Quelle est la Signification de la Lutte contre le « trotskysme » ? Sur Lombardo Toledano et autres agents du GPU

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Deux questions

Dans bien des lettres et oralement, on m’a demandé ce que signifiait la lutte qui se déroule actuellement en Union soviétique entre staliniens et trotskystes et pourquoi, dans d’autres pays, particulièrement au Mexique, certains dirigeants du mouvement ouvrier ont abandonné leur travail pour développer une campagne de calomnie contre moi personnellement en dépit de ma non-intervention dans les affaires internes du pays. Je suis reconnaissant que de telles questions m’aient été posées, car elles me donnent l’occasion de répondre publiquement, avec la plus grande clarté et précision possible.

Des causes qui ne sont pas personnelles

En premier lieu, il faut bien comprendre que, quand se développe une lutte politique de grande ampleur, dans laquelle des dizaines et des centaines de milliers de gens sont engagés, il n’est pas possible de l’expliquer par des raisons « personnelles ». Il ne manque pas de gens superficiels et intrigants pour attribuer la lutte entre trotskystes et staliniens à des motifs d’ambition personnelle. C’est là une pure absurdité. L’ambition personnelle ne peut motiver que des hommes politiques individuels. En Union soviétique, des milliers et des milliers de personnes baptisées « trotskystes » ont été ou sont encore exécutées. Toutes sacrifieraient leur bonheur, leur liberté, leur vie et souvent celle de leur famille à la seule ambition d’un unique individu nommé Trotsky ? Il est tout aussi absurde de croire qu’on peut expliquer la politique stalinienne en termes d’ambition personnelle de Staline. En outre, il y a longtemps que cette lutte a débordé les frontières de l’Union soviétique. Pour bien comprendre la signification du conflit qui est en train de diviser le mouvement ouvrier du monde entier, on doit rejeter, avant d’aller plus loin, tout le verbiage sur les motifs personnels et examiner attentivement les causes historiques qui l’ont engendré.

Le but de la révolution d’Octobre

Tout le monde connaît, ne serait-ce que dans leurs grandes lignes, les causes et les problèmes de la révolution d’Octobre qui a éclaté en Russie en 1917. Ce fut la première révolution victorieuse des masses opprimées conduites par le prolétariat. Son but était d’abolir l’exploitation de classe et l’inégalité, de créer une société nouvelle, socialiste, basée sur la propriété collective de la terre et des usines, de réaliser un partage rationnel et juste des produits du travail entre les membres de la société. Quand nous étions en train de faire cette révolution, bien des social-démocrates — des réformistes opportunistes comme Lewis, Jouhaux, Lombardo Toledano, Laborde — nous disaient que nous allions échouer, que la Russie était un pays trop arriéré, que le communisme y était impossible, etc. Nous répondions de la façon suivante : bien entendu, la Russie, prise isolément, est trop arriérée, pas assez civilisée, pour qu’on puisse construire dans ce seul pays une société communiste. Mais, ajoutions-nous, la Russie n’est pas seule. Il existe dans le monde des pays capitalistes plus avancés, avec une technologie et une culture bien plus développées, et un prolétariat beaucoup plus développé également. Nous, les Russes, nous commençons la révolution socialiste, c’est-à-dire que nous sommes en train de faire courageusement le premier pas vers l’avenir. Mais les ouvriers français, allemands et anglais entreront après nous dans la lutte révolutionnaire, prendront le pouvoir dans ces pays et pourront alors nous aider, grâce à leur technologie et leur culture supérieures. Sous la direction du prolétariat des pays les plus avancés, même les peuples des pays arriérés (Chine, Inde, Amérique latine) s’engageront à leur tour dans la nouvelle voie socialiste. Ainsi arriverons-nous graduellement à la formation d’une nouvelle société socialiste à l’échelle mondiale. On sait que nos espoirs d’une révolution prolétarienne prochaine en Europe ne se sont pas matérialisés. Pourquoi ? Non pas parce que les masses travailleuses n’en avaient pas la volonté. Au contraire, après la guerre de 1914-1918, le prolétariat, dans tous les pays d’Europe, a commencé à combattre la bourgeoisie impérialiste et a montré qu’il était parfaitement prêt à prendre le pouvoir. Qui l’a retenu ? Ses dirigeants, les bureaucrates ouvriers conservateurs, les messieurs du genre Lewis et Jouhaux, les maîtres de Lombardo Toledano.

