Lassalle (Février 1849)

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Note de l'éditeur : Lassalle fut arrêté le 22 novembre 1848 à Dusseldorf. On lui reprochait d'avoir appelé à la résistance armée contre le pouvoir de l'État. Le procès fut traîné en longueur par les autorités judiciaires de la Province rhénane qui employèrent toutes sortes de moyens dilatoires. Lassalle avait écrit à Marx et Engels pour les prier de dénoncer ces agissements. Marx et Engels publièrent dans la Nouvelle Gazette rhénane une série d'articles dénonçant les illégalités commises à l'égard de Lassalle. Ils firent également partie de la délégation qui se rendit le 3 mars 1849 chez le procureur général Nicolovius pour protester contre la remise du procès à une date ultérieure. Un compte rendu de cette délégation parut dans le n° 238 du 6 mars 1849 de la Nouvelle Gazette rhénane. Le procès se déroula les 3 et 4 mai; les jurés acquittèrent Lassalle. Le compte rendu du procès parut dans la seconde édition du n° 291 du 6 mai 1849 de la Nouvelle Gazette rhénane.

Cologne, le 10 février.

Nous avons promis hier de revenir à Lassalle. Voilà maintenant onze semaines que Lassalle est à la prison de Dusseldorf, et c'est maintenant seulement que se termine l'enquête sur des faits simples qui n'ont jamais été niés; c'est maintenant seulement que la Chambre du Conseil va prendre une décision. On a réussi à ce que la Chambre du Conseil et celle des Mises en accusation, observant simplement le délai légal maximum, puissent repousser l'affaire à une autre session des Assises de Dusseldorf et gratifier ainsi le prisonnier de trois nouveaux mois de détention préventive.

Et quelle détention préventive !

On sait qu'une délégation des différentes associations démocratiques de Cologne a récemment remis au procureur général Nicolovius une adresse signée de quelque mille citoyens; on y demandait : 1) que soit accélérée l'enquête concernant les prisonniers politiques de Dusseldorf; 2) que ceux-ci soient traités convenablement pendant leur détention préventive. M. Nicolovius promit de prendre en considération, dans toute la mesure du possible, ces justes exigences.

Mais l'exemple suivant montre combien, à la prison de Dusseldorf, on se préoccupe peu de M. le Procureur général, des lois et des ménagements les plus usuels imposés par la décence.

Le 5 janvier, un gardien de la prison se permit quelques brutalités envers Lassalle, et le comble, c'est qu'il alla trouver le directeur et accusa Lassalle de l'avoir brutalisé.

Une heure plus tard, le directeur, accompagné du juge d'instruction, entre dans la chambre de Lassalle sans le saluer, et lui demande des explications à ce sujet. Lassalle l'interrompt en lui faisant remarquer qu'entre gens cultivés il est d'usage de se saluer, que l'on se saluait quand on entrait dans la chambre de quelqu'un et qu'il était en droit d'exiger cette politesse du directeur.

C'en était trop pour M. le Directeur. Furieux, il marche sur Lassalle, l'accule à une fenêtre et, en gesticulant de tous ses membres, il crie aussi fort que possible :

« Vous entendez, ici, vous êtes mon prisonnier et rien de plus. Vous devez vous plier au règlement de la maison et si cela ne vous plaît pas, je vous ferai jeter au cachot et il pourra vous arriver des choses encore plus fâcheuses !»

Là-dessus, Lassalle, lui aussi, se fâcha et déclara au directeur qu'il n'avait pas le droit de le punir suivant le règlement de la maison, puisqu'il était en détention préventive; que crier fort ne servait à rien, et ne prouvait rien; que cette maison avait beau être une prison, qu'il était ici dans sa chambre, et que si - le montrant du doigt - le directeur entrait ici, chez lui , il devait le saluer.

Alors le directeur perdit tout sang-froid. Il se précipita sur Lassalle, tendit le bras pour le frapper et cria :

« Restez tranquille avec votre doigt ou je vous envoie aussitôt une gifle en pleine figure pour que ... »

Lassalle prit aussitôt le juge d'instruction à témoin de cette brutalité inouïe, et se plaça sous sa protection. Le juge d'instruction chercha alors à calmer le directeur, et n'y réussit qu'après que celui-ci eut répété plusieurs fois sa menace.

Après cette scène édifiante, Lassalle s'adressa au procureur général von Ammon, le priant d'engager une information contre le directeur M. Morret. En effet, les violences du directeur ne constituent pas seulement un mauvais traitement et une offense grave, mais un abus des pouvoirs de sa charge.

M. von Ammon répondit qu'il était impossible d'engager une information pour abus de pouvoir contre des fonctionnaires de l'administration pénitentiaire sans l'autorisation préalable des autorités compétentes, et il renvoya Lassalle au gouvernement. Ce faisant, il s'appuyait sur quelque vieille ordonnance ministérielle de 1844.

L'article 95 de ce qu'on appelle la Constitution octroyée déclare :

« Une autorisation préalable des autorités n'est pas nécessaire pour traduire en justice des fonctionnaires civils ou militaires ayant commis des illégalités en outrepassant les pouvoirs de leur charge. »

L'article 108 de la même charte abolit expressément toutes les lois en contradiction avec elle. Mais c'est en vain que Lassalle en appela à l'article 95 devant le procureur général. M. von Ammon s'en tint à son conflit de compétences, et le congédia sur l'aimable remarque suivante : « Vous semblez oublier que vous êtes en détention préventive. »

N'avions-nous pas raison de dire que la prétendue Constitution avait été octroyée contre nous seulement, et non contre Messieurs les fonctionnaires ?

Donc menace de gifles, de cachot, de châtiment corporel - car voilà les choses « plus fâcheuses » que M. Morret tenait en réserve, voilà le « traitement convenable » des prisonniers, promis à la délégation.

Remarquons en passant que suivant la loi, la détention préventive est complètement distincte de la réclusion, et que, dans le premier cas, les détenus doivent être soumis à un régime tout à fait différent de celui des condamnés à la réclusion. Mais à Dusseldorf, il n'existe pas de prison spéciale pour la détention préventive, et les prisonniers en détention préventive, après qu'on les ait illégalement enfermés dans une maison d'arrêt doivent, par-dessus le marché, être soumis au réglement de la maison d'arrêt, jetés au cachot et peuvent être traités à coups de matraque. Pour que ce but louable soit atteint avec Lassalle, le fonctionnaire de la police prussienne, Morret, a convoqué une commission disciplinaire qui doit faire profiter M. Lassalle des agréments cités ci-dessus. Et Messieurs les juges d'instruction et procureurs semblent laisser les choses aller leur cours ou se retrancher derrière un conflit de compétences.

Lassalle s'est adressé au procureur général. Nous donnons pour notre part de la publicité à l'affaire pour que la voix du public soutienne la réclamation du prisonnier.

D'ailleurs il nous est parvenu aux oreilles que finalement Lassalle n'est plus mis au secret et qu'il est au moins enfermé dans la même prison que Cantador.