II. L'économie mondiale et le processus de nationalisation du capital

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Chapitre IV : La structure interne des économies nationales et la politique douanière[modifier le wikicode]

1. Les « économies nationales », embranchements des liens économiques mondiaux. - 2. Développement des monopoles Cartels et trusts. - 3. Concentration verticale. Entreprises combinées. - 4. Rôle des banques et transformation du capital en capital financier. - 5. Banques et concentration verticale. - 6. Entreprises étatiques et communales. - 7. Ensemble du système. - 8. Politique douanière du capital financier et expansion capitaliste.

[1] Comme nous l’avons vu précédemment, l’économie mondiale offre l’aspect d’un immense réseau enchevêtré de liens économiques les plus divers, basés sur les rapports de production considérés dans leur ampleur mondiale. Ces liens économiques, qui relient la multitude des économies individuelles, se resserrent, deviennent plus denses, si nous nous mettons à examiner les économies nationales dans le cadre de l’économie mondiale, c’est-à-dire les liens économiques qui existent dans les limites des unités d’Etat. Il n’appert nullement de cette constatation que le principe étatique joue une sorte de rôle créateur spécifique en faisant surgir de lui-même les propres formes de la vie économique nationale. Il ne s’agit pas non plus d’une sorte d’harmonie préétablie entre la « société » et l’« Etat ». L’explication en est beaucoup plus facile. Le processus même de constitution des Etats modernes, en tant que forme politique déterminée, a été engendré par des besoins et des nécessités économiques. L’Etat s’est développé sur le fondement économique et n’a été que l’expression de la liaison économique. La cohésion étatique n’a été que l’expression de la cohésion économique. Comme toute forme vivante, l’économie nationale subit et subissait un processus incessant de transfiguration interne. Les mouvements moléculaires qui suivaient parallèlement le développement des forces productives, modifiaient constamment la position des corps économiques nationaux isolés les uns des autres, c’est-à-dire influaient sur les rapports entre les parties séparées de l’économie mondiale en formation. Notre époque engendre des rapports exceptionnels. La destruction totale des anciennes formes économiques conservatrices, qui commença avec l’apparition des premiers embryons du capitalisme, est pourtant un fait indubitable. Mais en même temps, cette élimination organique de concurrents plus faibles dans le cadre des économies nationales (ruine des métiers, disparition des formes intermédiaires, développement de la grosse industrie, etc.), fait place aujourd’hui à une période critique de lutte âpre d’adversaires formidables sur le marché mondial. Il en faut chercher les causes, avant tout, dans les transformations internes qui se sont produites dans la structure des capitalismes nationaux et qui ont amené des bouleversements profonds dans leurs rapports.

[2] Ces transformations se manifestent, en premier lieu, par la formation et l’expansion extraordinairement rapide des monopoles capitalistes : cartels, syndicats industriels, trusts, consortiums de banques[1].

Nous avons vu quelle est la force de ce processus dans le domaine international. Or sa force est infiniment plus grande dans le cadre des économies nationales. Comme nous le verrons plus loin, la cartellisation nationale de l’industrie est précisément un des principaux facteurs d’agglomération nationale du capital.

Le processus d’organisation des monopoles capitalistes est la suite logique et historique du processus de concentration et de centralisation. De même que sur les débris du monopole féodal est née la libre concurrence des artisans qui a conduit au monopole de la classe capitaliste sur les moyens de production, de même la libre concurrence dans la classe capitaliste fait place de plus en plus à la limitation de cette concurrence et à la formation d’économies gigantesques qui monopolisent la totalité du marché national. En aucune façon ces économies ne peuvent être considérées comme des phénomènes « anormaux » ou « artificiels » dus à des encouragements de l’Etat, comme par exemple les droits de douane, les tarifs de chemins de fer, les primes, les commandes ou les subsides gouvernementaux, etc. Certes, toutes ces « causes » ont contribué à accélérer le processus, mais elles n’en ont pas été et n’en sont pas davantage la condition nécessaire. Par contre, un certain degré de concentration de l’industrie en est la condition sine qua non. Ainsi, plus les forces productives d’un pays sont développées, plus les monopoles sont puissants. Sous ce rapport, un rôle spécial a été joué par le système d’entreprises anonymes qui a singulièrement facilité l’investissement de capital dans la production et qui a fait surgir des entreprises d’une ampleur sans précèdent. Il est très compréhensible que le mouvement de « cartellisation » ait à sa tête deux pays qui ont occupé avec une célérité fébrile les premières places sur le marché mondial : les Etats-Unis et l’Allemagne.

Les Etats-Unis sont un exemple classique du développement économique moderne. Quant à la forme la plus centralisée des monopoles — les trusts — elle y a poussé de profondes racines. Le tableau ci-dessous donne une idée claire de la formidable puissance économique des trusts — des principaux trusts notamment — comme du processus de leur développement.

D’après les chiffres de Moody, l’accroissement des trusts pour la période de 1907 à 1908 a été le suivant :

1907 1908
Classification des Trusts Nombre de sociétés de contrôle et de sociétés acquises Montant des capitaux en actions et obligations en dollars Nombre de sociétés de contrôle et de sociétés acquises Montant des capitaux en actions et obligations en dollars
Sept principaux trusts industriels 1524 2.662.752.100 1638 2.708.438.754
Trusts industriels de moindre im-portance 3426 4.055.039.433 5038 8.243.185.000
Trusts en cours de réorganisation 282 528.551.000 ------ ------
Total des trusts industriels 5232 7.246.342.533 6676 10.951.623.754
Entreprises concessionnaires 1336 3.735.456.071 2599 7.789.39
Groupe des principaux chemins de fer 1040 9.397.363.907 745 12.931.154.010
Total 7608 20.379.162.511 10.020 31.672.171.364[2]


D'après le Poors Manuel of Corporations et le Poors of Railroads de 1910, le deuxième chiffre du total s'élève à 33,3 milliards de dollars[3]. Dès 1900, la part des trusts dans la production nationale était très élevée. Elle atteignait dans l'industrie textile 50 % de la production globale ; dans la verrerie, 54 % ; dans l'industrie du livre et du papier, 60 % ; dans l'alimentation, 62 % ; dans l'industrie des spiritueux, 72 % ; dans la métallurgie (sauf le fer et l'acier), 77 % ; dans l'industrie chimique, 81 % ; dans la fabrication du fer et de l'acier, 81 %[4]. Depuis, elle a sensiblement augmenté du fait qu'aux Etats-Unis le processus de concentration et de centralisation s'opère à une allure prodigieuse. « Seuls, quelques hommes au courant du récent développement de l'organisation financière de la grande industrie et des branches commerciales, peuvent se faire une idée de la concentration gigantesque et de la domination dont font l'objet les grandes entreprises combinées et différenciées qui englobent fréquemment des forces productives sortant du cadre d'une économie nationale isolée »[5]. Faute de place, nous ne pouvons, dans cet ouvrage, donner même la simple énumération des principaux trusts existant dans les diverses branches. Bornons-nous à signaler qu'en tête du mouvement opèrent deux trusts immenses : le trust du pétrole (Standard Oil Cº) et le trust de l'acier (United States Steel Corporation), qui correspondent à deux groupes financiers : Rockefeller et Morgan.

