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2. La théorie de la connaissance de l’empiriocriticisme et du matérialisme dialectique. II
- Préfaces
- 1. La théorie de la connaissance de l’empiriocriticisme et du matérialisme dialectique. I
- 2. La théorie de la connaissance de l’empiriocriticisme et du matérialisme dialectique. II
- 3. La théorie de la connaissance de l’empiriocriticisme et du matérialisme dialectique. III
- 4. Les philosophes idéalistes, frères d’armes et successeurs de l'empiriocriticisme
- 5. La révolution moderne dans les sciences de la nature et l’idéalisme philosophique
- 6. L'empiriocriticisme et le matérialisme historique
- Conclusion
- Supplément au 4.1: De quel coté N. Tchernychevski abordait-il la critique du kantisme ?
1. La « chose en soi », ou V. Tchernov réfute F. Engels[modifier le wikicode]
Nos disciples de Mach ont tant écrit sur la « chose en soi » que la réunion de tout cela formerait des monceaux de papier imprimé. La « chose en soi » est la vraie bête noire[1] de Bogdanov et de Valentinov, de Bazarov et de Tchernov, de Bormann et de Iouchkévitch. Pas d'épithète « bien sentie » qu'ils ne lui décernent, pas de raillerie dont ils ne l'accablent. Mais contre qui guerroient‑ils à propos de cette malencontreuse « chose en soi » ? C'est ici que commence la division, selon les partis politiques, des philosophes machistes russes. Les disciples de Mach se réclamant du marxisme combattent tous la « chose en soi » Plekhanovienne, accusant, Plekhanov d'errer, de tomber dans le kantisme et de s'écarter d'Engels. (Nous envisagerons le premier de ces griefs au chapitre IV ; nous ne traiterons ici que du second.) M. V. Tchernov, disciple de Mach, populiste, ennemi juré du marxisme, part en guerre pour la « chose en soi », contre Engels.
On rougit de l'avouer, mais on aurait tort de le celer : cette fois la franche hostilité de M. Victor Tchernov envers le marxisme a fait de lui un adversaire littéraire plus à cheval sur les principes que nos camarades du Parti, que nos contradicteurs en philosophies. Car c'est uniquement par mauvaise foi (ou peut‑être aussi par ignorance du matérialisme ?) que les disciples de Mach se réclamant du marxisme ont diplomatiquement laissé Engels à l'écart, complètement ignoré Feuerbach pour ne piétiner qu'autour de Plekhanov. Ils ne font en effet que piétiner sur place, chercher à un disciple d'Engels une querelle morne et mesquine, des chicanes, tout en se dérobant avec pusillanimité à l'analyse directe des vues du maître. Le but de ces notes rapides étant de montrer, le caractère réactionnaire du machisme et la justesse du matérialisme de Marx et d'Engels, nous ne nous occuperons pas du bruit fait autour de Plekhanov par les disciples de Mach se réclamant du marxisme, pour passer directement à Engels réfuté par l'empiriocriticiste M. V. Tchernov. L'article intitulé « Marxisme et philosophie transcendantale », dans les Etudes de philosophie et de sociologie de V. Tchernov (Moscou, 1907 ; recueil d'articles écrits, à peu d'exceptions près, avant 1900), commence d'emblée par une tentative d'opposer Marx à Engels, ce dernier étant accusé de professer un « matérialisme naïvement dogmatique » et le « dogmatisme matérialiste le plus grossier » (pp. 29 et 32). De l'avis de M. V. Tchernov, les arguments opposés par Engels à la chose en soi de Kant et à la philosophie de Hume en sont des preuves « suffisantes ». Commençons donc par ces arguments.
Engels déclare dans son Ludwig Feuerbach que le matérialisme et l'idéalisme sont les courants philosophiques fondamentaux. Le matérialisme tient la nature pour le facteur premier et l'esprit pour le facteur second ; il met l'être au premier plan et la pensée au second. L'idéalisme fait le contraire. Engels met l'accent sur cette distinction radicale entre les « deux grands camps » qui séparent les philosophes des « différentes écoles » de l'idéalisme et du matérialisme, et accuse nettement de « confusionnisme » ceux qui emploient ces deux derniers termes dans un autre sens.
« La question suprême de toute philosophie », « la grande question fondamentale de toute la philosophie, et spécialement de la philosophie moderne », dit Engels, est « celle du rapport de la pensée à l'être, de l'esprit à la nature ». Selon la réponse qu'ils faisaient à cette question fondamentale, les philosophes se divisaient en « deux grands camps ». Engels indique que cette question philosophique fondamentale « a encore un autre aspect » : « quelle relation y a‑t‑il entre nos idées sur le monde environnant et ce monde lui‑même ? Notre pensée est‑elle en état de connaître le monde réel ? Pouvons‑nous dans nos représentations et conceptions du monde réel reproduire une image fidèle de 'la réalité ?[2] »
« L'immense majorité des philosophes y répondent d'une façon affirmative », dit Engels, qui range dans cette majorité non seulement la totalité des matérialistes, mais encore les idéalistes les plus conséquents, tels que l'idéaliste absolu Hegel, pour qui le monde réel était la réalisation d'une « idée absolue » existant depuis toujours, que l'esprit humain conçoit dans le monde réel et au moyen de ce monde, dont il prend exactement conscience.
« Mais il existe encore » (c'est‑à‑dire parallèlement aux matérialistes et aux idéalistes conséquents) « toute une série d'autres philosophes qui contestent la possibilité de la connaissance du monde ou du moins de sa connaissance complète. Parmi les modernes, il faut mentionner Hume et Kant lesquels ont joué un rôle tout à fait considérable dans le développement de la philosophie »...
Ces mots d'Engels cités, M. V. Tchernov se jette dans la bataille. Il fait suivre le nom de « Kant » de la note que voici :
« Il était plutôt singulier de ranger, en 1888, parmi les « modernes », des philosophes tels que Kant et surtout Hume. A cette époque il eût été plus naturel d'entendre nommer Cohen, Lange, Riehl, Laas, Liebmann, Göring et d'autres. Engels n'etait visiblement pas fort en philosophie « moderne » (p. 33, note 2).
M. V. Tchernov est fidèle à lui‑même. En économie comme en philosophie, il garde sa ressemblance avec le Vorochilov[3] de Tourguénev, qui pulvérise tour à tour, par simple référence à des noms « savants », l'ignare Kautsky[4] ou l'ignare Engels ! Le malheur est que toutes les autorités invoquées par M. Tchernov sont les néo‑kantiens qualifiés par Engels, à la même page de son Ludwig Feuerbach, de théoriciens réactionnaires mus par le désir de redonner vie au cadavre des doctrines depuis longtemps réfutées de Kant et de Hume. Ce brave M. Tchernov n'a pas compris qu'Engels réfute justement ces professeurs confusionnistes faisant autorité (pour les disciples de Mach) !
Ayant mentionné l'argumentation « décisive » produite par Hegel contre Hume et Kant, et complétée par Feuerbach avec plus d'esprit que de profondeur, Engels continue :
« La réfutation la plus frappante de cette lubie philosophique (ou inventions, Schrullen), comme d'ailleurs de toutes les autres, est la pratique, notamment l'expérience et l'industrie. Si nous pouvons prouver la justesse de notre conception d'un phénomène naturel en le créant nous‑mêmes, en le produisant à l'aide de ses conditions, et, qui plus est, en le faisant servir à nos fins, c'en est fini de la « chose en soi » insaisissable de Kant (ou inconcevable : unfassbaren ‑ ce mot important a été omis et dans la traduction de Plekhanov et dans celle de M. V. Tchernov). Les substances chimiques produites dans les organismes végétaux et animaux restèrent de telles « choses en soi » jusqu'à ce que la chimie organique se fût mise à les préparer l'une après l'autre ; par là, la « chose en soi » devient une chose pour nous, comme, par exemple, la matière colorante de la garance, l'alizarine, que nous ne faisons plus pousser dans les champs sous forme de racines de garance, mais que nous tirons bien plus simplement et à meilleur marché du goudron de houille » (p. 16 de l'ouvrage cité).
Ce raisonnement cité, M. V. Tchernov, décidément hors de lui, pulvérise complètement le pauvre Engels. Ecoutez : « Aucun néo‑kantien ne sera, certes, étonné d'apprendre qu'on peut tirer l'alizarine du goudron de houille « à meilleur marché et bien plus simplement ». Mais que l'on puisse aussi obtenir de ce goudron, à tout aussi bon marché, la réfutation de la « chose en soi », voilà qui paraîtra sans contredit ‑ et pas seulement aux néo‑kantiens ‑ une découverte remarquable s'il en fut. »
« Engels, ayant vraisemblablement appris que la « chose en soi » est, d'après Kant, inconnaissable, a changé ce théorème en sa réciproque et conclu que tout ce qui est inconnu est chose en soi... » (p. 33).
Voyons, M. le disciple de Mach, mentez, mais ne dépassez pas la mesure ! Car vous mutilez, sous les yeux du public la citation d'Engels que vous prétendez « démolir » sans même avoir compris ce dont il y est question !
D'abord, il n'est pas vrai qu'Engels « obtienne une réfutation de la « chose en soi ». Engels dit clairement et nettement qu'il réfute la chose en soi insaisissable (ou inconnaissable) de Kant. M. Tchernov obscurcit la conception matérialiste d'Engels sur l'existence des choses indépendamment de notre conscience. En second lieu, si le théorème de Kant porte que la chose en soi est inconnaissable, la « réciproque » du théorème sera : l'inconnaissable est chose en soi. M. Tchernov a substitué à l'inconnaissable l'inconnu, sans se rendre compte que par cette substitution il obscurcissait et faussait une fois de plus la conception matérialiste d'Engels.
M. V. Tchernov est tellement dérouté par les réactionnaires de la philosophie officielle, dont il a fait ses guides, qu’il s'est mis à faire du tapage et à crier contre Engels sans avoir absolument rien compris à l'exemple cité. Essayons d'expliquer à ce représentant du machisme de quoi il retourne.
Engels dit clairement et nettement qu'il objecte à la fois à Hume et à Kant. Or, il n'est même pas question de « chose en soi inconnaissable » chez Hume. Qu'y a‑t‑il donc de commun entre ces deux philosophes ? C'est qu'ils séparent en principe les « phénomènes » et les choses représentées par les phénomènes, la sensation et la chose sentie, la chose pour nous et la « chose en soi ». Hume, d'ailleurs, ne veut rien savoir de la « chose en soi » dont il considère l'idée même comme inadmissible en philosophie, comme de la « métaphysique » (c'est ainsi que s'expriment les disciples de Hume et de Kant). Kant admet, par contre, l’existence de la « chose en soi » mais la déclare « inconnaissable », différente en principe du phénomène, ressortissant à un tout autre domaine, au domaine de « l'au‑delà » (Jenseits), inaccessible au savoir, mais révélé par la foi.
Quel est le fond de l'objection d'Engels ? Hier nous ne savions pas que le goudron de houille contient de l'alizarine. Nous le savons aujourd'hui. La question est de savoir si l'alizarine existait hier dans le goudron de houille.
Mais certainement. Le moindre doute à ce sujet serait un défi jeté aux sciences de la nature contemporaines.
Et s'il en est ainsi, trois importantes conclusions gnoséologiques s'imposent :
Des choses existent indépendamment de notre conscience, indépendamment de nos sensations, en dehors de nous, car il est certain que l'alizarine existait hier dans le goudron de houille, et il est tout aussi certain que nous n'en savions rien, que cette alizarine ne nous procurait aucune sensation.
Il n'y a, il ne peut y avoir aucune différence de principe entre le phénomène et la chose en soi. Il n'y a de différence qu'entre ce qui est connu et ce qui ne l'est pas encore. Quant aux inventions philosophiques sur l'existence d'une limite spéciale entre ces deux catégories, sur une chose en soi située « au‑delà » des phénomènes (Kant), sur la possibilité ou la nécessité d'ériger une barrière philosophique entre nous et le problème du monde encore inconnu dans telle ou telle de ses parties, mais existant en dehors de nous (Hume), tout cela n'est que lubie, Schrulle, expédients et inventions.
Dans la théorie de la connaissance, comme dans tous les autres domaines de la science, il importe de raisonner dialectiquement, c'est‑à‑dire de ne pas supposer notre conscience immuable et toute faite, mais d'analyser comment la connaissance naît de l'ignorance, comment la connaissance incomplète, imprécise, devient plus complète et plus précise.
Sitôt admis que le développement de la connaissance humaine a son point de départ dans l'ignorance, vous verrez des millions d'exemples tout aussi simples que la découverte de l'alizarine dans le goudron de houille, des millions d'observations tirées non seulement de l'histoire de la science et de la technique, mais aussi de la vie quotidienne de chacun de nous, nous montrer la transformation des « choses en soi » en « choses pour nous », l'apparition de « phénomènes » au moment où nos organes des sens reçoivent une impression provenant du dehors, de tel ou tel objet, et la disparition des « phénomènes » au moment où tel ou tel obstacle écarte les possibilités d'action d'un objet manifestement existant sur nos organes des sens. La seule conclusion que tirent inévitablement tous les hommes dans la vie pratique, et que le matérialisme met sciemment à la base de sa gnoséologie, c'est qu'il existe en dehors de nous et indépendamment de nous des objets, des choses, des corps, que nos sensations sont des images du monde extérieur. La théorie opposée de Mach (les corps sont des complexes de sensations) n'est qu'une lamentable absurdité idéaliste. Quant à M. Tchernov, il s'est une fois de plus rendu semblable à Vorochilov par son « analyse » d’Engels : le simple exemple fourni par Engels lui a paru « naïf et singulier » ! Ne sachant distinguer entre l'éclectisme professoral et la théorie matérialiste conséquente de la connaissance, il n'admet de philosophie que dans les subtilités savantissimes.
Point n'est possible ni besoin d'analyser toutes les autres réflexions de M. Tchernov : c'est toujours la même absurdité prétentieuse (telle, par exemple, l'affirmation selon laquelle l'atome est pour les matérialistes une chose en soi !). Notons seulement une réflexion sur Marx qui se rapporte à notre sujet (et qui semble avoir désorienté quelques personnes) : Marx se séparerait d'Engels. Il s'agit de la deuxième thèse de Marx sur Feuerbach et de la traduction par Plekhanov du mot : Diesseitigkeit.
