La philosophie de la praxis contre l'historicisme idéaliste L'anti-Croce (cahier 10)

De Marxists-fr
Aller à la navigation Aller à la recherche


Avertissement[modifier le wikicode]

L'ordre des textes suivi en cette édition est un ordre thématique repris du recueil Gramsci dans le texte[1]. Cet ordre se modèle sur la première édition italienne des Cahiers de la prison[2] en six volumes intitulés respectivement : il Matérialisme storico e la Filosofia di BenedettoCroce (M.S.); Gli Intelletuali e l'Organizzazione della cultura (Int.); Note sul Machiavelli, sulla politica, e sullo stato (Mach.); il Risorgimento (R.); Litteratura e Vita nazionale (L. V.N.); Passato e Presente (P.P.).

Cette classification thématique n'est pas arbitraire en ce qu'elle se fonde sur des indications de Gramsci. Dans une lettre à sa belle-sœur Tania Schucht (19 mars 1927), il annonce son intention de consacrer son temps à une recherche menée « d'un point de vue désintéressé, für ewig »[3], sur « la formation de l'esprit public, sur les intellectuels italiens, leurs origines, leurs groupements selon les courants de culture, leurs différentes manières de penser ».[4] Cette recherche, fil conducteur des Cahiers, doit très vite pour Gramsci s'articuler, car elle est « formi­dable », en « toute une série d'essais ».[5] Cette déclaration du 3 août 1931 trouve confirmation dans un paragraphe du cahier 8, intitulé « Noti sparse e appunti per una storia degli intelletuali italiani » rédigée à peu près à la même époque : là, Gramsci donne la recension des têtes de chapitre de ces essais.[6]

En 1934, il classe son matériel d'études et d'élaboration par thèmes. Cet ordre thématique retenu pour la première édition italienne et pour celle-ci a eu le mérite de rendre possible la diffusion et l'approfondissement de la pensée de Gramsci, « classi­que du marxisme », « essentiel » en vérité.

Mais il a fait l'objet de critiques justifiées, dont la principale est le risque de fixer sous une forme dogmatique et canonique une pensée en mouvement, toujours inquiète et susceptible de se reprendre et de se relancer, sans tenir compte de son caractère ouvert et inachevé, ni de son ordre génétique. L'Institut Gramsci du PCI a pu ainsi, sous la direction de Valentino Gerratana, après de longues années d'un remarquable travail historique, philologique, rendre possible une véritable édition critique des Quaderni del carcere.[7]

Cette édition publie ainsi les vingt-neuf cahiers rédigés par Gramsci entre 1929 et 1935. Il faut noter que certains textes ont connu deux rédactions successives, la secon­de consistant en une réélaboration de notes antérieures : il s'agit des cahiers 8 Notes de philosophie et Mélanges, 10 la Philosophie de Benedetto Croce, 11 Intro­duc­tion à la philosophie, 13 Notes sur la politique de Machiavel, commencées en 1932; du cahier 16 Arguments de culture commencé en 1933; des cahiers 19 Risorgi­mento italien, 20 Action catholique, 21 Problèmes de la culture nationale italienne, Littéra­ture populaire, 22 Américanisme et Fordisme, 23 Critique littéraire, 24 Journa­lisme, 25 Histoire des groupes sociaux subalternes, 26 Arguments de culture, 28 Lorianisme, 29 Notes pour une introduction à l'étude de la grammaire, commencés en 1934-1935. Les autres cahiers, notamment les cahiers 14, 15, 17 sont des cahiers de notes mélan­gées qui n'ont connu qu'une seule rédaction ou qui ont été recopiés les uns des autres.

Cette édition respecte l'ordre thématique. Mais dans la mesure du possible, elle tente de suivre l'ordre de succession des cahiers choisis, et l'ordre interne de chaque cahier.[8]*

I. La discussion scientifique[modifier le wikicode]

Quand on pose des problèmes historiques-critiques, il ne faut pas concevoir la discussion scientifique comme un processus judiciaire, où il y a un inculpé et un procureur qui, comme c'est son rôle, doit démontrer que l'accusé est coupable et digne d'être retiré de la circulation. Dans la discussion scientifique, puisqu'on suppose que l'intérêt est la recherche de la vérité et le progrès de la science, la manière de se mon­trer plus « avancé », c'est de se placer du point de vue suivant, à savoir que l'adver­saire peut exprimer une exigence qui doit être incorporée, ne serait-ce que comme un moment subordonné, dans sa propre construction. Comprendre et évaluer en réaliste la position et les raisons de l'adversaire (et parfois, se pose en adversaire toute la pensée passée) signifie justement s'être libéré de la prison des idéologies (au sens défavorable du terme, de fanatisme idéologique aveugle) c'est-à-dire se placer d'un point de vue « critique », le seul qui soit fécond dans la recherche scientifique.

(M. S., p. 21 et G. q. 10 (II), § 24, p. 1263.)

[1935]

II. Lien entre philosophie, religion, idéologie (au sens crocien)[modifier le wikicode]

Si par religion on doit comprendre une conception du monde (une philosophie) avec une norme de conduite qui lui corresponde, quelle différence peut-il y avoir entre religion et idéologie (ou instrument d'action) et, en dernière analyse, entre idéologie et philosophie ? Y a-t-il ou peut-il y avoir une philosophie sans une volonté morale conforme ? Les deux aspects de la religiosité, la philosophie et la norme de conduite, peuvent-ils se concevoir comme séparés ou avoir été conçus comme sépa­rés ? Et si la philosophie et la morale sont toujours une unité, pourquoi la philosophie doit-elle logiquement précéder la pratique et non l'inverse ? Ou bien cette façon de poser le problème n'est-elle pas une absurdité et ne doit-on pas, conclure qu'une « his­toricité » de la philosophie ne 'signifie rien d'autre que sa « praticité ». On peut dire sans doute que Croce a effleuré le problème dans Conversations critiques (1, p. 298 à 300); après avoir analysé quelques-unes des Thèses sur Feuerbach, il arrive à la conclusion que, dans ces Thèses, prennent la parole « en face de la philoso­phie antérieure, non pas d'autres philosophes comme on l'attendrait, mais les révolu­tion­naires pratiques », que « Marx ne renversait pas tant la philosophie hégélienne que la philosophie en général, toute espèce de philosophie, et qu'il supplantait le philosopher par l'action pratique ». Mais n'y a-t-il pas au contraire dans ces thèses la reven­dication, face à la philosophie « scolastique » purement théorique ou contem­plative, d'une philosophie qui produise une morale conforme, une volonté réalisatrice à la­quelle elle s'identifie en dernière analyse ? La Thèse XI : « Les philosophes ont seule­ment interprété le monde de différentes manières; il importe maintenant de le trans­former », ne peut pas être interprétée comme une répudiation de toute philoso­phie, mais seulement comme une répugnance envers le psittacisme des philosophes et l'affirmation énergique d'une unité entre théorie et pratique. Qu'une telle solution venant de Croce soit inefficace sur le plan critique, on peut encore le constater ainsi : même si l'on admet par hypothèse absurde, que Marx voulait « remplacer » la philo­sophie en général par l'activité pratique, il faudrait « dégainer » l'argument péremp­toire selon lequel on ne peut nier la philosophie sinon en philoso­phant, c'est-à-dire en réaffirmant ce que l'on avait voulu nier. Et Croce lui-même, dans une note du livre Matérialisme historique et économie marxiste, recon­naît (avait reconnu) expli­ci­tement que l'exigence posée par Antonio Labriola de construire une philosophie de la praxis était justifiée.