On observe, en Allemagne, un mouvement analogue du grand capital En 1905, les statistiques officielles mentionnaient 385 cartels dans les diverses branches de la production[6]. Le théoricien et l’organisateur bien connu du mouvement de « cartellisation » en Allemagne, le docteur Tschierschky, évalue de 560 à 600 le nombre des cartels allemands[7].

Les plus importants sont deux syndicats industriels : le Syndicat houiller du Rhin et de la Westphalie (Rheinisch-Westfälisches Kohlensyndicat) et le Syndicat de l’Acier (Stahlwerksverband). D’après les chiffres de Raffalovitch, le premier a produit, en 1905, dans le bassin de Dortmund, 85 millions de tonnes de houille, tandis que tous les outsiders réunis (c’est-à-dire ceux qui n’appartiennent pas au syndicat) n’en ont produit que 4.200.000 (4,9 %)[8]. En janvier 1913, la production de houille du syndicat s’élevait à 92,6 % de la production totale du bassin de la Ruhr et à 54 % de la production nationale. Le Syndicat de l’Acier porta à 43-44 % sa part dans la production du pays. Le Syndicat du Sucre (raffineries), qui englobe 47 entreprises, donne un chiffre très élevé (70 % de la vente intérieure et 80 % de la vente extérieure)[9]. Le trust de l’électricité, détenu par les deux trusts Siemens-Schuckert et A. E. G.) représente 40 % de toute l’énergie produite, etc.

Dans les autres pays, les monopoles n’ont pas cette ampleur, mais pris dans un sens absolu, et non par rapport aux Etats-Unis ou à l’Allemagne, le processus de « syndicalisation » y est très important.

En France, il existe un grand nombre de syndicats industriels dans la métallurgie, l’industrie du sucre, la verrerie, l’industrie du papier, l’industrie pétroléenne [sic], l’industrie chimique, le textile, l’industrie de la pierre, etc. Les plus importants sont : le Comptoir de Longwy, qui écoule presque toute la fonte fabriquée en France, le Syndicat du Sucre, dont l’hégémonie sur le marché est presque complète ; la Société Générale des Glaces de Saint-Gobain, qui exerce également un monopole presque complet, etc. Il faut encore mentionner une série de syndicats agricoles, avec lesquels les associations agricoles sont en rapports étroits[10] ainsi que de grandes unions dans l’industrie des transports. Trois compagnies maritimes (Compagnie Générale Transatlantique, Messageries Maritimes et Chargeurs Réunis, groupent 41,25 % de toute la marine marchande de la France[11].

En Angleterre, où pendant pas mal de temps, pour de multiples raisons, le mouvement de formation des monopoles fut tres faible, malgré la grande concentration de l’industrie, la trustisation de l’industrie (amalgamations, associations investment trusts) a fait, au cours de ces dernières années, d´immenses progrès. Le libre échange anglais est aujourd’hui du domaine de l’histoire (nous verrons plus bas que, même sous le rapport de la politique économique extérieure, la libre concurrence, c’està-dire la politique du libre échange passe de plus en plus à l’arrière-plan). Ce n’est que par ignorance que l’on citerait aujourd’hui l’Angleterre comme l’incarnation d’un régime économique spécifique. A titre d’exemple, nous énumérerons quelques trusts : le trust du ciment de Portland (Association Portland Cement Manufactures), qui représente 89 % de la production nationale ; les trusts de l’acier ; les trusts des spiritueux ; les trusts des manufactures de tapisseries (98 % de la production des tapisseries et autres matières décoratives du pays) ; le trust des fabriques de câbles (The Cable Makers’ Association, environ 90 % de la production totale), le trust du sel (Salt Union, 90 % environ de la production), The fine cotton spinners and doublers’ trust (qui contrôle en fait la totalité de la production anglaise), le trust de teinture et de blanchiment (Blenachers Association et The Dyers’ Association, 90 % environ de la production) ; Imperial Tobacco Company (environ la moitié de la production totale), etc.[12].

En Autriche, les principaux cartels sont : le syndicat des houillères de Bohême, qui représente 90 % de la production autrichienne ; le syndicat des briqueteries, dont la production se monte à 400 millions de couronnes (pour 40 millions seulement aux outsiders) ; le syndicat de la sidérurgie ; les syndicats dans l’industrie du pétrole (Galicie, 40 % de la production) ; dans l’industrie du sucre, du verre, du papier, du textile, etc.

Mais même dans un pays arriéré et pauvre en capitaux comme la Russie, le nombre des syndicats industriels d’un type supérieur et des trusts, d’après les données de Goldstein, dépasse la centaine. En outre, il existe une série d’ententes locales d’un type moins développé. Mentionnons les principales[13]. Dans l’industrie houillère, le Prodougol (qui représente 60 % de la production du bassin du Donetz) ; dans la métallurgie, 19 syndicats, dont les plus importants sont : le Prodameta (88-93 %), le Kroalia (60 % de la tôle), le Prodwagon (qui englobe 14 ateliers de construction sur 16) ; dans l’industrie du naphte, 4 compagnies associées détenant presque toute la production.

Mentionnons encore le syndicat du cuivre (90 %), le syndicat du sucre (100 %), l’entente des fabricants de textile, le trust du tabac (57-58 %), le syndicat des allumettes, etc.

En Belgique, les syndicats industriels sont extrêmement développés Mais même les pays nouveaux, comme le Japon, se sont engagés dans la voie des monopoles capitalistes. Ainsi les anciens modes de production du capitalisme se sont radicalement transformés. D’après les calculs de F. Laur, sur les 500 milliards de francs de capitaux investis dans les entreprises industrielles de tous les pays du monde, 225 milliards, c’est-à-dire presque la moitié, échoient aux cartels et aux trusts, (Ce capital se décompose par pays [à noter que les chiffres sont vraisemblablement au-dessous de la réalité] de la façon suivante : Amérique, 100 milliards de francs ; Allemagne, 50 milliards ; France, 30 milliards ; Autriche-Hongrie, 25 milliards, etc. 3). Ces chiffres soulignent la complète transformation des anciens éléments de production à l’intérieur des pays, ce qui n’a pas été sans amener de profondes modifications dans leurs rapports.

[3] Les choses ne se bornent pas cependant à un processus d’organisation au sein de branches industrielles isolées. Celles-ci passent par un processus incessant d’agglomération en un seul système, de transformation en organisation unique.

Ce processus s’opère en premier lieu par la création d’entreprises combinées, c’est-à-dire d’entreprises embrassant la production des matières premières et des produits manufacturés, ouvrés ou mi-ouvrés, etc. Il peut englober et englobe les branches les plus diverses de la production, du fait qu’avec la division moderne du travail, ces branches, à un degré plus ou moins élevé, directement ou indirectement, sont placées dans une dépendance mutuelle. Si par exemple un trust travaille, à côté du produit essentiel, un dérivé quelconque, il aspire aussitôt à monopoliser cette branche de production, ce qui, à son tour, a pour résultat de pousser à la monopolisation de la fabrication des produits qui remplacent ce dérivé. Puis c’est la production des matières premières qui, elle aussi, devient l’objet des mêmes convoitises, etc. Il se forme ainsi les combinaisons les moins compréhensibles à première vue, comme l’union des industries des métaux et du ciment, du pétrole et de la glucose, etc.[14]. Cette concentration et cette centralisation verticales de la production, par opposition à la concentration et à la centralisation horizontales dans certaines branches de production, d’une part signifient une diminution de la division sociale du travail (car elles fondent dans une seule entreprise le travail réparti auparavant dans plusieurs), d’autre part, stimulent la division du travail dans le cadre de la nouvelle unité de production. Ainsi, tout le processus, considéré à l’échelle sociale, a tendance à transformer l’ensemble de l’économie nationale en une entreprise combinée unique, avec un lien d’organisation reliant la totalité des branches de la production.