Le rôle destructeur de la social-démocratie

Pour pouvoir réaliser ses objectifs, la classe ouvrière doit créer ses organisations, les syndicats et le parti politique. Au cours de ce processus, toute une couche de bureaucrates, secrétaires de syndicats ou d’autres organisations, députés, journalistes, etc., s’élève au-dessus de la masse exploitée. Ces hommes s’élèvent au-dessus des travailleurs, autant par leurs conditions matérielles de vie que par leur influence politique. Un petit nombre conserve un lien interne avec la classe ouvrière et lui reste loyal. Beaucoup plus nombreux sont les bureaucrates ouvriers qui commencent à regarder vers ceux qui sont au-dessus d’eux, au lieu de regarder ceux qui sont au-dessous. Ils commencent à se tourner vers la bourgeoisie, oubliant les souffrances, les misères et les espoirs des classes travailleuses. C’est là la cause de bien des défaites infligées à la classe ouvrière.

Dans le cours de l’histoire nous avons plus d’une fois constaté que des partis et des organisations qui étaient nés du mouvement populaire ont ensuite connu une dégénérescence complète. C’est ce qui est arrivé en son temps à l’Église chrétienne, qui a commencé comme un mouvement de pêcheurs, de charpentiers, d’opprimés et d’esclaves, mais qui en est arrivée à bâtir une hiérarchie puissante, riche et cruelle. C’est ce qui est arrivé, sous nos yeux même, aux partis de la IIe Internationale, la soi-disant « social-démocratie ». Celle-ci s’est graduellement éloignée des intérêts réels du prolétariat et s’est rapprochée de la bourgeoisie. Pendant la guerre, dans tous les pays, la social-démocratie a défendu son propre impérialisme national, c’est-à-dire les intérêts du capital brigand, trahissant les intérêts des ouvriers et des peuples coloniaux. Quand les mouvements révolutionnaires ont commencé, au cours de la guerre, la social-démocratie, le parti qui aurait dû mener les ouvriers à l’insurrection, a, en fait, aidé la bourgeoisie à abattre le mouvement ouvrier. C’est la trahison à l’intérieur de son propre état-major qui a paralysé le prolétariat.

C’est pourquoi les espoirs d’une révolution européenne et mondiale après la guerre ne se sont pas réalisés. La bourgeoisie a conservé sa prise sur la richesse et le pouvoir. Ce n’est qu’en Russie, où existait le parti bolchevique vraiment révolutionnaire, que le prolétariat a vaincu et constitué un État ouvrier. Les ouvriers des pays les plus riches et les plus développés ne pouvaient venir à son aide. Le résultat a été que le prolétariat russe, malgré sa victoire, s’est trouvé dans une situation très difficile.

La puissance de la bureaucratie soviétique

Si le niveau de la technologie en Russie avait été aussi élevé qu’en Allemagne ou aux États-Unis, l’économie socialiste aurait dès le début produit tout le nécessaire pour satisfaire les besoins du peuple. Dans ces circonstances, la bureaucratie soviétique n’aurait pas pu jouer un rôle important, puisqu’un niveau élevé de technologie aurait signifié également un niveau culturel élevé et que les ouvriers n’auraient jamais permis à la bureaucratie de les commander. Mais la Russie était un pays pauvre et arriéré, inculte. Elle était en outre dévastée par des années de guerre impérialiste et de guerre civile. C’est pourquoi la nationalisation de la terre, des usines et des mines, bien qu’ayant représenté un énorme profit économique, ne pouvait pas produire rapidement — et ne peut, jusqu’à ce jour, produire — la quantité de biens nécessaires à la satisfaction des besoins quotidiens de la population. Partout où il y a pénurie de biens se développe inévitablement une lutte pour ces biens. La bureaucratie y intervient, arbitrant, divisant, donnant à l’un, prenant à l’autre. Bien sûr, ce faisant, la bureaucratie n’oublie pas de s’occuper d’elle-même. Il faut se rappeler qu’en U.R.S.S. il existe une bureaucratie, non seulement dans le parti et les syndicats, mais aussi dans l’appareil d’État La bureaucratie a dans les mains le pouvoir sûr, la propriété nationalisée, la police, les tribunaux, l’armée et la flotte. Son contrôle sur l’économie et la distribution des biens a donné à la bureaucratie soviétique la possibilité de concentrer entre ses mains toute l’autorité, écartant du pouvoir les masses laborieuses. C’est ainsi que, dans le pays de la révolution d’Octobre, une nouvelle caste, privilégiée, s’est élevée au-dessus des masses et gouverne le pays avec des méthodes presque identiques à celles du fascisme. De la liberté du peuple, des libertés de presse et de réunion, il n’est plus question. Les soviets d’ouvriers et de paysans ne jouent plus aucun rôle. Tout le pouvoir est aux mains de la bureaucratie. La personne qui gouverne est le chef de la bureaucratie : Staline.