On peut encore justifier cette interprétation des Thèses sur Feuerbach comme revendication de l'unité de la théorie et de la pratique, et par conséquent comme iden­ti­fication de la philosophie avec ce que Croce appelle religion (conception du mon­de accompagnée d'une norme de conduite correspondante) - ce qui n'est en réalité que l'affirmation de l'historicité de la philosophie en termes d'immanence absolue, de « terrestrité absolue » - avec la fameuse proposition selon laquelle le « mouvement ouvrier allemand est l'héritier de la philosophie classique allemande ». Cette propo­sition signifie non pas comme l'écrit Croce : « Héritier qui ne continuerait pas l'œuvre des prédécesseurs, mais en entreprendrait une autre, d'une nature différente et oppo­sée », elle signifierait proprement que l' « héritier » continue le prédécesseur, mais le continue « pratiquement » parce qu'il a déduit une volonté active, transforma­trice du monde, de la pure contemplation; et dans cette activité pratique est contenue aussi la « connaissance » qui d'ailleurs n'est « connaissance réelle » et non pas « scolastique », que dans l'activité pratique. Il en résulte aussi qu'un des caractères de la philosophie de la praxis est d'être tout spécialement une conception de masse, une culture de masse et de « masse unie dans son oeuvre », c'est-à-dire que ses normes de conduite ne sont pas universelles sur le seul plan des idées, mais « généralisées » dans la réalité sociale. Et partant, l'activité du philosophe « individuel » ne peut être conçue qu'en fonction de cette unité sociale, c'est-à-dire conçue elle aussi comme politique, comme fonction de direction politique.

De ce point de vue aussi, on voit comment Croce a bien su mettre à profit son étude de la philosophie de la praxis. Qu'est en fait la thèse crocienne de l'identité de la philosophie et de l'histoire sinon une façon, la façon crocienne, de présenter le même problème qui a été posé par les Thèses sur Feuerbach et confirmé par Engels dans son opuscule sur Feuerbach ? Pour Engels, l' « histoire » est pratique (l'expérience, l'industrie), pour Croce, l' « histoire » est encore un concept spéculatif ; autrement dit, Croce a refait à l'envers le chemin - de la philosophie spéculative, on en était venu à une philosophie « concrète » et « historique », la philosophie de la praxis; Croce a retraduit en langage spéculatif les acquisitions progressives de la philosophie de la praxis et le meilleur de sa pensée est dans cette retraduction.

On peut voir avec plus d'exactitude et de précision la signification que la philo­sophie de la praxis donne à la thèse hégélienne de la transformation de la philosophie en histoire de la philosophie, c'est-à-dire de l'historicité de la philosophie. D'où la conséquence : il convient de nier la « philosophie absolue » ou abstraite et spécula­tive, c'est-à-dire la philosophie qui naît de la philosophie précédente et en hérite les « problèmes suprêmes », comme on dit, ou même seulement le « problème philoso­phique »; problème qui devient dès lors un problème historique : comment naissent et se développent les problèmes déterminés de la philosophie. La priorité passe à la pratique, à l'histoire réelle des changements des rapports sociaux desquels (et donc, en dernière analyse, de l'économie) naissent (ou sont présentés) les problèmes que le philosophe se propose et élabore.

On comprend, par le concept le plus large d'historicité de la philosophie c'est-à-dire par l'idée qu'une philosophie est « historique » dans la mesure où elle se diffuse et devient la conception de la réalité d'une masse sociale (avec une éthique conforme), que la philosophie de la praxis, malgré la « sur­prise » et le « scandale » de Croce, étudie dans les « philosophes précisément (!) ce qui n'est pas philosophique, les ten­dances pratiques et les effets sociaux et de classe, que ces philosophes représentent. C'est pourquoi ils découvraient dans le matéria­lisme du XVIIIe siècle la vie française d'alors toute tournée vers le présent immédiat, vers la commodité et l'utilité ; chez Hegel, l'État prussien ; chez Feuerbach, les idéaux de la vie moderne auxquels la société allemande ne s'était pas encore élevée ; chez Stirner, l'âme des marchands; chez Schopenhauer, celle des petits bourgeois, et ainsi de suite ».

Mais n'était-ce pas justement « historiciser » les philosophies particulières, rechercher le lien historique entre les philosophies et la réalité historique par laquelle ils avaient été poussés ? On pourra dire et on dit en fait : mais la « philosophie » n'est-ce pas justement ce qui « reste » au terme de cette analyse par laquelle on identifie ce qui est « social » dans l'œuvre du philosophe? Il faut pourtant poser cette revendica­tion et la justifier mentalement. Après avoir distingué ce qui est social ou « histo­rique » dans une philosophie déterminée, ce qui correspond à une exigence de la vie pratique, à une exigence qui ne soit ni arbitraire ni extravagante (et certes, une telle identification n'est pas toujours facile, surtout si on la tente immédiatement, c'est-à-dire sans une perspective suffisante) il faudra évaluer ce « résidu » qui ne sera pas aussi important qu'il pourrait paraître à première vue, si le problème avait été posé en partant du préjugé crocien que ce problème est une futilité ou un scandale. Qu'une exigence historique soit conçue par un philosophe « individuel » de façon individuelle et personnelle et que la personnalité particulière du philosophe influe profondément sur la forme d'expression concrète de sa philosophie, c'est évident, tout bonnement. Que ces caractères individuels aient de l'importance, c'est à concéder sans réserve. Mais quelle signification aura cette importance ? Elle ne sera pas purement instru­men­tale et fonctionnelle, étant donné que s'il est vrai que la philosophie ne se déve­loppe pas à partir d'une autre philoso­phie, mais qu'elle est une solution continuelle de problème que propose le développe­ment historique, il est vrai aussi que chaque philosophe ne peut pas négliger les philosophes qui l'ont précédé. Il agit même d'habi­tude comme si sa philosophie était une polémique ou un développement des philoso­phies précédentes, des œuvres individuelles concrètes des philosophes précédents. Quelquefois même « il est utile » de proposer la découverte personnelle d'une vérité comme si elle était le développe­ment d'une thèse précédente d'un autre philosophe, parce que c'est une force que de s'insérer dans le processus particulier de dévelop­pement de la science particulière à laquelle on collabore.