[4] Dans une large mesure, le même processus s’opère encore par la pénétration du capital bancaire dans l’industrie et la transformation du capital en capital financier.

Nous avons déjà vu, dans les chapitres précédents, l’immense portée de la participation financière aux entreprises industrielles. Or, celle-ci est précisément une des fonctions des banques modernes.

Une partie toujours plus grande de capital industriel n’appartient pas aux industriels qui le mettent en circulation. Ils ne disposent de ce capital que par l’entremise de la banque qui représente vis-à-vis d’eux les propriétaires de ce capital. D’autre part, la banque est elle-même obligée d’engager dans l’industrie une part de plus en plus grande de ses capitaux. Il en résulte que la banque devient de plus en plus un capitaliste industriel. Ce capital bancaire, c’est-à-dire ce capital-argent, qui est ainsi transformé effectivement en capital industriel, je l’appelle capital financier[15]

[5] Au moyen de diverses formes de crédit, de détention d’actions, d’obligations et de parts de fondateur, le capital bancaire opère ainsi comme organisateur de l’industrie, et cette organisation de l’ensemble de la production de la totalité du pays est d’autant plus forte que l’est, d’une part, la concentration de l’industrie et, d’autre part, la concentration des banques. Celle-ci a pris à son tour des proportions considérables. Qu’on en juge par ces exemples. En Allemagne, 6 banques exercent en fait le monopole des opérations de banque : la Deutsche Bank, la Diskontogesellschaft, la Darmstädter Bank, la Dresdner Bank, la Berliner Handelsgesellschaft et la Schaffhausenscher Bankverein, dont les capitaux atteignaient, en 1910, le chiffre de 1.122,6 milliards de marks3

. La multiplication, en Allemagne même, des établissements de ces banques, donne une idée de la rapidité avec laquelle leur puissance s’est développée (dans le nombre sont compris, l’établissement principal, les filiales, les caisses de dépôts, les comptoirs de change, les « participations » constantes dans les banques anonymes allemandes). Ce nombre a évolué de la façon suivante : en 1895, 42 ; en 1896, 48 ; en 1900, 80 ; en 1902, 127 ; en 1905, 194 ; en 1911, 450[16]. En l’espace de 16 ans, le nombre de ces établissements s’est donc accru de 11 fois.

En Amérique, deux banques à elles seules détiennent le monopole : la National City Bank (Rockefeller) et la National Bank of Commerce (Morgan). Une infinité d’entreprises industrielles et de banques liées entre elles de multiples façons dépendent d’elles. a On aura une idée approximative de l’ampleur des opérations bancaires des groupes Rockefeller et Morgan, lorsqu’on saura qu´en l908 le premier avait, comme clients dont il gardait les réserves, 3.360 banques du pays ou autres, et le second, 2.757 banques. Sans eux, aucun nouveau trust ne peut être fondé. C’est le « monopole de la production des monopoles » (monopoly of monopoly making)[17].

A cette liaison économique spécifique, entre les banques et les diverses branches de la production, correspond un mode particulier de direction supérieure des unes et des autres : les représentants des industriels administrent les banques et vice versa. Jeidels relate qu’en 1903, les six banques allemandes mentionnées ci-dessus détenaient 751 places dans les conseils d’administration des sociétés anonymes industrielles[18]. En revanche, dans les conseils d’administration de ces banques, figurent 51 représentants de I’industrie (dernier chiffre pour 1910).

Quant à l’Amérique le fait suivant est caractéristique. Il ressort de la liste présentée au Sénat, en 1908, lors de la discussion du bill sur l’amélioration des opérations de banque (commission La Folette) que 89 personnes occupent plus de 2.000 places de directeurs dans diverses entreprises industrielles, compagnies de transport, etc. et que, d’autre part, Morgan et Rockefeller ont sous leur contrôle direct ou indirect la quasi-totalité de ces entreprises[19].

[6] Nous devons encore mentionner le rôle important que jouent les entreprises étatiques et communales qui entrent dans le système général de l’économie nationale. Les entreprises étatiques s’étendent principalement sur une partie de l’industrie extractive du pays. (En Allemagne, sur 309 mines de houille ayant, en 1909, une production de 145 millions de tonnes, 27 représentant une production de 20.500.000 tonnes, d’une valeur de 235 millions de marks, se trouvaient entre les mains de l’Etat. Il faut y ajouter les mines de sel, les minerais, etc. Le total des recettes provenant de toutes ces entreprises d’Etat se montait, en 1910, à 349 millions brut et à 25 millions net[20]. Ensuite, viennent les chemins de fer (l´organisation commerciale privée des chemins de fer existait uniquement en Angleterre et encore prit-elle fin au début de la guerre), les postes et télégraphes, etc., ainsi que l’exploitation forestière. Les entreprises communales d’une grande importance économique concernent principalement le service des eaux, les usines à gaz, les usines électriques et l’ensemble de leurs ramifications[21]. Les puissantes banques d’Etat entrent également dans le système général. Les modes d’interdépendance de ces entreprises « publiques », et des entreprises économiques privées sont multiples, de même que les liens économiques en général, mais il est évident que le crédit joue le principal rôle. Des rapports particulièrement étroits s’établissent sur la base de ce qu’on appelle le système mixte, lorsqu’une entreprise donnée se compose d’éléments « publics » et d’éléments privés (ordinairement il s’agit de la participation des grands monopoles). Ce système se rencontre assez fréquemment dans le domaine des exploitations communales. Le cas de la Reichsbank est très curieux. Cette banque, dont le rôle économique en Allemagne est immense, est si intimement lice à la vie économique privée que, jusqu’à présent, on discute pour savoir si elle est un simple établissement anonyme ou une institution d’Etat, et si elle a un caractère juridique public, ou privé[22].

[7] Toutes les pièces de ce système, organisé dans une large mesure, (cartels, banques, entreprises d’Etat), font l’objet d’un processus incessant d’intégration Ce processus s’accentue au fur et à mesure du développement de la concentration capitaliste. La « cartellisation » et la formation d’entreprises combinées créent tout de suite une communauté d’intérêts entre les banques qui les financent. De leur côté, les banques sont intéressées à voir cesser la concurrence entre les entreprises qu’elles financent. D’autre part, toute entente des banques facilite l’agglomération des groupes industriels. Quant aux entreprises d’Etat, elles deviennent de plus en plus dépendantes des grands groupements industriels et financiers, et vice versa.

