Les derniers phénomènes de la stabilisation capitaliste

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(Extrait du discours de Boukharine à la dernière session plénière de l’Exécutif du P. C. de l’U. R. S. S.)[1]

Si l’on parle, non pas des modifications intervenues dans la conjoncture, modifications d’importance secondaire et de caractère transitoire, mais de la ligne générale du développement actuel, on peut dire que ce qu’il y a de plus caractéristique pour l’époque dans laquelle nous entrons, c’est une reprise inouïe de la lutte de classe entre le monde ouvrier et la bourgeoisie capitaliste.

Nous allons au-devant de cette lutte qui se produira sur une échelle et dans des formes inconnues, jusqu’à ce jour, dans toute l’histoire du monde capitaliste et du mouvement ouvrier. L’aggravation des antagonismes entre l’Union Soviétique et les puissances capitalistes nous avertit que nous entrons dans cette phase nouvelle. .Bien entendu, durant toute la coexistence du monde capitaliste et des républiques prolétariennes, la lutte a été incessante et elle a pris des formes très diverses. Ces derniers temps, elle se traduit surtout par une rivalité économique; auparavant, elle s’était traduite par l’intervention et la guerre. Mais même la période des conflits les plus graves entre le monde capitaliste et nous, c’est-à-dire la période d’intervention capitaliste, était fort différente de celle vers laquelle nous allons maintenant : le conflit sera tout autre. Car, alors, c’était un capitalisme profondément ébranlé, un capitalisme qui remontait tout juste à la surface, extrêmement affaibli, extrêmement étiolé par la guerre impérialiste et par les explosions révolutionnaires qui l’avaient suivie dans plusieurs pays, c’était le capitalisme qui dirigeait ses coups contre l’Etat prolétarien et la dictature prolétarienne à peine naissants et non encore consolidés.

Mais, dans la phase où nous entrons, les luttes qui viennent n’auront pas lieu entre un capitalisme ébranlé au dernier degré et une république prolétarienne très faible encore, tout juste naissante. Nous assistons maintenant à une expansion du capitalisme consolidé, qui dirige ses coups contre un Etat socialiste également consolidé, parvenu à avoir sa propre « expansion », non pas sous la forme de conquêtes territoriales, mais par une influence révolutionnaire extrêmement grandie, extrêmement répandue, de l’Etat socialiste sur les prolétariats des autres pays et sur leurs périphéries coloniales. D’une façon générale, la phase de développement dans laquelle nous entrons est caractérisée par une plus grande acuité des antagonismes sur tous les points. Si l’on compare, par exemple, la période dans laquelle nous entrons à celle qui a précédé la guerre, il est indiscutable que la période actuelle est caractérisée par une bien plus grande acuité des antagonismes entre les Etats impérialistes. Et même, la gravité des antagonismes qui existaient alors entre les Etats impérialistes, disons entre les deux grandes coalitions qui se formèrent ensuite au cours de la guerre impérialiste, même cette gravité était inférieure à celle qui s’affirme pour la période actuelle. Et, d’autre part, même cette gravité accrue des antagonismes entre les Etats impérialistes est à son tour moins grande que celle dont nous serons témoins et qui doit se manifester entre les Etats impérialistes et l’Union des Soviets. Il me semble qu’il est indispensable de bien comprendre cela et que c’est de là que nous devons partir. Une autre question se pose, celle des délais, celle de la rapidité des événements, etc. Mais il faut d’abord nous rendre compte, bien clairement, que nous entrons dans une phase nouvelle, dans une période d’une signification grandiose au point de vue de classe, c’est-à-dire au point de vue de la lutte qui aura lieu et qui s’annonce déjà par l’aggravation des antagonismes entre les Etats capitalistes et l’Union des Soviets, dans une période d’une importance extrême à cause des formes que prendra la lutte qui va s’engager, et que nous annoncent déjà les préparatifs de guerre contre l’Union des Soviets.

Ici, à propos, je dois m’arrêter sur quelques petits détails. En 1923, au moment de la discussion avec le camarade Trotsky, lorsque le Comité Central de notre parti m’avait chargé d’écrire une réplique à ce camarade, je m’étais attaché à réfuter sa théorie, évidemment élaborée d’un point de vue « visant à une longue échéance » : cette théorie nous parlait d’une longue époque d’édification pacifique à l’intérieur de notre Union Soviétique sans tenir aucunement compte du fait que cette période sera relativement courte et que nous entrerons forcément dans une période de sérieuse aggravation des antagonismes entre les Etats capitalistes et l’Union Soviétique. Par conséquent, le premier argument que nous devons poser ici (j’aurai ensuite à le démontrer), c’est que nous entrons dans une nouvelle phase du développement et que cette nouvelle phase comporte de graves antagonismes entre l’U.R.S.S. et les Etats capitalistes, antagonismes devant lesquels pâlissent ceux qui se produisent entre les Etats impérialistes, bien que ces derniers, à leur tour, soient déjà plus graves, plus aigus en ce moment qu’ils n’étaient avant la guerre impérialiste, en 1914.