Voici cette deuxième thèse : « La question de savoir si la pensée humaine peut aboutir à une vérité objective, n'est pas une question théorique, mais une question pratique. C'est dans la pratique qu'il faut que l'homme prouve la vérité, c'est‑à‑dire la réalité, et la puissance, l'en‑deçà de sa pensée. La discussion sur la réalité ou l'irréalité de la pensée, isolée de la pratique, est purement scolastique. »
Au lieu de « prouver l'en‑deçà de sa pensée » (traduction littérale), il y a chez Plekhanov : prouver que la pensée « ne s’arrête pas en deçà des phénomènes ». Et M. V. Tchernov de s'écrier : « la contradiction entre Engels et Marx est ainsi écartée avec une extrême simplicité », « il en ressort que Marx aurait admis, tout comme Engels, la possibilité de la connaissance des choses en soi et l'au‑delà de la pensée » (ouvrage cité, p. 34, note).
Ayez donc affaire à ce Vorochilov, dont chaque phrase est un brouillamini sans nom ! C'est faire preuve d'ignorance, M. Victor Tchernov, que de ne pas savoir que tous les matérialistes admettent la possibilité de connaître les choses en soi. C'est faire preuve d'ignorance, M. Victor Tchernov, ou de négligence sans bornes, que de sauter par-dessus la toute première phrase de la thèse sans vous rendre compte que la « vérité objective » (gegenständliche Wahrheit) de la pensée ne signifie pas autre chose que l'existence des objets (=« choses en soi ») reflétés tels qu'ils sont par la pensée. C'est ignorance crasse, M. Victor Tchernov, d'affirmer que, de l'exposé de Plekhanov (Plekhanov a fait un exposé et non une traduction), il « ressort » que Marx défend l'au‑delà de la pensée. Car les adeptes de Hume et de Kant sont seuls à arrêter la pensée humaine « en deçà des phénomènes ». Pour tous les matérialistes, y compris ceux du XVIl° siècle, que l'évêque Berkeley exterminait (voir l'introduction de ce livre), les « phénomènes » sont des « choses pour nous » ou des copies des « objets en eux-mêmes ». Ceux qui veulent connaître la pensée de Marx ne sont certes pas tenus de recourir à la libre transposition de Plekhanov, mais ils sont tenus en revanche d'approfondir Marx au lieu de se livrer, à la Vorochilov, à de fantaisistes randonnées.
Fait curieux : si, parmi des gens qui se disent socialistes, il en est qui ne veulent pas ou ne peuvent pas approfondir les « thèses » de Marx, on trouve parfois des philosophes bourgeois rompus aux choses de la philosophie et qui font preuve de plus de bonne foi. Je connais un écrivain qui a étudié la philosophie de Feuerbach et analysé, en relation avec celle‑ci, les « thèses » de Marx. Cet écrivain, Albert Lévy, a consacré le troisième chapitre de la deuxième partie de son livre sur Feuerbach à l'étude de l'influence de ce philosophe sur Marx[5]. Sans nous demander si Lévy interprète toujours de façon juste Feuerbach, et comment il critique Marx du point de vue bourgeois habituel, nous citerons seulement son appréciation du contenu philosophique des célèbres « thèses » de Marx. « Marx, dit Lévy à propos de la première thèse, admet d'une part, avec tout le matérialisme antérieur et avec Feuerbach, qu'à nos représentations des choses correspondent des objets réels et distincts hors de nous »…
Albert Lévy, on le voit, saisit bien d'emblée la thèse fondamentale du matérialisme, non pas seulement du matérialisme marxiste, mais de tout matérialisme, de « tout le matérialisme antérieur » : admission des objets réels existant hors de nous, auxquels « correspondent » nos représentations. Cet a b c de tout le matérialisme en général n'est ignoré que des disciples russes de Mach. Lévy poursuit :
« ... Marx regrette d'autre part que le matérialisme ait laissé à l'idéalisme le soin d'apprécier l'importance des forces actives » (c'est‑à‑dire de la vie pratique humaine). « Ce sont donc ces forces actives qu'il faut, selon Marx, enlever à l'idéalisme pour les réintégrer dans le système matérialiste ; mais il faudra naturellement rendre à ces forces actives le caractère réel et sensible que l'idéalisme n'a pu leur reconnaître. L'idée de Marx est donc la suivante : de même qu'à nos représentations correspondent des objets réels hors de nous, de même à notre activité phénoménale correspond une activité réelle hors de nous, une activité des choses ; en ce sens, l'humanité ne participe pas seulement à l'absolu par la connaissance théorique, mais encore par l'activité pratique ; et toute l'activité humaine acquiert ainsi une dignité, une noblesse qui lui permet d'aller de pair avec la théorie : l'activité, révolutionnaire a désormais une portée métaphysique »...
A. Lévy est professeur. Or, un professeur qui se respecte ne peut s'empêcher de traiter les matérialistes de métaphysiciens. Pour les professeurs idéalistes, disciples de Hume et de Kant, le matérialisme quel qu'il soit est une « métaphysique », puisque, au‑delà du phénomène (la chose pour nous), il voit le réel hors de nous. A. Lévy a donc raison de dire, quant au fond : l'« activité des choses » correspond pour Marx à l' « activité phénoménale » de l'humanité ; autrement dit : la pratique de l'humanité a une valeur non seulement phénoménale (au sens de Hume et de Kant), mais aussi objective et réelle. Le critérium de la pratique, comme nous le montrerons en détail en son lieu et place (§ 6), a une tout autre valeur chez Mach que chez Marx. « L'humanité participe à l'absolu », cela veut dire : la connaissance humaine reflète la vérité absolue (v. plus bas, au § 5), la pratique de l'humanité, en contrôlant nos représentations, y confirme ce qui correspond à la vérité absolue. A. Lévy continue :
« ... Arrivé à ce point, Marx se heurte naturellement aux précautions de la critique ; il a admis l'existence de choses en soi, dont notre théorie est la traduction humaine ; il ne lui est pas possible, d'éluder l'objection ordinaire qu'est‑ce qui vous garantit la fidélité de la traduction ? Qu'est‑ce qui prouve que la pensée humaine vous donne une vérité objective ? C'est à cette abjection que Marx répond dans la deuxième thèse » (p. 291).
Le lecteur s'en rend bien compte : A. Lévy ne doute pas un instant que Marx n'admette l'existence des choses en soi !
2. Du « transcensus », ou V. Bazarov « accommode » Engels[modifier le wikicode]
Mais si les disciples russes de Mach se réclamant du marxisme, ont diplomatiquement passé sous silence une des déclarations les plus précises et les plus catégoriques d'Engels, ils ont par contre « accommodé » une autre affirmation du même auteur tout à fait dans la manière de Tchernov. Quelque ennuyeuse et difficile que soit la tâche de corriger les mutilations et les déformations des textes cités, il est impossible de s'y soustraire pour qui veut parler des disciples russes de Mach.
Voici comment Bazarov accommode Engels.
Dans un article sur « Le matérialisme historique »[6] Engels dit ce qui suit des agnostiques anglais (philosophes marchant sur les traces de Hume ) :
« ... Notre agnostique admet aussi que nos connaissances sont basées sur les données (Mitteilungen) fournies par les sens »...
Notons, pour éclairer nos disciples de Mach, que l'agnose (disciple de Hume) adopte aussi pour point de départ les sensations et ne reconnaît aucune autre source de la connaissance. L'agnostique est un « positiviste » authentique. Que les partisans du « positivisme moderne » en prennent note !
« ... Mais il (l'agnostique) s'empresse d'ajouter : « Comment savoir que nos sens nous fournissent de correctes représentations (Abbilder) des objets perçus par leur intermédiaire ? » Et il continue, en nous informant que, quand il parle des objets et de leurs qualités, il n'entend pas en réalité ces objets et ces qualités, dont on ne peut rien savoir de certain, mais simplement les impressions par eux produites sur ses sens. »
Quelles sont les deux tendances philosophiques qu'Engels oppose ici l'une à l'autre ? D'abord, celle qui considère que les sens nous fournissent une reproduction fidèle des choses, que nous connaissons ces choses mêmes, que le monde extérieur agit sur nos organes des sens. Tel est le matérialisme que l'agnostique répudie. Quel est donc le fond de sa tendance ? C'est qu'il ne va pas au‑delà des sensations ; qu'il s’arrête en deçà des phénomènes, se refusant à voir quoi que ce soit de « certain » au‑delà des sensations. Nous ne pouvons rien savoir de certain de ces choses mêmes (c'est‑à‑dire choses en soi, des « objets en eux-mêmes », comme s’exprimaient les matérialistes contre lesquels s'élevait Berkeley), telle est la déclaration très précise de l'agnostique. Ainsi, le matérialiste affirme, dans la discussion dont parle Engels, l'existence des choses en soi et la possibilité de les connaître. L'agnostique n'admettant même pas l'idée des choses en soi, affirme que nous ne pouvons en connaître rien de certain.
Quelle est donc la différence entre le point de vue de l’agnostique, tel que l'expose Engels, et celui de Mach ? Viendrait‑elle du « nouveau » vocable « élément » ? Mais c’est pur enfantillage d'admettre que la terminologie puisse modifier la tendance philosophique et que les sensations cessent d'être des sensations dès qu'on les a qualifiées d'« éléments » ! Serait‑elle dans cette idée « nouvelle » que les mêmes éléments constituent le physique dans une connexion et le psychique dans une autre ? Mais n'avez‑vous pas remarqué que, chez Engels, l'agnostique substitue lui aussi les « impressions » à « ces choses mêmes » ? C'est donc que cet agnostique distingue lui aussi, quant au fond, les « impressions » physiques et psychiques ! Cette fois encore la différence réside exclusivement dans la terminologie. Quand Mach dit : les corps sont des complexes de sensations, il suit Berkeley. Quand il « se corrige » en disant : les « éléments » (les sensations) peuvent être physiques dans une connexion et psychiques dans une autre, il est agnostique, il suit Hume. Dans sa philosophie Mach ne sort pas de ces deux tendances, et il faut être d'une naïveté excessive pour ajouter foi aux propos de ce confusionniste affirmant qu'il a « dépassé » en réalité le matérialisme et l'idéalisme.
C'est à dessein qu'Engels ne cite pas de noms dans son exposé, car il veut critiquer non pas tel ou tel représentant de la doctrine de Hume (les philosophes de profession sont fort enclins à considérer comme des systèmes originaux les modifications minuscules que l'un d'eux apporte à la terminologie ou à l'argumentation), mais toute la tendance de Hume. Engels critique le fond et non les détails ; il examine les points fondamentaux sur lesquels tous les disciples de Hume s'écartent du matérialisme, et c'est pourquoi sa critique atteint aussi bien Mill et Huxley que Mach. Disons-nous que la matière est une possibilité permanente de sensation (d'après John Stuart Mill), ou qu'elle représente des complexes plus ou moins stables d'« éléments », de sensations (d'après E. Mach), nous demeurons dans les limites de l'agnosticisme ou de la doctrine de Hume ; ces deux conceptions, ou plutôt ces deux formules, sont comprises dans l'exposé de l'agnosticisme donné par Engels : l'agnostique ne va pas au‑delà des sensations, en déclarant qu'il ne peut rien savoir de certain de leur origine ou de leur nature vraie, etc. Et si Mach attache une grande importance à son désaccord avec Mill sur cette question, c'est parce qu'il est un « écraseur de puces » (Flohknacker) comme ces professeurs ordinaires dont parle Engels. Au lieu de renoncer à votre conception principale et équivoque, vous n'avez fait qu'écraser une puce, messieurs, avec vos pauvres corrections et vos changements de terminologie !
Comment le matérialiste Engels (au début de son article, Engels oppose franchement et résolument son matérialisme à l'agnosticisme) réfute‑t‑il ses arguments ?
« ... Il nous semble difficile, dit‑il, de combattre avec des arguments cette manière de raisonner. Mais avant l'argumentation était l'action. Im Anfang war die Tat (« Au commencement était l'action »). Et l'action humaine a résolu la difficulté longtemps avant que l'ingéniosité humaine l'eût inventée. The proof of the pudding is in the eating (la preuve du pudding, c'est qu'on le mange). Du moment que nous employons à notre usage ces objets d'après les qualités que nous percevons en eux, nous soumettons à une épreuve infaillible l'exactitude ou l'inexactitude de nos perceptions sensorielles. Si ces perceptions sont fausses, l'usage de l'objet qu'elles nous ont suggéré est faux ; par conséquent, notre tentative doit échouer. Mais si nous réussissons à atteindre notre but, si nous constatons que l'objet correspond à l'idée que nous en avons, c'est la preuve positive que nos perceptions de l'objet et ses qualités concordent jusque‑là avec la réalité en dehors de nous ... »
La théorie matérialiste, la théorie du reflet des objets par la pensée, est exposée ici en toute clarté : les choses existent hors de nous. Nos perceptions et nos représentations en sont les images. Le contrôle de ces images, la distinction entre les images exactes et les images erronées, nous est fourni par la pratique. Mais suivons Engels un peu plus loin (Bazarov termine ici sa citation d'Engels ou de Plekhanov, estimant visiblement superflu de compter avec Engels) :
« ... Quand nous échouons, nous ne sommes pas longs généralement à découvrir la cause de notre insuccès : nous trouvons que la perception qui a servi de base à notre tentative, ou bien était par elle‑même incomplète ou superficielle, ou bien avait été rattachée d'une façon que ne justifiait pas la réalité aux données d'autres perceptions... » (La traduction russe dans le Matérialisme historique n'est pas exacte.) « Aussi souvent que nous aurons pris le soin d'éduquer et d'utiliser correctement nos sens et de renfermer notre action dans les limites prescrites par nos perceptions correctement obtenues et correctement utilisées, aussi souvent nous trouverons que le résultat de notre action démontre la conformité (übereinstimmung) de nos perceptions avec la nature objective (gegenständlich) des objets perçus. Jusqu'ici il n'y a pas un seul exemple que nos perceptions sensorielles, scientifiquement contrôlées, engendrent dans notre esprit des idées sur le monde extérieur, qui soient par leur nature même, en contradiction avec la réalité ou qu'il y ait incompatibilité immanente entre le monde extérieur et les perceptions sensorielles que nous en avons.