Ainsi, les différentes sphères du processus de concentration et d’organisation se stimulent réciproquement et créent une très forte tendance à la transformation de toute l’économie nationale en une gigantesque entreprise combinée sous l’égide des magnats de la finance et de l’Etat capitaliste, d’une économie qui monopolise le marché mondial et qui devient la condition nécessaire de la production organisée dans sa forme supérieure non-capitaliste.

Le capitalisme mondial, le système de production mondial, prennent par conséquent, au cours de ces dernières années, l’aspect suivant : quelques corps économiques organisés et cohérents (grandes puissances civilisées) et une périphérie de pays retardataires vivant sous un régime agraire ou semi-agraire. Le processus d’organisation (qui, soit dit en passant, n’est nullement le but ou le motif agissant de messieurs les capitalistes, comme l’affirment leurs idéologues, mais uniquement le résultat objectif de leurs aspirations à un profit maximum) tend à sortir du cadre national ; mais là apparaissent des difficultés beaucoup plus sérieuses. Premièrement, il est bien plus facile de vaincre la concurrence sur le terrain national que sur le terrain mondial (les ententes internationales se forment généralement sur la base de monopoles nationaux déjà constitués) ; deuxièmement, la différence de structure économique et, par conséquent, de frais de production, rend les ententes onéreuses pour les groupes nationaux avancés ; troisièmement, l’agglomération avec l’Etat et ses frontières constitue elle-même un monopole toujours croissant, qui assure des profits supplémentaires.

[8] Parmi les facteurs de cette dernière catégorie, nous examinerons tout d’abord la politique douanière.

Le caractère de cette politique s’est entièrement modifié. Si les anciens droits de douane avaient un but défensif, il n’en est pas de même des droits actuels, qui ont un but offensif. Si, auparavant, on frappait les articles dont la fabrication dans le pays était si peu développée qu’elle ne supportait pas la concurrence sur le marché mondial, aujourd’hui, par contre, on « protège », précisément, les branches industrielles les plus aptes à soutenir la concurrence.

Friedrich List, apôtre du protectionnisme, a parlé, dans son Système national d’économie politique, des droits de douane éducatifs, qu’il considérait comme une mesure provisoire. « Nous devrons — lisons-nous dans son ouvrage — ne traiter ici que de la législation douanière en tant que moyen de former l’industrie. Les mesures de protection ne se justifient que si elles sont un moyen d’encourager et de protéger la force manufacturière intérieure, et cela seulement chez les nations... appelées à se placer sur un pied d’égalité avec les premières nations agricoles, manufacturières, commerciales et les grandes puissances navales et continentales »[23].

Aujourd’hui, rien de cela ne subsiste, même en souvenir, en dépit des assurances de certains érudits bourgeois. Le « protectionnisme supérieur », de nos jours, n’est pas autre chose que la formule étatique de la politique économique des cartels. Les droits de douane modernes sont des droits de cartels, un moyen pour ceux-ci d’acquérir un profit supplémentaire. Car il est clair que si, sur le marché extérieur, la concurrence est supprimée ou réduite au minimum, les « producteurs » peuvent hausser les prix dans toute la marge laissée par les droits de douane. Or ce profit supplémentaire donne la possibilité d’écouler les marchandises sur le marché extérieur à des prix inférieurs aux prix de revient, « à vil prix ». Ainsi se forme la politique d’exportation spécifique des cartels (dumping). Ainsi s’explique cette chose, étrange au premier abord, que les droits de douane moderne « protègent » l’industrie d’exportation. Déjà Engels avait vu clairement l’étroite connexion qu’il y a entre le développement des cartels et l’augmentation des droits de douane modernes avec leur caractère spécifique.

Les capitalistes acquièrent de plus en plus la conviction que les forces productives modernes, avec leur développement rapide et gigantesque, échappent tous les jours davantage aux lois de l’échange capitaliste qui devraient les diriger. Les deux symptômes suivants l’établissent à l’évidence : 1) la nouvelle et universelle manie des droits de protection, qui se distingue de l’ancienne idée protectionniste en ce qu’elle poursuit avant tout la protection des articles susceptibles d’exportation ; 2) les cartels et les trusts qui se créent dans les grandes branches de production[24].

Or, notre époque a fait précisément un immense progrès dans ce sens et l’industrie consolidée, en tête avec l’industrie lourde, soutient ardemment un protectionnisme supérieur, puisque moins les droits de douane sont réduits, plus le profit supplémentaire est important, plus l’on peut conquérir rapidement de nouveaux débouchés et plus la masse de profits obtenue est considérable. La seule borne qu’il puisse y avoir, c’est la diminution de la demande qui, dès lors, n’est plus compensée par des prix plus élevés, mais dans ces limites la tendance à la hausse est un fait incontestable.

Si nous examinons maintenant l’économie mondiale, nous y découvrons que les droits de douane de cartels et le « dumping » des pays économiquement avancés suscitent la résistance des pays retardataires, qui élèvent leurs tarifs protecteurs[25]. Inversement, l’augmentation des droits de douane par les pays retardataires stimule encore davantage l’augmentation des droits de douane de cartels qui facilitent le « dumping ». Inutile de dire que cette action réciproque se manifeste également dans les rapports entre pays avancés, de même que dans les rapports entre pays retardataires. Cette vis illimitée, continuellement tournée par le développement des cartels, a engendré la « manie des droits de protection » dont parle Engels et qui, de nos jours, s’est encore aggravée.

Vers 1870, dans tous les pays les plus développés économiquement, on constate un brusque revirement à l’égard du libre-échange qui, évoluant rapidement de l’« éducation » de l’industrie à la défense des cartels, aboutit au haut protectionnisme moderne.

En Allemagne, ce revirement a été défini par le tarif de 1879, et depuis nous avons une augmentation incessante des droits de douane (voir, par exemple, le tarif de 1902 et les suivants). En Autriche-Hongrie, ce revirement date de 1878 ; les tarifs ultérieurs témoignent de la même tendance à la hausse (notamment les tarifs de 1882, 1887, 1906 et les suivants). En France, on constate un glissement très net vers le protectionnisme dans le tarif général de 1881, qui élève les droits sur les produits industriels de 24 % ; il faut encore signaler le tarif éminemment protectionniste de 1892 (qui porte à 69 % ad valorem les droits sur les articles manufacturés, à 25 %, les droits sur les produits agricoles) et sa « révision » en 1910. En Espagne, le tarif de 1877 renferme déjà des droits élevés sur les produits industriels ; le tarif de 1906, contenant une augmentation générale des droits, mérite une attention spéciale. Aux Etats-Unis, pays classique des trusts et de la politique douanière moderne, les traits caractéristiques du protectionnisme sont particulièrement accusés. L’augmentation des droits de douane, causée par les trusts, date de 1883, et atteint 40 % de la valeur des marchandises imposées ; en 1887, elle est de 47,11 % ; en 1890 (bill Mac Kinley), nouvelle augmentation (91 % sur les lainages ; sur les qualités fines, jusqu’à 150 %) ; sur les métaux importés (de 40 à 80 %, etc.)[26]. Puis viennent le Dingley Bill (1897) et, comme une des manifestations les plus nettes de la tendance à la hausse, le Payne-Tarif de 1909. L’Angleterre, cette citadelle du libre-échange, traverse une époque de transformation. De plus en plus hautes, de plus en plus impérieuses, se font les voix qui exigent la « réforme douanière », le remplacement du free-trade (libre-échange) par le fair-trade (justeéchange), c’est-à-dire le système protectionniste (v., p. e. l’activité de Chamberlain, l’Imperial Federation League et l’United Empire League, etc.). Le système des tarifs préférentiels entre le monopole et les colonies réalise en partie ces aspirations. A partir de 1898, le Canada établit des tarifs de faveur avec la métropole ; en 1900 et 1906, ces tarifs sont révisés et « améliorés ». Aujourd’hui, cette faveur est de 10 à 50 % par rapport aux droits qui frappent les produits étrangers. En 1909, l’exemple du Canada est suivi par les colonies de l’Afrique du Sud (de 6,25% à 25 %) ; en 1903 et 1907, la Nouvelle Zélande y adhère, puis, en 1907, l’Union des colonies australiennes (de 5 à 10 %). Aux conférences impériales (c’est-à-dire aux conférences des représentants des colonies du Gouvernement britannique), la note protectionniste se fait entendre de plus en plus nettement. « Seul un penseur de second ordre peut être, aujourd'hui, partisan du libre-échange et être en même temps optimiste à l'égard de l'Angleterre », raisonne, avec une fatuité de bourgeois, le savant bien connu Aschli, traduisant ainsi l'état d'esprit des classes dominantes anglaises[27].