Le caractère bourgeois de la bureaucratie

Il est impossible de dire que l’Union soviétique est en train d’avancer vers l’égalité socialiste. En termes de situation matérielle, la couche supérieure de la bureaucratie vit comme la grande bourgeoisie dans les pays capitalistes. La couche moyenne vit plus ou moins comme la bourgeoisie moyenne, et, finalement, les ouvriers et les paysans vivent dans des conditions bien plus difficiles que les ouvriers et les paysans des pays avancés. C’est l’absolue vérité. On pourra demander : « Cela signifie-t-il que la révolution d’Octobre était une erreur ? » Une telle conclusion serait incontestablement tout à fait erronée. La révolution n’est pas le résultat d’efforts d’un individu unique ou d’un seul parti. La révolution émerge de tout un développement historique, au moment où les masses populaires n’ont plus la force de supporter la vieille oppression. La révolution d’Octobre, en dépit de tout, a permis des conquêtes fantastiques. Elle a nationalisé les moyens de production et, par les méthodes de planification de l’économie, rendu possible un développement extrêmement rapide des forces productives. C’est un énorme pas en avant. Toute l’humanité a appris de cette expérience. La révolution d’Octobre a donné une vigoureuse poussée à la conscience des masses populaires. Elle a éveillé en elles un esprit d’indépendance et d’initiative. Si la situation des ouvriers est à bien des égards difficile, elle est néanmoins meilleure qu’elle ne l’était sous le tsarisme. Non, la révolution d’Octobre n’a pas été une « erreur ». Mais, dans une Russie isolée, elle ne pouvait réaliser son objectif essentiel, à savoir l’établissement d’une société fraternelle, socialiste. Ce but reste à atteindre.

La lutte des ouvriers contre la bureaucratie

A partir du moment où une nouvelle couche parasitaire s’est élevée sur le dos du prolétariat en U.R.S.S., la lutte des masses se dirige naturellement contre la bureaucratie, en tant qu'obstacle principal sur la route du socialisme. Quand la bureaucratie essaie de justifier son existence, elle explique que le socialisme a déjà été « réalisé », grâce à ses efforts. En réalité, la question sociale n’est résolue que pour la bureaucratie, dont la vie est loin d’être mauvaise. « L’État, c’est moi, raisonne le bureaucrate. Si tout va bien pour moi, c’est que tout est en ordre. » Il n’est pas surprenant que les masses populaires, qui ne sont pas sorties de la misère, éprouvent de l’hostilité et de la haine pour cette nouvelle aristocratie qui dévore une part importante des fruits de leur travail. Tout en prétendant défendre les intérêts du socialisme, la bureaucratie défend en réalité ses propres intérêts, écarte et extermine inlassablement quiconque élève une critique contre l’oppression et la terrible inégalité qui existent en Union soviétique. La bureaucratie soutient Staline parce qu’il défend résolument, de façon implacable et avec une totale détermination, sa position et ses privilèges. Celui qui ne l’a pas compris n’a rien compris.

