Lettre à la rédaction du Prolétarskoïe Diélo, Juillet 1917

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Camarades,

Nous sommes revenus sur notre décision de nous soumettre au mandat d'arrêt lancé contre nous par le Gouvernement provisoire. Voici pourquoi.

La lettre de l'ancien ministre de la Justice Péréverzev, publiée dimanche dans le Novoïé Vrémia, a montré de toute évidence que l'«affaire d'espionnage» visant Lénine et ses co-accusés a été montée de toutes pièces, de propos délibéré, par le parti de la contre-révolution.

Péréverzev reconnaît tout à fait ouvertement avoir formulé contre nous des accusations non vérifiées, afin d'exciter la fureur (sic) des soldats contre notre parti. Voilà ce que reconnaît l'ex-ministre de la Justice , un homme qui, hier encore, se disait socialiste ! Péréverzev a démissionné. Mais le nouveau ministre de la Justice reculera-t-il devant les procédés de Péréverzev et d'Alexinski ? Nul ne saurait l'affirmer.

La bourgeoisie contre-révolutionnaire cherche à monter une nouvelle affaire Dreyfus. Elle ne croit pas plus à de l'«espionnage » de notre part, que les chefs de la réaction russe qui montèrent autrefois l'affaire Beylis[1] ne croyaient que les Juifs buvaient le sang des enfants. Il n'y a actuellement, en Russie, aucune garantie de justice.

Le Comité Exécutif Central, se considérant comme l'organe doté des pleins pouvoirs de la démocratie russe, avait nommé une commission pour examiner cette affaire d'espionnage, mais cette commission a été dissoute sous la pression des forces contre-révolutionnaires. Le C.E.C. n'a voulu ni confirmer ouvertement ni annuler le mandat d'arrêt lancé contre nous. Il s'en lave les mains, nous livrant en fait, à la contre-révolution.

L'accusation de « complot » et d'« excitation » « morale » à la sédition, lancée contre nous, a un caractère bien déterminé. Aucune qualification juridique précise de notre crime imaginaire n'est fournie ni par le Gouvernement provisoire ni par le Soviet, qui tous deux savent parfaitement que parler d'un «complot» à propos d'un mouvement comme celui des 3-5 juillet est une pure absurdité. Les chefs mencheviques et socialistes-révolutionnaires cherchent tout simplement à amadouer la contre-révolution, qui désormais les presse eux-mêmes, en lui jetant en pâture, à son gré, divers membres de notre Parti. Il ne peut être question à l'heure actuelle, en Russie, ni de légalité, ni même de garanties constitutionnelles analogues à celles des pays bourgeois bien organisés. Nous livrer aujourd'hui aux autorités, ce serait nous livrer aux Milioukov, aux Alexinski, aux Péréverzev, aux contre-révolutionnaires déchaînés, pour qui toutes les accusations formulées contre nous ne sont qu'un épisode de guerre civile.

Après ce qui s'est passé du 6 au 8 juillet, aucun révolutionnaire russe ne peut plus nourrir d'illusions constitutionnelles. Une lutte décisive s'engage entre la révolution et la contre-révolution. Nous combattrons, comme par le passé, du côté de la révolution.

Nous contribuerons dans la mesure de nos forces, comme auparavant, à l'action révolutionnaire du prolétariat. Seule l'Assemblée constituante, si elle se réunit un jour, et si elle est convoquée autrement que par la bourgeoisie, pourra se prononcer souverainement sur le mandat d'arrêt lancé contre nous par le Gouvernement provisoire.

N. Lénine

  1. L'Affaire Beylis, procès provocateur monté en 1913 à Kiev par le gouvernement tsariste contre le juif Beylis faussement accusé du meurtre rituel d'un enfant chrétien du nom de Iouchtchinski (en réalité, le meurtre avait été organisé par les Cent-Noirs). En montant ce procès, le gouvernement tsariste s'efforçait d'attiser l'antisémitisme et de provoquer des pogroms contre les Juifs afin de détourner les masses du mouvement révolutionnaire qui grandissait dans le pays. Le procès suscita de larges remous dans l'opinion publique ; des manifestations ouvrières de protestation eurent lieu dans un certain nombre de villes. Beylis fut acquitté par le tribunal. [N.E.]