un penseur de second ordre peut être, aujourd’hui, partisan du libre-échange et être en même temps optimiste à l’égard de l’Angleterre », raisonne, avec une fatuité de bourgeois, le savant bien connu Aschli, traduisant ainsi l’état d’esprit des classes dominantes anglaises1.

On sait que la guerre a mis les points sur les i et que l’imposition douanière est devenue un fait. Il nous faut encore mentionner les droits de douane extrêmement élevés de la Russie.

A partir de 1877, écrit M. Kourtchinsky, une nouvelle tendance apparaît, qui marque de plus en plus le passage à Un tarif douanier élevé qui, par la suite, devait aller constamment en s’accentuant. En 1877, cette augmentation des droits de douane fut la conséquence de la décision prise de percevoir ces droits sur la base de l’étalon or, ce qui, d’emblée, entraîna une majoration approximative de 40 %. Les années suivantes apportèrent une nouvelle augmentation des droits sur toute une série de marchandises, avec un développement de plus en plus accentué des principes protectionnistes. En 1890, tous les droits furent majorés de 20 %. Ce mouvement trouva son couronnement dans le tarif ultra-protectionniste de 1890, en vertu duquel les droits de douane sur beaucoup de marchandises subirent, comparativement au tarif de 1868, une majoration allant de 100 à 300 %, et même davantage. Le tarif douanier actuel a été publié en 1903 et sa mise en vigueur date du 16 février 1906. Beaucoup de droits de douane y sont majorés[28].

Il est donc hors de doute qu’il y a tendance générale à défendre les « économies nationales » par de hautes barrières douanières. Le fait que dans toute autre circonstance il peut y avoir réduction des droits de douane, concessions réciproques dans les traités de commerce, ne le contredit nullement. Ce ne sont là que des exceptions, des arrêts temporaires, un armistice dans une guerre incessante. La tendance générale n’en est pas contrariée, car elle n’est pas un simple fait empirique, un phénomène accidentel sans importance essentielle pour les rapports modernes. Bien au contraire, la structure du capitalisme nouveau met précisément en avant cette forme de politique économique. Avec elle, elle apparaît ; avec elle, elle disparaîtra.

Le grand rôle économique que jouent aujourd’hui les droits de douane entraîne une politique agressive du « capitalisme » moderne. Les droits de douane font bénéficier les monopoles d’une plusvalue qui leur sert de prime à l’exportation dans la lutte pour les débouchés (dumping). Cette plusvalue peut s’accroître de deux façons : premièrement, par un écoulement intérieur plus intensif, avec le même territoire national ; deuxièmement, par l’extension de ce dernier. En ce qui concerne le premier moyen, la pierre d’achoppement est dans la capacité d’absorption du marché intérieur. On ne voit pas la grande bourgeoisie se mettre à augmenter la part de la classe ouvrière et tenter ainsi de se tirer du pétrin à ses propres dépens. Avisée en affaires, elle préfère procéder autrement en élargissant le territoire économique. Moins ce territoire est restreint, plus le profit supplémentaire — toutes conditions égales — est élevé, plus il est facile de paver des primes à l’exportation et de pratiquer le « dumping » plus l’écoulement à l’extérieur est important et plus le taux du profit est accru. Admettons que la part des marchandises exportées soit extrêmen1ent élevée par rapport à l’écoulement intérieur, il est alors impossible de compenser les pertes provoquées par l’avilissement des prix sur le marché extérieur par des prix monopoles sur le marché intérieur. Le « dumping » perd ainsi sa raison. Par contre, un « juste » milieu entre l’écoulement extérieur et l’écoulement intérieur permet de tirer le maximum de profit. Or, cela n’est possible qu’en maintenant le marché intérieur dans certaines limites qui, moyennant une importance égale de la demande, sont déterminées par les dimensions du territoire inclus dans les frontières douanières et, par conséquent, dans les frontières nationales. Si autrefois, à l’époque du libre-échange, il suffisait de faire pénétrer les marchandises sur les marchés étrangers, et si cette occupation économique pouvait satisfaire les capitalistes du pays exportateur, de nos jours, les intérêts du capital financier exigent, avant tout, l’expansion du territoire national, c’est-à-dire dictent une politique de conquête, de pression directe de la force militaire, d’annexion impérialiste. Mais il est évident que là ou, en vertu de conditions historiques particulières, l’ancien système libéral du libre-échange s’est en grande partie maintenu, où, d’autre part, le territoire national est suffisamment vaste, on voit apparaître, parallèlement à la politique de conquête, une tendance à grouper les parties éparses du corps national, à opérer la fusion des colonies et de la métropole, à former un « empire » économique unique, entouré d’une barrière douanière commune. C’est le cas de l’impérialisme anglais. Et toutes les discussions sur l’organisation d’une union douanière des pays de l’Europe centrale n’ont pas autre chose en vue que la création d’un vaste territoire économique, qui leur conférerait les moyens d’un monopole pour la concurrence sur le marché extérieur. En réalité, c’est là le résultat des intérêts et de l’idéologie du capitalisme financier qui, en s’infiltrant dans tous les pores de l’économie mondiale, crée en même temps une violente tendance à l’isolement des corps nationaux, à la formation d’un système économique se suffisant à lui-même, comme moyen de consolider son monopole. Ainsi, parallèlement à l’internationalisation de l’économie et du capital, il s’opère un processus d’agglomération nationale, de nationalisation du capital, processus gros de conséquences[29].

Ce processus de nationalisation du capital, c’est-à-dire la création de corps économiques homogènes, enfermés dans les frontières nationales et réfractaires les uns aux autres, est également stimulé par les changements intervenus dans les trois grandes sphères de l’économie mondiale : la sphère des débouchés, la sphère des matières premières et la sphère d’investissement des capitaux. Dès lors, nous devons analyser les modifications des conditions de reproduction du capital mondial, en partant de ces trois points de vue.