La Lutte de la bureaucratie contre les trotskystes

Il est tout à fait naturel que les ouvriers, qui ont fait trois révolutions en l'espace de douze ans, soient mécontents de ce régime et qu’ils aient plus d’une fois essayé de neutraliser la bureaucratie. En Union soviétique, on appelle « trotskystes » ces représentants du mécontentement de la classe ouvrière qui critiquent et protestent, parce que leur lutte correspond au programme que je défends dans la presse. Si la bureaucratie combattait pour les intérêts du peuple, elle pourrait châtier ses ennemis devant les masses, pour des crimes réels, pas inventés. Mais dans la mesure où elle ne lutte que pour ses intérêts à elle, contre ceux du peuple et de ses véritables amis, la bureaucratie ne peut naturellement pas dire la vérité sur les causes des innombrables persécutions, arrestations et exécutions. Aussi accuse-t-elle ceux qu’elle appelle « trotskystes » de crimes monstrueux qu’ils n’ont jamais commis et ne pouvaient commettre. Pour fusiller son adversaire qui défend les intérêts vitaux des ouvriers, la bureaucratie se contente de dire qu’il est un « agent fasciste ». Il n’y a aucune vérification possible des activités de la bureaucratie. Au cours d’interrogatoires secrets, menés dans le style de la Sainte-Inquisition, on arrache aux accusés l’aveu de crimes incroyables. Tel est le caractère des procès de Moscou qui ont ébranlé le monde entier. Le résultat semble être que toute la vieille garde bolchevique, toute la génération qui, avec Lénine, a lutté pour la conquête du pouvoir par la classe ouvrière, était en réalité entièrement composée d’espions et d’agents de la bourgeoisie. Après quoi, on a exterminé les plus importants des représentants de la génération suivante, ceux qui avaient porté sur leurs épaules tout le poids de la guerre civile. Ainsi, la révolution d’Octobre a été faite par des fascistes? Et la guerre civile des ouvriers et des paysans a été dirigée par des traîtres? Non. C’est une calomnie méprisable contre la révolution et contre le bolchevisme ! L’explication de cette calomnie, c’est que les bolcheviks, qui avaient un authentique passé révolutionnaire, étaient précisément les premiers à protester contre la nouvelle caste bureaucratique et ses privilèges monstrueux. La bureaucratie, mortellement effrayée par l’opposition, s’est engagée dans une lutte impitoyable contre les représentants du vieux parti bolchevique et, à la fin, elle a réussi à les exterminer presque totalement. C’est l’absolue vérité.

Les agents étrangers de Staline

La bureaucratie de Moscou maintient à travers le monde un nombre important d’agents pour préserver son autorité à l’extérieur, afin d’apparaître comme la représentante de la classe ouvrière et le défenseur du socialisme, et pour tromper la classe ouvrière mondiale. Dans ce but, elle dépense annuellement des dizaines de millions de dollars. Nombre de ces agents secrets sont des dirigeants du mouvement ouvrier, des permanents des syndicats ou des partis soi-disant « communistes », lesquels n’ont en fait plus rien à voir avec le communisme. Le travail de ces agents payés par le Kremlin consiste à tromper les ouvriers, à présenter les crimes de la bureaucratie soviétique comme une « défense du socialisme », à calomnier les ouvriers russes avancés qui luttent contre la bureaucratie et à traiter de « fascistes » les véritables défenseurs des ouvriers. « Mais c’est un rôle ignoble ! » va s’exclamer tout ouvrier honnête. Nous croyons aussi que c’est un rôle ignoble.

Lombardo Toledano, agent du GPU

Un des agents les plus zélés et les plus dénués de scrupules de la bureaucratie de Moscou est Lombardo Toledano, le secrétaire général de la C.T.M. Sa honteuse activité se déploie sous les yeux de tous. Il défend Staline, il défend la violence de Staline, ses trahisons, ses provocateurs et ses bourreaux. Il n’est pas étonnant que Lombardo Toledano soit le pire ennemi du trotskysme : c’est là le premier devoir de ce monsieur !

Il y a un an et demi, la commission internationale d’enquête commençait son travail d’examen des procès de Moscou. [Lombardo] Toledano, avec les autres staliniens, était invité à y participer : présentez vos accusations, apportez vos preuves ! Pourtant, il a refusé, en employant une mauvaise excuse de lâche : cette commission, selon lui, « n’était pas impartiale ». Mais pourquoi « l’impartial » Toledano n’a-t-il pas saisi cette occasion pour démontrer publiquement que la commission était « partiale » ? Parce qu’il n’a pas l’ombre d’une preuve pour étayer les calomnies qu’il s’en va répétant sur l’ordre de Moscou.