De toute façon, apparaît le lien théorique par lequel la philosophie de la praxis, tout en continuant l'hégélianisme, le « renverse », sans vouloir pour cela, comme le croit Croce, « supplanter » toute espèce de philosophie. Si la philosophie est histoire de la philosophie, si la philosophie est « histoire », si la philosophie se développe parce que se développe l'histoire générale du monde (c'est-à-dire les rapports sociaux dans lesquels vivent les hommes) et non simplement parce qu'à un grand philosophe succède un plus grand philosophe, il est clair alors que travailler pratiquement à l'his­toire, c'est faire en même temps une philosophie « implicite » qui sera « explicite » dans la mesure où les philosophes l'élaboreront de façon cohérente, c'est soulever des problèmes de connaissance qui, en plus d'une forme « pratique » de solution, trouve­ront tôt ou tard une forme théorique grâce au travail des spécialistes, après avoir trouvé immédiatement la forme spontanée du sens commun populaire, c'est-à-dire des agents pratiques des transformations historiques. On voit combien les crociens ne comprennent pas cette façon de poser la question à leur étonnement devant certains événements : « ... On a ce fait paradoxal d'une idéologie pauvrement, aridement matérialiste qui donne lieu en pratique à une passion de l'idéal, à une fougue du renouveau, à laquelle on ne peut nier une certaine (!) sincérité », et à l'explication abstraite à laquelle ils ont recours : « Tout ceci est vrai en principe (!) et c'est aussi providentiel, puisque cela montre que l'humanité a de grandes ressources intérieures qui entrent en jeu au moment même où une raison superficielle prétendrait les nier », accompagnée des petits jeux de dialectique formelle d'usage : « La religion du maté­rialisme, par le fait même qu'elle est religion, n'est plus matière (!?); l'intérêt écono­mique, lorsqu'il est élevé jusqu'à l'éthique, n'est plus pure économie. » Ou bien cette subtilité de De Ruggiero est une futilité, ou bien elle se rattache à une proposition de Croce selon laquelle toute philosophie en tant que telle n'est qu'idéalisme ; mais cette thèse énoncée, pourquoi alors une telle bataille de mots ? Serait-ce seulement pour une question de terminologie ?

(M.S., pp. 231-235 et G.q. 10 (II), § 31, pp. 1269-1274.)

[1935]

III. Le philosophe[modifier le wikicode]

Une fois posé le principe que tous les hommes sont « philosophes », c'est-à-dire qu'entre les philosophes professionnels ou « techniciens » et les autres hommes, il n'existe pas une différence « qualitative » mais seulement « quantitative » (et dans ce cas, quantité a un sens particulier, qui ne peut être confondu avec celui d'une somme arithmétique, puisque ce mot indique plus ou moins d'« homogénéité », de « cohé­rence », de « possibilités logiques » [logicità], etc. (c'est-à-dire quantité d'éléments qualitatifs), il faut voir toutefois en quoi consiste la différence. Ainsi, il ne sera pas exact d'appeler « philosophie », toute tendance de pensée, toute orientation générale, etc. et même pas toute « conception du monde et de la vie ». On pourra appeler le philosophe « un ouvrier qualifié », par rapport aux ma­nœu­vres, mais cette expression non plus n'est pas exacte, car dans l'industrie, en plus du manœuvre et de l'ouvrier qualifié, il y a l'ingénieur, qui non seulement connaît le métier pratiquement, mais le connaît théoriquement et historiquement. Le philoso­phe professionnel ou technicien, non seulement « pense » avec plus de rigueur logique, avec plus de cohérence, avec plus d'esprit de système que les autres hommes, mais il connaît toute l'histoire de la pensée, c'est-à-dire qu'il est capable de s'expliquer le développement que la pensée a eu jusqu'à lui, et qu'il est en mesure de reprendre les problèmes au point où ils se trouvent après avoir subi le maximum de tentatives de solutions, etc. Il a, dans le domaine de la pensée, la même fonction que celle assumée dans les divers domaines scientifiques, par les spécialistes.

Il y a toutefois une différence entre le philosophe spécialiste et les autres spécia­listes : le philosophe spécialiste s'approche davantage des autres hommes que ne le font les autres spécialistes. L'analogie qu'on a établie entre le philosophe spécialiste et les autres spécialistes de la science, est précisément à l'origine de la caricature du philosophe. En effet, on peut imaginer un entomologiste spécialiste, sans que tous les autres hommes soient des entomologistes « empiriques », un spécialiste de trigono­métrie, sans que la majeure partie des autres hommes s'occupent de trigonométrie, etc. (on peut trouver des sciences très raffinées, très spécialisées, nécessaires, mais pas pour autant « communes »), mais on ne peut penser aucun homme qui ne soit pas en même temps philosophe, qui ne pense pas, précisément parce que le fait de penser est le propre de l'homme en tant que tel (à moins qu'il ne soit pathologiquement idiot).

(M.S., p. 24 et G.q. 10 (II), § 52, pp. 1342-1343.)

[1935]

IV. Religion, philosophie, politique[modifier le wikicode]

Le discours prononcé par Croce à la section d'Esthétique du Congrès philoso­phique d'Oxford (résumé dans la Nuova Italia du 20 octobre 1930) développe, dans une forme extrême les thèses sur la philosophie de la praxis exposées dans Histoire de l'historiographie italienne au XIXe siècle. Comment peut-on juger de façon critique le point de vue le plus récent de Croce sur la philosophie de la praxis (qui rénove com­plè­tement le point de vue soutenu dans son livre Matérialisme historique et Économie marxiste) ? On devra le juger non comme un jugement de philosophie, mais comme un acte politique de portée pratique immédiate.

Il est certain qu'un courant avili s'est formé à partir de la philosophie de la praxis : il est, peut-on dire, à la conception des fondateurs de la doctrine, ce qu'est le catho­licisme populaire au catholicisme théologique ou à celui des intellectuels; tout comme le catholicisme populaire peut être traduit en termes de paganisme ou en termes de religions inférieures au catholicisme en raison des superstitions et des sorcelleries qui les dominaient ou les dominent encore, la philosophie de la praxis avilie peut être traduite en termes « théologiques » ou transcendentaux c'est-à-dire en termes de phi­lo­sophie prékantienne et précartésienne. Croce se comporte comme les anticléricaux francs-maçons et les rationalistes vulgaires qui combattent le catho­licisme à l'aide justement de ces rapprochements et de ces traductions au catholicisme vulgaire en langage « fétichiste ». Croce tombe dans la position intellectualiste que Sorel repro­chait à Clemenceau : juger un mouvement historique sur sa littérature de propagande, et ne pas comprendre que même de petits opuscules ordinaires peuvent être aussi l'expression de mouvements extrêmement importants et pleins de vie.

Est-ce une force ou une faiblesse pour une philosophie que d'avoir outrepassé les limites habituelles des couches réduites d'intel­lectuels ou de se diffuser dans les grandes masses en s'adaptant au besoin à leur mentalité et en y perdant plus ou moins de sa vigueur? Et quel sens a le fait qu'une conception du monde se répande ainsi, s'enracine et connaisse continuellement des moments de crise et de nouvelle splen­deur intellectuelle ? Croire qu'une conception du monde puisse être détruite par des critiques de caractère rationnel, est une lubie d'intellectuels fossilisés : combien de fois n'a-t-on pas parlé de « crise » de la philo­sophie de la praxis ? et que signifie cette crise permanente ? ne signifie-t-elle pas la vie même, qui procède par négations de négations ? Or, qui a maintenu la force des reprises successives, sinon la fidélité des masses populaires qui s'étaient approprié cette conception, fût-ce sous des formes superstitieuses et primitives ? On dit souvent que dans certains pays l'absence de réforme religieuse est cause de recul dans tous les domaines de la vie civile, et on ne remarque pas que la diffusion de la philosophie de la praxis est justement la grande réforme des temps modernes, qu'elle est une réforme intellectuelle et morale qui accomplit à l'échelle nationale ce que le libéralisme n'a réussi à accomplir que pour des couches restreintes de la population. L'analyse des religions qu'a faite Croce dans Histoire d'Europe, et le concept de religion qu'il a élaboré, servent précisément à mieux comprendre la signification historique de la philosophie de la praxis et les raisons de sa résistance à toutes les attaques, à toutes les désertions.