Il existe actuellement, au sujet des causes du conflit, deux manières de se les représenter : l’une, celle de l’orthodoxie, la nôtre, et l’autre, celle que défendent les camarades.de l’opposition. Dans l’ensemble, la manière dont l’opposition pose la question des causes de cette aggravation et y répond peut être formulée à peu près ainsi : « Nous nous affaiblissons, ils se fortifient », et de cette façon de voir : « Nous faiblissons, nos ennemis se fortifient », découle tout le reste. Ces arguments sont présentés de différentes manières. C’est ainsi que le camarade Trotsky, à la séance du Comité Central de l’I. C., a développé toute une théorie de « repliement » du prolétariat, de sa conversion vers la droite en tous lieux, en Occident aussi bien qu’en Orient, dans les pays capitalistes comme chez nous. Le prolétariat « se replie », son activité faiblit, les forces de la Révolution diminuent; la bourgeoisie se consolide, les forces de la réaction augmentent. Cette nouvelle situation, cette nouvelle corrélation des principales et des plus importantes forces de classes, détermine ce fait qu’actuellement nous sommes entrés dans la période la plus critique des antagonismes avec le monde capitaliste. Il est parfaitement compréhensible que l’opposition, après avoir parlé ainsi, garde en réserve une série d’autres questions, et les voici : Pourquoi donc les forces du prolétariat diminuent-elles ? D’où vient ce « repliement » ? Où chercher les causes de ce phénomène ? Et l’on donne à ces questions une série de « réponses » correspondantes. Cela se passe ainsi, nous dit-on, parce que, sur la ligne de l’U.R.S.S., c’est une politique nationaloréformiste que l’on fait ; parce que sur la ligne de l’Internationale Communiste, c’est une politique opportuniste que l’on fait; parce que, partout, on jette dehors les communistes de « gauche », « les vrais » (!!). A parler brutalement, c’est le Bureau Politique du Comité Central du P. C. de l’U.R.S.S. qui est coupable de tout. C’est là une situation qu’il faut analyser et de laquelle il convient de tirer toute une série d’importantes déductions politiques. Il y a une autre manière de voir, et elle est en ceci que l’aggravation des antagonismes, si l’on considère le fond des choses et « les causes primordiales », vient de ce qu’actuellement les deux parties sont devenues plus fortes. Sans aucun doute, actuellement, nous pouvons dire, que les forces du capitalisme sur le continent se sont accrues et que la situation du capitalisme s’est fortifiée, aussi bien économiquement que politiquement. Mais, d’autre part, nos forces à nous se sont aussi très sérieusement augmentées : à l’intérieur, il y a une consolidation de nos bases économiques, la dictature du prolétariat s’affermit, l’influence politique de l’Etat ouvrier grandit, notre rayon d’action à l’extérieur, sur le plan international, s’étend de jour en jour.

Notre accroissement et notre affermissement, c’est l’accroissement du socialisme. Et il en résulte aussi que les espérances de la bourgeoisie concernant notre « liquidation pacifique » s’en vont peu à peu. Et c’est en cela qu’est la racine des antagonismes entre l’U.R.S.S. et le capital. Ce n’est pas seulement la consolidation de nos ennemis, mais c’est aussi la consolidation du socialisme qui est à la base de la nouvelle phase de développement. On peut, en considérant le point de vue de l’opposition, exprimer seulement le plus grand étonnement de voir qu’avec leur stratégie « à longue échéance », ces camarades insistent à ce point sur notre faiblesse et sur les forces du capitalisme dans le moment présent, alors que, il n’y a qu’un an, deux des plus responsables leaders de l’opposition (ce dont j’ai parlé à la VIIe session plénière du Comité Exécutif de l’Internationale communiste, ce que j’estime nécessaire de répéter ici) voyaient si loin dans leur stratégie de bons tireurs, qu’ils jetaient à bas, d’avance, tout leur raisonnement d’aujourd’hui. Le camarade Trotsky écrivait au début de 1926 :

Ma pensée est qu’une nouvelle période critique approche et que, cette année, nous ne connaîtrons pas d’équilibre, d’ordre, de tranquillité en Europe. Nous avons établi il n’v a pas longtemps que l’on en arrivait à une certaine stabilisation, c’est-à-dire à un certain équilibre temporaire du capitalisme européen, et par .conséquent, à sa consolidation. Mais cette stabilisation a été de beaucoup plus courte durée qu’on ne pouvait le penser. (Pravda du 31 janvier 1926, rapport du camarade Trotsky.)

Le camarade Zinoviev, lui aussi, en juin 1926, c’est-à-dire il y a un an, décrivait la situation générale et faisait l’analyse d’ensemble de ce qui se passe en Europe. Et il écrivait : Je pense que le résultat obtenu, ce n’est pas une stabilisation, c’est une nouvelle désorganisation du capitalisme. La tempête secoue le vaisseau du capitalisme, l’inclinant tantôt à bâbord, tantôt à tribord. Quand le vaisseau donne de la bande à tribord, il pèse, naturellement, sur l’ouvrier. Mais il est pourtant secoué. La stabilisation est un état d’équilibre. Si le capitalisme tangue et roule tantôt à tribord, tantôt à bâbord, peut-on appeler cela une stabilisation? Le vaisseau du capitalisme est secoué non seulement en Allemagne, en Pologne, mais en Angleterre, et l’Angleterre, ce n’est pas l’Allemagne, ni la Pologne, ni l’Estonie. L’Angleterre est le pays qui commande à tout le capitalisme du continent. Après l’Amérique, c’est le pays le plus riche du monde. Celui qui ne voit pas les choses seulement en surface, mais qui fait pénétrer son analyse de classe jusqu’au « squelette » de l’économie capitaliste, celui-là dira que les événements de cette dernière année démentent l’existence d’une stabilisation capitaliste.

