Lettre d'Alfonso Leonetti à la Commission Exécutive de la Izquierda Comunista de España

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Les lettres majuscules et les termes en italique sont de l’original ; quelques corrections orthographiques ont été faites.


SECRÉTARIAT INTERNATIONAL DE LA L.C.I.

Genève, 17 juillet 1934

A la C.E. de la Section espagnole

Chers camarades,

Une lettre avait été préparée par nous au sujet du conflit catalan, avant l’arrivée du cam. M. Les conversations avec ce camarade nous ont confirmé dans la nécessité de vous adresser cette lettre afin de mieux préciser nos points de vue respectifs sur cette question importante.

1 – Nous pensons ne pas avoir de désaccords avec vous sur l’appréciation « que dans les circonstances actuelles le mouvement de l’émancipation nationale de la Catalogne est un facteur progressif dans le développement de la révolution espagnole » (voir votre information « La situation en Catalogne »).

Mais justement, de ce fait, nous estimons que votre position dans le conflit entre Madrid et Barcelone ne correspond pas à la tâche de faire du mouvement d’émancipation nationale de la Catalogne un véritable facteur progressif de toute la révolution espagnole.

2 – Il faut tout d’abord placer clairement le conflit catalan dans les perspectives de la révolution espagnole. Indubitablement la Catalogne représente aujourd’hui la plus forte position défensive contre la réaction clérico-monarchiste. Si cette position tombe, la réaction espagnole aura remporté une victoire décisive et pour bien longtemps. La lutte de la Catalogne se trouve ainsi placée par les circonstances actuelles au centre de tout le mouvement d’émancipation des masses opprimées d’Espagne, c’est-à-dire que la lutte de la Catalogne n’est pas séparable de la lutte des masses ouvrières et paysannes de toute l’Espagne. Mais pour faire du conflit catalan le point de départ d’une nouvelle offensive de la révolution espagnole, il est nécessaire que le prolétariat catalan, soutenu par la classe ouvrière espagnole, sache s’emparer de la direction de la lutte défensivecontre Madrid, jusqu’à la séparation. Cela signifie que la tâche de l’avant-garde prolétarienne doit consister à démontrer toute l’impuissance de l’Esquerra de défendre et de réaliser l’émancipation nationale de la Catalogne, dont elle – l’avant-garde prolétarienne – doit prendre la tête. Comment ?

3 – Lutter dans les circonstances actuelles pour l’émancipation catalane signifie pousser à l’extrême le conflit entre Madrid et Barcelone ce qui veut dire lutter pour la séparation. Dans cette voie on démontrera tout l’esprit hésitant, inconséquent, tendant au compromis, etc., de la petite bourgeoisie, voire de l’Esquerra.

Or, la position adoptée par vous et que vous avez fait adopter à l’Alliance Ouvrière nous apparaît une position d’attente et de suivisme. Vous dites :

« Si le gouvernement réactionnaire de Madrid attaquait la Catalogne, la place de la classe ouvrière serait aux côtés de cette dernière » ;

« Si la République catalane était proclamée, nous devrions nous défendre contre l’offensive du pouvoir central et profiter de cette occasion pour pousser le mouvement sur le chemin de la révolution socialiste » (voir votre rapport cité plus haut).

« Si le gouvernement réactionnaire attaquait », « si la République catalane était proclamée… » cela signifie une position « d’attente ».

Non, cette position, nous estimons qu’elle doit absolument et de toute urgence être revue.

Il ne faut pas attendre l’attaque du gouvernement réactionnaire de Madrid. D’ailleurs l’attaque de la part de celui-ci est déjà déclenchée. Il faut dire à la classe ouvrière (et non seulement de la Catalogne, mais de toute l’Espagne) que de la victoire ou de la défaite de la résistance catalane se décidera aussi sa victoire ou sa défaite. La classe ouvrière doit mobiliser toutes les forces des masses de Catalogne pour les dresser contre la réaction, dont Madrid est le centre. Pour cela, la classe ouvrière (et son avant-garde politique) doit poser le problème de l’indépendance de la Catalogne, jusqu’à – nous le répétons – la séparation d’avec Madrid.