Maintenant arrive l'agnostique néo‑kantien, et il dit... »
Remettons à une autre fois l'analyse des arguments des néo‑kantiens. Quiconque est tant soit peu au courant de la question ou tout bonnement attentif, comprendra certainement qu'Engels expose ici le matérialisme toujours et partout combattu par les disciples de Mach. Voyez maintenant les procédés à l'aide desquels Bazarov accommode Engels :
« Engels s'oppose, en effet, sur ce point à l'idéalisme de Kant », écrit Bazarov à propos du fragment de citation que nous venons de produire…
C'est faux. Bazarov brouille les choses. Dans le passage qu'il cite et que nous avons complété, il n'y a pas une syllabe qui ait trait au kantisme ou à l'idéalisme. Si Bazarov avait vraiment lu en entier l'article d'Engels, il lui eût été impossible de ne pas voir qu'Engels ne parle du néo‑kantisme et de toute la tendance de Kant que dans l'alinéa suivant, à l'endroit où nous avons interrompu notre citation. Et si Bazarov avait lu avec attention le passage qu'il cite lui‑même, s'il y avait réfléchi, il lui eût été impossible de ne pas voir qu'il n'y a absolument rien d'idéaliste ni de kantien dans les arguments de l'agnostique, réfutés par Engels, l'idéalisme ne commençant que lorsque le philosophe affirme que les choses sont nos sensations, et le kantisme ne commençant que lorsque le philosophe dit : la chose en soi existe, mais elle est inconnaissable. Bazarov a confondu le kantisme avec la doctrine de Hume, parce qu'en sa qualité de demi‑disciple de Berkeley et de demi-disciple de Hume, appartenant à la secte de Mach, il ne comprend pas (nous le préciserons plus loin) la différence entre l'opposition de Hume et l'opposition du matérialisme au kantisme.
« …Mais, hélas ! continue Bazarov, son argumentation vise aussi bien la philosophie de Plekhanov que celle de Kant. Dans l'école de Plekhanov‑Orthodoxe, comme l'a déjà signalé Bogdanov, il règne un malentendu fatal sur la question de la conscience. Plekhanov s'imagine, comme tous les idéalistes d'ailleurs, que tout ce qui est donné par les sens, c’est-à-dire que tout ce qui est conscient est « subjectif » ; que prendre uniquement pour point de départ ce qui est donné en fait, c'est tomber dans le solipsisme, que l'existence réelle ne peut être découverte qu'au‑delà de tout ce qui immédiatement donné... »
Voilà qui est tout à fait dans la manière de Tchernov et de l'assurance qu'il nous donne que Liebknecht fut un populiste russe authentique ! Si Plekhanov est idéaliste et s'est écarté d'Engels, pourquoi vous, prétendu disciple d'Engels, n’êtes‑vous pas matérialiste ? C'est bien là une lamentable mystification, camarade Bazarov ! Avec l'expression de Mach : « ce qui est immédiatement donné », vous obscurcissez la différence entre l'agnosticisme, l'idéalisme et le matérialisme. Sachez donc que « ce qui est immédiatement donné », « donné en fait », etc., n'est que confusion imaginée par les disciples de Mach, les immanents et tous autres réactionnaires en philosophie ; qu'une mascarade où l'agnostique (et parfois aussi chez Mach, l'idéaliste) se travestit en matérialiste. Pour le matérialiste, c'est le monde extérieur dont nos sensations sont les images, qui est « donné en fait ». Pour l'idéaliste, c'est la sensation qui est « donnée en fait », et le monde extérieur est déclaré « complexe de sensations ». Pour l'agnostique la sensation est également « immédiatement donnée », mais il ne va pas au‑delà , ni vers la théorie matérialiste de la réalité du monde extérieur, ni vers la théorie idéaliste qui considère ce monde comme notre sensation. C’est pourquoi votre expression : « l'existence réelle (d'après Plekhanov) ne peut être découverte qu'au‑delà de tout ce qui est immédiatement donné » est un non‑sens, conséquence inévitable de votre point de vue de disciple de Mach. Et si vous êtes en droit d'adopter l'attitude qui vous convient, y compris celle d'un disciple de Mach, vous n'avez pas le droit de falsifier Engels, puisque vous en parlez. Or, Engels fait ressortir en toute clarté que l'existence réelle est, pour le matérialiste, au‑delà des limites de la « perception des sens », des impressions et des représentations humaines, alors qu'il n'est pas possible, pour l'agnostique, de sortir des limites de ces perceptions. Ayant cru Mach, Avenarius et Schuppe prétendant que ce qui est donné « immédiatement » (ou en fait) embrasse à la fois le Moi percevant et le milieu perçu dans la fameuse coordination « indissoluble », Bazarov s'évertue à attribuer, à l'insu du lecteur, cette absurdité au matérialiste Engels !
« ... Le passage précité d'Engels semble avoir été écrit spécialement pour dissiper, de la façon la plus populaire, la plus accessible, ce malentendu idéaliste... »
Ce n'est pas pour rien que Bazarov a été à l'école d'Avenarius ! Il continue la mystification de ce dernier : introduire, en contrebande, en feignant de combattre l'idéalisme (dont il n'est pas question dans ce texte d'Engels), la « coordination » idéaliste. Ce n'est pas mal, camarade Bazarov !
« ... L'agnostique demande : Comment savons‑nous que nos sens subjectifs nous fournissent une représentation exacte des choses ?... »
Vous confondez, camarade Bazarov ! Engels ne formule pas lui‑même et n'a garde d'attribuer à son adversaire agnostique une énormité dans le genre des sens « subjectifs ». Il n'y a point d'autres sens que les sens humains, c'est‑à‑dire « subjectifs », car nous raisonnons du point de vue de l'homme, et non de celui du loup-garou. De nouveau vous attribuez sournoisement à Engels la doctrine de Mach : pour l'agnostique, laissez‑vous entendre, les sens, ou plutôt les sensations, ne sont que subjectifs (telle n'est pas l'opinion de l'agnostique !), mais nous avons, de concert avec Avenarius, indissolublement « coordonné » l'objet et le sujet. Ce n'est pas mal, camarade Bazarov !
« ... Mais qu'appelez‑vous « exact », objecte Engels. Ce que notre pratique confirme ; dès lors, comme nos perceptions sensibles sont confirmées par l'expérience, elles ne sont pas « subjectives », c'est‑à‑dire qu'elles ne sont pas arbitraires ou illusoires, mais exactes, conformes à la réalité, en tant que telles... »
Vous confondez, camarade Bazarov ! Vous avez substitué à la question de l'existence des choses en dehors de nos sensations, de nos perceptions, de nos représentations, celle du critérium de l'exactitude de nos représentations de « ces mêmes » choses ; plus précisément : vous masquez la première question par la seconde. Or, Engels dit franchement et nettement que ce qui le sépare de l'agnostique, ce n'est pas seulement le doute de ce dernier sur l'exactitude des reproductions, mais aussi le doute agnostique sur la possibilité de parler des choses mêmes, sur la possibilité de connaître « authentiquement » leur existence. Pourquoi Bazarov use‑t‑il de ce subterfuge ? C'est pour obscurcir, brouiller la question fondamentale pour le matérialisme (et pour Engels en tant que matérialiste), de l'existence des choses en dehors de notre conscience, et dont l'action sur nos organes des sens suscite nos sensations. On ne peut être matérialiste sans répondre par l'affirmative à cette question. Mais on reste matérialiste en professant des opinions variées sur le critérium de l'exactitude des reproductions que nous fournissent nos organes des sens.
Bazarov accroît encore la confusion quand il attribue à Engels, dans la discussion de ce dernier avec l'agnostique, l'absurde et ignorante formule suivant laquelle nos perceptions sensibles seraient confirmées par l'« expérience ». Engels n'a pas employé ni ne pouvait employer ici ce mot, sachant que l'idéaliste Berkeley, l'agnostique Hume et le matérialiste Diderot, se réfèrent tous les trois à l'expérience.
« ... Dans les limites où nous avons affaire aux choses dans la pratique, les représentations des choses et de leurs propriétés coïncident avec la réalité existant hors de nous. « Coïncider » est autre chose qu'un « hiéroglyphe ». Coïncident, cela signifie que la représentation sensible est (souligné par Bazarov) justement, dans les limites données, la réalité existant hors de nous... »
La fin couronne l’œuvre ! Engels, accommodé à la manière de Mach, est rôti et servi à la sauce machiste. Mais que nos honorables cuisiniers prennent garde à ne pas s'étrangler en avalant le morceau.
« La représentation sensible est justement la réalité existant hors de nous » !! Mais c'est là justement l'absurdité fondamentale, la confusion fondamentale et l'hypocrisie de la doctrine de Mach d'où est sorti tout le galimatias ultérieur de cette philosophie, qui vaut à Mach et à Avenarius les embrassades des immanents, ces réactionnaires avérés et prêcheurs de cléricalisme. V. Bazarov a eu beau tergiverser, ruser, diplomatiser pour tourner les points délicats, il n'en a pas moins fini par se trahir et nous livrer sa nature de disciple de Mach ! Dire : « la représentation sensible est justement la réalité existant hors de nous », c'est revenir à Hume ou même à Berkeley enfoui dans les brumes de la « coordination ». Mensonge idéaliste ou stratagème d'agnostique, camarade Bazarov, car la représentation sensible n'est que l'image de la réalité existant hors de nous, et non pas cette réalité. Vous voulez vous accrocher au double sens du mot : coïncider ? Vous voulez faire croire au lecteur mal informé que « coïncider » signifie ici « être identique », et non pas « correspondre » ? C'est fonder toute la falsification d'Engels à la manière de Mach sur la déformation du sens du texte cité, rien de plus.
Prenez l'original allemand et vous y verrez les mots « stimmen mit », c'est‑à‑dire correspondent ou s'accordent ; cette dernière traduction est littérale, car Stimme signifie voix. Les mots « stimmen mit » ne peuvent signifier coïncider dans le sens : « être identique ». Au reste, il est tout à fait clair ‑ et il ne peut en être autrement , même aux yeux du lecteur qui, sans connaître l'allemand, lit Engels avec un tout petit peu d'attention, ‑ qu'Engels ne cesse de considérer, tout au long de son raisonnement, la « représentation sensible » comme une image (Abbild) de la réalité existant hors de nous et que, par conséquent, le mot « coïncider » ne peut être employé que dans le sens de correspondre, de s'accorder, etc. Attribuer à Engels l'idée que « la représentation sensible est justement la réalité existant hors de nous », c'est un tel chef-d’œuvre de déformation à la Mach, de substitution de l'agnosticisme et de l'idéalisme au matérialisme, qu'on ne peut s'empêcher de reconnaître que Bazarov a battu tous les records !
On se demande comment des gens qui n'ont pas perdu la raison peuvent affirmer, sains d'esprit et de jugement, que la « représentation sensible (peu importe dans quelles limites) est justement la réalité existant hors de nous ». La Terre est une réalité existant hors de nous. Elle ne peut ni « coïncider » (au sens : être identique) avec notre représentation sensible, ni se trouver avec cette dernière en coordination indissoluble, ni être un « complexe d'éléments » identiques, dans une autre connexion, à la sensation, puisque la terre existait à des époques où il n'y avait ni êtres humains, ni organes des sens, ni matière organisée sous une forme supérieure laissant voir plus ou moins nettement que la matière a la propriété d'éprouver des sensations.
C'est à masquer toute l'absurdité idéaliste de cette assertion que servent les théories tirées par les cheveux de la « coordination », de l'« introjection », des éléments du monde nouvellement découverts, que nous avons analysées au premier chapitre. La formule imprudente que Bazarov émet par inadvertance a ceci de bon qu'elle révèle nettement une absurdité criante, qu'on aurait peine à exhumer autrement d'un fatras de balivernes professorales, pédantesques et pseudo‑savantes.
Gloire à vous, camarade Bazarov ! Nous vous élèverons une statue de votre vivant : nous y graverons, d'un côté, votre devise et, de l'autre : Au disciple russe de Mach qui a enterré la doctrine de Mach parmi les marxistes russes !