Bon! Du point de vue d’hommes qui veulent viser loin, ce n’était là qu’une façon de s’orienter. Lorsque nous affirmions que les événements en Europe, même les plus importants, comme la grève anglaise, ont lieu sur la base des essais de stabilisation du capitalisme et expriment les antagonismes résultant de cette stabilisation, on nous répondait que nous disions des « idioties », des « calembredaines ». Et maintenant, tout à coup, c’est comme un coup de revolver, le plus imprévu, le plus inattendu : on nous sert une nouvelle formule, on nous dit que le capitalisme est extraordinairement solide, que, sur tous les fronts, a lieu un « repliement » du prolétariat (chez « nous » aussi bien que chez « eux ») et que, d’autre part, s’explique ainsi l’aggravation de la situation internationale actuelle; c’est du moins ce que déclare le camarade Trotsky.

Je voudrais, camarades, m’arrêter ici sur certains faits concernant la stabilisation capitaliste, en analysant ces faits, avant tout, du point de vue économique. Il me semble indispensable de noter qu’il serait au plus haut degré erroné de parler maintenant d’un processus de restauration à l’égard du monde capitaliste. De façon générale, une distinction entre la période de « restauration » et celle de « reconstruction » est assez conventionnelle, pour nous, comme pour le monde capitaliste. La période de restauration du capitalisme a comporté constamment des éléments d’un ordre absolument nouveau dans le domaine de la technique et dans celui des formes d’organisation; actuellement, ces éléments de nouveauté sont extrêmement accentués. Dans son ensemble, le capitalisme n’a pas seulement dépassé son niveau d’avant-guerre, mais il s’est donné, particulièrement dans des pays tels que l’Allemagne et l’Amérique, une nouvelle base technique. Du point de vue de la technique, du point de vue des formes d’organisation (croissance extraordinaire de puissants trusts, consortiums, etc.) et du point de vue de la répartition des centres des forces capitalistes dans le domaine de l’économie mondiale, de tous ces points de vue sont intervenues de très importantes modifications. Au VIIe Exécutif élargi, je me suis arrêté à un examen très détaillé de ces questions: maintenant, je voudrais simplement revenir sur quelques points essentiels, vous soumettre des données de nature plus récente et, d’autre part, souligner certains côtés auxquels, dans mon rapport, je n’avais pas accordé assez d’attention. Pour vous parler de la situation économique du capitalisme, je vous citerai seulement les chiffres d’un petit tableau d’ensemble concernant les proportions de la « capacité physique » de la production, le calcul étant établi sur les unités en nature. Si l’on désigne par 100 la production de 1913, on a pour les Etats-Unis, un indice de 150,7 pour l’industrie d’extraction, c’est-à-dire une production supérieure de plus de 50 % à celle d’avant guerre. Dans l’industrie de transformation, on a comme indice 139,8, et ce chiffre est au-dessous de la réalité parce qu’il se rapporte à un moment où la conjoncture était relativement défavorable. L’Angleterre n’est pas encore arrivée à son niveau d’avant-guerre pour sa production matérielle : son indice est de 99,1. L’indice de la France est de 124, celui de l’Allemagne de 112,7. Ainsi, les limites de 1913 sont dépassées partout, sauf en Angleterre; d’autre part, les coefficients d’augmentation atteignent des chiffres très élevés dans un pays comme l’Amérique et sont assez considérables dans les autres pays. Je dois ajouter que ce redressement (je parle ici de la dynamique et non des grandeurs absolues) est particulièrement remarquable en Allemagne. Ce pays progresse en ce moment à toute vitesse. Si l’on prend, par exemple, les données concernant seulement ces derniers temps, si, par exemple, on considère la production de la fonte depuis janvier 1927 jusqu’au mois de mai, et si l’on admet que la production mensuelle en 1926 est représentée par le chiffre 100, on aura pour la période envisagée en 1927 : 131,8 pour janvier et 140,5 pour mai; l’acier nous donne 127 pour janvier et 133,9 pour mai. Il est caractéristique aussi que la courbe de la production s’élève rapidement non pas seulement dans les industries lourdes, mais aussi dans les industries légères, par exemple dans le textile. Cette branche industrielle, en Allemagne, par suite de l’accroissement de la production dans les autres domaines, a trouvé de nouveaux débouchés à l’intérieur; actuellement, elle a épuisé toutes ses réserves de main-d’œuvre qualifiée. Et, en ce moment, on manque d’ouvriers qualifiés dans le textile. C’est là, il est vrai, une situation exceptionnelle. Et je n’affirme nullement que la même thèse puisse être soutenue à l’égard des autres branches industrielles (dans lesquelles, fréquemment, la situation est complètement différente), mais enfin, nous avons là quelque chose d’extrêmement caractéristique qu’il faut noter.