La position de Croce est celle de l'homme de la Renaissance à l'égard de la Réfor­me protestante, avec cette différence que Croce fait revivre une position qui s'est historiquement révélée fausse et réactionnaire et dont il a lui-même[9] contribué à révéler la fausseté réactionnaire. On comprend qu'Erasme ait pu dire de Luther : « Là où apparaît Luther, meurt la culture. »

On ne comprend pas qu'aujourd'hui Croce reproduise la position d'Erasme, puis­que Croce a vu comment de la primitive grossièreté intellectuelle de l'homme de la Réforme, est pourtant sortie la philosophie classique allemande et le vaste mouve­ment culturel qui a donné naissance au monde moderne. Plus : le développement que fait Croce du concept de religion dans son Histoire d'Europe est tout entier une criti­que implicite des idéologies petites-bourgeoises (Oriani, Missiroli, Gobetti, Dorso, etc.) qui expliquent les faiblesses de l'organisme national et étatique italien par l'absence de Réforme religieuse, entendue dans un sens étroitement confessionnel. En élargissant et en précisant le concept de religion, Croce montre le caractère mécani­que et le schématisme abstrait de ces idéologies, qui n'étaient rien d'autre que des cons­tructions littéraires. Mais il est alors d'autant plus grave de ne pas avoir compris que la philosophie de la praxis, avec son vaste mouvement de masse, a représenté et représente un vaste processus historique semblable à la Réforme, en opposition au libéralisme qui reproduit une Renaissance étroitement limitée à quelques groupes intellectuels et qui, dans une certaine mesure, a capitulé devant le catholicisme ; et ceci à tel point que le seul parti libéral efficient était le parti populaire, c'est-à-dire une nouvelle forme de catholicisme libéral.

Croce reproche à la philosophie de la praxis son « scientisme », sa superstition « ma­té­rialiste », son retour présumé au « Moyen Age intellectuel ». Ce sont les repro­ches qu'Erasme, dans le langage de l'époque, adressait au luthéranisme. L'homme de la Renaissance et l'homme engendré par le développement de la Réforme se sont fondus dans l'intellectuel moderne du type Croce. Mais si ce type est incompré­hen­sible sans la Réforme, il ne réussit plus à comprendre le processus historique par lequel du « moyenâgeux » Luther on est arrivé nécessairement à Hegel. Et voilà pourquoi, face à la grande réforme intellectuelle et morale représentée par la diffusion de la philosophie de la praxis, il reproduit mécaniquement l'attitude d'Erasme.

On peut étudier avec une grande précision cette position de Croce à travers son attitude pratique à l'égard de la religion confessionnelle. Croce est essentiellement anti-confessionnel (nous ne pouvons dire antireligieux, étant donné sa définition du fait religieux). Et sa philosophie a été, pour un groupe important d'intellectuels italiens et européens, surtout dans ses manifestations les moins systématiques (com­me les comptes rendus, les notes, etc. rassemblés dans des livres comme Culture et Vie morale, Conversations critiques, Fragments d'éthique, etc.), une véritable et réelle réforme intellectuelle et morale du type Renaissance. « Vivre sans religion » (et s'entend, sans confession religieuse) a été le suc extrait par Sorel de la lecture de Croce.[10] Mais Croce n'est pas « allé au peuple », il n'a pas voulu devenir un élément national (pas plus que ne l'ont été les hommes de la Renaissance, à la différence des luthériens et des calvinistes), il n'a pas voulu créer une armée de disciples qui, à sa place (étant donné que lui personnellement voulait consacrer son énergie à la création d'une haute culture) auraient pu populariser sa philosophie, en essayant de la faire devenir un élément d'éducation dès les écoles élémentaires (et par suite un élément d'éducation pour le simple ouvrier et le simple paysan, c'est-à-dire pour le simple homme). Peut-être était-ce impossible, mais cela valait la peine d'être tenté et qu'il ne l'ait pas tenté est significatif.

Croce a écrit dans un de ses livres quelque chose de ce genre : « On ne peut pas retirer la religion à l'homme du peuple, sans la remplacer aussitôt par quelque chose qui satisfasse les exigences qui ont fait naître et font encore durer la religion. » Il y a du vrai dans cette affirmation, mais ne contient-elle pas l'aveu que la philosophie idéaliste est incapable de devenir une conception du monde intégrale (et nationale)? Et en effet, comment pourrait-on détruire la religion dans la conscience de l'homme du peuple sans, dans le même temps, la remplacer. Est-il possible, dans ce seul cas, de détruire sans créer ? C'est impossible. L'anticléricalisme vulgaire et maçonnique lui-même substitue à la religion qu'il détruit (dans la mesure où il la détruit réellement), une nouvelle conception; et si cette nouvelle conception est grossière et basse, cela signifie que la religion remplacée était en réalité encore plus grossière et basse. L'affir­mation de Croce ne peut donc être qu'une façon hypocrite de représenter le vieux principe selon lequel la religion est nécessaire pour le peuple. Gentile, de façon moins hypocrite et plus conséquente, a rétabli l'enseignement [de la religion] dans les écoles élémentaires (on est allé encore plus loin que ce que voulait faire Gentile : on a éten­du l'enseignement de la religion aux écoles secondaires); et il a justifié son acte en faisant appel à la conception hégélienne de la religion comme philosophie de l'en­fance de l'humanité qui, appliquée aux temps actuels, est devenue un pur sophisme et une façon de rendre service au cléricalisme.

Note. Il faut voir le programme scolaire de Croce qui échoua en raison des acci­dents parlementaires du gouvernement Giolitti (1920-1921), mais qui, eu égard à la religion, n'était pas très différent, si je me rappelle bien, du programme de Gentile.

Il faut rappeler le « fragment d'éthique » sur la religion. Pourquoi n'a-t-il pas été développé ? Peut-être était-ce impossible. La conception dualiste de l' « objectivité du monde extérieur », qui a été enracinée dans le peuple par les religions et les philo­so­phies traditionnelles devenues « sens commun », ne peut être extirpée et remplacée que par une nouvelle conception qui se présente intimement fondue avec un program­me politique et une conception de l'histoire que le peuple reconnaisse comme une ex­pres­­sion de ses nécessités vitales. Il n'est pas possible de concevoir la vie et la diffu­sion d'une philosophie qui ne soit pas tout ensemble politique actuelle, étroitement liée à l'activité prépondérante dans la vie des classes populaires, le travail, et ne se montre pas par conséquent, dans certaines limites, liée nécessairement à la science. Au besoin, cette conception nouvelle revêtira d'abord des formes primitives de superstitions identiques à celles de la religion mythologique, mais elle trouvera en elle-même et dans les forces intellec­tuelles que le peuple exprimera de son sein, les éléments pour dépasser cette forme primitive. Cette conception lie l'homme à la nature au moyen de la technique, en maintenant la supériorité de l'homme et en l'exaltant dans le travail créateur; elle exalte donc l'esprit et l'histoire.[11]

V. Un pas en arrière par rapport à Hegel[modifier le wikicode]

A propos de l'importance du machiavélisme et de l'anti-machiavélisme en Italie pour le développement de la science politique, et à propos de la signification qu'eu­rent récemment dans ce développement la proposition de Croce sur l'autonomie du moment politico-économique et les pages consacrées à Machiavel, peut-on dire que Croce ne serait pas parvenu à ce résultat sans l'apport culturel de la philosophie de la praxis ? Il faut rappeler à ce sujet que Croce a écrit qu'il ne pouvait pas comprendre pourquoi jamais personne n'avait pensé à développer l'idée que le fondateur de la philosophie de la praxis avait accompli, pour un groupe social moderne, une oeuvre équivalente à celle de Machiavel en son temps. On pourrait déduire de cette compa­raison de Croce toute l'injustice de son attitude culturelle actuelle, non seulement parce que le fondateur de la philosophie de la praxis a eu des intérêts beaucoup plus vastes que Machiavel et même que Botero[12], mais aussi parce qu'est compris chez lui en germe, outre l'aspect de la force et de l'économie, l'aspect éthico-politique de la politique ou théorie de l'hégémonie et du consensus.