Chapitre V : Marché mondial et modifications des conditions d’écoulement[modifier le wikicode]

1. Production massive et expansion hors des frontières nationales. — 2. Formation des prix dans l’échange entre pays à structure économique différente et formation du surprofit. — 3. Politique coloniale des grandes puissances et division du monde. — 4. Aggravation de la concurrence sur le marché mondial et expansion capitaliste. — 5. Politique douanière des puissances et débouchés.

[1] Tout capitalisme national manifeste une tendance constante à s’étendre, à élargir sa puissance, à sortir des limites des frontières nationales. Cela découle de l’essence même de la structure capitaliste de la société.

Les conditions de l’exploitation du travail et de sa mise en valeur [c’est-à-dire de la plus-value] ne sont pas les mêmes et elles diffèrent non seulement au point de vue du temps et du lieu, mais en elles-mêmes. Les unes sont bornées exclusivement par la force productive de la société, les autres par l’importance relative des diverses branches de production et la puissance de consommation de la masse. Quant à cette dernière, elle dépend non de ce que la société peut produire et consommer, mais de la distribution de la richesse, qui a une tendance à ramener à un minimum variable, entre des bornes plus ou moins étroites, la consommation de la grande masse; elle est limitée, en outre, par le besoin d’accumulation, d’agrandissement du capital et d’obtention de quantités de plus en plus fortes de plus-value. Elle obéit ainsi à une loi qui trouve son origine dans les révolutions incessantes des méthodes de produire, et la dépréciation constante du capital qui en est la conséquence, dans la concurrence générale et la nécessité, dans un but de conservation et sous peine de ruine, de perfectionner et d’étendre sans cesse la production. Ainsi la société capitaliste doit-elle agrandir continuellement ses débouchés[30].

Cependant, on ne doit pas comprendre cette loi de production massive, qui est en même temps une loi de reproduction massive, en ce sens que l’expansion au delà des frontières nationales est en quelque sorte une nécessité absolue; cette nécessité est créée dans le processus de formation du profit, et le taux du profit constitue le principe régulateur de toute la circulation. On sait que le taux du profit dépend de la masse de marchandises et du profit sur chaque unité de marchandise qui, à son tour, est égal au prix de vente moins les frais de production. Si nous désignons la masse de marchandises par M, le prix de l’unité par P, et les frais de production par D, la somme de profit est exprimée par la formule : M (P — D). Moins les frais de production sont élevés, plus le profit par unité de marchandise est accru et, moyennant un écoulement soutenu ou croissant, plus la somme de profit est augmentée. Or, les frais de production sont d’autant moins élevés que la masse de marchandises jetée sur le marché est plus considérable. L’amélioration de la technique, le développement des forces productives et, par conséquent, l’accroissement de la masse du produit manufacturé, voilà ce qui diminue les frais de production. C’est pourquoi les ventes bon marché à l’étranger sont très compréhensibles. Si même, en l’occurrence, on ne retire aucun profit et si les marchandises se vendent au prix de revient, la somme du profit en est augmentée du fait que les frais de production en sont diminués. (Nous ne parlons pas des ventes à perte qui se font dans des « buts » stratégiques, c’est-à-dire en vue de la conquête rapide d’un débouché et de l’écrasement de concurrents.) Dans la formule générale M (P—D), la valeur des frais de production ne sera pas leur valeur qui correspond à la masse du produit M, mais une valeur sensiblement inférieure correspondant à la quantité (M + E), dans laquelle E est le chiffre de la marchandise exportée. Ainsi la circulation du profit rejette les marchandises hors des frontières nationales. Mais le même principe régulateur du capitalisme — le taux du profit — manifeste ses effets d’une autre façon. Nous voulons parler de la formation du surprofit dans l’échange entre pays à structures économiques différentes.

[2] Dès l’époque du capital commercial, ce processus de formation du profit supplémentaire est évident.

Tant que le capital commercial, dit Marx, assure l’échange des produits de communautés peu développées, il réalise non seulement en apparence, mais presque toujours en réalité, des profits exagérés et entachés de fraude. Il ne se borne pas à exploiter la différence entre les coûts de production des divers pays, en quoi il pousse à la fixation et à l’égalisation des valeurs de marchandises, mais il s’approprie la plus grande partie de la plus-value. Il y parvient en servant d’intermédiaire entre des communautés qui produisent avant tout des valeurs d’usage et pour qui la vente et la valeur de ces produits sont d’une importance secondaire, ou en traitant avec des maîtres d’esclaves, des seigneurs féodaux, des gouvernements despotiques, qui représentent la richesse jouisseuse[31]...

Les « profits exagérés » et la « fraude » ont pu jouer un si grand rôle parce que le processus d’échange était lui-même un processus irrégulier, un processus nécessaire d’ « échange » matériel » dans une société où la division mondiale du travail est un fait, et parce que ce processus est plus ou moins un phénomène accidentel. Quant au profit supplémentaire, il s’obtient lorsque l’échange international devient une chose régulière et passagère de la reproduction du capital mondial. Marx a fort bien élucidé la nature économique de ce surprofit.

Le commerce international, dit-il, rapporte un profit dont le taux est plus élevé parce qu’il offre des marchandises à des pays moins avancés au point de vue des procédés de fabrication et qu’il peut, tout en les leur cédant à un prix inférieur au leur, les vendre au-dessus de leur valeur. Le travail des pays avancés compte dans ce cas comme travail d’un poids spécifique plus élevé et est porté en compte comme travail de qualité supérieure, bien qu’il ne soit pas payé comme tel; d’où nécessairement une hausse du taux du profit. Ce qui n’empêche pas que le produit soit fourni au pays dans lequel on l’exporte à un prix moins élevé que celui auquel ce dernier pourrait le produire, la quantité de travail qui y est incorporé par le pays exportateur étant beaucoup moindre que celle que le pays moins avancé devrait y consacrer; de même un fabricant qui applique une nouvelle invention avant qu’elle soit généralisée, peut profiter de la productivité spécifique plus élevée du travail qu’il met en œuvre et réaliser un surprofit[32] en vendant ses marchandises moins cher que ses concurrents, bien qu’à un prix qui en dépasse notablement la valeur. D’autre part, les capitaux engagés dans les colonies rapportent des profits d’un taux plus élevé, parce que telle est la règle dans les pays peu avancés au point de vue économique, où l’on fait travailler des esclaves et des coolies et où l’on exploite le travail avec plus d’âpreté. A moins que des monopoles ne fassent sentir leur influence, rien ne s’oppose sous un régime de libre concurrence à ce que ces taux plus élevés contribuent à une majoration du taux général du profit[33]

Marx donne ici une explication théorique du surprofit d’après la théorie de la valeur du travail.

Le profit supplémentaire est présenté de ce point de vue qu’en règle générale la valeur sociale du produit (par « société », il va de soi qu’il s’agit de l’ensemble du capitalisme mondial considéré comme un tout unique) est supérieure à la valeur individuelle du produit (par « individu », il faut entendre, évidemment, l'« économie nationale »). Marx prévoit même et explique qu’une certaine fixation du profit majoré peut se produire par la mainmise des monopoles sur un domaine donné, ce qui est d’une importance particulière à notre époque.

