Toujours le travail au PC. Lettre à James P. Cannon, 10 avril 1939

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Cher Camarade Cannon,

Vous avez sûrement reçu les procès‑verbaux de la discussion concernant le travail de notre parti à l'intérieur du parti communiste. J'ai été ahuri d'entendre que certains camarades niaient l'utilité d'un tel travail. Ce qui s'est passé dernièrement démontre que nous n'avons pas avec le parti communiste la moindre liaison et que nous ne savons pratiquement rien de sa vie intérieure. Je continue à penser qu'il faut créer une commission spéciale, secrète, dans ce but, qui soit dirigée par un membre du comité politique. Les difficultés ne sont pas du tout insurmonta­bles. Il ne faut qu'un travail systématique et persistant. Je doute que nous puissions sérieusement progresser si nous négligeons ce genre de travail. Il n'est pas possible de faire la guerre si on reste aveugle, c'est‑à‑dire sans une reconnaissance sérieuse et systéma­tique. Je crois que la négligence pour cette question relève de la même catégorie que, disons, le refus des gardes de défense. C'est‑à‑dire qu'elle est le résultat d'une incompréhension de toute l'époque : la tension terrible de ses rapports sociaux et politiques et le danger permanent d'explosions. Nous ne pouvons avancer à l'aveuglette. Nous devons avoir les yeux grands ouverts. Dans le service de la reconnaissance, il y a les yeux de l'armée. L'armée est petite, ce service sera modeste, mais il grandira en même temps que le parti.

Nous avons déjà eu quelques discussions avec le camarade James[1]. Les deux plus importantes ont porté sur la question nègre. Ils les a présentées par une déclaration importante et excellente. Je n'accepte pas son rejet catégorique de l'autodétermination (un Etat indépendant) pour les Nègres américains. En tant que parti, nous n'intervenons pas dans la prise de décision, ni dans un sens ni dans l'autre. Nous disons aux Nègres : « Vous devez décider si vous voulez ou non cette séparation. Si vous décidez de façon affirmative, nous, en tant que parti, nous vous aiderons de toutes nos forces à réaliser cette décision et, de cette façon, la séparation des Etats assurera la fraternité des ouvriers des deux couleurs. C'est ce dont nous avons avant tout besoin. »

Le reste de sa déclaration est très bon. Le parti ne peut pas remettre plus longtemps cette question extrêmement importante. Le séjour de James aux Etats est très important pour un début sérieux et énergique de ce travail.

J’attends avec impatience des informations de vous concernant la France[2].

  1. Voir plus haut.
  2. Trotsky avait quelques raisons de s'inquiéter de l'absence de nouvelles de Cannon revenu avant la dernière semaine de mars de sa mission en Europe. Le 27 mars, Jan Frankel lui avait écrit de New York : « Vous avez sans doute appris l’arrivée quelque peu précipitée de notre ami Martel [Cannon]. Cet acte déplorable fait pas mal de mauvais sang parmi les membres du parti qui ont fait des sacrifices inouïs pour aider au renflouement de la section française ». Il allait préciser un peu plus tard, le 25 avril : « Le malaise persiste à la suite de la malheureuse intervention américaine en France, se mêlant au courant de mécontentement et de friction dans la direction du parti. On n'a pu jusqu'à présent trouver un candidat capable pour remplacer Martel. Les amis américains ont une remarquable capacité de mettre leurs intérêts privés au‑dessus des demandes du mouvement [...]. Je crains que le « révolutionnaire professionnel » aux Etats‑Unis ne rende plus fortement vers les qualités du professionnel au détriment du révolutionnaire ». Il ajoutait : « Il faut aussi que vous sachiez que le fonds français a été réduit d'une façon qui ‑ s'il n'y avait pas une crise latente dans la direction ‑ justifierait pleinement une investigation disciplinaire (dépenses personnelles exorbitantes du délégué) ‑ en dix semaines à peu près trois quarts de la somme donnée aux deux groupes pour leur travail politique pendant six mois. »