Le problème est le suivant : étant donné le principe de la dialectique des distincts posé par Croce (principe qu'il faut critiquer comme solution purement verbale d'une exigence méthodologique réelle, dans la mesure où il est vrai que n'existent pas seule­ment les contraires mais également les distincts), quel rapport, qui ne soit pas celui d' « implication dans l'unité de l'esprit » existera entre le moment économico-poli­tique et les autres activités historiques ? Une solution spéculative de ces problè­mes est-elle possible ou ne peut-il y en avoir qu'une solution historique donnée par le concept de « bloc historique » proposé par Sorel? On peut dire pourtant qu'alors que l'obsession politico-économique (pratique, didactique) détruit l'art, la morale, la phi­losophie, ces activités elles aussi, inversement, sont « politiques ». En d'autres termes, la passion politico-économique est destructrice lorsqu'elle est extérieure, impo­sée par la force d'après un plan préétabli (qu'il en soit ainsi, peut être nécessaire sur le plan politique et il y a des périodes où l'art, la philosophie, etc. s'assoupissent tandis que l'activité pratique est toujours vivace) mais elle peut devenir implicite dans l'art, etc. lorsque le processus est normal, non violent, lorsqu'il y a homogénéité entre la struc­ture et les superstructures et lorsque l'État a dépassé sa phase économique-corpora­tive. Croce lui-même (dans le livre Éthique et Politique) fait allusion à ces différentes phases : une phase de violence, de misère, de lutte acharnée, dont on ne peut faire l'histoire éthico-politique (au sens restreint) et une phase d'expansion culturelle qui serait la « véritable » histoire.

Dans ses deux derniers livres : Histoire d'Italie et Histoire de l'Europe, Croce a omis précisément les moments de la force, de la lutte, de la misère et l'histoire com­mence, dans le premier ouvrage, en 1870 et dans l'autre en 1815. D'après ces critè­res schématiques, on peut dire que Croce lui-même reconnaît implicitement la priorité du fait économique, c'est-à-dire de la structure comme point de référence et d'impulsion dialectique pour les superstructures ou « moments distincts de l'esprit. »

Le point de la philosophie crocienne sur lequel il convient d'insister semble être justement ce que l'on appelle la dialectique des distincts. Le fait de distinguer les con­traires des distincts répond à une exigence réelle, mais il y a également une contra­diction dans les-termes, parce qu'il n'y a de dialectique que des contraires. Voir les objec­tions, qui ne sont pas verbales, présentées à cette théorie crocienne par les gentiliens et remonter à Hegel. Il faut se demander si le mouvement de Hegel à Croce-Gentile n'a pas été un pas en arrière, une réforme « réactionnaire ». N'ont-ils pas rendu Hegel plus abstrait ? N'en ont-ils pas détaché la partie la plus réaliste, la plus historiciste ? Et n'est-ce pas au contraire précisément de cet aspect que seule la philosophie de la praxis, dans certaines limites, est une réforme et un dépassement ? Et n'est-ce pas justement l'ensemble de la philosophie de la praxis qu'ont fait dévier en ce sens Croce et Gentile bien qu'ils se soient servis de cette philosophie pour des doctrines particulières (c'est-à-dire pour des motifs implicitement politiques) ? Entre CroceGentile et Hegel, il s'est formé un lien du type Vico-Spaventa-Gioberti. Mais cela n'a-t-il pas signifié un pas en arrière par rapport à Hegel ? Hegel ne peut pas être pensé indépendamment de la Révolution française et de Napoléon avec ses guerres, c'est-à-dire indépendamment des expériences vitales et immédiates d'une période très intense de luttes historiques, de misères, alors que le monde extérieur écrase l'indi­vidu et lui fait toucher terre et l'aplatit contre terre, alors que toutes les philosophies passées ont été critiquées par la réalité de façon si péremptoire ? Vico et Spaventa pouvaient-ils donner quelque chose de semblable ?[13] A quel mouvement historique de grande portée Vico a-t-il parti­cipé ? Encore que son génie ait consisté justement à concevoir un vaste monde à partir d'un angle mort de l' « histoire », aidé par la con­cep­tion unitaire et cosmopolite du catholicisme... En ceci réside la différence essen­tielle entre Vico et Hegel, entre Dieu-Providence et Napoléon-esprit du monde, entre une abstraction lointaine et l'his­toire de la philosophie, conçue comme seule philo­sophie, qui conduira à l'identifica­tion fût-elle spéculative de l'histoire et de la philo­sophie, du faire et du penser, jusqu'au prolétariat allemand comme seul héritier de la philosophie classique allemande.

(M.S., pp. 240-242 et G.q. 10 (II), § 41, pp. 1315-1317.)

[1935]

VI. Croce et la critique de l'économie politique[modifier le wikicode]

Il faut relever dans l'écrit de Croce sur la baisse tendancielle du taux de profit une erreur fondamentale.[14] Ce problème est déjà posé dans le Livre I du Capital, là où l'on parle de la plus-value relative; on observe au même endroit comment se manifeste une contradiction dans ce processus : tandis que le progrès technique permet d'un côté une dilatation de la plus-value, il détermine d'un autre côté, par le changement qu'il introduit dans la composition du capital, la baisse tendancielle du taux de profit; et on le démontre dans le Livre III du Capital. Croce présente comme objection à la théorie exposée dans le Livre III, ce qui est exposé dans le Livre I, c'est-à-dire qu'il pose comme objection à la baisse tendancielle du taux de profit la démonstration de l'existence d'une plus-value relative due au progrès technique, sans jamais toutefois faire allusion au Livre I, comme si l'objection était sortie de son cerveau ou était tout simplement le fruit du bon sens.

En tout cas il faut dire que la question de la loi tendancielle du taux de profit ne peut être étudiée seulement d'après l'exposé fait dans le Livre III ; l'exposé du Livre III est l'aspect contradictoire du développement exposé dans le Livre I et on ne peut pas l'en détacher. De plus, il faudrait peut-être déterminer avec plus de soin le sens de loi « tendancielle » : puisque toute loi, en économie politique, ne peut pas ne pas être tendancielle, étant donné qu'elle s'obtient en isolant un certain nombre d'éléments et en négligeant donc les forces contraires, il faudra sans doute distinguer un degré supérieur ou inférieur de tendancialité; tandis que l'adjectif tendanciel est d'ordinaire sous-entendu comme évident, on y insiste au contraire lorsque la tendancialité devient un caractère organiquement important, comme c'est le cas lorsque la baisse du taux de profit est présentée comme l'aspect contradictoire d'une autre loi, celle de la produc­tion de la plus-value relative, lorsque l'une tend à annuler l'autre avec cette prévision que la baisse du taux de profit prévaudra. A quel moment peut-on estimer que la contradiction se nouera comme un nœud gordien, normalement insoluble, et exigera l'intervention d'une épée d'Alexandre ?

