Lassalle (Avril 1849)

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Cologne, le 26 avril.

Nous avons à donner connaissance d'un fait montrant qu'en fait de justice rien n'est plus impossible. On dirait que M. le procureur général Nicolovius est en train de conquérir encore plus de lauriers que M. Hecker n'en avait mérité en son temps.

On se souvient par nos articles précédents qu'au cours du procès criminel contre Lassalle, le procureur général suppléant von Ammon I de Dusseldorf avait dissimulé au juge d'instruction pendant trois semaines dans son pupitre une lettre du même Lassalle, où celui-ci engageait un compatriote de Schönstein[1] à faire venir quelques centaines d'hommes en renfort à Dusseldorf pour le cas où un combat aurait lieu. On se souvient également qu'il n'a communiqué cette lettre à M. le juge d'instruction que lorsque celui-ci lui fit savoir que l'instruction était close. On se souvient qu'alors l'instruction dut être reprise, à cause de cette lettre - qui d'ailleurs renfermait si peu une incitation directe à la révolte que ni la Chambre du conseil ni la Chambre des mises en accusation ne l'avait retenue comme charge - et ce fut la raison pour laquelle le procès de Lassalle ne fut pas liquidé à la dernière session des Assises.

Lassalle dénonça en son temps au procureur général les atermoiements intentionnels dont M. von Ammon I s'était rendu responsable.

Au lieu de fournir à Lassalle quelque réponse que ce soit, le procureur général envoie au Parquet de Dusseldorf la dénonciation de Lassalle, avec l'ordre de mener contre ce dernier une enquête se fondant sur l'article 222[2] et basée sur cette dénonciation parce que ce M. von Ammon s'y trouvait offensé !

Pends-toi Figaro, tu n'aurais pas inventé cela ![3]

Une lettre adressée à M. Nicolovius constituerait donc une offense à M. von Ammon au sens de l'article 222 ! À l'occasion d'un procès de presse que nous avons eu le plaisir de mener contre MM. Zweiffel et Hecker, nous avons exposé autrefois que l'article 222 n'est pas applicable à des offenses publiques par la presse, mais seulement à des offenses lancées à la tête de MM. les fonctionnaires en leur présence[4] .

Mais si l'article 222 était également applicable à des écrits publics - il n'est sûrement encore venu à l'esprit de personne de prétendre qu'une lettre à une tierce personne puisse constituer une offense à un magistrat. Jusqu'à présent suivant la jurisprudence correctionnelle, il a toujours été nécessaire que le texte offensant soit adressé à l'offensé lui-même ou qu'il soit répandu publiquement. M. Nicolovius découvre maintenant que c'était une offense à magistrat que d'adresser à un tiers une lettre parlant en termes offensants d'un magistrat ! Que l'on se garde donc, dans sa correspondance privée, de parler des magistrats sur un ton irrespectueux !

Que la lettre de Lassalle ait été adressée à une autorité hiérarchiquement supérieure à M. von Ammon et qu'elle ait constitué une plainte, une dénonciation ne fait que rendre la chose plus impossible encore.

Car la loi fait même un devoir de dénoncer auprès des autorités hiérarchiquement supérieures tout acte de déloyauté. Si la dénonciation était fondée, elle était parfaitement dans l'ordre des choses, si elle n'était pas fondée, le procureur général aurait dû engager des poursuites selon l'article 373 « sur la base d'une dénonciation mensongère ». Mais alors Lassalle aurait démontré le plus facilement du monde, à l'aide de documents, la véracité de la dénonciation, tandis que, accusé d'offense à magistrat, il ne lui appartient pas de fournir cette preuve devant le tribunal correctionnel.

L'affaire vint devant la Chambre du conseil de Dusseldorf. Mais celle-ci aussi trouva qu'une offense doit avoir lieu ou bien publiquement ou bien en présence de l'offensé, et mit un terme à l'affaire. Le ministère publie fit opposition et notre Chambre des mises en accusation de Cologne, déjà souvent mise à l'épreuve et toujours à la hauteur de la situation décida effectivement, sur la base de l'article 222, de poursuivre Lassalle que voilà, par bonheur, gratifié d'une procédure correctionnelle.

Si cela continue encore quelque temps, que ne fera-t-on pas sortir de l'article 222.

D'ailleurs le procès de Lassalle vient le 3 mai devant les Assises.

  1. Stangier.
  2. Du Code pénal.
  3. Citation légèrement modifiée du Mariage de Figaro de BEAUMARCHAIS.
  4. Cf. « Le premier procès de presse de la Nouvelle Gazette rhénane », Nouvelle Gazette rhénane, n° 221 du 14 février 1849.