La commission internationale, formée de gens incorruptibles et connus dans le monde entier, a publié le résultat de ses travaux dans deux volumes de plus de mille pages. Tous les documents ont été étudiés. Des dizaines de témoins interrogés. Chaque mensonge, chaque calomnie, ont été examinés au microscope. La commission unanime a déclaré que toutes les accusations contre moi et contre mon défunt fils Léon Sedov étaient des impostures malhonnêtes de Staline. Qu’ont répondu Staline et ses agents? Rien. Pas un mot, pas un seul mot. Malgré cela, Toledano continue à soutenir et à répandre les accusations fausses de Moscou, en ajoutant d’autres de son cru. « Mais c’est une honte ! », va s’exclamer tout homme honnête. C’est tout à fait juste. C’est plus honteux qu’on ne peut le dire.

Comment le GPU a trompé le congrès de la CTM

En février dernier, le congrès de la C.T.M. a adopté une résolution contre Trotsky et « les trotskystes ». Elle répète mot à mot les « accusations » fausses du procureur Vychinsky lequel était, avant la révolution, l’avocat des magnats du pétrole du Caucase et a été longtemps tenu pour une fieffée canaille. Comment le congrès d’une organisation ouvrière a-t-il pu adopter une résolution aussi honteuse ? La responsabilité directe en incombe à Lombardo Toledano qui, dans cette circonstance, n’a pas agi en secrétaire d’un syndicat, mais en agent de la police secrète de Staline, le G.P.U. Il est inutile de dire que je n’ai personnellement rien contre le fait que les organisations ouvrières mexicaines se fassent une opinion sur le « trotskysme » en tant que tendance politique et qu’elles rendent publiques leurs conclusions. Pour pouvoir faire cela, cependant, il faut une étude honnête de cette question : c’est une condition élémentaire de la démocratie ouvrière. Il aurait fallu, avant le congrès, soumettre pour étude à tous les syndicats la question du « trotskysme ». Il aurait fallu permettre aux partisans du « trotskysme » d’exposer directement leurs idées aux ouvriers. En outre, dans ce congrès qui se préparait à me juger personnellement, l’honnêteté la plus élémentaire exigeait que je sois invité à m’expliquer moi-même. En réalité, les machinations imposées par Moscou ont été préparées, non seulement dans mon dos, mais dans le dos des ouvriers mexicains. Aucun d’entre eux n’a su à l’avance que les questions de Trotsky et du « trotskysme » seraient à l’ordre du jour du congrès. Pour servir les objectifs de Staline, Toledano a conspiré contre les ouvriers mexicains. Les délégués au congrès n’avaient à leur disposition aucun matériel d’information ; ils ont été pris à l’improviste par un stratagème presque militaire. L’ignoble résolution a été imposée par Toledano de la même façon que Staline, Hitler et Goebbels exécutent les décisions du « peuple ». Cette façon d’agir indique un mépris « totalitaire » pour la classe ouvrière. En même temps, Toledano exige que le gouvernement mexicain me bâillonne et me prive ainsi de la possibilité de me défendre contre les calomnies. Voilà Lombardo Cœur-de-Lion, ce champion de la démocratie !

Les Accusations fabriquées par Toledano

[Lombardo] Toledano ne s’en est pas pour autant tenu à simplement répéter les faux officiels du procureur Vychinsky à Moscou. Il fait aussi usage de sa propre imagination. Peu après mon arrivée au Mexique, Toledano a publiquement affirmé que j’étais en train de préparer une grève générale contre le gouvernement du général Cârdenas. L’absurdité de cette « accusation » est évidente pour toute personne sensée, mais Toledano ne recule pas devant l’absurde : Moscou exige zèle et obéissance. Le même Toledano a affirmé à New York, Mexico, Paris et Oslo que, dans tout le Mexique, je n’avais pas plus de dix amis, un chiffre qui a été réduit à cinq et finalement à deux seulement. S’il en est ainsi, comment pouvais-je tenter d’organiser une grève générale et une conspiration? D’un autre côté, qu’est-il arrivé à tous mes « amis » de droite, — les fascistes, les « chemises dorées », etc. ? On le voit, le niveau intellectuel des accusations de Toledano ne diffère pas de celui des accusations qui s’abattaient sur les adversaires de la bureaucratie, à Moscou. Mais Toledano n’a pas son G.P.U. à lui pour le défendre à coups de revolver contre la critique. C’est sans doute ce qui lui a inspiré une plus grande prudence !