Quand toute l'économie mondiale sera devenue capitaliste et aura atteint un cer­tain niveau de développement; quand la « frontière mobile » du monde économi­que capitaliste aura rejoint ses colonnes d'Hercule. Les forces opposées à la loi tendan­cielle et qui se résument dans la production d'une plus-value relative toujours plus grande, ont des limites qui sont fixées, par exemple, sur le plan technique par l'extension et la résistance élastique de la matière, et sur le plan social par le taux de tolérance au chômage dans une société donnée. Autrement dit, la contradiction écono­mi­que devient contradiction politique et se résout politiquement dans un renver­sement de la praxis.[15]

Il faut encore remarquer que Croce oublie un élément fondamental de la forma­tion de la valeur et du profit dans son analyse, à savoir le « travail socialement nécessaire » dont la formation ne peut être étudiée et mise en évidence dans une seule usine ou dans une seule entreprise. Le progrès technique donne justement à telle ou telle entreprise particulière la chance moléculaire d'augmenter la productivité du travail au-delà de la moyenne sociale et par suite de réaliser des profits exceptionnels (comme c'est étudié dans le Livre I) ; mais à peine ce progrès s'est-il socialisé que cette position initiale se perd peu à peu et la loi de la moyenne sociale de travail fonctionne et abaisse, à travers la concurrence, les prix et les profits : on a alors une baisse du taux de profit, car la composition organique du capital se révèle défavo­rable. Les entrepreneurs tentent de prolonger la chance initiale aussi longtemps que possible même au moyen de l'intervention législative : défense des brevets, des se­crets industriels, etc. qui cependant ne peut qu'être limitée à quelques aspects du pro­grès technique, sans doute secondaires, mais qui de toute façon ont un poids non négligeable. Le moyen le plus efficace utilisé par les entrepreneurs isolés pour échap­per à la loi de la chute du taux de profit, consiste à introduire sans cesse des modi­fications nouvelles et progressives dans tous les secteurs du travail et de la produc­tion ; sans négliger les apports moins importants du progrès qui, dans les très grandes entreprises et multipliés sur une grande échelle, donnent des résultats très apprécia­bles. On peut étudier l'ensemble des activités industrielles d'Henry Ford de ce point de vue : une lutte continuelle, incessante pour fuir la loi de la baisse du taux de profit, en maintenant une position de supériorité sur les concurrents. Ford a dû sortir du champ strictement industriel de la production pour organiser aussi les transports et la distribution de ses marchandises, en déterminant ainsi une distribution de la masse de plus-value plus favorable à l'industriel producteur.

L'erreur de Croce est multiple : il part du présupposé que tout progrès technique détermine immédiatement, comme tel, une baisse du taux de profit, ce qui est erroné, puisque le Capital affirme seulement que le progrès technique détermine un processus de développement contradictoire, dont un des aspects est la baisse tendancielle. Il affirme tenir compte de toutes les prémisses théoriques de l'économie critique et il oublie la loi du travail socialement nécessaire. Il oublie entièrement la partie de la question traitée dans le Livre I, ce qui lui aurait épargné toute cette série d'erreurs, oubli d'autant plus grave qu'il reconnaît lui-même que la section consacrée à la loi de la chute tendancielle dans le Livre III, est incomplète, seulement esquissée, etc. ; une raison péremptoire pour étudier tout ce que le même auteur avait écrit ailleurs sur ce sujet.

Note. La question du texte du Livre III peut être réétudiée à présent que l'on dispose, comme je le crois, de l'édition diplomatique de l'ensemble des annotations et des notes qui ont dû servir à sa rédaction définitive. Il ne faut pas exclure qu'aient été négligés, dans l'édition traditionnelle, des passages qui, après les polémiques qui se sont produites, pourraient avoir une importance bien plus grande que ce que pouvait imaginer le premier réorganisateur du matériel fragmentaire [Engels]. Un spécialiste d'économie devrait ensuite reprendre la formule générale de la loi de la baisse tendancielle, fixer le moment où la loi se vérifie et établir de façon critique toute la série des passages qui conduisent tendanciellement à cette loi comme conclusion logique.

Il faut développer la remarque sur le sens que doit avoir le terme « tendanciel » lorsqu'il est rapporté à la loi de la baisse du profit. Il est évident que, dans ce cas, la tendancialité ne peut pas être seulement rapportée aux forces contre-opérantes dans la réalité, toutes les fois qu'on y abstrait quelques éléments isolés, pour construire une hypothèse logique. Puisque la loi est l'aspect contradictoire d'une autre loi : la loi de la plus-value relative qui détermine l'expansion moléculaire du système d'usine, c'est-à-dire le développe­ment même du mode de production capitaliste, il ne peut s'agir de forces contre-opérantes identiques à celles que l'on rencontre dans les hypothèses économiques ordinaires. Dans ce cas, la force contre-opérante est elle-même étudiée organiquement et donne lieu à une loi tout aussi organique que la loi de la baisse du taux de profit. La signification du « tendanciel » parait devoir être de caractère « his­to­rique » réel et non méthodologique : le terme sert justement à indiquer le processus dialectique par lequel une impulsion moléculaire progressive conduit à un résultat tendanciellement catas­trophique dans l'ensemble social, résultat d'où partent d'autres impulsions singulières progressives dans un processus de continuel dépassement qui pourtant ne peut pas se dérouler à l'infini, même s'il se désagrège en un très grand nombre de phases intermédiaires de dimension et d'importance diverses. Il n'est pas totalement exact, pour la même raison, de dire comme le fait Croce dans la préface à la seconde édition de son livre, que si la loi de la baisse du taux de profit était établie avec exactitude, comme le croyait son auteur, elle « entraînerait ni plus ni moins que la fin automatique et prochaine de la société capitaliste ». Rien d'automatique et donc, à plus forte raison, rien de prochain. Cette déduction de Croce est imputable à l'erreur qui consiste à avoir examiné la loi de la chute du taux de profit en l'isolant du proces­sus dans lequel elle a été conçue et en l'isolant non pas dans le but scientifique d'une meilleure exposition, mais comme si elle était valable « absolument » et non comme terme dialectique d'un processus organique plus vaste. Que grand nombre de gens aient interprété la loi à la manière de Croce, n'exempte pas ce dernier d'une respon­sabilité scientifique certaine.

De nombreuses affirmations de l'économie critique ont été ainsi « mythifiées » et il n'est pas dit qu'une telle formation de mythes n'ait pas eu une importance pratique immédiate et ne puisse pas encore en avoir une. Mais il s'agit d'un autre aspect de la question, qui a peu de rapport avec la position scientifique du problème et avec la dé­duc­tion logique : elle pourra être examinée au point de vue de la critique des métho­des politiques et des méthodes de politique culturelle. Il est probable que, de ce point de vue, il faudra montrer que la méthode qui consiste à forcer arbitrairement une thèse scientifique pour en tirer un mythe populaire énergétique et propulsif, est une méthode inepte en dernière analyse, et finalement plus nuisible qu'utile : on pourrait comparer cette méthode à l'usage des stupéfiants qui créent un instant d'exaltation des forces physiques et psychiques mais affaiblissent l'organisme de façon permanente.