Disons quelques mots de la base technique. Il me semble qu’il y a là, comme je l’ai déjà fait remarquer, quelque chose d’intéressant pour nous qui nous occupons d’édification économique. Avant tout, on remarque une nouvelle orientation dans le domaine des matières premières. Ces derniers temps, on voit apparaître des matières premières d’une autre espèce. J’ai là un petit tableau qui donne les chiffres suivants pour les différentes espèces de matières premières (les chiffres de 1913 ayant la valeur de 100). Les calculs n’ont été faits que pour 1925, mais ils expriment déjà d’une façon assez claire la tendance qui se manifeste partout vers des modifications considérables; je veux dire que l’on s’oriente vers l’utilisation d’autres matières premières que celles qui servaient auparavant, et que cette tendance s’affirme aujourd’hui encore plus nettement. Si donc, nous prenons le chiffre 100 comme base de 1913, nous aurons le tableau suivant : coton, 124; lin, 94, donc diminution; laine, 93; soie artificielle, 660; caoutchouc (à l’état de matière première), 383 (ceci est dû à l’industrie de l’automobile, à celle des produits chimiques, etc.) ; fonte, 97, acier, 119 ; cuivre, 140 ; plomb, 132 ; aluminium, 287 (presque 300) ; houille, 98 ; lignite, 143 (cela tient aux besoins de lignite d’où l’on tire par distillation des combustibles liquides) ; naphte, 287. Ainsi, vous voyez tout à fait clairement, par ce petit tableau comparatif (et cette tendance s’est fortement accrue dans ces dernières années), quelle énorme transformation s’est produite, quel chassé-croisé pour le choix des matières premières a lieu actuellement dans l’organisme capitaliste : le charbon est remplacé par le naphte, tout en continuant à jouer un rôle des plus importants; à la houille vient se substituer le lignite; les métaux ferreux sont supplantés par les métaux non ferreux (ou métaux de couleur); enfin, à la matière première la plus répandue autrefois dans le textile, vient se substituer, avec une intensité et une abondance extraordinaires, la soie artificielle, production nouvelle qui, récemment encore, n’avait pas une grande importance et qui, maintenant, progresse à pas de géant ; ainsi, la base en matières premières du capitalisme actuel se transforme : il a des transpositions formidables de forces agissantes, des transpositions formidables de sources énergétiques.

Je prends un autre exemple, concernant l’emploi des moteurs. Malheureusement, je n’ai ici qu’un seul chiffre, mais il est extrêmement démonstratif. Depuis 1907 (il s’agit de l’Allemagne), le chiffre des électro-moteurs pour toute l’industrie a augmenté de 663,5 %, alors que, pour l’ensemble des moteurs de tout genre, l’augmentation n’est que de 129 %. Par conséquent, si vous considérez les moteurs, vous verrez que leur puissance s’accroît, mais que ce sont précisément les électro-moteurs qui sont en progression gigantesque ; autrement dit, le capitalisme s’achemine de plus en plus vers l’électrification.

Permettez-moi de vous citer deux chiffres concernant la puissance de rendement de nouvelles unités de production qui jouent un rôle des plus importants dans le système économique actuel. Si l’on prend le rendement d’un haut fourneau (rendement moyen mensuel en milliers de tonnes), nous aurons un tableau des plus significatifs (en particulier si l’on considère un pays comme l’Allemagne qui, parmi l’ensemble des pays, occupe probablement le premier rang et regagne le plus vite le niveau d’avant-guerre). En Allemagne, le rendement d’un haut fourneau, en milliers de tonnes, en 1913, était de 4,5 ; en 1924, de 4,8 ; en août 1926, de 10,1 ; et cette formidable progression technique n’a pas été obtenue seulement par une augmentation du rendement du travail, par une rationalisation de la production en général, mais pour une bonne part, grâce à de très importantes réformes dans le transport, grâce à une amélioration des services d’adduction du charbon aux hauts fourneaux. Par conséquent, nous avons ici une progression absolument exceptionnelle. En France, en 1924, le rendement d’un haut fourneau était de 4,8; il est maintenant de 5,2. En Angleterre en 1924, on avait 3,4; en septembre 1925, on avait 5,1. Aux Etats-Unis, le record est battu en chiffres absolus : c’était, en 1924, le chiffre 13, et c’est 15,2 en 1925. Ainsi, si nous considérons les chiffres absolus, c’est le capitalisme américain qui bat le record. Si vous considérez ces chiffres du point de vue de la dynamique du rendement, vous verrez que le capitalisme allemand bat le record.

Prenons encore quelques faits concernant d’autres branches industrielles. Je choisis encore les chiffres qui caractérisent l’Allemagne, car ce sont les plus significatifs, les plus instructifs pour nous. Dans la fabrique bien connue de lampes Osram, le chiffre de la main-d'œuvre qui était d’abord de 18.000 ouvriers a été ramené à 7.800 seulement ; la semaine de 8 travail est maintenant de 40 heures: et cependant, le rendement a augmenté de 75 %. Dans une entreprise de fabrication de produits chimiques, grâce à l’application du travail à la chaîne, le rendement a augmenté de plus de 200 %. Dans les ateliers des chemins de fer de l’Etat, le temps nécessaire pour la remise à neuf d’une locomotive était autrefois de 3 à 5 mois; il ne faut plus maintenant que 15 jours.