Le calomniateur Laborde

L’autre agent du G.P.U. mexicain, Laborde, le dirigeant du soi-disant parti « communiste » (qui pourrait le croire ?) a déclaré dans un meeting solennel l’automne dernier, devant un grand auditoire, qui comprenait aussi le président de la République, que j’étais allié en secret avec — attention — le général Cedillo et Vasconcelos, afin, bien entendu, de déclencher un coup d’État fasciste. Laborde, se compromettant lui-même et déshonorant son parti, était réduit à lancer une accusation aussi stupide parce que, comme Toledano, il avait reçu ordre de le faire, de Moscou, où l’on a depuis longtemps perdu le sens de la mesure, non seulement en ce qui concerne la moralité, mais aussi la logique et la psychologie. L’élève ne peut pas être à un niveau supérieur à celui du maître. L’agent du G.P.U. ne peut pas agir à son gré. Il doit exécuter les ordres de son patron. S’il ne le faisait pas, le parti de Laborde serait immédiatement privé des subsides de Moscou et il s’écroulerait comme un château de cartes.

Un autre exemple de la calomnie

J’ai voyagé au Mexique cet été afin de mieux connaître ce pays qui nous a offert, à ma femme et à moi, une hospitalité si généreuse. Le journal de Toledano, El Popular, a publié l’information selon laquelle, au cours de ce voyage, j’avais rencontré des contre-révolutionnaires et notamment le pro-fasciste Dr Atl. J’ai déclaré dans la presse que je ne connaissais pas le Dr Atl. Mais ce démenti catégorique n’a pas empêché M. Toledano de publier notes et dessins où j’étais représenté en compagnie du Dr Atl. Qu’est-ce que cela veut dire ? Toledano est avocat. Il sait ce que veulent dire « calomnie » et « dénonciation mensongère ». Il sait que rien ne discrédite tant quelqu’un que de répandre consciemment une calomnie pour des intérêts personnels. Comment peut-il tomber si bas, sacrifier sa réputation de dirigeant ouvrier et de personne honnête ? Sans doute Toledano lui-même doit en avoir gros sur le cœur. Mais il est sur la pente. Il glisse déjà et ne peut s’arrêter de lui-même. Le G.P.U. ne permet pas facilement à ses victimes d’échapper à ses griffes. On pourrait m’objecter que j’attache beaucoup trop d’importance à Toledano, mais ce n’est pas exact. Toledano n’est pas un individu. C’est un type. Il existe bien des gens comme lui : toute une armée de mercenaires entraînée par Moscou ! En utilisant l’exemple de Toledano, je démasque cette armée qui est en train de répandre les microbes de ses mensonges et de son cynisme dans l’opinion publique.

La CTM n'est pas en cause

Chaque fois que je me sens obligé de réfuter les dernières calomnies de Toledano et de Laborde, ces messieurs se mettent à hurler que je suis... un ennemi de la Confédération mexicaine du travail ! Quelle accusation ridicule ! Lombardo et Laborde effectuent leurs machinations sans informer les ouvriers. Quand on les prend sur le fait, ils essaient de se cacher derrière eux. Quels preux chevaliers ! Quels héros ! Et quels misérables sophistes ! Comment moi, qui ai passé quarante-deux ans de ma vie au service du mouvement ouvrier, pourrais-je avoir une attitude d’hostilité vis-à-vis d’une organisation ouvrière qui lutte pour l’amélioration du sort des ouvriers? Mais la C.T.M. n’est pas Toledano et Toledano n’est pas la C.T.M. La question de savoir si Toledano est un bon responsable syndical doit être tranchée par les ouvriers mexicains eux-mêmes. Mais lorsque Toledano se met à défendre les bourreaux du G.P.U. contre les meilleurs des ouvriers de Russie, alors, moi aussi, je dois me lever et dire aux ouvriers du Mexique et du monde entier : « Toledano est un menteur traître qui agit au compte de la clique du Kremlin ! Ne le croyez pas ! »

L’École du GPU

Les méthodes de Toledano sont les mêmes que celles qui ont été utilisées dans les procès de Moscou. Dans leur essence, les unes et les autres substituent des romans policiers aux divergences politiques : elles inventent de monstrueuses machinations pour ébranler l’imagination des gens sans expérience ; elles mentent et calomnient. A Moscou, on m’a attribué une rencontre secrète avec le ministre fasciste Hess (que je n’ai jamais vu de ma vie et avec qui, bien sûr, je n’ai pu avoir aucun rapport). Ici, au Mexique, on m’attribue une rencontre secrète avec le Dr Atl, dont je ne sais rien. Voilà ce qu’est l’école du G.P.U.