(M.S. pp. 211-215 et G.q. 10 (II), § 33, pp. 1278-1280 et § 36, pp. 1281-1284.)

[1935]

VII. Progrès et devenir[modifier le wikicode]

S'agit-il de deux choses différentes ou de deux aspects différents d'un même con­cept ? Le progrès est une idéologie, le devenir, une conception philosophique. Le « pro­­grès » dépend d'une mentalité déterminée, dans la constitution de laquelle en­trent certains éléments culturels historiquement déterminés; le « devenir » est un con­cept philosophique, d'où peut être absent le « progrès ». Dans l'idée de progrès est sous-entendue la possibilité de mesurer quantitativement et qualitativement : plus et mieux. On suppose par conséquent une mesure « fixe » ou fixable, mais cette mesure est donnée par le passé, par une certaine phase du passé, ou par certains aspects mesurables, etc. (non qu'on pense à un système métrique du progrès). Comment est née l'idée de progrès ? Cette naissance représente-t-elle un fait culturel fondamental, important au point de faire époque ? Il semble que oui. La naissance et le développe­ment de l'idée de progrès correspondent à la conscience diffuse que l'on a atteint un certain rapport entre la société et la nature (y compris, dans le concept de nature, celui de hasard et d' « irrationalité ») un rapport tel qu'il permet aux hommes, dans leur ensem­ble, d'être plus sûrs de leur avenir, de pouvoir concevoir « rationnellement » des plans embrassant l'ensemble de leur vie. Pour combattre l'idée de progrès, Leo­pardi doit recourir aux éruptions volcaniques, c'est-à-dire à ces phénomènes natu­rels qui sont encore « irrésistibles » et sans remède. Mais dans le passé, les forces irrésis­tibles étaient bien plus nombreuses : disettes, épidémies, etc. et, à l'intérieur de certai­nes limites, elles ont été dominées.

Que le progrès ait été une idéologie démocratique, cela ne fait pas de doute, qu'il ait servi politiquement à la formation des États constitutionnels modernes, etc., de même. Qu'il n'ait plus aujourd'hui la même vogue, c'est vrai aussi ; mais en quel sens ? Non pas au sens où on aurait perdu la foi dans la possibilité de dominer ration­nel­le­ment la nature et le hasard, mais au sens « démocratique » ; c'est-à-dire que les « por­teurs » officiels du progrès sont devenus incapables de conquérir cette domina­tion, parce qu'ils ont suscité des forces actuelles de destruction aussi dangereuses et angoissantes que celles du passé (lesquelles sont désormais oubliées « socialement », sinon par tous les éléments sociaux, - car les paysans continuent à ne pas comprendre le « progrès », c'est-à-dire qu'ils croient être, et sont encore trop le jouet des forces na­tu­relles et du hasard, et qu'ils conservent donc une mentalité « magique », médié­vale, « religieuse ») comme les « crises », le chômage, etc. La crise de l'idée de progrès n'est donc pas une crise de l'idée elle-même, mais une crise des porteurs de cette idée, qui sont devenus « nature » à dominer eux aussi. Les assauts livrés à l'idée de progrès, dans ces conditions, sont tout à fait intéressés et tendancieux.

Peut-on distinguer l'idée de progrès de celle de devenir? Il ne semble pas. Elles sont nées ensemble comme politique (en France), comme philosophie (en Allemagne, puis développée en Italie). Dans le « devenir », on a cherché à sauver ce qu'il y a de plus concret dans le « progrès », le mouvement et même le mouvement dialectique (donc également un approfondissement, parce que le progrès est lié à la conception vulgaire de l'évolution).

(M.S., pp. 32-33 et G.q. 10 § 48, pp. 1335-1336.)

[1935]

VIII. Qu'est-ce que l'homme ?[modifier le wikicode]

C'est la question première, la question principale de la philosophie. Comment peut-on y répondre ? La définition, on peut la trouver dans l'homme lui-même, c'est-à-dire dans chaque individu. Mais est-elle juste ? Dans chaque individu, on peut trouver ce qu'est chaque « individu ». Mais ce qui nous intéresse, ce n'est pas ce qu'est chaque homme particulier, ce qui d'ailleurs signifie ce qu'est chaque homme parti­culier à chaque instant donné. Si nous y réfléchissons, nous voyons que, en nous posant la question : qu'est-ce que l'homme, nous voulons dire : qu'est-ce que l'homme peut devenir, c'est-à-dire l'homme peut-il dominer son propre destin, peut-il se « fai­re », se créer une vie. Disons donc que l'homme est un processus et précisément, c'est le processus de ses actes. Si nous y pensons, la même question : qu'est-ce que l'hom­me ? n'est pas une question « abstraite » et « objective ». Elle est née de ce que nous avons réfléchi sur nous-mêmes et sur les autres, et de ce que nous voulons savoir, en fonction de nos réflexions et de ce que nous avons vu, ce que nous sommes, et ce que nous pouvons devenir, si réellement, et à l'intérieur de quelles limites, nous sommes les « ouvriers de nous-mêmes », de notre vie, de notre destin. Et cela, nous voulons le savoir « aujourd'hui », dans les conditions qui sont données aujourd'hui, de la vie d' « aujourd'hui » et non de n'importe quelle vie, de n'importe quel homme.

Ce qui a fait naître la question, ce qui lui a donné son contenu, ce sont les façons particulières, c'est-à-dire déterminées de considérer la vie et l'homme : la plus impor­tante de ces façons de voir est la « religion » et une religion déterminée, le catholi­cis­me. En réalité, en nous demandant : « Qu'est-ce que l'homme », quelle importance ont sa volonté et son activité concrète, consistant à se créer lui-même et à vivre sa vie ; nous voulons dire : « Le catholicisme est-il une conception exacte de l'homme et de la vie ? En étant catholiques, et en faisant du catholicisme une règle de conduite, est-ce que nous nous trompons ou est-ce que nous sommes dans le vrai ? » Chacun a la vague intuition que, en faisant du catholicisme une règle de conduite, il se trompe, tant il est vrai que personne ne s'attache au catholicisme comme règle de vie, tout en se déclarant catholique. Un catholique intégral, c'est-à-dire qui appliquerait dans chacun des actes de sa vie les normes catholiques, paraîtrait un monstre, ce qui est, quand on y pense, la critique la plus rigoureuse du catholicisme lui-même, et la plus péremptoire.