Nous parlerons ailleurs des deux points touchés par Bazarov dans le texte cité : du critérium de la pratique chez les agnostiques (les disciples de Mach y compris) et chez les matérialistes, et de la différence entre la théorie du reflet (ou de la projection) et celle des symboles (ou des hiéroglyphes). Pour l'instant, continuons encore à citer Bazarov :
« ... Et qu'y a‑t‑il au‑delà de ses limites ? Engels n'en souffle mot. Il ne manifeste nulle part le désir d'accomplir ce « transcensus », cette sortie hors des limites du monde sensible, qui est, chez Plekhanov, à la base de la théorie de la connaissance... »
Quelles sont « ces » limites ? Celles de la « coordination » de Mach et d'Avenarius, qui a la prétention de lier indissolublement le Moi et le milieu, le sujet et l'objet ? La question posée par Bazarov est en elle‑même dépourvue de sens..S'il l'avait posée humainement, il se serait rendu nettement compte que le monde extérieur est « au‑delà des limites » des sensations, des perceptions et des représentations de l'homme. Mais le petit mot « transcensus » trahit Bazarov encore et encore. « Expédient » spécifiquement kantien, propre aussi aux disciples de Hume, et qui consiste à marquer une différence de principe entre le phénomène et la chose en soi. Conclure du phénomène ou, si vous voulez, de notre sensation, de notre perception, etc., à la chose existant en dehors de la perception, c'est, dit Kant, un transcensus admissible pour la foi, et non pour la science. Le transcensus n'est pas admissible du tout, réplique Hume. Et les kantiens, comme les disciples de Hume, de qualifier les matérialistes de réalistes transcendantaux, de « métaphysiciens » qui se permettent le passage (en latin, transcensus) d'un domaine dans un autre, différent en principe. Vous pouvez trouver chez les professeurs contemporains de philosophie appartenant à la tendance réactionnaire de Kant et de Hume (prenez, par exemple, les noms cités par Vorochilov‑Tchernov), la répétition, sur tous les modes, de ces accusations d'« esprit métaphysique » et de « transcensus », portées contre le matérialisme. Bazarov emprunte ce petit mot, comme tout le mode de penser, aux professeurs réactionnaires et joue de ce mot au nom du « positivisme moderne » ! Le malheur est que l'idée même du « transcensus », c'est‑à‑dire de la différence de principe entre le phénomène et la chose en soi, est une idée absurde, propre aux agnostiques (disciples de Hume et de Kant compris) et aux idéalistes. L'exemple de l'alizarine donné par Engels nous a déjà permis de le montrer ; nous le montrerons encore en faisant appel à Feuerbach et à J. Dietzgen. Mais finissons‑en d'abord avec l'« accommodement » d'Engels par Bazarov,
« ... Engels dit, dans un passage de son Anti‑Dühring, que l'« existence » hors du monde sensible est une « offene Frage », c'est‑à‑dire une question que nous ne pouvons ni résoudre ni même poser, les éléments nécessaires nous faisant défaut. »
Bazarov répète cet argument à l'exemple du disciple allemand de Mach Friedrich Adler. Et ce dernier argument semble être pire encore que la « représentation sensible » qui « est justement la réalité existant hors de nous ». Engels écrit à la page 31 (cinquième édition allemande) de l' Anti‑Dühring :
« L'unité du monde ne consiste pas en son Etre, bien que son Etre soit une condition de son unité, puisqu'il doit d'abord être avant de pouvoir être un. L'Etre est, somme toute, une question ouverte (offene Frage) à partir du point où s'arrête notre horizon (Gesichtskreis). L'unité réelle du monde consiste en sa matérialité, et celle‑ci se prouve non pas par quelques boniments de prestidigitateur, mais par un long et laborieux développement de la philosophie et de la science de la nature. »
Admirez donc ce nouveau pâté, œuvre de notre cuisinier : Engels parle de l'existence au‑delà du point où notre horizon s'arrête, c'est‑à‑dire de l'existence d'habitants sur la planète Mars, par exemple, etc. Il est clair que cette existence est effectivement une question ouverte. Et Bazarov, s'abstenant comme à dessein de citer ce passage dans son intégralité, expose la pensée d'Engels de façon à faire croire que, c'est « l'existence hors du monde sensible » !! qui devient une question ouverte. Comble de l'absurdité. C'est attribuer à Engels les vues des professeurs de philosophie que Bazarov est accoutumé à croire sur parole et que J. Dietzgen qualifiait à juste titre de laquais diplômés de la cléricaille ou du fidéisme. Le fidéisme, en effet, affirme positivement l'existence de certaines choses « hors du monde sensible ». Solidaires des sciences de la nature, les matérialistes le nient catégoriquement. Les professeurs, les kantiens, les disciples de Hume (disciples de Mach compris) et autres, qui « ont trouvé la vérité hors du matérialisme et de l'idéalisme » et cherchent la « conciliation », tiennent le juste milieu : c'est, disent‑ils, une question ouverte. Si Engels avait jamais dit rien de pareil, ce serait honte et déshonneur de se dire marxiste.
Mais en voilà assez ! Une demi‑page de citations de Bazarov, c'est un brouillamini tel que nous nous voyons obligé de nous en tenir là, renonçant à suivre plus avant les flottements de la pensée de Mach et de ses disciples.
3. L. Feuerbach et J. Dietzgen sur la chose en soi[modifier le wikicode]
Pour montrer combien les assertions de nos disciples de Mach sont absurdes, d'après lesquelles les matérialistes Marx et Engels nieraient l'existence des choses en soi (c'est‑à‑dire des choses hors de nos sensations, de nos représentations, etc.) et la possibilité de les connaître, et admettraient une différence de principe entre le phénomène et la chose en soi, nous produirons encore quelques citations empruntées à Feuerbach. Tout le malheur de nos disciples de Mach vient de ce qu'ils se sont mis à traiter du matérialisme dialectique, sur la foi des professeurs réactionnaires, sans connaître ni la dialectique ni le matérialisme.
« Le spiritualisme philosophique contemporain qui se qualifie d'idéalisme, dit L. Feuerbach, adresse au matérialisme le reproche suivant, accablant à son avis : le matérialisme ne serait que dogmatisme, puisqu'il procède du monde sensible (sinnlichen) comme d'une vérité objective indubitable, (ausgemacht) qu'il considère comme un monde en soi (an sich), c'est‑à‑dire comme existant hors de nous, tandis que le monde n'est en réalité que le produit de l'esprit. » (Sämtliche Werke, t. X, 1866, p. 185.)
N'est‑ce pas clair ? Le monde en soi est un monde existant sans nous. Tel est le matérialisme de Feuerbach, de même que celui du XVIl° siècle que réfutait l'évêque Berkeley, et qui consistait en l'admission des « objets en eux-mêmes » existant en dehors de notre conscience. L'« An sich. » (la chose en elle‑même ou « en soi ») de Feuerbach est précisément le contraire de l'« An sich » de Kant : rappelez‑vous le passage de Feuerbach, cité plus haut, où Kant est accusé de concevoir la « chose en soi » comme une « abstraction dépourvue de réalité ». Pour Feuerbach la « chose en soi » est une « abstraction pourvue de réalité », c'est-à‑dire le monde existant hors de nous, parfaitement connaissable et ne différant nullement, en principe, du « phénomène ».
Feuerbach explique lumineusement, avec beaucoup d'esprit, combien il est absurde d'admettre un « transcensus » du monde des phénomènes au monde en soi, une sorte d'abîme infranchissable imaginé par les cléricaux et emprunté à ces derniers par les professeurs de philosophie. Voici un de ces éclaircissements :
« Certes, les produits de l'imagination sont aussi ceux de la nature, car la puissance de l'imagination, pareille aux autres forces humaines, est en dernière analyse (zuletzt) par son essence même et ses origines, une force de la nature ; l'homme est néanmoins un être différent du soleil, de la lune et des étoiles, des pierres, des animaux et des plantes, différent, en un mot, de tout ce qui est (Wesen) et à quoi il applique le terme général de nature. Les représentations (Bilder) que se fait l'homme du soleil, de la lune, des étoiles et de tout ce qui est la nature (Naturwesen), sont donc aussi des produits de la nature, mais d'autres produits qui diffèrent des objets qu'ils représentent. ». (Werke, t. VII Stuttg., 1903, p. 516.)
Les objets de nos représentations diffèrent de ces représentations, la chose en soi diffère de la chose pour nous, cette dernière n'étant qu'une partie ou un aspect de la première, comme l'être humain n'est lui‑même qu'une parcelle de la nature reflétée dans les représentations.
« ... Mon nerf gustatif est, tout comme le sel, un produit de la nature, mais il ne s'ensuit pas que le goût du sel soit directement la propriété objective de ce dernier ; que le sel tel qu'il est (ist) en qualité d'objet de la sensation le soit aussi par lui‑même (an und für sich), ‑ que la sensation du sel sur la langue soit une propriété du sel tel que nous le pensons sans éprouver de sensation (des ohne Empfindang gedachten Salzes) »... Quelques pages plus haut : « La salure est, en tant que saveur, une expression subjective de la propriété objective du sel » (p. 514).
La sensation est le résultat de l'action qu'exercent sur les organes de nos sens les choses existant objectivement, hors de nous, telle est la théorie de Feuerbach. La sensation est une image subjective du monde objectif, du monde an und für sich.
« ... L'homme est aussi un être de la nature (Naturwesen), comme le soleil, l'étoile, la plante, l'animal, la pierre ; mais il diffère néanmoins de la nature ; la nature dans la tête et le cœur de l'homme diffère donc de la nature hors de sa tête et de son cœur. »
« ... L'homme est le seul objet en qui se réalise, de l'aveu des idéalistes eux‑mêmes, « l'identité du sujet et de l'objet » ; car l'homme est l'objet dont l'égalité et l'unité avec mon être ne suscitent aucun doute... Est‑ce qu'un homme n'est pas pour un autre, même pour l'homme le plus proche, un objet d'imagination, un objet de représentation ? Tout homme ne comprend‑il pas son prochain à sa façon, selon son esprit propre (in und nach seinein Sinne) ?... Et si même il existe entre un homme et un autre, entre une pensée et une autre, des différences qu'il n'est pas permis d'ignorer, combien plus grande la différence entre l'être en soi (Wesen an sich) non pensant, non humain, non identique à nous, et le même être tel que nous le pensons, le représentons et le concevons ? » (p. 518, ibid.).
Toute différence mystérieuse, ingénieuse et subtile entre le phénomène et la chose en soi n'est qu'un tissu d'absurdités philosophiques. De fait, tout homme a observé des millions de fois la transformation évidente et simple dé la « chose en soi » en phénomène, en « chose pour nous ». Cette transformation est justement la connaissance. La « doctrine » de Mach selon laquelle, ne connaissant que nos sensations, nous ne pouvons savoir s'il existe quoi que ce soit au‑delà de ces dernières, n'est qu'un vieux sophisme de la philosophie idéaliste et agnostique, servi sous une autre sauce.
Joseph Dietzgen est un matérialiste dialectique. Nous montrerons plus loin qu'il a une façon de s'exprimer souvent peu précise ; qu'il tombe fréquemment dans des confusions, auxquelles se sont cramponnés des gens de peu d'esprit (dont Eugène Dietzgen) et, naturellement, nos disciples de Mach. Mais ils n'ont pas pris la peine d'analyser la tendance dominante de sa philosophie et d'y séparer nettement le matérialisme des éléments étrangers, ‑ ou ils n'ont pas su le faire.
« Considérons le monde comme une « chose en soi », dit Dietzgen dans son ouvrage Essence du travail cérébral (éd. allemande de 1903, p. 65) ; on comprend aisément que le « monde en soi » et le monde tel qu'il nous apparaît, les phénomènes du monde, ne se distinguent pas plus l'un de l'autre que le tout de l'une de ses parties. » « Le phénomène ne diffère pas plus de ce dont il est le phénomène que dix lieues de route ne diffèrent de la route tout entière » (pp. 71‑72). Il n'y a, il ne peut y avoir ici aucune différence de principe, aucun « transcensus », aucun « vice inné de coordination ». Mais il existe naturellement une différence, il y a transition au‑delà des limites des perceptions sensibles à l'existence des choses hors de nous.
« Nous apprenons (erfahren), dit Dietzgen (voirExcursions d'un socialiste dans le domaine de la théorie de la connaissance, éd. allemande de 1903, Kleinere philosophische Schriften, p. 199), que toute expérience est une partie de ce qui, pour nous exprimer comme Kant, sort des limites de toute expérience. » « Pour la conscience qui conçoit sa propre nature, toute particule, que ce soit une particule de poussière ou de pierre ou de bois, est une chose qu'on ne peut connaître à fond (Unauskenntliches), autrement dit : toute particule est pour notre faculté de connaître une source inépuisable et, par suite, une chose sortant des limites de l'expérience » (p. 199).
Pour nous exprimer comme Kant, c'est‑à‑dire acceptant à des fins exclusivement vulgarisatrices, par simple antithèse, la terminologie erronée et confuse de Kant, Dietzgen, on le voit, admet la sortie « des limites de l'expérience ». Bel exemple de ce à quoi se cramponnent les disciples de Mach dans leur transition du matérialisme à l'agnosticisme : nous ne voulons pas, disent‑ils, dépasser les « limites de l'expérience », « la représentation sensible est justement » à nos yeux la « réalité existant hors de nous ».
« Une mystique malsaine, réplique justement Dietzgen à cette philosophie, distingue la vérité absolue non scientifique de la vérité relative. Elle fait du phénomène de la chose et de la « chose en soi », c'est‑à‑dire du phénomène et de la vérité, deux catégories distinctes toto coelo (tout à fait, sur toute la ligne, foncièrement) et qui n'appartiennent à aucune catégorie commune » (p. 200).
Jugez maintenant de la bonne information et de l'esprit du disciple russe de Mach Bogdanov, qui ne veut pas se reconnaître pour tel et tient à passer pour un marxiste en philosophie.
« Le juste milieu », entre « le panpsychisme et le panmatérialisme » (Empiriomonisme, livre II, 2° édit., 1907, pp. 40‑41) « est occupé par les matérialistes de nuance plus critique, qui, tout en refusant d'admettre l'inconnaissable absolu de la « chose en soi », considèrent en même temps que cette dernière diffère en principe (souligné par Bogdanov) du « phénomène » et que, par suite, elle ne peut jamais être « connue que confusément » dans le phénomène, qu'elle est extra‑expérimentale par son essence même (sans doute, par des « éléments » autres que ceux de l'expérience), mais placée dans les limites de ce qu'on appelle les formes de l'expérience, c'est‑à‑dire le temps, l'espace et la causalité. Tel est, à peu de chose près, le point de vue des matérialistes français du XVIII° siècle et, parmi les philosophes modernes, celui d'Engels et de son disciple russe Beltov[7]. »
Ce n'est d'un bout à l'autre qu'un tissu d'incohérences. 1. Les matérialistes du XVII° siècle, combattus par Berkeley, considèrent « les objets en eux‑mêmes » comme parfaitement connaissables, nos représentations, nos idées n'étant que des copies ou des reflets de ces objets existant « en dehors de l'esprit » (voir notre « Introduction »). 2. Feuerbach et, à sa suite, J. Dietzgen contestent résolument qu'il y ait une différence « de principe » entre là chose en soi et le phénomène ; Engels réfute de son côté cette opinion en donnant un bref exemple de la transformation des « choses en soi » en « choses pour nous ». 3. Enfin, il est tout bonnement absurde, comme on l'a vu dans la réfutation de l'agnosticisme par Engels, d'affirmer que les matérialistes considèrent les choses en soi comme « n'étant jamais connues que confusément dans le phénomène ». La cause de la déformation du matérialisme réside, chez Bogdanov, dans l'incompréhension des rapports entre la vérité absolue et la vérité relative (dont nous parlerons plus loin). Pour ce qui est de la chose en soi « extra‑expérimentale » et des « éléments de l'expérience », c'est là que commence le confusionnisme de Mach, dont nous avons assez parlé plus haut.