Mais il y a pourtant une différence. Le G.P.U., après avoir bâillonné tous les critiques et utilisé de faux témoins, peut extorquer aux accusés de faux aveux. S’il n’y arrive pas, il fusille en secret les accusés, sans enquête ni jugement. Au Mexique, M. Toledano ne peut pas encore se servir de ce genre de répression. Il fait un plein usage évidemment de toutes les falsifications fabriquées à Moscou, comme le film malhonnête et médiocre Lénine en octobre, par exemple, mais cela ne suffit pas. L’humanité n’est pas composée que d’imbéciles. Beaucoup de gens sont capables de penser. C’est pour cette raison qu’il est possible de démasquer les calomnies de Toledano. Et nous le ferons jusqu’au bout.

Je propose qu’on entreprenne une enquête publique sur les accusations de Toledano concernant la préparation par moi d’une grève générale contre le gouvernement du général Cárdenas, mes « relations » avec Cedillo et Vasconcelos, et mes discussions secrètes avec le Dr Atl, etc. Il y a là une occasion excellente d’établir facilement la véracité ou la fausseté de ces accusations précises. M. Toledano, qui déploie tant de zèle dans sa défense des procès de Moscou, rendrait à Staline un énorme service s’il pouvait démontrer la validité des accusations portées contre moi, ici, au Mexique. Je propose la désignation d’une commission impartiale pour effectuer une enquête publique sur les accusations de Toledano contre moi. Portez-les devant le juge ! Messieurs les calomniateurs, montrez vos preuves !

La Clé des procès de Moscou

De ce que je viens d’indiquer, tout homme sensé tirera cette conclusion simple : si, ici, au Mexique, où existent encore liberté de presse et droit d’asile, un agent de Staline se permet de lancer des accusations aussi absurdes et malhonnêtes, en exigeant en outre qu’on bâillonne les accusés, que doivent se permettre les autres agents de Staline en Union soviétique même, où toute critique, toute opposition et toute protestation sont étouffées par l’étau du régime totalitaire ? Dans l’affaire, et sans le vouloir, Toledano a donné à l’opinion publique mexicaine la clé de tous les procès de Moscou. Il faut dire que, de façon générale, les amis trop zélés sont plus dangereux que les ennemis.

Les idées sont plus fortes que les calomnies

Mes idées déplaisent aux opportunistes et carriéristes en tous genres. Je considérerais comme tout à fait fâcheux qu’elles leur conviennent. Les opprimés ne peuvent pas obtenir leur émancipation sous la direction d’opportunistes et de carriéristes. Que ces messieurs essaient d’attaquer publiquement mes idées ! J’appartiens à la IVe Internationale et je ne dissimule pas mon drapeau. La IVe Internationale est l’unique parti mondial qui mène une véritable lutte contre l’impérialisme, le fascisme, l’oppression, l’exploitation et la guerre. Cette jeune organisation, qui est en train de grandir, est la seule qui exprime les intérêts réels du prolétariat mondial. C’est précisément pour cette raison qu’elle lutte de façon implacable contre la bureaucratie corrompue des vieilles Internationales chauvines, de la IIe et de la IIIe. C’est de là que provient la haine mortelle des opportunistes, des aventuriers et des carriéristes contre le « trotskysme ». Là où elle le peut, la clique du Kremlin assassine nos combattants (Erwin Wolf, Ignace Reiss, Léon Sedov, Rudolf Klement et bien d’autres). Là où elle ne le peut pas, elle les calomnie. Elle ne manque ni d’argent ni d’agents stipendiés. Elle est pourtant vouée à une fin honteuse. Les idées révolutionnaires qui répondent aux besoins du développement historique surmonteront tous les obstacles. Les calomniateurs se fracasseront la tête contre la vérité indestructible.