Elections au Tribunal Fédéral (1848)

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Berne, 18 novembre.

Je vous ai donné hier les noms des huit juges fédéraux élus en premier[1]. Au cours de la séance commune d'hier ont encore été nommés : Folly de Fribourg (un des Conseillers nationaux de là-bas dont l'élection a été invalidée), le docteur Karl Brenner, rédacteur à la Schweizerische National Zeitung[2] de Bâle, et l'avocat Jauch d'Uri, ce qui porte à onze le nombre complet des juges au tribunal fédéral. Kern fut nommé président et le docteur K. Pfyffer vice-président.

Comme vous le savez, le Conseil national a invalidé les élections du canton de Fribourg parce que seuls avaient le droit d'y participer les électeurs disposés à prêter serment à la nouvelle Constitution fédérale. Il a confirmé son vote le lendemain en rejetant presqu'à l'unanimité (73 contre 13) la proposition de Funk de laisser les deux Conseils trancher la question. En dehors des racontars locaux qu'elle a provoqués à Berne, cette décision a également donné aux radicaux de la Suisse allemande et française l'occasion de s'expliquer avec amertume. Voici l'affaire : la Constitution fédérale stipule que le premier Conseil national doit être élu par tous les Suisses âgés d'au moins vingt ans et habituellement électeurs dans leur canton. Pour le reste, toute l'organisation, le règlement et les autres dispositions sont laissés aux différents cantons. Le serment exigé par le gouvernement de Fribourg est aussi, dans d'autres cantons, une condition au droit de vote : dans ces cantons, tout citoyen suisse qui exerce pour la première fois son droit de vote, doit prêter serment à la Constitution cantonale. Il est clair que les rédacteurs de la nouvelle Constitution avaient l'intention de garantir pour ces élections le droit au suffrage universel; mais si à la lettre le gouvernement de Fribourg a raison, dans les circonstances où il se trouve face à une majorité compacte, hostile, dominée par la prêtraille, il devait, ou exiger le serment, ou démissionner. Les radicaux allemands s'en tiennent donc à l'intention du législateur, les radicaux français, les Vaudois en tête, s'appuient sur la lettre de la Constitution pour sauver le gouvernement de Fribourg et les cinq voix radicales qu'ils souhaitent tant avoir au Conseil national. Ils déclarent que le décret du Conseil national est une approbation indirecte de la rébellion de l'évêque de Fribourg qui, et c'est la pure vérité, devait entraîner la chute du gouvernement radical de Fribourg et l'établissement dans ce canton d'un gouvernement de la Fédération séparatiste (Sonderbund). Ils donnent aux Bernois et autres radicaux allemands le titre de « théoriciens », de « fabricants d'abstractions creuses », de « doctrinaires », etc. Il est vrai que les radicaux de Suisse allemande, des avocats pour la plupart, tiennent souvent trop à leur point de vue juridique, tandis que les Vaudois et les Genevois, formés à l'école de la Révolution française, sont de meilleurs politiciens et prennent parfois le droit à la légère.

La feuille la plus résolue de cette tendance de la Suisse française est Le Nouvelliste vaudois[3] de Lausanne, « l'organe de la révolution déclarée en permanence », comme l'appellent les conservateurs et même les libéraux pondérés. Cette feuille rédigée d'ailleurs non sans esprit et non sans finesse, plante sans façon le drapeau de la république rouge, se déclare en faveur des insurgés de juin à Paris, appelle la mort de Latour à Vienne « un acte de justice populaire souveraine » et raille avec une ironie amère Le Courrier suisse[4], piétiste et réactionnaire, qui hurle, les yeux révulsés d'horreur par cette abomination. Et pourtant ce Nouvelliste est l'organe d'un parti influent dans le gouvernement vaudois, on peut même presque dire de la majorité de ce gouvernement; et pourtant dans le canton de Vaud tout est parfaitement en ordre, le peuple est tranquille et tient avec enthousiasme à son gouvernement, comme viennent justement de le prouver encore les élections au Conseil national.

Genève, suivant une communication semi-officielle de la Revue de Genève, ratifiera, avec quelques menues réserves résultant de concordats anciens, les décrets de la Conférence diocésaine (vous devez la connaître depuis longtemps)[5] concernant l'évêque de Fribourg. Les autres cantons du diocèse ont déjà ratifié. Dès que toutes les ratifications seront parvenues, dit-elle ensuite, l'évêque Marilley sera relâché puisque le canton de Fribourg a déclaré vouloir clore par un non lieu l'enquête criminelle ouverte contre lui pour participation à la dernière tentative de soulèvement.

On attend avec impatience le choix de la capitale fédérale. Si Berne ne devait pas être choisie, et on veut en voir un signe dans le fait qu'aucun Bernois n'ait été nommé ni comme président, ni comme vice-président de l'Assemblée fédérale, il se déclenchera ici un mouvement qui aura pour conséquence la chute d'Ochsenbein, une majorité de tendance radicale (Stämpfli, Niggeler, Stockmar, etc.) et la révision de la Constitution fédérale à peine instaurée. En effet, suivant la Constitution, les deux Conseils doivent être dissous et renouvelés en vue de la révision de la Constitution dès que 50.000 citoyens suisses électeurs le demandent. Il est facile à Berne de réunir ce nombre de signatures sans compter les masses qui viendraient des cantons romands, éperonnées par la perspective d'un système à Chambre unique et d'une plus grande centralisation. Mais toutes les suppositions sur les votes des Conseils suisses sont des paroles en l'air; l'infini morcellement, cette conséquence nécessaire de la République fédérale historique, l'indicible confusion des motifs déterminants détruisent toutes les parlotes sur les probabilités et les possibilités.

  1. Ces renseignements n'ont pas paru dans la Nouvelle Gazette rhénane. Conformément à la Constitution helvétique adoptée le 12 septembre 1848, les membres du tribunal fédéral furent élus au cours d'une réunion commune du Conseil national et du Conseil d'État. Les huit premiers juges fédéraux élus furent : D. Kern, de Thurgovie, Dr. Kasimir Pfyffer, de Lucerne, Migy, de Berne, Ruttimann, de Zürich, Brosi, des Grisons, Zenrufinen, du Valais, Favre, de Neuchâtel et Blumer, de Glaris. Le Tribunal fédéral devait règler rapidement les différends soumis autrefois à la Diète helvétique et punir les actes de trahison et de haute trahison, qui jusqu'à cette époque étaient restés impunis.
  2. La Schweizerische National-Zeitung (la Gazette nationale suisse), journal paraissant depuis 1842 à Bâle.
  3. Le Nouvelliste vaudois, journal suisse qui parut de 1798 à 1804 et de 1824 à 1914 à Lausanne; en 1848, il représentait une tendance radicale-démocratique.
  4. Le Courrier suisse, journal suisse réactionnaire qui parut à Lausanne de 1840 à 1853.
  5. Le 25 octobre 1848, l'évêque Marilley fut arrêté. Une Conférence groupant les représentants des gouvernements des cantons appartenant au diocèse (Fribourg, Berne, Vaud, Neuchâtel et Genève) eut lieu le 30 octobre 1848 à Fribourg. Il y fut décidé de laisser l'évêque Marilley en liberté; il lui fut cependant interdit de séjourner et de déployer quelqu'activité que ce soit sur le territoire de ces cinq cantons. Le 13 décembre 1848, Marilley fut expulsé et vécut en exil jusqu'en 1856.