Les catholiques diront qu'aucune autre conception n'est suivie ponctuellement, et ils ont raison, mais cela ne fait que démontrer qu'il n'existe pas en fait, histori­que­ment, une manière de concevoir et d'agir qui serait la même pour tous les hommes, et rien d'autre; il n'y a là aucune raison favorable au catholicisme, bien que cette manière de penser et d'agir soit organisée depuis des siècles à cette fin, ce qui n'est encore jamais arrivé pour aucune autre religion avec les mêmes moyens, avec le même esprit de système, avec la même continuité et la même centralisation. Du point de vue « philosophique », ce qui ne satisfait pas dans le catholicisme, c'est le fait que, malgré tout, il place la cause du mal dans l'homme même comme individu, c'est-à-dire qu'il conçoit l'homme comme individu bien défini et limité. Toutes les philosophies qui ont existé jusqu'ici reproduisent, peut-on dire, cette position du catholicisme, c'est-à-dire conçoivent l'homme comme un individu limité à son individualité et l'esprit comme cette individualité. C'est sur ce point qu'il faut réformer le concept de l'homme. Il faut concevoir l'homme comme une série de rapports actifs (un processus dans lequel, si l'individualité a la plus grande importance, ce n'est pas toutefois le seul élément à considérer). L'humanité qui se reflète dans chaque individualité est composée de divers éléments : 1º l'individu ; 2º les autres hommes; 3º la nature. Mais les deuxiè­me et troisième éléments ne sont pas aussi simples qu'il peut sembler. L'individu n'entre pas en rapport avec les autres hommes par juxtaposition, mais organiquement, c'est-à-dire dans la mesure où il s'intègre à des organismes qui vont des plus simples aux plus complexes. Ainsi l'homme n'entre pas en rapport avec la nature simplement par le fait qu'il est lui-même nature, mais activement, par le travail et par la technique. Autre chose : ces rapports ne sont pas mécaniques. Ils sont actifs et conscients, c'est-à-dire qu'ils correspondent au degré d'intelligence plus ou moins grand que chaque homme a. Aussi peut-on dire que chacun se change lui-même, se modifie, dans la mesure où il change et modifie tout le complexe des rapports dont il est le centre de liaison. C'est en ce sens que le philosophe réel est, et doit être nécessairement identique au politi­que, c'est-à-dire de l'homme actif qui modifie le milieu, en entendant par milieu l'en­sem­ble, des rapports auxquels s'intègre chaque homme pris en particulier. Si notre pro­pre individualité est l'ensemble de ces rapports, nous créer une personnalité signi­fie acquérir la conscience de ces rapports; modifier notre propre personnalité signifie modifier l'ensemble de ces rapports.

Mais ces rapports, comme on l'a dit, ne sont pas simples. Tout d'abord, certains d'entre eux sont nécessaires, d'autres sont volon­taires. En outre, en avoir conscience (c'est-à-dire connaître plus ou moins la façon dont on peut les modifier) les modifie déjà. Les rapports nécessaires eux-mêmes, dans la mesure où ils sont connus dans leur nécessité, changent d'aspect et d'importance. En ce sens, la connaissance est pou­voir. Mais le problème est complexe également par un autre aspect : à savoir qu'il ne suffit pas de connaître l'ensemble des rapports en tant qu'ils existent à un moment donné comme un système donné, mais qu'il importe de les connaître génétiquement, c'est-à-dire, dans leur mouvement de forma­tion, puisque tout individu est, non seule­ment la synthèse des rapports existants, mais aussi l'histoire de ces rapports, c'est-à-dire le résumé de tout le passé. Mais, dira-t-on, ce que chaque individu peut changer est bien peu de chose, si l'on considère ses forces. Ce qui est vrai jusqu'à un certain point. Puisque chaque homme pris en particulier peut s'associer à tous ceux qui veulent le même changement, et, si ce changement est rationnel, chaque homme peut se multiplier par un nombre imposant de fois et obtenir un changement bien plus radical que celui qui, à première vue, peut sembler possible.

Les sociétés auxquelles un individu peut participer sont très nombreuses, plus qu'il ne paraît. C'est à travers ces « sociétés » que chaque homme particulier fait partie du genre humain. De même, c'est de multiples façons que l'individu entre en rapport avec la nature, car par technique il faut entendre non seulement cet ensemble de notions scientifiques appliquées industriellement, comme on le fait généralement, mais aussi les instruments « mentaux », la connaissance philosophique.

Que l'homme ne puisse se concevoir autrement que comme vivant en société, est un lieu commun, dont toutefois on ne tire pas toutes les conséquences nécessaires même individuelles : qu'une société humaine déterminée présuppose une société dé­ter­minée des choses, et que la société humaine ne soit possible que dans la mesure où il existe une société déterminée des choses, c'est là également un lieu commun. Il est vrai que jusqu'ici, on a donné à ces organismes qui dépassent l'individu une significa­tion mécaniste et déterministe (aussi bien la societas hominum que la societas rerum[16]) : d'où la réaction.[17] Il faut élaborer une doctrine où tous ces rapports sont actifs et en mouvement, en établissant bien clairement que le siège de cette activité est la conscience de l'homme pris comme individu qui connaît, veut, admire, crée, dans la mesure où il connaît, veut, admire, crée déjà, etc. et se conçoit non pas isolé mais riche des possibilités qui lui sont offertes par les autres hommes et par la société des choses dont il ne peut pas ne pas avoir une certaine connaissance. (Comme tout homme est philosophe, tout homme est savant, etc.)

(M.S. pp. 27-32 et G.q. 10 (II), § 54, pp. 1343-1346.)

[1935]

  1. Recueil réalisé par F. Ricci et publié aux Éditions sociales, Paris 1977.
  2. Giulio Einaudi, Torino 1948-1951.
  3. Für ewig : pour l'éternité.
  4. A. Gramsci, Lettres de la prison, Éditions sociales, Paris 1953, p. 77.
  5. Ibid. p. 204.
  6. Quaderni del carcere, Giulio Einaudi, pp. 935-936.
  7. Giulio Einaudi, Turin 1975.
  8. Pour chaque texte retenu, on trouvera la référence simultanée à la première édition Einaudi, et à l'édition critique Gerratana (en ce cas, on indique à la suite du sigle G, le numéro du cahier 0, le paragraphe &, la page, soit G Q & p). On fait suivre ces références de la date de composition du texte. On a supprimé la référence à la numérotation effectuée par la belle-sœur de Gramsci, Tatiana Schucht, cette numérotation n'avait que des fins d'inventaire, et n'était ni thématique ni chronologique.
  9. Et ses disciples; cf. le livre de De Ruggiero sur Renaissance et Réforme. (Note de Gramsci.)
  10. Cf. Lettres de Georges Sorel à B. Croce, publiées dans Critica de 1927 et sq. (Note de Gramsci.)
  11. Voir l'article de M. Missiroli sur la science, publié par l'Ordine Nuovo avec des annotations de Palmiro Togliatti. (Note de Gramsci.)
  12. Selon Croce, Botero intègre Machiavel dans le développement de la science politique, quoique cela ne soit pas très exact si l'on prend en considération chez Machiavel non seulement Le Prince mais aussi les Discours. (Note de Gramsci.)
  13. Même Spaventa qui a participé à des faits historiques de portée régionale et provinciale en comparaison de ceux de 1789 à 1815 qui ont bouleversé l'ensemble du monde civil et obligèrent à penser « mondialement » ? Qui ont mis en mouvement la « totalité » sociale, tout le genre humain concevable, tout l' « esprit » ? Voici pourquoi Napoléon a pu apparaître à Hegel comme l' « esprit du monde à cheval » ! (Note de Gramsci.)
  14. Cf. CROCE : Materialismo storico ed economia marxista, édition française pp. 237-256.
  15. Au sujet de la baisse tendancielle du taux de profit, voir un travail recensé dans Nuovi Studi, 1re année, et dû à un économiste allemand, disciple dissident de Franz Oppenheimer, et un livre plus récent de Grossmann recensé dans Critica sociale, par Lucien Laurat. (Note de Gramsci.)
  16. La société des hommes, la société des choses.
  17. Gramsci a en vue ici les concepts positivistes de « milieu » et de « conditions du milieu », tels qu'il les analyse dans la note Sociologie et science politique. Voir aussi plus loin la critique de la prétention de la sociologie à se définir comme une philosophie autonome.