Répéter les absurdités invraisemblables que les professeurs réactionnaires attribuent aux matérialistes, répudier Engels en 1907, tenter d'« accommoder » Engels à l'agnosticisme en 1908, voilà bien la philosophie du « positivisme moderne » des disciples russes de Mach !
4. Y a‑t‑il une vérité objective ?[modifier le wikicode]
Bogdanov déclare : « le marxisme implique pour moi la négation de l'objectivité absolue de toute vérité quelle qu'elle soit, la négation de toutes les vérités éternelles » (Empiriomonisme, livre III, pp. IV et V). Que veut dire : objectivité absolue ? La « vérité éternelle » est une « vérité objective au sens absolu du mot », dit encore Bogdanov, qui ne consent à admettre de « vérité objective que dans les limites d'une époque déterminée ».
Deux questions y sont manifestement confondues :
Existe‑t‑il une vérité objective, autrement dit : les représentations humaines peuvent‑elles avoir un contenu indépendant du sujet, indépendant de l'homme et de l'humanité ?
Si oui, les représentations humaines exprimant la vérité objective peuvent‑elles l'exprimer d'emblée, dans son entier, sans restriction, absolument, ou seulement de façon approximative, relative ? Cette seconde question est celle de la corrélation entre la vérité absolue et la vérité relative.
Bogdanov y répond de façon claire, directe et précise, en rejetant la moindre admission de vérité absolue et accusant Engels d'éclectisme pour l'avoir admise. De cet éclectisme d'Engels, découvert par Bogdanov, nous reparlerons spécialement plus loin. Arrêtons‑nous pour l'instant à la première question, que Bogdanov, sans le dire nettement, résout aussi par la négative. Car on peut nier l'existence d'un élément de relativité dans telle ou telle représentation humaine sans nier la vérité objective ; mais on ne peut nier la vérité absolue sans nier l'existence de la vérité objective.
« ... Il n'existe pas de critère de la vérité objective, au sens où l'entend Beltov, écrit Bogdanov un peu plus loin, p. IX ; la vérité est une forme idéologique, une forme organisatrice de l' expérience humaine »...
Le « sens où l'entend Beltov » n'a rien à voir ici, car il s'agit d'un des problèmes fondamentaux de la philosophie, et non point de Beltov ; il en est de même du critère de vérité, qu'il faut traiter à part sans confondre cette question avec celle de l'existence de la vérité objective. La réponse négative de Bogdanov à cette dernière question est en claire : si la vérité n'est qu'une forme idéologique, il ne peut y avoir de vérité indépendante du sujet ou de l'humanité, car, pas plus que Bogdanov, nous ne connaissons d'autre idéologie que l'idéologie humaine. La réponse négative de Bogdanov ressort encore plus clairement du second membre de sa phrase : si la vérité est une forme de l'expérience humaine, il ne peut pas plus y avoir de vérité indépendante de l'humanité qu'il ne peut y avoir de vérité objective.
La négation de la vérité objective par Bogdanov, c'est de l'agnosticisme et du subjectivisme. L'absurdité de cette négation ressort nettement, ne serait‑ce que du seul exemple que nous avons cité, emprunté à l'histoire scientifique de la nature. Les sciences de la nature ne permettent pas de douter que cette affirmation : la terre existait avant l'humanité, soit une vérité. Cela est parfaitement admissible du point de vue matérialiste de la connaissance : l'existence de ce qui est reflété indépendamment de ce qui reflète (l'existence du monde extérieur indépendamment de la conscience) est le principe fondamental du matérialisme. Cette affirmation de la science : la terre est antérieure à l'homme, est une vérité objective. Et cette affirmation des sciences de la nature est incompatible avec la philosophie des disciples de Mach et leur théorie de la vérité : si la vérité est une forme organisatrice de l'expérience humaine, l'assertion de l'existence de la terre en dehors de toute expérience humaine ne peut être vraie.
Ce n'est pas tout. Si la vérité n'est qu'une forme organisatrice de l'expérience humaine, la doctrine du catholicisme, par exemple, serait aussi une vérité. Car il est hors de doute que le catholicisme est une « forme organisatrice de l'expérience humaine ». Bogdanov s'est lui‑même rendu compte de cette erreur flagrante de sa théorie, et il est très curieux de voir comment il a tenté de se sortir du marais où il s'est enlisé.
« Le fondement de l'objectivité, lisons‑nous au livre premier de l'Empiriomonisme, doit se trouver dans la sphère de l'expérience collective. Nous qualifions d'objectives les données de l'expérience dont la signification vitale est identique pour nous et pour les autres hommes, données sur lesquelles nous fondons sans contradiction notre activité et sur lesquelles les autres hommes doivent eux aussi, selon notre conviction, se fonder pour ne pas aboutir à la contradiction. Le caractère objectif du monde physique vient de ce qu'il n'existe pas pour moi seul, mais pour tous » (c'est faux ! Il existe indépendamment de « tous »), « et qu'il a, telle est ma conviction, pour tous la même signification déterminée que pour moi. L'objectivité de la série physique, c'est sa valeur générale » (p. 25, souligné par Bogdanov). « L'objectivité des corps physiques auxquels nous avons affaire dans notre expérience repose, en dernière analyse, sur le contrôle mutuel et le jugement concordant d'hommes différents. D'une façon générale, le monde physique c'est l'expérience socialement concertée, socialement harmonisée, en un mot, l’expérience socialement organisée » (p. 36, souligné par Bogdanov).
Nous ne répéterons pas que c'est là une affirmation idéaliste radicalement fausse, que le monde physique existe indépendamment de l'humanité et de l'expérience humaine, qu'il existait à des époques où il n'y avait encore aucune « sociaIité » ni aucune « organisation » de l'expérience humaine, etc. Nous entreprenons maintenant de dénoncer sous un autre aspect la philosophie machiste : l'objectivité est définie en des termes tels qu'on peut y faire rentrer la doctrine religieuse qui a sans contredit une « valeur générale », etc. Ecoutons encore Bogdanov : « Rappelons une fois de plus au lecteur que l'expérience « objective » n'est nullement la même chose que l'expérience « sociale »... L'expérience sociale est loin d'être socialement organisée tout entière et Implique toujours diverses contradictions, de sorte que certaines de ses parties ne concordent pas avec les autres ; les loups‑garous et les lutins peuvent exister dans la sphère de l'expérience sociale d'un peuple donné ou d'un groupe donné du peuple, par exemple de la paysannerie ; mais ce n'est pas une raison pour les intégrer à l'expérience socialement organisée ou objective, parce qu'ils ne s'harmonisent pas avec l'expérience collective en général et ne rentrent pas dans ses formes organisatrices, par exemple dans la chaîne de la causalité » (p. 45).
Certes, il nous est agréable d'apprendre que Bogdanov lui‑même « n'intègre pas » à l'expérience objective l'expérience sociale concernant les loups‑garous, les lutins, etc. Mais ce léger amendement, bien intentionné, conforme à la négation du fidéisme, n'amende en rien l'erreur fondamentale de toute la pensée de Bogdanov. La définition de l'objectivité et du monde physique que donne Bogdanov tombe sans contredit, car la religion à une « valeur générale » plus étendue que la science : la majeure partie de l'humanité s'en tient encore aujourd'hui à la première. Le catholicisme est « socialement organisé, harmonisé, concerté » par son évolution séculaire ; il « entre » incontestablement dans « la chaîne de la causalité », car les religions n'ont pas surgi sans cause, ce n'est nullement par l'effet du hasard qu'elles se maintiennent, dans les conditions actuelles, au sein des masses populaires, et les professeurs de philosophie ont des raisons parfaitement « légitimes » de s'en accommoder. Si cette expérience sociale‑religieuse hautement organisée et d'une indéniable valeur générale « ne s'harmonise pas » avec l'« expérience » scientifique, c'est qu'il existe entre elles une différence de principe fondamentale, que Bogdanov a effacée en répudiant la vérité objective. Et Bogdanov a beau « s'amender » en disant que le fidéisme ou le cléricalisme ne s'harmonise pas avec la science, il n'en reste pas moins que la négation par Bogdanov de la vérité objective « s'harmonise » entièrement avec le fidéisme. Le fidéisme contemporain ne répudie nullement la science ; il n'en répudie que les « prétentions excessives », notamment celle de découvrir la vérité objective. S'il existe une vérité objective (comme le pensent les matérialistes), si les sciences de la nature, reflétant le monde extérieur dans l'« expérience » humaine, sont seules capables de nous donner la vérité objective, tout fidéisme doit être absolument rejeté. Mais s'il n'y a point de vérité objective, si la vérité (y compris la vérité scientifique) n'est qu'une forme organisatrice de l'expérience humaine, alors le principe fondamental du cléricalisme est admis, la porte est largement ouverte à ce dernier, la place est faite aux « formes organisatrices » de l'expérience religieuse.
On se demande si cette répudiation de la vérité objective est le fait personnel de Bogdanov, lui ne veut pas se reconnaître disciple de Mach, ou si elle découle des fondements mêmes de la doctrine de Mach et d'Avenarius. On ne peut répondre à cette question que dans ce dernier sens. S'il n'y a que des sensations (Avenarius, 1876), si les corps sont des complexes de sensations (Mach, Analyse des sensations), il est clair que nous sommes en présence d'un subjectivisme philosophique conduisant infailliblement à répudier la vérité objective. Et si les sensations sont appelées des « éléments » donnant le physique dans une connexion et le psychique dans une autre, le point de départ fondamental de l'empiriocriticisme, on l'a vu, ne s'en trouve qu'obscurci, au lieu d'être écarté. Avenarius et Mach admettent que les sensations sont la source de nos connaissances. Ils se placent donc au point de vue de l'empirisme (tout savoir dérive de l'expérience) ou du sensualisme (tout savoir dérive des sensations). Or, cette conception, loin d'effacer la différence entre les courants philosophiques fondamentaux, idéalisme et matérialisme, y conduit au contraire, quelle que soit la « nouvelle » parure verbale (« éléments ») dont on la revêt. Le solipsiste, c'est‑à‑dire l'idéaliste subjectif, peut, tout aussi bien que le matérialiste, voir dans les sensations la source de nos connaissances. Berkeley et Diderot relèvent tous deux de Locke. Le premier principe de la théorie de la connaissance est, sans aucun doute, que les sensations sont la seule source de nos connaissances. Ce premier principe admis, Mach obscurcit le second principe important : celui de la réalité objective, donnée à l'homme dans ses sensations ou constituant la source des sensations humaines. A partir des sensations, on peut s'orienter vers le subjectivisme qui mène au solipsisme (« les corps sont des complexes ou des combinaisons de sensations. »), et l'on peut s'orienter vers l'objectivisme qui mène au matérialisme (les sensations sont les images des corps, du monde extérieur). Du premier point de vue ‑ celui de l'agnosticisme ou, allant un peu plus loin, celui de l'idéalisme subjectif ‑ il ne saurait y avoir de vérité objective. Le second point de vue, c'est‑à‑dire celui du matérialisme, reconnaît essentiellement la vérité objective. Cette vieille question philosophique des deux tendances, ou plutôt des deux conclusions autorisées par les principes de l'empirisme et du sensualisme, n'est ni résolue, ni écartée, ni dépassée par Mach : elle n'est qu'obscurcie sous une débauche verbale avec le mot « élément » et autres. La répudiation de la vérité objective par Bogdanov n'est pas une déviation de la doctrine de Mach ; elle en est la séquence inévitable.
Engels, dans son L. Feuerbach, qualifie Hume et Kant de philosophes « qui contestent la possibilité de la connaissance du monde ou du moins de sa connaissance complète ». Engels fait donc ressortir au premier plan ce qui est commun à Hume et à Kant, et non ce qui les sépare. Il signale en outre que « l'essentiel en vue de la réfutation de cette façon de voir (celle de Hume et de Kant) a déjà été dit par Hegel » (pp. 15‑16 de la 4° édition allemande). Il ne me semble pas dépourvu d'intérêt de noter à ce propos qu'après avoir déclaré le matérialisme « système conséquent de l'empirisme », Hegel écrivait : « Pour l'empirisme, en général, l'extérieur (das äusserliche) est le vrai ; et si l'empirisme admet ensuite le suprasensible, c'est en lui refusant la possibilité d'être connu (soll doch eine Erkenntnis desselben (d. h. des übersinnlichen) nicht statt finden können) et en jugeant nécessaire de s'en tenir exclusivement à ce qui est du domaine de la perception (das der Wahrnehmung Angehörige). Ce principe fondamental a néanmoins abouti dans ses applications successives (Durchführung) à ce qu'on a appelé plus tard le matérialisme. Pour ce matérialisme la matière est, comme telle, la réalité vraiment objective » (das wahrhaft Objektive)[8].
Toutes les connaissances procèdent de l'expérience, des sensations, des perceptions. Soit. Mais il y a lieu de se demander si la réalité objective « est du domaine de la perception », autrement dit : si elle en est la source. Si oui, vous êtes un matérialiste. Sinon, vous n'êtes pas conséquent et vous en arriverez inéluctablement au subjectivisme, à l'agnosticisme, que vous niiez la connaissance de la chose en soi, l'objectivité du temps, de l'espace et de la causalité (avec Kant), ou que vous n'admettiez même pas l'idée de la chose en soi (avec Hume), peu importe. L'inconséquence de votre empirisme, de votre philosophie de l'expérience consistera dans ce cas à contester le contenu objectif de l'expérience, la vérité objective de la connaissance empirique.
Les disciples de Kant et de Hume (parmi ces derniers Mach et Avenarius, dans la mesure où ils ne sont pas de purs disciples de Berkeley) nous traitent, nous matérialistes, de « métaphysiciens », parce que nous admettons la réalité objective qui nous est donnée dans l'expérience, parce que nous admettons que nos sensations ont une source objective indépendante de l'homme. Matérialistes, nous qualifions avec Engels les kantiens et les disciples de Hume d'agnostiques parce qu'ils nient la réalité objective en tant que source de nos sensations. Le mot agnostique vient du grec : a, préfixe négatif, et gnosis, connaissance. L'agnostique dit : j'ignore s'il existe une réalité objective reflétée, représentée par nos sensations, et je déclare impossible de le savoir (voir plus haut ce qu'en dit Engels, exposant le point de vue de l'agnostique). D'où la négation de la vérité objective par l'agnostique et la tolérance petite‑bourgeoise, philistine, pusillanime envers la croyance aux loups‑garous, aux lutins, aux saints catholiques et à d'autres choses analogues. Usant prétentieusement d'une terminologie « nouvelle », d'un point de vue prétendument « nouveau », Mach et Avenarius ne font en réalité que répéter, avec force hésitations et confusions, la réponse de l'agnostique : d'une part, les corps sont des complexes de sensations (pur subjectivisme, pur berkeleyisme) ; d'autre part, les sensations rebaptisées « éléments » peuvent être conçues comme existant indépendamment de nos organes des sens !