Ainsi ce n’est pas l’impossibilité de déployer une activité dans le pays, mais la poursuite d’un taux de profit plus élevé, qui constitue la force motrice du capitalisme. Même la « pléthore capitaliste » moderne n’est pas une limite absolue. Un taux plus bas de profit chasse marchandises et capitaux de plus en plus loin de leur « pays d’origine ». Ce processus s’accomplit simultanément dans les diverses parties de l’économie mondiale. Les capitalistes des différentes économies nationales s’y heurtent en concurrents, et moins le développement des forces productives du capitalisme mondial est affaibli, moins l’expansion du commerce extérieur est contenue, plus la lutte sur le terrain de la concurrence est aiguë. Au cours de ces dernières dizaines d’années, de telles modifications quantitatives sont survenues dans ce domaine qu’elles ont acquis qualitativement une autre définition.

Ces modifications viennent, pour ainsi dire, de deux côtés opposés. Premièrement, le processus de production massive s’aggrave à l’extrême; autrement dit, il y a augmentation de la masse de marchandises qui cherchent un écoulement à l’extérieur, phénomène qui est, dans une large mesure, inhérent à la dernière période ; deuxièmement, les débouchés libres, c’est-à-dire les débouchés que les « grandes puissances » monopolistes n’ont pas encore accaparés, diminuent de plus en plus. Ces grandes puissances, mues par les besoins du capital national, ont très rapidement accaparé les débouchés libres et, depuis 1870-1880, les « acquisitions territoriales » se sont succédé sans arrêt. Il suffit d’énumérer brièvement les résultats de cette « politique coloniale » qui est devenue la manie de tous les Etats capitalistes modernes.

[3] L’Angleterre, qui possède un immense empire, a réussi, depuis 1870, à annexer une série de nouvelles contrées : en Asie, le Béloutchistan, la Birmanie, l’île de Chypre, Weï-Haï-Weï, HongKong ; elle a élargi les Straits Settlements, établi son protectorat sur Koveit (1899), annexé la péninsule Sinaïtique, etc. ; en Océanie, elle a annexé quelques îles, notamment la partie nord de Bornéo, la partie sud-est de la Nouvelle-Guinée, une grande partie des archipels Salomon et Tonga. En Afrique, où, comme on sait, la concurrence et les conquêtes ont été particulièrement âpres, l’Angleterre a mis la main sur l’Egypte, le Soudan égyptien, y compris l’Ouganda, l’Afrique Orientale anglaise, la Somalie anglaise, Zanzibar et Pemba ; dans l’Afrique du Sud, elle s’est emparée des deux Républiques des Boers, de la Rhodésia, de la Colonie du Cap ; dans l’Afrique occidentale, elle a agrandi ses anciennes colonies et a occupé la Nigéria[34]. Telles ont été les « victoires » de l’Angleterre.

La France a opéré avec non moins de succès. « A partir de 1870 — écrit un impérialiste français — nous assistons à une véritable résurrection coloniale. La IIIe République soumet l’Annam à son protectorat, fait la conquête du Tonkin, annexe le Laos, étend le protectorat français à la Tunisie et aux îles Comores, occupe Madagascar, augmente démesurément ses possessions du Sahara, du Soudan, de la Guinée, de la Côte d’ivoire, du Dahomey, des côtes de la Somalie et fonde la nouvelle France qui va de l’océan Atlantique et du Congo au lac Tchad2. » A la fin du XIXe siècle, la superficie des colonies françaises était 19 fois supérieure à celle de la France elle-même !

L’impérialisme allemand est intervenu plus tardivement, mais il fait son possible pour rattraper le temps perdu. La politique coloniale de l’Allemagne date de 1884. Elle débuta par la conquête du Sud-Ouest africain, du Cameroun, du Togo, de l’Afrique-Orientale allemande, par l'« acquisition » de la Nouvelle-Guinée et d’une série d’îles (Terre de l’Empereur Guillaume, archipel Bismarck, îles Carolines, îles Mariannes, etc.) ; puis ce fut la conquête, en 1897, de Kiao-Tchéou, et la préparation de la mise en coupe réglée de la Turquie et de l’Asie Mineure. Toute cette « évolution » s’est accomplie à une allure vertigineuse[35].

Quant à la politique coloniale russe, nous rappellerons au lecteur la conquête de l’Asie Mineure, la politique mandchoue et mongole et, dans ces derniers temps, la politique persane de la Russie, poursuivie, comme l’on sait, avec le concours de l’Angleterre (le héros de cette politique est le colonel Liakhov)[36].

Il en est de même de la politique des pays situés en dehors de l’Europe, parmi lesquels les Etats-Unis et le Japon tiennent la première place.

[4] A la suite du partage des contrées inoccupées et, en grande partie, des débouchés libres, la concurrence mondiale entre les groupes capitalistes « nationaux » devait fatalement s’aggraver à l’extrême. Le tableau ci-dessous donne une idée de la répartition actuelle des territoires et des habitants.

Grandes puissances Superficie des colonies Superficie des métropoles total
1876 1914 1914
km2 habitants km2 habitants km2 habitants km2 habitants
en millions en millions en millions en millions
Angleterre 22,5 251,9 33,5 393,5 0,3 46,5 33,8 440
Russie 17 15,9 17,4 33,2 5,4 136,2 22,8 169,4
France 0,9 6 10,6 55,5 0,5 39,6 11,1 95,1
Allemagne 2,9 12,3 0,5 64,9 64,9 77,2
Etats-Unis 0,3 9,7 9,4 97 97 106,7
Japon 0,3 19,2 0,4 53 0,7 72,2
Total des 6 grandes puissances 40,4 273,8 65 523,4 16,5 437,2 81,5 960,6
Colonies appartenant aux petits Etats (Belgique, Hollande, etc.) 9,9 45,3 9,9 45,3
Trois demi colonies (Turquie, Perse, Chine) 14,5 361,2
Total 105,9 1367,1
Autres pays 28 289,9
Total mondial 133,9 1657[37]

Ainsi, dans la période qui va de 1876 à 1914, les grandes puissances ont acquis environ 25 millions de kilomètres carrés, soit deux fois et demie la superficie de l’Europe. Le monde est presque entièrement divisé entre les « maîtres » des grandes puissances. Dès lors on comprend que la concurrence prenne une gravité exceptionnelle et que la poussée de l’expansion capitaliste dans les pays demeurés inoccupés s’accroisse dans la même mesure que les chances de guerre entre les grandes puissances capitalistes[38].