Mais, en même temps, la stabilisation du capitalisme allemand (et celle du capitalisme en général) a, bien entendu, ses mauvais côtés, ses « revers », souvent formidables; nous les avons indiqués plus d’une fois, et je dois en dire ici quelques mots. Mais, préalablement, il faut remarquer que le capitalisme allemand et celui des autres pays, dans ces derniers temps, ont réussi, malgré d’extrêmes difficultés, à relever quelque peu les salaires réels. Si l’on prend le chiffre 100 comme base représentant les salaires réels en 1913, on aura respectivement les chiffres suivants : en Angleterre, même en Angleterre (!) 109,7 (je n’examine pas ici les branches industrielles séparément, parce que nous y trouverions des différences très considérables; l’industrie du charbon donne des chiffres tout autres; je prends ici une moyenne). L’Allemagne a relevé les salaires réels des ouvriers qualifiés dans la mesure de 102,1 % ; mais pour la main-d’œuvre non instruite, non qualifiée, on ne s’est pas encore occupé dans ce pays de relever les salaires. Bien que le mouvement ascendant soit parfaitement clair et que, par comparaison avec 1926, nous ayons ici un certain relèvement de salaires, ce qui est très caractéristique, l’Allemagne, cependant, sous ce rapport, n’a pas encore rejoint le niveau d’avant guerre et elle en est encore au chiffre 91,7.

Par suite de la consolidation du régime capitaliste en Europe, nous voyons une certaine diminution de l’armée des chômeurs. Un des principaux indices de la crise dans laquelle se trouve encore le régime capitaliste, a été et est la formidable extension du chômage. J’ai eu l’occasion de dire ailleurs qu’il existait même toute une théorie de la crise capitaliste actuelle, théorie précisément tirée du fait du chômage et faisant de ce chômage la base de toute sa partie analytique. Cette immense misère du chômage, depuis quelque temps, commence à s’atténuer quelque peu. Il est vrai que le progrès n’est pas très grand ; mais enfin, depuis le mois de février, il y a eu une diminution du chiffre des sans-travail, dans la proportion probable de 224.000 individus pour toute l’Europe. On comptait en février 4.224.000 chômeurs; on en compte environ 4.000.000 aujourd’hui. C’est une amélioration relativement peu considérable, mais, si l’on considère que la rationalisation en régime capitaliste entraîne pour de nombreux ouvriers la mise à pied et que, sous ce rapport, le régime est implacable; si l’on considère la formidable pression exercée de ce côté, on constate que le capitalisme a réussi à améliorer dans une certaine mesure ses petites affaires, même sur ce front. Il va de soi que la tyrannie exercée sur les ouvriers est des plus dures; il va de soi que le processus dont nous parlons comporte une très forte condensation, en durée et en rendement, de la journée ouvrière et une intensification du travail, de sorte que si l’on calcule à équivalence le salaire touché par le travailleur et si on le compare à la somme de travail qu’il doit fournir, on voit que le progrès réalisé n’est pas à l’avantage du travailleur. Mais, en même temps, il est parfaitement clair que le capitalisme consolide ici sa domination économique. Cependant, le très grave problème qui se pose pour lui, et qui est à l’origine de l’accentuation des antagonismes internes du capitalisme, réside en ce que la rationalisation technique, l’orientation vers de nouvelles matières premières, vers l’emploi de nouvelles machines, etc., que tout cela élève au dernier degré la faculté de rendement de l’appareil producteur, et que la capacité d’absorption du marché intérieur n’est pas en rapport avec une telle production. Et par conséquent, si nous considérons seulement, disons pour la construction mécanique et l’industrie chimique, les chiffres qui expriment la quantité de matériel producteur immobilisé, on aura, pour l’ensemble du monde capitaliste, la proportion formidable de 30 à 40 %. Pour certaines industries, on a des chiffres encore plus élevés. Ce phénomène de l’accroissement de la faculté de production sans qu’il y ait une augmentation correspondante des débouchés excite et dégage les tendances agressives du capitalisme au plus haut degré, à un degré plus élevé que cela ne s’est vu à la veille de la guerre, en 1914. Car les antagonismes qui existent entre la faculté de production de l’appareil économique et les marchés, le déséquilibre qui en résulte, sont actuellement plus sensibles qu’ils ne l’ont jamais été. C’est là un des traits les plus essentiels et les plus importants de la phase dans laquelle nous sommes entrés. Si nous n’analysons pas, si nous ne parvenons à atteindre les racines profondes de la vie économique, nous ne pourrons rien comprendre à la situation actuelle. Il va de soi que cette stabilisation capitaliste partielle se présente sous des rapports divers et qu’elle ne se fait pas sans provoquer des antagonismes, qu’elle en provoque au contraire de formidables.

Schématiquement parlant, la stabilisation se présente sous son aspect américain tout d’abord. Ce type de stabilisation a ses particularités. La puissance du capitalisme américain étant énorme, et l’accroissement de ses forces de production étant gigantesque, ce capitalisme exporte environ 8 à 10 % de ses produits ; il a encore, comme débouchés, une immense base à s’ouvrir dans l’Amérique du Sud, vers laquelle il étend déjà ses tentacules et qu’il commence déjà à avaler morceau par morceau. C’est là un des aspects du mouvement ascendant de la courbe capitaliste.

