder par la conquête du pouvoir.

Tout ouvrier conscient comprend qu'en face de la puissance bourgeoise, fortement centralisée et disciplinée, il faut dresser une force prolétarienne non moins centralisée et disciplinée. C'est pourquoi ceux qui combattent l'idée du centralisme démocratique énoncée par l'Internationale se révèlent étrangers à l'esprit de la partie éclairée du prolétariat et desservent inconsciemment les intérêts de la Révolution.

Les partis communistes ne sont pas des clubs de discussions académiques ni de simples sociétés de propagande : ils sont des organisations de combat et doivent être formés comme tels. Les révolutions ouvrières modernes, les luttes tragiques des travailleurs contre l'oppression capitaliste, les sacrifices inappréciables de l'élite prolétarienne ont donné d'inoubliables leçons à l'avant-garde combative de la révolution sociale. Ce n'est pas la fédération communiste de la Seine, héritière spirituelle de la Commune de Paris, qui méconnaîtra les raisons essentielles de l'écrasement de la Commune : les préjugés démocratiques petits-bourgeois et fédéralistes, l'absence d'une force dirigeante de la Révolution, cohérente, disciplinée et centralisée.

Aussi l'Internationale est-elle convaincue d'avoir répondu aux préoccupations et aux intérêts révolutionnaires de la fédération de la Seine, recherchant la meilleure voie d'organisation. Elle est heureuse de constater, dans le parti français, un grand courant inspiré des idées de l'Internationale et capable d'englober, au prochain congrès fédéral, toutes les forces saines de la fédération.

L'Exécutif se félicite aussi de voir à l'ordre du jour du congrès la question de l'article 9 des statuts internationaux[1]. La discussion qui s'instituera sur ce point permettra de mettre en pleine lumière un des traits fondamentaux distinguant la III° Internationale de la II°, une des raisons essentielles qui ont valu à l'Internationale Communiste la confiance de masses ouvrières considérables.

Comme tous les partis communistes, l'Internationale est une organisation centralisée qui concentre les attributs de sa direction dans un comité exécutif, fort des pouvoirs que lui transmet le congrès mondial annuel. Ainsi, l'Internationale Communiste, contrairement aux autres organisations internationales imbues de préjugés nationaux, n'est pas une fédération de partis nationaux indépendants, mais un seul et grand Parti Communiste international. Le droit incontestable de l'Internationale à refuser des adhésions et à exclure des adhérents est exercé, dans l'intervalle des congrès mondiaux, par le comité exécutif : telle est la signification de l'article 9 des statuts.

C'est dire que cet article n'a pas été improvisé dans une fièvre de combat, sous l'empire de préoccupations circonstancielles et momentanées. Il découle logiquement du principe organique de centralisation démocratique et ne pourrait disparaître qu'avec la notion même d'une organisation de combat, qu'avec le renoncement du prolétariat à conquérir de haute lutte sa libération.

Mettre en question l'article 9 ou l'interpréter en le vidant de son contenu révolutionnaire, c'est mettre en cause le principe organique de l'Internationale Communiste. C'est le droit et le devoir d'une section nationale de demander la révision d'un principe que l'expérience révélerait mal fondé ou malheureux dans son application, et la section française a toute latitude pour user de ce droit au 4° congrès mondial. Mais la fédération de la Seine comprendra qu'une question d'une telle envergure doit être posée dans toute son ampleur et sur son véritable terrain; si elle trouvait nécessaire de réviser la base même de l'organisation internationale, ce n'est pas à l'occasion et en prenant prétexte d'un incident de discipline qu'elle poserait utilement la question.

L'Internationale a trouvé nécessaire d'user de l'article 9 pour exclure de ses rangs le citoyen Fabre et tous ceux qui se solidariseraient avec lui. Dans cette décision, l'Exécutif a été guidé par des considérations d'utilité révolutionnaire. Dans un vieux pays bourgeois et parlementaire comme la France, la pression de l'opinion publique bourgeoise est particulièrement puissante. Cette opinion publique se cherche des leviers pour pénétrer dans les flancs du parti révolutionnaire, le scinder, l'affaiblir et l'empoisonner. L'organe de Fabre est un de ces leviers de l'opinion publique bourgeoise. Négliger un tel fait serait, pour n'importe quel parti révolutionnaire, s'exposer au plus grand danger. C'est pourquoi le comité exécutif a jugé de son devoir d'attirer l'attention de tout le parti sur le groupe de Fabre. Immédiatement, les dissidents et la bourgeoisie ont fait leur la cause de Fabre, et cela parce que c'était la cause de la bourgeoisie que Fabre défendait auparavant au sein du parti. Le tapage fait autour de Fabre confère à ce dernier un semblant d'importance. Mais du moment où la bourgeoisie verra que le Parti Communiste s'est radicalement débarrassé de Fabre, celui-ci et son organe n'auront plus pour elle aucune importance, et ce groupe parasite, sans principes, crèvera comme une bulle de savon.

