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La Conférence de Berlin avait un but et un ordre du jour précis : préparer et organiser, à l'occasion et au moment de la Conférence de Gènes, une grande démonstration du prolétariat sous la forme d'un Congrès groupant les représentants des trois Internationales politiques.

L'initiative venait de l'Internationale deux et demie ou Union des partis socialistes de Vienne. L'Internationale Communiste accepta l'invitation qui lui était adressée mais elle demandait aussitôt que le cadre du Congrès projeté fût élargi et qu'y soient conviés tous les groupements politiques : communistes, socialistes, anarchistes, et toutes les organisations syndicales, Internationale syndicale rouge, Fédération syndicale internationale d'Amsterdam, ainsi que les Confédérations et Unions qui restent encore en dehors de ces deux groupements internationaux. Elle estimait que pour une démonstration efficace, pour que la classe ouvrière fût en mesure d'exercer une pression sur la Conférence de Gênes, il était nécessaire de toucher et de mobiliser tous les travailleurs, ou un très grand nombre d'entre eux, sur un programme de revendications qui sont partout d'une actualité pressante : défense des salaires, défense de la journée de huit heures, entre autres.

La Conférence préparatoire de Berlin a duré quatre jours. Commencée le dimanche matin 2 avril, elle ne s'est terminée que le mercredi suivant à minuit. Elle comprenait dix membres de chacun des trois Exécutifs. La 2e Internationale avait annexé les mencheviks géorgiens représentés par Tseretelli, tandis que Martov, Dan et Abramovitch figuraient dans la délégation de Vienne. Le parti socialiste Italien, invité, avait envoyé Serrati qui prit place, prudemment, entre Vienne et Moscou. Les discussions publiques furent parfois assez vives, les délibérations laborieuses. Finalement la Conférence dut se séparer sans avoir atteint le but que lui avait assigné Vienne et se contenter d'une base d'entente provisoire pour une action limitée. Il était parfaitement clair dès le début que la 2e Internationale se proposait de saboter la Conférence. Elle ne voulait pas d'un congrès ouvrier international siégeant en même temps que la Conférence de Gênes. Ses délégués ne le dirent pas expressément, mais lorsque toutes leurs manœuvres eurent été déjouées, ils furent contraints de déclarer qu'ils « considéraient comme impossible la convocation d'un Congrès international au mois d'avril, c'est-à-dire pendant les travaux de la Conférence de Gênes ». Et leur déclaration fut enregistrée dans la résolution adoptée.

Mais le Vorwärts ne se gêna pas d'écrire chaque matin que la proposition de l'Union de Vienne était chimérique et dangereuse et il fit tout ce qu'il put pour que la Conférence se terminât par une rupture.

Les chefs de la 2e Internationale comprennent fort bien la tactique du front unique et ils la redoutent. Vandervelde, les chefs du parti social-démocrate d'Allemagne et ceux du Labour Party craignent beaucoup de voir les ouvriers demeurés dans les organisations qu'ils dirigent, entraînés dans de grands mouvements de masses même pour la simple défense des salaires ou de la journée de huit heures. Ils savent que le jour où ces mouvements se déclencheront, c'en sera fini de leur direction.

En même temps il leur est difficile de répondre nettement : Non ! aux propositions d'action commune qui leur sont faites sur des questions qui touchent directement et brutalement tous les travailleurs. Et ils sont obligés, eux aussi, maintenant, de dénoncer la menace redoutable que constitue l'offensive capitaliste.

Il fallait entendre Vandervelde s'écrier, à Berlin : « L'Europe vit aujourd'hui sous le signe de la réaction : réaction capitaliste réaction monarchiste, réaction militariste. Et la classe ouvrière est réduite à redouter à la fois la réconciliation des divers capitalismes et la persistance de la politique absurde qui les dresse les uns contre les autres. »

Est-ce cela qu'il avait promis pendant la « guerre du droit » comme conclusion de la victoire de l'Entente ? Où est le « socialisme de guerre » que les social-démocrates avaient découvert pendant la boucherie pour justifier leur abdication ? C'est sa faillite — et leur faillite — qu'il a proclamée lui-même à Berlin. Et pourtant sa politique de guerre le commande encore car s'il ne veut pas que les ouvriers belges se rencontrent en ce moment avec les ouvriers de tous les pays c'est parce qu'il les maintient au côté de la bourgeoisie et que l'Union sacrée, même quand on n'en parle plus, se survit à elle-même alors que l'offensive capitaliste est depuis longtemps déchaînée.

Devant l'altitude des représentants de la 2e Internationale la Conférence de Berlin s'est trouvée contrainte de réduire considérablement son programme. L'effort ouvrier contre Gênes restera morcelé, atténué ; il n'impressionnera que faiblement la bourgeoisie. Les diplomates réunis à Gènes pourront tout à leur aise, sans être pressés par une affirmation claire et vigoureuse de la classe ouvrière, tenter de reconstruire le monde aux dépens des travailleurs et de la Russie soviétique.

Cependant un premier pas a été fait, un résultat a été acquis pour la préparation du prolétariat à la lutte. La tactique du front unique n'est pas de celles qui peuvent s'imposer du premier coup et c'est évidemment dans le domaine international qu'elle est le plus difficile à réaliser. Les leaders réformistes, qui la repoussent de toutes leurs forces ne se résoudront à l'appliquer que sous la poussée ouvrière.

Mais elle n'est pas non plus une nouveauté, ni une « invention de Moscou », comme on affecte de le croire — ou comme on le croit sincèrement encore en France. Divers partis communistes l'ont déjà appliquée, en Allemagne, en Suisse, en Angleterre, en Autriche. Certaines circonstances, certaines situations, peuvent y être plus favorables que d'autres. Les difficultés d'application peuvent être plus ou moins grandes. C'est tout. Il faut l'expliquer. Il faut s'y préparer. Car elle est la tactique qui convient à l'époque présente, la tactique de « la nouvelle étape » quand il s'agit de rassembler tous les ouvriers, de reconstituer leur force et de les mettre en état de résister à l'offensive brutale de la bourgeoisie.