Les disciples de Mach déclarent volontiers qu'ils sont des philosophes ayant une confiance absolue dans le témoignage de nos sens ; qu'ils considèrent le monde comme étant réellement tel qu'il nous paraît, rempli de sons, de couleurs, etc., tandis que pour les matérialistes il serait mort, dépourvu de sons, de couleurs, et distinct du monde tel qu'il nous paraît, etc. J. Petzoldt, par exemple, s'exerce à des déclamations de ce genre dans son Introduction à la philosophie de l'expérience pure et dans le Problème du monde au point de vue positiviste (1906). M. Victor Tchernov, enthousiasmé par l'idée « nouvelle », la ressasse après Petzoldt. Or, les disciples de Mach ne sont en réalité que des subjectivistes et des agnostiques, car ils n'ont pas suffisamment confiance dans le témoignage de nos organes des sens et appliquent le sensualisme de façon inconséquente. Ils ne reconnaissent pas que nos sensations ont leur source dans la réalité objective, indépendante de l'homme. Ils ne voient pas dans nos sensations le cliché exact de cette réalité objective, se mettant ainsi en contradiction flagrante avec les sciences de la nature et ouvrant la porte au fidéisme. Par contre, pour le matérialiste, le monde est plus riche, plus vivant, plus varié qu'il ne paraît, tout progrès de la science y découvrant de nouveaux aspects. Pour le matérialiste nos sensations sont les images de la seule et ultime réalité objective ; ultime non pas en ce sons qu'elle soit déjà entièrement connue, mais parce qu'en dehors d'elle, il n'en existe ni ne peut en exister aucune autre. Cette conception ferme définitivement la porte à tout fidéisme, mais aussi à la scolastique professorale qui, ne voyant pas dans la vérité objective la source de nos sensations, « déduit » à l'aide de laborieuses constructions verbales le concept de l'objectif en tant qu'il a une valeur générale, qu'il est socialement organisé, etc., etc., sans pouvoir et souvent sans vouloir séparer la vérité objective d'avec les croyances aux loups-garous et aux lutins.
Les disciples de Mach haussent dédaigneusement les épaules à l'évocation des idées « surannées » des matérialistes « dogmatiques », qui s'en tiennent à la conception de la matière, soi‑disant réfutée par la « science moderne » et par le « positivisme moderne ». Nous reparlerons spécialement des nouvelles théories physiques sur la structure de la matière. Mais il n'est pas permis de confondre, comme le font les disciples de Mach, les doctrines sur telle ou telle structure de la matière et les catégories gnoséologiques ; de confondre la question des propriétés nouvelles des nouvelles formes de la matière (des électrons, par exemple) avec l'ancienne question de la théorie de la connaissance, des sources de notre savoir, de l'existence de la vérité objective, etc. Mach a, nous dit‑on, « découvert les éléments du monde » : le rouge, le vert, le dur, le mou, le sonore, le long, etc. Nous demandons : la réalité objective est‑elle oui ou non donnée à l'homme, quand il voit le rouge ou touche un objet dur ? Cette vieille, très vieille question philosophique a été obscurcie par Mach. Si la réalité objective n'est pas donnée, vous tombez infailliblement, avec Mach, au subjectivisme et à l'agnosticisme, dans les bras des immanents, c'est‑à‑dire des Menchikov de la philosophie, et vous le méritez bien. Si la réalité objective nous est donnée, il faut lui attribuer un concept philosophique ; or, ce concept est établi depuis longtemps, très longtemps, et ce concept est celui de la matière. La matière est une catégorie philosophique servant à désigner la réalité objective donnée à l'homme dans ses sensations qui la copient, la photographient, la reflètent, et qui existe indépendamment des sensations. Par conséquent, dire que ce concept peut « vieillir », c'est balbutier puérilement, c'est ressasser les arguments de la philosophie réactionnaire à la mode. La lutte de l'idéalisme et du matérialisme a‑t‑elle pu vieillir en deux mille ans d'évolution de la philosophie ? La lutte des tendances ou des lignes de développement de Platon et de Démocrite a‑t‑elle vieilli ? Et la lutte de la religion et de la science ? Et la lutte entre la négation et l'admission de la vérité objective ? Et vieillie de même la lutte des adeptes de la connaissance suprasensible contre ses adversaires ?
La question de savoir s'il faut admettre ou répudier le concept de matière est pour l'homme une question de confiance dans le témoignage de ses organes des sens, la question des sources de notre connaissance, question posée et débattue depuis les origines de la philosophie, et qui peut être travestie de mille manières par les clowns titrés professeurs, mais qui ne peut vieillir comme ne peut vieillir la question de savoir si la vue et le toucher, l'ouïe et l'odorat sont la source de la connaissance humaine. Considérer nos sensations comme les images du monde extérieur ‑ reconnaître la vérité objective, ‑ se placer sur le terrain de la théorie matérialiste de la connaissance, cela revient au même. Afin d'illustrer cette affirmation, et pour que le lecteur puisse voir combien cette question est élémentaire, je me contenterai d'une citation de Feuerbach et de deux citations empruntées à des manuels de philosophie.
« Quelle platitude, écrivait L. Feuerbach, de nier que la sensation est l'évangile, l'annonce (Verkündung) d'un sauveur objectif[9]. » Terminologie singulière, monstrueuse, vous le voyez, mais tendance philosophique bien nette : la sensation révèle à l'homme la vérité objective. « Ma sensation est subjective, mais son fondement ‑ ou sa cause (Grund) ‑ est objectif » (p. 195). Comparez ce passage à celui que nous avons cité plus haut, où Feuerbach dit que le matérialisme prend pour point de départ le monde sensible, qu'il considère comme l'ultime (ausgemachte) vérité objective.
Le sensualisme, lisons‑nous dans le Dictionnaire des sciences philosophiques de Franck[10], est une doctrine qui fait dériver toutes nos idées « de l'expérience des sens, en réduisant l'intelligence... à la sensation ». Le sensualisme ne présente sous trois formes : le sensualisme subjectif (scepticisme[11] et berkeleyisme), moral (épicurisme[12]) et objectif. « Le sensualisme objectif c'est le matérialisme ; car la matière ou les corps sont, d'après les matérialistes, les seuls objets que nos sens puissent atteindre. »
« Quand le sensualisme, dit Schwegler dans son Histoire de la philosophie, affirma que la vérité ou l'être ne peut être connu que par l'intermédiaire des sens, il ne resta plus (à la philosophie française de la fin du XVIII° siècle) qu'à formuler cette proposition avec objectivité, et nous arrivâmes à la thèse matérialiste : le perçu existe seul ; il n'est pas d'autre existence que l'existence matérielle[13]. »
Ces vérités premières entrées dans les manuels, nos disciples de Mach les ont oubliées.
5. De la vérité absolue et relative, ou de l’éclectisme d’Engels découvert par A. Bogdanov[modifier le wikicode]
Cette découverte de Bogdanov fut faite en 1906 dans la préface au livre III de l'Empiriomonisme. « Dans l'Anti‑Dühring, écrit Bogdanov, Engels se prononce presque dans le sens où je viens de définir la relativité de la vérité » (P. V), c'est‑à‑dire au sens de la négation de toutes les vérités éternelles, « négation de l'objectivité absolue de toute vérité quelle qu'elle soit ». « Engels a, dans son indécision, le tort de reconnaître, à travers toute son ironie, on ne sait quelles « vérités éternelles », pitoyables il est vrai » (p. VIII)... « L'inconséquence seule admet ici, comme chez Engels, des restrictions éclectiques ... » (p. IX). Citons un exemple de la réfutation de l'éclectisme d'Engels par Bogdanov. « Napoléon est mort le 5 mai 1821 », dit Engels dans l'Anti‑Dühring (chapitre des « vérités éternelles »), en expliquant à Dühring de quelles « platitudes » (Plattheiten) doivent se contenter ceux qui prétendent découvrir des vérités éternelles dans les sciences historiques. Et voici la réplique de Bogdanov à Engels : « Quelle est cette « vérité » ? Et qu'a‑t‑elle d'« éternel » ? C'est la constatation d'une corrélation isolée qui n'a probablement plus d'importance réelle pour notre génération et ne peut servir ni de point de départ ni de point d'arrivée à aucune activité » (p. IX). Et à la page VIII : « Peut‑on donner aux platitudes (« Plattheiten ») le nom de vérités (« Wahrheiten ») ? Les « platitudes » sont‑elles des vérités ? La vérité est une forme vivante, organisatrice, de l'expérience, elle nous mène quelque part dans notre activité, et nous donne un point d'appui dans la lutte pour la vie. »
Ces deux extraits montrent clairement que Bogdanov nous sert des déclamations au lieu de réfuter Engels. Du moment qu'on ne peut pas affirmer que la proposition : « Napoléon est mort le 5 mai 1821 », est erronée ou inexacte, on la reconnaît vraie. Du moment qu'on n'affirme pas qu'elle pourrait être réfutée dans l'avenir, on reconnaît que cette vérité est éternelle. Par contre, qualifier d'objections des phrases disant que la vérité est une « forme vivante, organisatrice, de l'expérience », c'est essayer de faire passer pour de la philosophie un simple assemblage de mots. La terre a‑t‑elle eu l'histoire exposée par la géologie ou a‑t‑elle été créée en sept jours ? Est‑il permis de se dérober à cette question avec des phrases sur la vérité « vivante » (qu'est‑ce que cela veut dire ?) qui nous « mène » on ne sait où, etc. ? La connaissance de l'histoire de la terre et de l'humanité « n'a‑t‑elle pas d'importance réelle » ? Voilà de quel amphigouri prétentieux Bogdanov cherche à couvrir sa retraite. Car c'est bien une retraite : ayant entrepris de démontrer que l'admission de vérités éternelles par Engels c'est de l'éclectisme, il élude la question avec des mots bruyants et sonores, sans réfuter l'affirmation que Napoléon est réellement mort le 5 mai 1821, et qu'il est absurde de croire cette vérité susceptible de réfutation.
L'exemple choisi par Engels est d'une simplicité élémentaire, et chacun trouvera sans peine maints exemples de vérités éternelles et absolues dont il n'est permis de douter qu'aux fous (comme le dit Engels, qui donne encore cet exemple : « Paris est en France »). Pourquoi Engels parle-t‑il ici de « platitudes » ? Parce qu'il réfute et raille le matérialiste dogmatique et métaphysique Dühring, incapable d'appliquer la dialectique aux rapports entre la vérité absolue et la vérité relative. Il faut, pour être matérialiste, admettre la vérité objective qui nous est révélée par les organes des sens. Admettre la vérité objective, c'est‑à‑dire indépendante de l'homme et de l'humanité, c'est admettre de façon ou d'autre la vérité absolue. Ce « de façon ou d'autre » sépare le matérialiste métaphysicien Dühring du matérialiste dialecticien Engels. A propos des problèmes les plus complexes de la science en général et de la science historique en particulier, Dühring prodiguait à droite et à gauche les mots : vérité éternelle, ultime, définitive. Engels le railla : certes, lui répondait‑il, les vérités éternelles existent, mais ce n'est pas faire preuve d'intelligence que d'employer de grands mots (gewaltige Worte) pour des choses très simples. Il faut, pour faire avancer le matérialisme, en finir avec le jeu banal du mot : vérité éternelle ; Il faut savoir poser et résoudre dialectiquement la question des rapports entre la vérité absolue et la vérité relative. Tel fut, il y a trente ans, l'objet de la joute Dühring‑Engels. Et Bogdanov, qui a trouvé moyen de « ne pas remarquer » l'éclaircissement donné par Engels dans le même chapitre de la vérité absolue et de la vérité relative, Bogdanov qui a trouvé moyen d'accuser Engels d'« éclectisme » pour avoir admis une thèse élémentaire aux yeux de tout matérialiste, n'a fait que révéler une fois de plus sa complète ignorance du matérialisme et de la dialectique.
Engels écrit au début du chapitre précité (première partie, chap. IX) de l'Anti‑Dühring : « Nous arrivons ici à la question de savoir si les produits de la connaissance humaine, et lesquels, peuvent jamais avoir une validité souveraine et un droit absolu (Anspruch) à la vérité » (5° éd. allemande, p. 79). Cette question Engels la résout ainsi :
« La souveraineté de la pensée se réalise dans une série d'hommes dont la pensée est extrêmement peu souveraine, et la connaissance forte d'un droit absolu à la vérité, dans une série d'erreurs relatives ; ni l'une ni l'autre (ni la connaissance absolument vraie, ni la pensée souveraine) » ne peuvent être réalisées complètement sinon par une durée infinie de la vie de l'humanité. »
« Nous retrouvons ici, comme plus haut déjà, la même contradiction entre le caractère représenté nécessairement comme absolu de la pensée humaine et son actualisation uniquement dans des individus à la pensée limitée, contradiction qui ne peut se résoudre que dans le progrès infini, dans la succession pratiquement illimitée, pour nous du moins, des générations humaines. Dans ce sens, la pensée humaine est tout aussi souveraine que non souveraine et sa faculté de connaissance tout aussi illimitée que limitée. Souveraine et illimitée par sa nature (ou par sa structure, Anlage), sa vocation, ses possibilités et son but historique final ; non souveraine et limitée par son exécution individuelle et sa réalité singulière » (p. 81)[14].
« Il en va de même des vérités éternelles », poursuit Engels.
