Problèmes du SI et de l'Espagne. Lettre à Alfonso Leonetti, 8 avril 1936

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Cher Camarade Martin[1],

1 Vous avez certainement raison de constater la nécessité d'une réorganisation du travail de Théodore[2]. Mais je ne crois aucunement qu'on pourrait transporter ce travail à New York. L'Europe existe, tout de même. Ce serait excellent si les Américains pouvaient[3] créer un organisme spécial pour l'Amérique et les pays de l'océan Pacifique. Ils seraient peut‑être gênés dans ce domaine par leur entrée dans le P.S. En tout cas, il faut les sonder là‑dessus. Mais le centre doit rester en Europe. D'ailleurs les candidats que vous proposez vous‑même pour le plénum se trouvent presque tous en Europe.

En principe je serais tout à fait d'accord sur la nécessité de créer un secrétariat avec des fonctions purement administratives de trois jeunes camarades versés dans les questions internationales. Dans ce cas, le plénum devrait se réunir régulièrement une fois tous les deux ou trois mois. Mais je propose (d')ajourner encore cette question pour quelques semaines pour que la situation des sections française et belge se précise plus ou moins définitivement[4]. Peut‑être même pourrait‑on installer le secrétariat à Bruxelles. En tout cas, il faut que, dans la nomination des organismes dirigeants, la section belge participe activement.

2. Sur la question du Front populaire, je dis quelque chose dans la préface pour l'édition française de Terrorisme et Communisme[5]. La partie correspondante[6] pourrait bien être reproduite dans notre presse. La traduction française, je le suppose, est déjà faite.

3. Quant à Maurín[7], il faudrait s'en occuper un peu plus continuellement. Son mot d'ordre principal est la révolution « démocratico‑socialiste » : ce n'est que la permutation de la révolution « social‑démocrate » (sic). Marx a écrit en 1876 sur la fausseté du terme « social‑démocrate » : on ne peut pas mettre le socialisme sous le contrôle de la démocratie. Le socialisme (ou le communisme) nous suffit. La « démocratie » n'a rien à y voir. Depuis, la révolution d'Octobre a démontré vigoureusement que la révolution socialiste ne peut pas s'effectuer dans le cadre de la démocratie. La révolution « démocratique » et la révolution socialiste se trouvent des deux côtés de la barricade. La III° Internationale a consacré théoriquement cette expérience. La révolution « démocratique » en Espagne est déjà faite. Elle est renouvelée par le Front populaire. La personnification de la révolution « démocratique » en Espagne, c'est Azaña, avec ou sans Caballero. La révolution socialiste est à faire en lutte implacable contre la révolution « démocratique » avec son Front populaire. Que signifie donc cette « synthèse » de révolution « démocratico‑socialiste » ? Rien du tout. Ce n'est qu'un galimatias éclectique.

Quant au tournant de La Batalla envers le Front populaire, il ne peut pas nous inspirer confiance[8]. On ne peut pas dire lundi que la Société des nations est une bande de brigands, mardi inviter les électeurs à voter pour le programme de la S.D.N.[9] et expliquer le mercredi qu'il s'agissait hier seulement d'une action électorale et que maintenant on va reprendre son vrai programme. L'ouvrier sérieux doit se demander : et qu'est‑ce que ces gens‑là vont dire jeudi ou vendredi ? Maurín paraît être l'incarnation même d'un petit bourgeois révolutionnaire agile, superficiel et versatile. Il n'étudie rien, comprend peu et sème la confusion autour de lui[10].

  1. Martin ou J.P. Martin était l'un des pseudonymes d'Alfonso Leonetti (né en 1895) qui avait été l'un des collaborateurs de Gramsci à Turin au temps du premier Ordine nuovo. Membre du B.P. et du « centre clandestin » du P.C.I., il avait été exclu en 1930 (avec « les trois ») pour son opposition à la politique de la troisième période. Il était entré au S.I. la même année et avait été chargé des relations avec les pays latins et du bulletin international. Le 31 mars, il avait écrit aux autres membres du S.I. et à Trotsky pour souligner l'incapacité du S.I. de faire face à sa tâche et proposer son déplacement. Le 3 avril, il avait suggéré à Trotsky de reconstruire le S.I. autour de militants jeunes (il proposait Wolf, Held et Harold R. Isaacs) et de le transférer soit à New York, soit dans une ville scandinave.
  2. Théodore était le nom de code du secrétariat international. Son travail avait été gravement perturbé par la crise de la section française et récemment par l'absentéisme pratiqué par Ruth Fischer.
  3. Trotsky a écrit « pourraient ».
  4. Dans les deux pays, les troskystes étaient en principe organisés au sein de la social‑démocratie (S.F.I.O. et P.O.B.), mais dans le premier ils avaient été exclus et dans le second étaient sur le point de l'être.
  5. Il s'agit de la réédition, sous le titre Défense du Terrorisme, de Terrorisme et Communisme, dirigé contre Kautsky.
  6. Trotsky a écrit « respective ».
  7. Joaquin Maurín Jullia (1896‑1973), ancien dirigeant de la C.N.T., puis du parti communiste, avait été exclu en 1930 avec la fédération catalano‑baléare qu'il dirigeait. Il avait fondé le Bloc ouvrier et paysan de Catalogne (et à l'échelle espagnole la fédération communiste ibérique qui n'avait pas la même réalité que le « bloc »). C'est cette organisation qui constituait l'axe du regroupement effectué en septembre 1935 avec d'autres organisations, dont la Izquierda Comunista, et qui avait constitué un nouveau parti, le P.O.U.M. (Partido Obrero de Unificación Marxista).
  8. La Batalla, qui avait été l'organe du Bloc était devenue l'hebdomadaire du P.O.U.M. Ce dernier avait signé le programme électoral des gauches et fait élire Maurín sur ses listes. Mais, dès le lendemain des élections, La Batalla s'était mise à critiquer le Front populaire et avait expliqué sa signature par les nécessités de la manœuvre électorale. Leonetti l'avait indiqué à Trotsky dans sa lettre du 3 avril.
  9. Le programme électoral que le P.O.U.M. avait signé par l'intermédiaire de son représentant Juan Andrade préconisait une politique étrangère conforme aux principes de la S.D.N.
  10. Cf. les notes de la lettre du 12 avril, n. 10, p. 176 et 12, p. 177.Pour une fois - le fait est assez rare pour qu'on puisse le souligner ‑ Trotsky utilise deux paragraphes d'une de ses lettres pour en faire des notes dans un article.