Autre type : l’Allemagne. Bien que ce pays, au point de vue de la rapidité de sa progression dynamique batte le record sur tous les autres « capitalismes », il doit plus tard se heurter à des antagonismes extrêmement graves.

Avant tout, il faut dire que le capitalisme allemand a, actuellement, une balance commerciale passive, qu’il se désembourbe de la crise d’après guerre au moyen de ce qu’il reçoit du dehors, principalement au moyen des capitaux qu’il importe d’Amérique. Cela est avoué en ce moment, même par les économistes bourgeois allemands, ainsi que par les économistes anglais les plus réputés. Ce n’est un secret pour personne. Ce qu’on appelle l’« assainissement » du capitalisme allemand vient en bonne partie de là. D’autre part, le capitalisme allemand investit actuellement de fortes sommes dans la grande construction. Il en résulte une demande de production plus grande pour certaines branches intermédiaires. Mais, je le répète, le marché de la consommation n’est pas une base suffisamment solide. Aussi, en attendant que les résultats des travaux entrepris pour la création d’usines et d’outillage soient devenus sensibles sur le marché de la consommation, cela peut encore marcher ; mais, bien entendu, le problème se posera à son heure, de même que doivent se poser, d’une façon très critique, la question des réparations et celle du paiement des intérêts simples et composés des emprunts, dont la somme ne cesse d’augmenter. Nous avons donc ici un deuxième type de stabilisation. Si le type américain est celui d’une courbe capitaliste ascendante, d’un accroissement qui a encore une base économique assez considérable, le capitalisme allemand, bien qu’il progresse très vite en ce moment, n’a pas de base solide, et par conséquent la gravité des contradictions intérieures à ce progrès se manifestera nécessairement avec la violence maximum.

Enfin, voici le type anglais de stabilisation. Ses caractères distinctifs sont qu’en Angleterre la technique est relativement stagnante, qu’en ce moment, malgré certains résultats satisfaisants obtenus dans l’industrie charbonnière, il y a pour l’ensemble de formidables lacunes, une crise extrêmement sérieuse et que (c’est, à mon avis, le principal), actuellement, l’industrie a perdu en fait son importance prépondérante pour la métropole. L’activité se porte maintenant vers la sphère des banques et vers un développement industriel des Dominions et des colonies. Il est très curieux qu’Engels, dans un passage (que Lénine signalait avec force au début de la guerre), ait formulé au sujet de l’Angleterre une thèse très intéressante que voici : l’Angleterre a perdu son monopole industriel, mais elle n’a pas perdu son monopole colonial. La même formule se retrouve chez Lénine. Et la tendance qu’elle traduit continue à se manifester, à se faire sentir en ce moment avec une gravité particulière.

Il est caractéristique que, le capitalisme étant fortement ébranlé dans la métropole, c’està-dire, à proprement parler, en Angleterre, au moment même où se produisaient ces crises accompagnées de conflits sociaux, la moyenne des dividendes versés aux actionnaires de plus de 1.500 sociétés ou compagnies était, en 1926, plus élevée qu’en 1925 (11,3 % contre 9,1 %) ; remarquons en outre, que les plus forts bénéfices étaient réalisés sur les caoutchoucs, le thé, le naphte et ses produits, etc., c’est-à-dire par des entreprises coloniales et semi-coloniales. Ce type de « stabilisation » marque le début de la dislocation de ce qui s’appelle l’empire britannique ; car, l’accroissement des entreprises industrielles à la périphérie alors que leur poids spécifique diminue dans la métropole, prouve l’accroissement des forces centrifuges et, ainsi, devant le capitalisme anglais, devant l’impérialisme de la grande puissance britannique, se pose le problème de l’« intégralité » de l’empire.

Et comme les impérialistes anglais (j’anticipe un peu sur ce que je voulais dire) ont le plus grand de leurs conflits avec l’U.R.S.S., comme, en effet, le monopole colonial de la Grande- Bretagne est déjà mis en question, comme l’influence révolutionnaire de l’U.R.S.S. s’étend précisément pour une très grande part sur les colonies, l’Angleterre est nécessairement le plus grand de nos ennemis, et elle se met à la tête de toutes les forces contrerévolutionnaires qui sont dirigées contre nous.

Revenons, cependant, à la ligne principale de notre analyse. Je dois encore noter, très brièvement, qu’en ces derniers temps nous voyons partout une tendance très marquée à la concentration des capitaux et à la trustisation de l’industrie. Il y a quelque temps encore, l’Angleterre, par exemple, était le pays classique de l’école de Manchester, le pays du « libre échange » ; on constatait, il n’y a pas si longtemps encore, en Angleterre la complète absence de trusts et de syndicats. Actuellement, on voit, aussi bien dans l’industrie que dans le système bancaire, se former rapidement et grandir des cartels et des trusts. L’Allemagne, dans son industrie, est devenue le pays des trusts géants ; il en est de même chez elle pour la banque. La France, ces dernières années, est également entrée dans cette voie très résolument. La France, qui était autrefois un pays de rentiers, se transforme, ces derniers temps, en pays industriel. C’est là, dans une certaine mesure, un processus inverse à celui qui a lieu en Angleterre : l’Angleterre après avoir été un pays industriel, devient un pays de rentiers. La France évolue dans le sens contraire. Si l’on considère le Japon, on voit aussi que ce pays a fait un bond formidable dans le sens de la trustisation. La vie industrielle du Japon se trouve actuellement entre les mains de deux trusts et cartels bancaires qui disposent de 30 % de capitaux investis par l’Etat dans leurs entreprises. Il y a, dans l’industrie et les banques du Japon, 30 % de capitaux appartenant à l’Etat. Le Mikado est le propriétaire d’une très forte quantité d’actions des plus grandes entreprises. Je crains de me tromper, mais il me semble qu’en aucun pays l’on ne constate pareille fusion, pareil amalgame d’entreprises, de grosses organisations capitalistes et de pouvoir gouvernemental comme ceux que nous voyons dans cet original et « exotique » pays du capitalisme japonais.