Ce raisonnement est d'une extrême importance quant au relativisme, au principe de la relativité de nos connaissances, souligné par tous les disciples de Mach. Tous ils persistent à se dire partisans du relativisme ; mais les disciples russes de Mach répétant les petits mots à la suite des Allemands, craignent de poser, ou ne savent pas poser en termes nets et clairs, la question des rapports entre le relativisme et la dialectique. Pour Bogdanov (comme pour tous les disciples de Mach) l'aveu de la relativité de nos connaissances nous interdit de reconnaître, si peu que ce soit, l'existence de la vérité absolue. Pour Engels, la vérité absolue résulte de l'intégration de vérités relatives. Bogdanov est relativiste. Engels est dialecticien. Et voici encore un autre raisonnement d'Engels, non moins important, tiré du même chapitre de l'Anti-Dühring :
« La vérité et l'erreur, comme toutes les déterminations de la pensée qui se meuvent dans des oppositions polaires, n'ont précisément de validité absolue que pour un domaine extrêmement limité, comme nous venons de le voir et comme M. Dühring le saurait lui aussi, s'il connaissait un peu les premiers éléments de la dialectique, qui traitent justement de l'insuffisance de toutes les oppositions polaires. Dès que nous appliquons l'opposition entre vérité et erreur en dehors du domaine étroit que nous avons indiqué plus haut, elle devient relative et impropre à l'expression scientifique exacte : cependant si nous tentons de l'appliquer comme absolument valable en dehors de ce domaine, nous échouons complètement ; les deux pôles de l'opposition se transforment en leur contraire, la vérité devient erreur et l'erreur vérité » (p. 86). Engels cite à titre d'exemple la loi de Boyle (le volume d'un gaz est inversement proportionnel à la pression exercée sur ce gaz). Le « grain de vérité » contenu dans cette loi ne représente une vérité absolue que dans certaines limites. Cette loi n'est qu'une vérité « approximative ».
Ainsi, la pensée humaine est, par nature, capable de nous donner et nous donne effectivement la vérité absolue, qui n'est qu'une somme de vérités relatives. Chaque étape du développement des sciences intègre de nouveaux grains à cette somme de vérité absolue, mais les limites de la vérité de toute proposition scientifique sont relatives, tantôt élargies, tantôt rétrécies, au fur et à mesure que les sciences progressent. « Nous pouvons, dit J. Dietzgen dans ses Excursions, voir, entendre, sentir, toucher et, sans doute, connaître aussi la vérité absolue, mais elle ne s'intègre pas tout entière (geht nicht auf) à notre connaissance » (p. 195). « Il va sans dire que l'image n'épuise pas l'objet, et que le peintre est loin de reproduire le modèle en son entier... Comment un tableau peut‑il « coïncider » avec le modèle ? Approximativement, oui » (p. 197). « Nous ne pouvons connaître la nature ou ses différentes parties que de façon relative ; car chacune de ces parties, quoique ne représentant qu'un fragment relatif de la nature, a la nature de l'absolu, le caractère de l'ensemble de la nature en soi (des Naturganzen an sich), que la connaissance n'épuise pas... D'où savons‑nous qu'il y a derrière les phénomènes de la nature, derrière les vérités relatives, une nature universelle, illimitée, absolue, qui ne se révèle pas complètement à l'homme ?... D'où nous vient cette connaissance ? Elle nous est innée. Elle nous est donnée en même temps que la conscience » (p. 198). Cette dernière assertion est une des inexactitudes qui contraignirent Marx à noter dans une de ses lettres à Kugelmann la confusion, des vues de Dietzgen[15]. Et l'on ne peut parler d'une philosophie de Dietzgen différente du matérialisme dialectique qu'en exploitant des passages de ce genre. Mais Dietzgen lui-même apporte une correction à cette même page : « Si je dis que la connaissance de la vérité infinie, absolue, nous est innée, qu'elle est la seule et unique connaissance a priori que nous ayons, il n'en est pas moins vrai que l'expérience confirme cette connaissance innée » (p. 198).
Toutes ces déclarations d'Engels et de Dietzgen montrent bien qu'il n'y a pas, pour le matérialisme dialectique, de ligne de démarcation infranchissable entre la vérité relative et la vérité absolue. Bogdanov n'y a rien compris du tout, puisqu'il a pu écrire : « Elle (la conception de l'ancien matérialisme) veut être la connaissance objective inconditionnelle de l'essence des choses (souligné par Bogdanov) et n'est pas compatible avec la relativité historique de toute idéologie » (livre III de l'Empiriomonisme, p.IV). Au point de vue du matérialisme moderne, c'est‑à‑dire du marxisme, les limites de l'approximation de nos connaissances par rapport à la vérité objective, absolue, sont historiquement relatives, mais l'existence même de cette vérité est certaine comme il est certain que nous en approchons. Les contours du tableau sont historiquement relatifs, mais il est certain que ce tableau reproduit un modèle existant objectivement. Le fait qu'à tel ou tel moment, dans telles ou telles conditions, nous avons avancé dans notre connaissance de la nature des choses au point de découvrir l'alizarine dans le goudron de houille ou de découvrir des électrons dans l'atome, est historiquement relatif ; mais ce qui est certain, c'est que toute découverte de ce genre est un progrès de la « connaissance objective absolue ». En un mot, toute idéologie est historiquement relative, mais il est certain qu'à chaque idéologie scientifique (contrairement à ce qui se produit, par exemple, pour l'idéologie religieuse) correspond une vérité objective, une nature absolue. Cette distinction entre la vérité absolue et la vérité relative est vague, direz-vous. Je vous répondrai : elle est tout juste assez « vague » pour empêcher la science de devenir un dogme au mauvais sens de ce mot, une chose morte, figée, ossifiée ; mais elle est assez « précise » pour tracer entre nous et le fidéisme, l'agnosticisme, l'idéalisme philosophique, la sophistique des disciples de Hume et de Kant, une ligne de démarcation décisive et ineffaçable. II y a ici une limite que vous n'avez pas remarquée, et, ne l'ayant pas remarquée, vous avez glissé dans le marais de la philosophie réactionnaire. C'est la limite entre le matérialisme dialectique et le relativisme.
Nous sommes des relativistes, proclament Mach, Avenarius et Petzoldt. Nous sommes des relativistes, leur font écho M. Tchernov et quelques disciples russes de Mach se réclamant du marxisme. Oui, M. Tchernov et camarades disciples de Mach, c'est là précisément votre erreur. Car fonder la théorie de la connaissance sur le relativisme, c'est se condamner infailliblement au scepticisme absolu, à l'agnosticisme et à la sophistique, ou bien au subjectivisme. Comme théorie de la connaissance, le relativisme n'est pas seulement l'aveu de la relativité de nos connaissances ; c'est aussi la négation de toute mesure, de tout modèle objectif, existant indépendamment de l'humanité et dont se rapproche de plus en plus notre connaissance relative. On peut, en partant du relativisme pur, justifier toute espèce de sophistique, admettre par exemple dans le « relatif » que Napoléon est ou n'est pas mort le 5 mai 1821; on peut déclarer comme simple « commodité » pour l'homme ou l'humanité d'admettre, à côté de l'idéologie scientifique (« commode » à un certain point de vue), l'idéologie religieuse (très « commode » à un autre point de vue), etc.
La dialectique, comme l'expliquait déjà Hegel, intègre comme l'un de ses moments, le relativisme, la négation, le scepticisme, mais ne se réduit pas au relativisme. La dialectique matérialiste de Marx et d'Engels inclut sans contredit le relativisme, mais ne s'y réduit pas ; c'est‑à‑dire qu'elle admet la relativité de toutes nos connaissances non point au sens de la négation de la vérité objective, mais au sens de la relativité historique des limites de l'approximation de nos connaissances par rapport à cette vérité.
Bogdanov écrit en soulignant : « Le marxisme conséquent n'admet pas une dogmatique et une statique » telles que les vérités éternelles (Empiriomonisme, livre III, p. IX). Confusion. Si le monde est (comme le pensent les marxistes) une matière qui se meut et se développe perpétuellement, et si la conscience humaine au cours de son développement ne fait que le refléter, que vient faire ici la « statique » ? Il n'est pas du tout question de la nature immuable des choses ni d'une conscience immuable, mais de la correspondance entre la conscience reflétant la nature et la nature reflétée par la conscience. C'est dans cette question, et seulement dans cette question, que le terme « dogmatique » a une saveur philosophique toute particulière : c'est le mot dont les idéalistes et les agnostiques usent le plus volontiers contre les matérialistes, comme nous l'avons déjà vu par l'exemple de Feuerbach, matérialiste assez « vieux ». Toutes les objections adressées au matérialisme du point de vue du fameux « positivisme moderne » ne sont que des vieilleries.
6. Le critère de la pratique dans la théorie de la connaissance[modifier le wikicode]
Nous avons vu Marx en 1845 et Engels en 1888 et 1892, fonder la théorie matérialiste de la connaissance sur le critère de la pratique[16]. Poser en dehors de la pratique la question de savoir « si la pensée humaine peut aboutir à une vérité objective », c'est s'adonner à la scolastique, dit Marx dans sa deuxième thèse sur Feuerbach. La pratique est la meilleure réfutation de l'agnosticisme de Kant et de Hume, comme du reste de tous les autres subterfuges (Schrullen) philosophiques, répète Engels. « Le résultat de notre action démontre la conformité (übereinstimmung) de nos perceptions avec la nature objective des objets perçus », réplique Engels aux agnostiques.
Comparez à cela le raisonnement de Mach sur le critère de la pratique. « On est accoutumé dans la pensée habituelle et dans le langage ordinaire à opposer l'apparent, l'illusoire à la réalité. Levant en l'air devant nous un crayon, nous le voyons rectiligne. Le plongeant obliquement dans l'eau, nous le voyons brisé. On dit dans ce dernier cas : « le crayon paraît brisé, mais il est droit en réalité ». Pour quelle raison appelons‑nous un fait réalité, et ravalons‑nous un autre au niveau d'une illusion ?... Quand nous commettons l'erreur naturelle d'attendre, en des cas extraordinaires, des phénomènes ordinaires, nos espoirs sont, bien entendu, déçus. Mais les faits n'y sont pour rien. Parler d'illusion en pareil cas est permis au point de vue pratique, mais ne l'est nullement au point de vue scientifique. De même la question si souvent soulevée : l'univers a‑t‑il une existence réelle ou n'est‑il que notre rêve ? n'a aucun sens au point de vue scientifique. Le rêve le plus incohérent est un fait au même titre que tout autre » (Analyse des sensations, pp. 18‑19).
Il est vrai qu'un rêve incohérent est un fait tout comme une philosophie incohérente. On n'en peut douter après avoir pris connaissance de la philosophie d'Ernst Mach. Cet auteur confond, comme le dernier des sophistes, l'étude historico‑scientifique et psychologique des erreurs humaines, des « rêves incohérents » de toute sorte faits par l'humanité, tels que la croyance aux loups‑garous, aux lutins, etc., avec la discrimination gnoséologique du vrai et de l'« incohérent ». C'est comme si un économiste s'avisait de soutenir que la théorie de Senior, ‑ d'après laquelle tout le profit du capitaliste est le produit de la « dernière heure » du travail de l'ouvrier, ‑ et la théorie de Marx, sont toutes les deux, au même titre, des faits, la question de savoir laquelle de ces théories exprime la vérité objective et laquelle traduit les préjugés de la bourgeoisie et la corruption de ses professeurs, n'ayant dès lors aucune portée scientifique. Le tanneur J. Dietzgen voyait dans la théorie de la connaissance scientifique, c'est‑à‑dire matérialiste, une « arme universelle contre la foi religieuse » (Kleinere philosophische Schriften, p. 55), mais pour le professeur diplômé Ernst Mach, la distinction entre la théorie matérialiste de la connaissance et celle de l'idéalisme subjectif « n'a pas de sens au point de vue scientifique » ! La science ne prend pas parti dans le combat livré par le matérialisme à l'idéalisme et à la religion, c'est là l'idée la plus chère de Mach et aussi de tous les universitaires bourgeois contemporains, ces « laquais diplômés, dont l'idéalisme laborieux abêtit le peuple », suivant l'expression si juste du même J. Dietzgen (ibid., p. 53).
Nous avons justement affaire à cet idéalisme laborieux des professeurs, quand E. Mach reporte au‑delà de la science, au‑delà de la théorie de la connaissance, le critère de la pratique qui sépare pour tout un chacun l'illusion d'avec la réalité. La pratique humaine démontre l'exactitude de la théorie matérialiste de la connaissance, disaient Marx et Engels, qualifiant de « scolastique » et de « subterfuges philosophiques » les tentatives faites pour résoudre la question gnoséologique fondamentale sans recourir à la pratique. Par contre, la pratique est pour Mach une chose et la théorie de la connaissance en est une autre ; on peut les envisager côte à côte sans que l'une conditionne l'autre. Dans sa dernière œuvre Connaissance et Erreur (p. 115 de la deuxième édition allemande), Mach dit : « La connaissance est toujours une chose psychique biologiquement utile (förderndes). » « Seul le succès distingue la vérité de l'erreur » (p. 116). « Le concept est une hypothèse physique utile pour le travail » (p. 143). Nos disciples russes de Mach, se réclamant du marxisme, voient avec une étonnante naïveté dans ces phrases de Mach la preuve que ce dernier se rapproche du marxisme. Mach se rapproche ici du marxisme tout comme Bismarck se rapprochait du mouvement ouvrier, ou l'évêque Euloge[17] du démocratisme. Ces propositions voisinent chez Mach avec sa théorie idéaliste de la connaissance, sans influer sur le choix d'une orientation gnoséologique déterminée. La connaissance ne peut être biologiquement utile, utile à l'homme dans la pratique, dans la conservation de la vie, dans la conservation de l'espèce, que si elle reflète la vérité objective indépendante de l'homme. Pour le matérialiste le « succès » de la pratique humaine démontre la concordance de nos représentations avec la nature objective des choses perçues. Pour le solipsiste le « succès » est tout ce dont j'ai besoin dans la pratique, qui peut être considérée indépendamment de la théorie de la connaissance. En mettant le critère de la pratique à la base de la théorie de la connaissance, nous arrivons inévitablement au matérialisme, dit le marxiste. La pratique peut être matérialiste, dit Mach; quant à la théorie, c'est tout autre chose.