4 – Evidemment, nous, marxistes, nous ne sommes pas des « séparatistes » ; mais nous ne sommes non plus des « démocrates ». Néanmoins en luttant pour la « démocratie » nous pensons arriver au socialisme et au pouvoir prolétarien. La même chose pour la question nationale.

En luttant pour l’indépendance catalane, pour la République catalane, en somme, la classe ouvrière ne perd pas de vue un instant que sa tâche est de lutter pour une libre république catalane ouvrière et paysanne dans une libre république ouvrière et paysanne d’Espagne.

5 – Pour que le mouvement de l’émancipation nationale de Catalogne soit un facteur progressif à l’heure actuelle, il faut la mobilisation de tout le peuple catalan contre Madrid, contre la réaction monarchiste-vaticaniste. C’est pourquoi la lutte pour la République catalane indépendante est d’une importance décisive dans les circonstances actuelles. Cela signifie-t-il que Maurín a une position juste ? Nullement. Ce qui nous sépare de Maurín est constitué par tout ce qui nous sépare des « démocrates » et des « opportunistes ». Pour nous la lutte en faveur des libertés démocratiques et par suite la lutte pour la République démocratique catalane est un moyen « pour pousser le mouvement sur le chemin de la révolution socialiste », tandis que pour Maurín et les autres « catalanistes » c’est un moyen pour tromper les masses. Or, si nous voulons démasquer tant les Maurins que les radicaux de l’Esquerra, nous devons justement ne pas les laisser apparaître comme les défenseurs de l’autonomie et de l’indépendance catalane, mais prendre dans nos mains la lutte pour cette indépendance et cette autonomie.

6 – Il se dit que les ouvriers catalans ne sont pas séparatistes et que d’autre part les ouvriers et paysans espagnols se placent à côté de la réaction contre tout mouvement séparatiste. Nous ne mettons pas en doute que de pareilles tendances puissent exister dans la classe ouvrière catalane et espagnole. Mais il s’agit de les comprendre et de les expliquer. La lutte pour la séparation est aujourd’hui la lutte contre la réaction qui a son centre dans le gouvernement de Madrid. Le peuple catalan indépendant et armé signifie un rempart formidable pour la lutte des ouvriers et paysans espagnols contre le fascisme et les forces monarchistes.

La proclamation de la République catalane exige la mobilisation des masses ouvrières et paysannes de l’Espagne tout entière contre le gouvernement central de Madrid. Et de cette manière la lutte pour la Catalogne indépendante peut se transformer en lutte pour la République ouvrière et paysanne de toute l’Espagne.

Donc ne pas attendre la proclamation de la République catalane ; ne pas attendre l’attaque contre elle de Madrid ; mais prendre dès maintenant la direction pour la lutte en faveur de la République catalane contre Madrid ; démontrer l’incapacité de l’Esquerra, l’hypocrisie des Maurín, etc.

7 – La tâche de l’Alliance ouvrière dans ce conflit consiste non pas à discuter si l’on doit ou non donner comme mot d’ordre la proclamation de la République catalane ; mais bien à résoudre les problèmes concrets pour mobiliser l’ensemble des masses catalanes contre Madrid.

Le premier problème qui se pose est celui de l’armement du peuple. Remplacer la milice créée par l’Esquerra par le peuple armé :

a) milice ouvrière et paysanne,

b) éligibilité des officiers,

c) salaires payés aux travailleurs pendant leur service, etc.

Mais ne pas attendre l’armement du peuple de l’Esquerra. Le peuple doit s’armer : c’est la condition fondamentale pour garder et garantir ses droits.