Ainsi, nous assistons à une extraordinaire accentuation des tendances monopolisatrices, et cela, on peut le concevoir avec des connaissances même fort rudimentaires en économie politique, doit provoquer une extrême aggravation des antagonismes et des intentions agressives. Encore un petit détail : la logique du progrès technique a voulu qu’actuellement l’industrie chimique occupe une des premières places. Une multitude de processus dans diverses branches dépendent de l’industrie chimique ; aussi, l’importance spécifique de celle-ci s’est-elle formidablement accrue. D’autre part, son développement, qui est dicté par toute la logique du progrès technique, est en rapport direct avec les projets militaires des Etats capitalistes.

Ainsi, nous avons constaté que les tendances monopolisatrices s’accentuaient, que les organismes économiques fusionnent de plus en plus avec les organes du pouvoir, que l’industrie chimique se place au premier rang et que les problèmes du « progrès technique » coïncident, sur la base capitaliste, avec les projets militaires. Tels sont les traits les plus caractéristiques que nous pouvons observer en analysant les tendances principales du capitalisme actuel. De tout cela il découle que, malgré la désorganisation générale de l’économie mondiale, il se produit un certain renforcement de la puissance économique des Etats capitalistes, des principaux centres de l’économie capitaliste mondiale, et, parallèlement à cela — bien entendu, le parallélisme n’est pas complet, ce serait une sottise de l’imaginer ainsi — une consolidation de la superstructure politique du régime capitaliste.

Il est vrai, camarades, qu’à l’origine de la stabilisation, dans plusieurs pays, il y eut des coups l’Etat, par exemple celui des fascistes en Italie, celui qui s’est produit en Pologne, etc., mais, dans l’ensemble, on peut dire que nous assistons à une consolidation de la superstructure politique du capitalisme. Si, par exemple, en Pologne, voici quelque temps, on discutait encore pour savoir si Pilsudski parviendrait à unir les différents cercles des partis politiques bourgeois, l’expérience a montré qu’il avait pu les unir. C’est une autre question de savoir quelles difficultés surgiront et interviendront par suite du danger de guerre. Mais ceci est une autre histoire.

Parlons encore de l’Allemagne. Le gouvernement du bloc bourgeois est, lui aussi, un fait. Vous savez parfaitement qu’en ce moment l’opposition de droite, l’opposition « teutonne », l’opposition des « revanchards » a incliné ses drapeaux devant celui de la République. Bien entendu, elle s’est conduite ainsi pour des raisons de tactique, mais enfin c’est un fait. C’est un fait aussi qu’entre la bourgeoisie et les agrariens, un bloc s’est constitué, que la république de Stresemann-Hindenburg ne rencontre pas d’opposition sensible du côté de la droite. Et bien que les social-démocrates aient été rejetés de cette coalition, ils sont de facto une force auxiliaire du bloc, car ils ont pour ligne de conduite de soutenir le gouvernement dans toutes les questions essentielles, dans tout ce qu’on appelle « la grande politique ».

Ainsi, un bloc s’est formé qui va de l’extrême droite jusqu’au parti social-démocrate inclusivement.

Dans l’ensemble, j’estime qu’en France également, Poincaré a consolidé ses positions.

Bien entendu, nous ne pouvons prévoir ce qu’il en sera plus tard, lorsque les menaces de guerre se seront précisées. Mais, en somme, les problèmes financiers qui se posaient ont été, me semble-t-il, résolus d’une façon relativement heureuse par le gouvernement français.

Quelle est la position des conservateurs en Angleterre ? Bien entendu, lorsque les antagonismes entre eux et nous auront atteint leur dernier degré de gravité, ou bien quand la guerre éclatera, si elle doit éclater prochainement, la situation d’alors sera toute différente. Il ne peut y avoir aucun doute là-dessus. Mais, pour la courte phase actuelle, nous ne pouvons dire que le gouvernement des conservateurs soit affaibli. Il se produit en ce moment des processus de désagrégation des classes extrêmement marqués. Si les basses classes vont à gauche, les hautes classes vont à droite, et nous ne parlons pas seulement de « la haute société », mais aussi des couches supérieures d’une jeunesse ouvrière constituant une certaine aristocratie dans le monde du travail (voyez le dernier discours de Smith). Les conservateurs ont réussi à soulever contre nous une vague assez forte. Pourquoi ? Parce que la question du maintien de l’intégralité de l’empire britannique s’est posée à brûle- pourpoint. Si vous vous demandez comment expliquer que, pendant notre guerre avec la Pologne, il y ait eu en Angleterre des manifestations de telle ou telle mentalité, même dans les sphères dirigeantes du Conseil général et qu’à présent, ces mêmes groupes, penchent souvent plus à droite, la réponse à faire est assez simple. Il s’agissait alors d’une guerre qui ne menaçait pas directement l’intégralité de l’empire britannique, avec ses super-bénéfices, ses plantations de thé, ses exploitations de caoutchouc, etc. Mais à présent, on voit venir une guerre qui met en question l’intégralité de l’empire britannique. C’est pourquoi tous les groupes social-chauvins et social-impérialistes sont mobilisés en ce moment contre nous, ce qui n’aurait jamais pu se produire à l’époque de la guerre « russo-polonaise ».