Ainsi donc, l'intérêt de la révolution exigeait que Fabre et ses partisans fussent expulsés du parti. L'intérêt politique domine toutes les considérations de forme, toutes les considérations juridiques. Il va de soi qu'il faut tenir compte également - en second lieu - des considérations d'ordre formel. Mais, précisément, le fait pour l'Internationale Communiste d'avoir à sa disposition l'article 9 a montré, dans le cas présent, toute son utilité au point de vue purement formel. Le comité directeur du Parti Communiste Français, dont la grande majorité reconnaissait la nécessité de l'exclusion de Fabre, n'avait pourtant pas, par suite des particularités des statuts du parti français, la possibilité de procéder à cette exclusion. La commission des conflits, dont l'importance dans l'organisation du parti est très grande, a essentiellement pour tâche l'examen précis, attentif et impartial, des cas individuels concernant la morale et l'honneur de membres isolés du parti, la violation par ces derniers, dans certains cas, de la discipline du parti, des règles de camaraderie communiste, etc. Dans l'affaire de Fabre, il ne s'agissait pas d'une enquête procédurière et compliquée mais de l'appréciation politique d'un groupe hostile au communisme par son esprit tout entier. Ce n'est pas évidemment à une commission de contrôle qu'il appartenait de décider d'une telle question, mais au comité directeur, organe et instance suprême du parti entre deux congrès. Mais, du moment que le comité directeur ne considérait pas que ses statuts actuels lui donnaient le droit d'exclure la clique de Fabre, le devoir du comité exécutif était d'appliquer l'article 9 des statuts de l'Internationale. La leçon qui découle de cette expérience, au plus haut point instructive, exige non pas la suppression ou l'adoucissement de l'article 9 des statuts de l'Internationale, mais la modification des statuts du Parti Communiste Français, au comité directeur duquel il faut accorder le droit intégral de maintenir la pureté idéologique et la discipline du parti du prolétariat.

L'expérience de tous les partis atteste que les éléments instables, chancelants, mi-opportunistes, manifestent ordinairement leur tendance non pas en entreprenant une lutte ouverte contre le courant révolutionnaire, mais en lui faisant obstacle sur des questions secondaires de forme, sur des questions juridiques et autres. La fédération de la Seine donnera à ces éléments chancelants et instables la leçon qu'ils méritent en leur ordonnant de se soumettre à la discipline communiste et de participer à la lutte politique implacable contre les débris du fabrisme dans le parti, au lieu de soutenir indirectement Fabre pour de fallacieuses raisons de forme.

La concentration de tous les éléments véritablement révolutionnaires, concentration qui sera soutenue sans réserve par les masses ouvrières du parti, doit être le programme du prochain congrès de la Seine. Il faut assurer à l'organisation la plus importante du prolétariat français une direction révolutionnaire ferme. Le congrès de la Seine doit être le digne prologue du congrès que le parti va tenir en octobre et dont la tâche sera également de concentrer les éléments révolutionnaires communistes, en éliminant les tendances centristes, pacifistes, en instaurant dans le parti un régime de discipline révolutionnaire, en mettant fin à la lutte de fractions au sein du parti et en assurant une direction politique véritable par un comité directeur homogène.

La formation d'un Parti Communiste est un processus long et compliqué, qui ne va pas sans une auto-critique sérieuse et une épuration intérieure. Le comité exécutif ne doute pas que l'avant-garde du prolétariat français saura s'acquitter avec succès de cette tâche dans l'accomplissement de laquelle la fédération de la Seine occupera la place qui lui revient, c'est-à-dire la première.

Le comité exécutif de l'Internationale Communiste.

  1. Article 9 des statuts de l'Internationale : « Le comité exécutif de l'Internationale Communiste dirige, dans l'intervalle qui sépare les sessions des congrès, tous les travaux de l'Internationale Communiste, publie en quatre langues au moins un organe central (la revue l'Internationale Communiste), publie les manifestes qu'il juge indispensables au nom de l'Internationale Communiste et donne à tous les partis et organisations affiliées des instructions qui ont force de loi. Le comité exécutif de l'Internationale Communiste a le droit d'exiger des partis affiliés que soient exclus tels groupes et tels individus qui auraient enfreint la discipline prolétarienne; il peut exiger l'exclusion des partis qui auraient violé les décisions du congrès mondial. Ces partis ont le droit d'en appeler au congrès mondial. En cas de nécessité, le comité exécutif met sur pied, dans différents pays, des bureaux auxiliaires, techniques et autres, qui lui sont entièrement subordonnés. »