8 – Il ne suffit pas de dire : L’Alliance est avec le peuple dans le conflit avec Madrid. Il faut mettre à nu toute l’impuissance de l’Esquerra dans ce conflit à défendre le peuple. L’armement des masses populaires exigé et entrepris par nous et l’A.O. peut bien mettre à nu tout l’esprit de « compromis » qui anime le gouvernement de Companys.

Vous dites que l’A.O. a été consultée officiellement à Barcelone aussi bien qu’en province au sujet d’une possible « collaboration » avec le gouvernement Companys. Votre réponse que « dans le cas où la Catalogne serait attaquée etc. », « l’Alliance se mettrait aux côtés du peuple » nous semble également fausse. Nous y trouvons -permettez-nous de le dire – toujours la même position attentiste et suiviste. Il ne faut pas attendre, mais prévenir l’attaque ; cela veut dire qu’il faut organiser la résistance ; armer le peuple, les ouvriers et les paysans ; organiser les masses populaires ; les informer, etc. Ne pas promettre seulement de soutenir le peuple catalan contre Madrid, mais dire comment le peuple catalan peut et doit se défendre et mener sa lutte réelle contre Madrid. Cela veut dire qu’il faut distinguer le peuple du gouvernement de Companys.

Il ne peut s’agir nullement de « conditions » à l’Esquerra pour « collaborer » avec elle contre Madrid ; il s’agit de déterminer nettement les conditions qui peuvent seulement permettre au peuple catalan de résister à Madrid et de développer sa résistance. Ces conditions sont :

1) constitution d’une milice ouvrière et paysanne (armement du peuple) ;

2) formation de comités d’Alliance ouvrière et paysanne dans toute la Catalogne ;

3) alliance avec les ouvriers et paysans de toute l’Espagne.

L’Esquerra ne peut que trahir les intérêts du peuple catalan, comme elle l’a déjà trahi une fois. Aucune confiance dans l’Esquerra ; ne pas la soutenir et démontrer ses oscillations et ses faiblesses dans la lutte contre Madrid.

C’est aux masses que l’A.O. doit s’adresser pour leur armement, le désarmement des fascistes, l’expropriation des réactionnaires de la Lliga, etc. Et non seulement par des appels, mais en prenant directement l’initiative. De cette manière, l’influence de l’Esquerra dans les masses populaires sera de plus en plus évincée par l’influence des organisations de l’avant-garde prolétarienne.

9 – La question de l’indépendance catalane se présente aujourd’hui sous l’aspect de la lutte paysanne (loi d’affermage). Il est nécessaire de donner à la lutte pour l’émancipation nationale un contenu social ; ce contenu peut être donné :

1) par la lutte en faveur de la terre aux paysans (à bas l’esclavage du métayage ; affranchissement des rabassaires de tout charge étatique et féodale ; etc.)

2) par la lutte en faveur de la semaine de 40 heures et du contrôle ouvrier, etc.

10 – Nous nous résumons : le prolétariat ne doit ni attendre l’attaque réactionnaire, ni promettre son aide ; le prolétariat doit par son activité se mettre à la tête du mouvement d’émancipation nationale et lui imprimer un cours net et ferme. Pour faire cela, le prolétariat doit lutter pour :

1) la proclamation de la République catalane indépendante,

2) l’armement du peuple,

3) la terre aux paysans,

4) le contrôle ouvrier,

5) la constitution de comités de l’Alliance ouvrière et paysanne,

6) l’alliance avec les masses ouvrières et paysannes de toute l’Espagne,

7) la convocation de nouvelles élections pour la formation d’un gouvernement capable de diriger vraiment la lutte des masses populaires contre « Madrid ».

Des perspectives claires ; des mots d’ordre hardis ; pas d’attente. Par cette voie il est vraiment possible de changer la défense en attaque et de pousser le mouvement sur le chemin de la révolution socialiste.

Fraternellement

pour le S.I. Martin

P.S. : Ci-jointe nous vous transmettons en communication aussi une lettre du cam. P. de la section allemande sur le même sujet.