« Pratiquement, écrit‑il dans l'Analyse des sensations, lorsque nous voulons agir, il nous est tout aussi impossible de nous passer de la notion du Moi que de celle du corps au moment où nous tendons la main pour saisir un objet. Nous restons physiologiquement des égoïstes et des matérialistes avec autant de constance que nous voyons le soleil se lever. Mais nous ne devons nullement nous en tenir à cette conception dans la théorie » (284‑285).
L'égoïsme n'a rien à voir ici, étant une catégorie absolument étrangère à la gnoséologie. De même le mouvement apparent du soleil autour de la terre, la pratique, qui nous sert de critérium dans la théorie de la connaissance, devant embrasser la pratique des observations astronomiques, des découvertes, etc. Il ne reste donc de cette pensée de Mach que l'aveu précieux que les hommes sont entièrement, exclusivement guidés dans leur pratique par la théorie matérialiste de la connaissance ; et la tentative de tourner cette dernière « théoriquement » ne fait qu'exprimer la scolastique pédantesque et l'idéalisme laborieux de Mach.
Qu'il n'y ait rien de nouveau dans ces efforts pour écarter la pratique comme quelque chose qui ne doit pas faire l'objet d'un examen gnoséologique, afin de faire place nette à l'agnosticisme et à l'idéalisme, c'est ce que montrera l'exemple suivant emprunté à l'histoire de la philosophie classique allemande. G. E. Schulze (Schulze-Aenesidemus dans l'histoire de la philosophie) se trouve ici sur le chemin qui va de Kant à Fichte. Il défend ouvertement la tendance sceptique en philosophie et se déclare disciple de Hume (et, parmi les anciens, de Pyrrhon et de Sextus). Il nie catégoriquement toute chose en soi et la possibilité de la connaissance objective ; il exige non moins catégoriquement que nous n'allions pas au‑delà de l’ » expérience », au‑delà des sensations, ce qui ne l'empêche nullement de prévoir les objections du camp opposé : « Comme, dans la vie quotidienne, le sceptique reconnaît la réalité certaine des choses objectives, agit en conséquence et admet le critère de la vérité, sa propre conduite est la meilleure et la plus évidente réfutation de son scepticisme[18]. » « Ces arguments, répond Schulze indigné, ne sont valables que pour la populace (Pöbel, p. 254). Car mon scepticisme ne s'étend pas à la vie pratique, il reste dans les limites de la philosophie » (p. 255).
L'idéaliste subjectif Fichte espère de même trouver dans le domaine de la philosophie idéaliste une place pour le » réalisme qui s'impose (sich aufdringt) à nous tous, et même à l'idéaliste le plus résolu, quand on en vient à l'action, réalisme qui admet l'existence des objets en dehors et tout à fait indépendamment de nous » (Werke, t. I, p. 455).
Le positivisme moderne de Mach ne s'est guère éloigné de Schulze et de Fichte ! Notons à titre de curiosité que, pour Bazarov, nul n'existe, en cette matière, en dehors de Plekhanov : le chat est pour la souris la bête la plus forte. Bazarov raille la « philosophie salto‑vitale de Plekhanov » (Essais, p. 69), qui a en effet écrit une phrase biscornue : que la « foi » en l'existence du monde extérieur est « en philosophie un salto‑vitale inévitable » (Notes sur L. Feuerbach, p. 111). Le mot « foi », quoique mis entre guillemets et répété après Hume, révèle, assurément, chez Plekhanov une confusion de termes. Mais que vient faire ici Plekhanov ?? Pourquoi Bazarov n'a‑t‑il pas choisi un autre matérialiste, Feuerbach par exemple ? Serait‑ce uniquement parce qu'il ne le connaît pas ? Mais l'ignorance n'est pas un argument. Feuerbach, lui aussi, tout comme Marx et Engels, fait dans les questions fondamentales de la théorie de la connaissance un « saut » vers la pratique, inadmissible au point de vue de Schulze, Fichte et Mach. Critiquant l'idéalisme, Feuerbach le définit à l'aide d'une citation frappante de Fichte qui porte admirablement contre toute la doctrine de Mach. « Tu crois, écrivait Fichte, que les choses sont réelles, qu'elles existent en dehors de toi, pour la seule raison que tu les vois, les entends, les touches. Mais la vue, le toucher, l'ouïe ne sont que sensations... Tu ne perçois pas les choses, tu ne perçois que tes sensations. » (Feuerbach, Werke, t. X, p. 185.) Et Feuerbach de répliquer : l'être humain n'est pas un Moi abstrait, c'est un homme ou une femme, et la question de savoir si le monde est sensation peut se réduire à cette autre : un autre homme n'est‑il que ma sensation, ou nos rapports dans la pratique démontrent‑ils le contraire ? « L'erreur capitale de l'idéalisme consiste justement à ne poser et résoudre les questions de l'objectivité et de la subjectivité de la réalité ou de l'irréalité du monde, qu'au seul point de vue théorique » (ibid., p. 189). Feuerbach met à la base de la théorie de la connaissance l'ensemble de la pratique humaine. Certes, dit‑il, les idéalistes eux aussi admettent dans la pratique la réalité de notre Moi et celle du Toi d'autrui. Pour l'idéaliste « ce point de vue ne vaut que pour la vie, et non pour la spéculation. Mais la spéculation qui entre en contradiction avec la vie et fait du point de vue de la mort, de l'âme séparée du corps, le point de vue de la vérité, est une spéculation morte, une fausse spéculation » (p. 192). Nous respirons avant de sentir, nous ne pouvons exister sans air, sans nourriture et sans boisson.
« Ainsi, il s'agit de nourriture et de boisson quand on examine la question de l'idéalité ou de la réalité du monde ! s'exclame l'idéaliste indigné. Quelle bassesse ! Quelle atteinte à la bonne coutume de déblatérer de toutes ses forces, du haut des chaires de philosophie et de théologie, contre le matérialisme dans les sciences pour pratiquer ensuite à la table d'hôte le matérialisme le plus vulgaire » (p. 195). Et Feuerbach de s'exclamer que situer sur le même plan la sensation subjective et le monde objectif, « c'est mettre le signe d'égalité entre pollution et procréation » (p. 198).
La remarque n'est pas des plus polies, mais elle frappe juste les philosophes qui enseignent que la représentation sensible est précisément la réalité existant hors de nous.
Le point de vue de la vie, de la pratique, doit être le point de vue premier, fondamental de la théorie de la connaissance. Ecartant de son chemin les élucubrations interminables de la scolastique professorale, il mène infailliblement au matérialisme. Il ne faut certes pas oublier que le critère de la pratique ne peut, au fond, jamais confirmer ou réfuter complètement une représentation humaine, quelle qu'elle soit. Ce critère est de même assez « vague » pour ne pas permettre aux connaissances de l'homme à se changer en un « absolu » ; d'autre part, il est assez déterminé pour permettre une lutte implacable contre toutes les variétés de l'idéalisme et de l'agnosticisme. Si ce que confirme notre pratique est une vérité objective unique, finale, il en découle que la seule voie conduisant à cette vérité est celle de la science fondée sur la conception matérialiste. Ainsi Bogdanov veut bien reconnaître dans la théorie de la circulation monétaire de Marx une vérité objective, mais uniquement « pour notre époque », et il considère comme du « dogmatisme » d'attribuer à cette théorie un caractère de vérité « objective suprahistorique » (Empiriomonisme, livre III, p. VII). C'est de nouveau une confusion. Aucune circonstance ultérieure ne pourra modifier la conformité de cette théorie avec la pratique pour la simple raison qui fait de cette vérité : Napoléon est mort le 5 mai 1821, une vérité éternelle. Mais comme le critère de la pratique ‑ c'est‑à‑dire le cours du développement de tous les pays capitalistes pendant ces dernières décades, ‑ démontre la vérité objective de toute la théorie économique et sociale de Marx en général, et non de telle ou telle de ses parties ou de ses formules, etc., il est clair que parler ici du « dogmatisme » des marxistes, c'est faire une concession impardonnable à l'économie bourgeoise. La seule conclusion à tirer de l'opinion partagée par les marxistes, que la théorie de Marx est une vérité objective, est celle‑ci : en suivant le chemin tracé par la théorie de Marx, nous nous rapprocherons de plus en plus de la vérité objective (sans toutefois l'épuiser jamais) ; quelque autre chemin que nous suivions, nous ne pourrons arriver qu'au mensonge et à la confusion.
- ↑ En français dans le texte. (N. R.)
- ↑ F. Engels : Ludwig Feuerbach, etc., 4° édition allemande, p. 15 ; traduction russe, édition de Genève, 1905, pp. 12‑13. M. V. Tchernov traduit ici le mot Spiegelbild par « reflet de miroir » et accuse Plekhanov d'avoir « très sensiblement édulcoré » dans son exposé la théorie d'Engels, en employant en russe le mot « reflet » tout court,au lieu de l'expression « reflet de miroir ». Pure chicane : le mot Spiegelbild s'emploie aussi en allemand dans le sens de Abbild.
- ↑ Personnage du roman La fumée de Tourguéniev, type du pseudo-savant. (N.R.)
- ↑ La Question agraire, par V. Iline, Saint‑Pétersbourg, 1908. I° partie, p. 195. (Voir V. Lénine, Œuvres, 4° édition, t. 5, p. 134‑ N.R.)
- ↑ Albert Lévy : La Philosophie de Feuerbach et son influence sur la littérature allemande. Paris, 1904, pp. 249‑338 ‑ influence de Feuerbach sur Marx ; pp. 290‑298 ‑ analyse des « thèses ».
- ↑ Socialisme utopique et socialisme scientifique, préface à la traduction anglaise. Traduit en allemand par Engels lui-même dans la Neue Zeit, XI, 1 (1892‑1893, n° 1), p. 15 et suivantes. La traduction russe, la seule si je ne me trompe, fait partie du recueil : le Matérialisme historique, p. 162 et suivantes. Le passage que nous reproduisons ici est cité, par Bazarov dans les Essais « sur » la philosophie marxiste, p. 64.
- ↑ N. Beltov : pseudonyme de G. Plékhanov. (N.R.)
- ↑ Hegel, Enzyklopädie der philosophischen Wissenschaften im Grundrisse, Werke, t. VI (1843), p. 83. Cf. p. 122.
- ↑ Feuerbach : Sämtliche Werke, t. X, 1866, pp. 194‑195.
- ↑ Dictionnaire des sciences philosophiques, Paris, 1875.
- ↑ Scepticisme, courant philosophique frêchant le doute quant aux possibilités de connaître la réalité objective. Le scepticisme naquit dès le IV°‑III° siècle ayant notre ère dans la Grèce ancienne (Pyrrhon, Aenésidème, Sextus Empiricus). Les partisans du scepticisme antique tiraient des prémisses sensualistes des conclusions agnostiques. En portant à l'absolu le caractère subjectif des sensations, les sceptiques appelaient à s'abstenir de tout jugement précis sur les objets ; ils estimaient que l'homme ne peut dépasser les limite de ses sensations ni établir laquelle d'entre elles est véridique.
A l'époque de la Renaissance, les philosophes français Montaigne, Charron, Bayle ont utilisé le scepticisme pour combattre la scolastique moyenâgeuse et l'Eglise.
Au XVIII° siècle; le scepticisme renaît dans l'agnosticisme de Hume et de Kant. Gottlib Ernst Schulze (Aenésidème) fait une tentative pour moderniser le scepticisme antique. Les arguments du scepticisme sont utilisés par les disciples de Mach, les néo‑kantiens et autres écoles philosophiques idéalistes du milieu du XIX° siècle‑début du XX° siècle. (N.R.) - ↑ Epicurisme, doctrine d'Epicure, philosophe grec du IV°-Ill° siècle avant notre ère, et de ses disciples. L'épicurisme considérait que le bonheur de l'homme, la suppression des souffrances, la félicité, était le but de la philosophie. La philosophie, enseignait‑il, est appelée à surmonter les obstacles sur le chemin conduisant au bonheur : la peur de la mort, suscitée par l'ignorance des lois de la nature et qui, à son tour, engendre la foi en des forces surnaturelles, divines.
Dans la théorie de la connaissance Epicure est sensualiste. Selon lui, les choses irradient les images les plus subtiles qui, à travers les organes des sens pénètrent dans l’âme humaine. Les concepts des choses se forment à partir des perceptions sensibles de l'âme, dans laquelle la mémoire ne conserve que les traits généraux des images. Epicure considérait les perceptions sensibles comme le critère de la vérité et il voyait la source des erreurs dans le caractère accidentel de telles ou telles sensations ou dans la prompte formation des jugements.
L'épicurisme, bien plus que les autres théories philosophiques de l'antiquité, a été en butte aux attaques des idéalistes qui mutilaient la doctrine du grand matérialiste grec.
Dans la définition du sensualisme citée par Lénine, Franck considère à juste titre l'épicurisme comme une de ses variétés ; cependant il différencie à tort l'épicurisme d'avec le sensualisme objectif, matérialiste. (N.R.) - ↑ Dr. Albert Schwegler : Geschichte der Philosophie im Umriss, 15‑te Aufl., p. 194.
- ↑ Cf. V. Tchernov, ouvrage cité, p. 64 et suivantes. Disciple de Mach, M. Tchernov a une attitude identique à celle de Bogdanov, qui ne veut pas se reconnaître pour tel. La différence est que Bogdanov s'efforce de masquer son désaccord avec Engels, de le présenter comme fortuit, etc., alors que M. Tchernov se rend bien compte qu'il s'agit de combattre le matérialisme et la dialectique.
- ↑ Cf Lettre à Kugelmann du 5.12.1868. (N.R.)
- ↑ Allusion aux Thèses sur Feuerbach (1845) de Marx et aux ouvrages d’Engels : Ludwig Feuerbach (1888) et l’introduction à l’édition anglaise de Socialisme utopique et socialisme scientifique. (N.R.)
- ↑ Euloge : évêque, membre de la Douma d’Etat, monarchiste, ultra-réactionnaire. (N.R.)
- ↑ G. E. Schulze : Aenesidemus oder über die Fundamente der von dem Herrn Professor Reinhold in Jena gelieferten Elementarphilosophie, 1792, p. 253.