Ainsi, la stabilisation économique du capitalisme s’accompagne dans l’ensemble d’une consolidation significative de la bourgeoisie. La bourgeoisie allemande est maintenant mieux dans son assiette ; il en est de même de bourgeoisie française, etc.

J’en viens aux tendances qui se manifestent au pôle opposé, c’est-à-dire en U.R.S.S. Ici, un fait parfaitement clair et indubitable, c’est celui de notre croissance. Je ne développerai pas ce sujet en détail ; c’est le camarade Rykov qui l’exposera. Je répète que notre croissance est indubitable, bien qu’elle soit « démentie » par les camarades de notre honorable « opposition ». Les éléments socialistes de notre économie s’accroissent plus rapidement, leur poids spécifique augmente ; les barrières, les indispensables barrières dressées devant l’expansion capitaliste, tiennent bien en place, avec tout le système du monopole du commerce extérieur, etc. La direction donnée, fortement et résolument, est celle de l’industrialisation du pays, ce qui est extrêmement important du point de vue des pays capitalistes. Car tous comprennent que la grande politique des pays capitalistes est de faire de nous un immense marché agraire pour l’industrie capitaliste, de nous transformer en une économie auxiliaire, de type agraire, complétant l’industrie capitaliste d’Occident. Notre mot d’ordre, qui est celui de l’industrialisation du pays, notre politique, rigoureusement appliquée, qui est celle de l’industrialisation, ne peuvent pas, cela va sans dire, plaire particulièrement au monde capitaliste.

Enfin, il faut noter deux autres circonstances qui se rapportent à ce que je viens de dire. En premier lieu, les espoirs que l’on avait pu avoir concernant notre transformation intérieure dans le sens d’une dégénérescence ont fait faillite ; il en a été de même des espoirs de ceux qui croyaient que nous laisserions les capitalistes étrangers pénétrer dans notre domaine économique, que ceux-ci pourraient occuper dans notre pays les principales positions stratégiques et deviendraient peu à peu, eux-mêmes, un facteur de dégénérescence pour notre organisme économique.

Pierre Strouvé, dans son « carnet politique », formule très nettement cela, à propos du conflit anglo-soviétique. Il écrit dans la Vozrojdèniè (La Renaissance) : « En premier lieu, une fois de plus, on voit apparaître combien est utopique l’idée d’une évolution pacifique et paisible du bolchévisme et de ses bases ». Il dit plus loin : « Le socialisme est jusqu’à présent la norme suprême et l’esprit inspirateur du régime dont vit actuellement la Russie. »

Cela n’est pas mal dit. Il me semble que cette idée de Strouvé se retrouve, comme un point essentiel, dans la pensée, dans les sentiments, dans l’orientation des hommes politiques les plus actifs du inonde capitaliste. Le capitalisme étranger n’a pas réussi à se glisser, par des voies pacifiques, dans les replis de notre organisme économique, pour le transformer à son gré \ et il’ n’a pas eu le plaisir de gagner le pari qu’il faisait de nous voir nous « transformer » de nous-mêmes. Le socialisme est la grande idée inspiratrice qui guide notre politique, et il est parfaitement naturel que cela soulève, dans toute son étendue et sur le plan mondial, le problème social, le problème des classes.

Ainsi, la marche des événements dans ces derniers temps veut que, devant le monde capitaliste, deux grands problèmes se posent: celui des marchés, car les capitalistes étouffent en Europe, faute de débouchés ; et celui du danger social représenté pour le capital par les classes révolutionnaires.

Et ces deux problèmes deviendront plus graves que jamais parce que, je le répète, il ne s’agit plus d’un Etat prolétarien encore faible, il s’agit d’une puissance bien consolidée ; et il ne s’agit pas non plus d’un capitalisme ébranlé et complètement désorganisé, mais bien d’un capitalisme aux tendances agressives, d’un capitalisme notablement fortifié. Ces deux problèmes en s’additionnant, acquièrent encore plus d’importance. Et c’est là la cause principale et essentielle de la gravité de la situation, c’est cela qui provoque une telle tension des antagonismes. L’ébranlement causé par cette tension se sent partout ; il suffit, pour le voir, de feuilleter certaines curieuses pages de la grande presse bourgeoise ; on constatera alors que cette tension fiévreuse existe dans toute la situation internationale.

  1. Le rapport du camarade Boukharine sur la situation internationale sera publié intégralement. Nous donnons ici la partie du rapport où il est traité de la stabilisation capitaliste. (N.D.L.R.)