[5] Or ces chances se sont encore multipliées sous l’effet des tarifs douaniers. Ceux-ci forment la barrière contre laquelle se heurte l’importation des marchandises, barrière qu’on ne peut renverser que par un moyen : la contrainte, l’emploi de la force. On recourt parfois, comme mesure préliminaire, aux guerres douanières, c’est-à-dire à l’augmentation des droits de douane, afin d’arracher des concessions (représailles douanières). Des guerres douanières de ce genre ont été faites, notamment, par l’Autriche-Hongrie contre la Roumanie (1886-1890), contre la Serbie (1906-1911), contre le Monténégro (1908-1911 ; par l’Allemagne contre la Russie (1893-1894), contre l’Espagne (1894-1899) et le Canada (1903-1910) ; par la France contre l’Italie (1888-1892) et la Suisse (1893-1895), etc. A peine les débouchés vacants sont-ils « répartis » qu’ils sont incorporés dans les frontières douanières. Il s’ensuit que la concurrence se fait plus âpre et que les différentes politiques douanières des puissances s’entrechoquent encore plus violemment. Or les guerres douanières ne sont que des coups de sonde. En définitive l’antagonisme est tranché par le rapport des « forces réelles », autrement dit, par la force des armes. Ainsi la course aux débouchés pousse fatalement aux conflits entre groupes nationaux du Capital. Le développement prodigieux des forces productives et l’étrécissement extrême des débouchés libres au cours de ces derniers temps, la politique douanière des puissances lice à l’hégémonie du capital financier et l’aggravation des difficultés pour la réalisation des valeurs marchandes créent une situation où le dernier mot appartient à la technique militaire.

Là se manifestent les contradictions du développement capitaliste que Marx a analysées. L’accroissement des forces productives entre en conflit avec le mode antagoniste de répartition et la disproportion de la production capitaliste, d’où l’origine de l’expansion capitaliste ; d’autre part, le travail collectif entre en conflit avec le système privé d’organisation économique de la production capitaliste, ce qui s’exprime par la concurrence entre capitalismes nationaux. Les conditions d’équilibre et de développement méthodique de toutes les pièces du mécanisme social font défaut — et au cours de ces derniers temps la vie économique en est restée particulièrement éloignée — d’où l’apparition de crises d’une violence extrême.

Chapitre VI : Le marché mondial des matières premières et les modifications des conditions d’achat de matières[modifier le wikicode]

1. Disproportion de la production sociale. — 2. Propriété monopole du sol et accroissement de la disproportion entre l’industrie et l’agriculture. — 3. Renchérissement des matières premières et étrécissement de leur marché. — 4. Aggravation de la concurrence sur le marché mondial des matières premières et expansion capitaliste.

[1] Dans le chapitre précédent nous avons vu comment le nouveau développement capitaliste, en suscitant des difficultés croissantes lors de la réalisation des valeurs marchandes, pousse les classes dirigeantes des divers groupes nationaux à une politique d’expansion. Dans la formule de reproduction A – M… P … M’ – A’, seule la dernière partie exprime la réalisation du prix du produit fabriqué M’ – A’). Généralement on signalait et on constatait des difficultés dans le processus M’ – A’, autrement dit, dans le processus d’écoulement. La chasse aux débouchés et les crises industrielles en particulier, poussaient à l’analyse des difficultés qui apparaissent lorsque le capital parcourt la phase M’ – A’. Or, des difficultés peuvent également surgir dans le processus de la première phase que parcourt le capital lorsque l’argent est échangé contre des moyens de production (A – M). Et effectivement, le nouveau développement des rapports capitalistes crée des difficultés croissantes dans le domaine de la reproduction du capital social.

L’opération A – M on le sait, se décompose en deux parties A – Ft et A – Mp, dans laquelle Ft représente la force de travail, et Mp, les moyens de production, ce qui fait que la formule de cette phase dans sa forme développée devient A – M (Ft Mp). C’est pourquoi nous devons examiner les deux parties de la formule.

Dans la mesure où le développement des forces productives conditionnait une modification de la structure et du rapport des forces de classe de la société, il se manifestait, notamment, par une aggravation considérable des antagonismes sociaux, en opposant la puissance organisée des adversaires de classe. Les conditions d’un équilibre relatif présupposent que les forces sociales réagissent les unes sur les autres avec une vigueur exceptionnelle. La tendance du taux du profit à la baisse pousse, d’une part, à intensifier le travail, d’autre part, à trouver une main-d’œuvre bon marché avec une journée de travail allongée. Ce dernier résultat est de nouveau obtenu sur le terrain de la politique coloniale[39].

Cependant, il est un autre aspect de la question dont l’importance est encore beaucoup plus grande.

Nous voulons parler de la disproportion entre le développement de l’industrie et celui de l’agriculture, fournisseuse de matières premières pour l’industrie manufacturière. Celle-ci exige des quantités toujours plus grandes de matières premières, comme le bois (industrie du papier, travaux de construction et d’ébénisterie, construction des chemins de fer, etc.), les matières animales (cuir, laine, soies de porc, crins de cheval, fourrures, os, boyaux, graisses animales de toutes sortes, viande pour la préparation des produits alimentaires, etc.), les matières brutes pour l’industrie textile (coton, lin, chanvre, etc.), ainsi que des matières comme le caoutchouc, etc., dont le rôle dans la vie industrielle est considérable. Néanmoins le développement de l’agriculture moderne ne parvient pas à rattraper le développement prodigieux de l’industrie, d’où, en grande partie, l’augmentation du coût de la vie qui est devenue un phénomène international d’une importance capitale dans la dernière période du développement capitaliste, où l’on assiste à une telle aggravation du processus industriel que la production agricole d’outre-mer a également cessé de satisfaire la demande des pays capitalistes avancés, et que la baisse des prix mondiaux a fait place rapidement à la hausse. Le tableau ci-dessous donne une idée de l’augmentation des prix :

ANNÉE JUTE brut COTON brut CUIRS de

bœuf

CUIRS de veau russe SAINDOUX

américain

Marché de Londres Marché de Hambourg (prix en roubles et par poud)[40]
1903 1,77 9,12 6,11 19,62 6,62
1904 1,76 9,57 6,49 20,93 5,57
1905 2,42 7,72 6,93 28,64 5,79
1906 3,04 8,96 7,90 28,82 6,31
1907 2,51 9,87 7,96 27,90 7,07
1908 1,88 8,47 6,52 28,65 7,01
1909 1,83 9,46 7,22 25,38 8,97
1910 1,98 11,72 8,35 27,33 9,52
1911 2,62 10,51 8,40 26,54 7,04
1912 2,86 9,65 8,57 25,50 8,17
1913 3,93 10,35 9,47 24,60 8,66[41]

Ainsi en 10 ans (de 1903 à 1913) le prix du jute a augmenté de 12,8 % ; celui du coton, de 13 % ; celui des cuirs de bœuf, de 55 % ; celui des cuirs de veau, de 25 % ; celui du saindoux, de 31 % [42].

[2] Certes, dans n’importe quelle situation — même en société socialiste — le développement des forces productives s’effectuerait dans le sens de la production des moyens de travail (nous avons vu que, dans la société capitaliste, ce processus prend la forme d’une augmentation de la composition organique du capital). Mais il n’en résulterait pas une disproportion dans la répartition des forces productives de la société : l’évolution serait harmonieuse et la « demande » de matières premières suivrait l’augmentation de l'« offre ». Dès lors, la question n’est pas dans le développement relatif de l’industrie en général, mais dans son développement disproportionné. D’autre part, on ne peut regarder cette évolution comme l’expression d’une loi « absolue » et « naturelle » entravant la production des produits agricoles, ainsi que Malthus et ses nombreux disciples, avoués ou secrets, se l’imaginaient. Le principal obstacle réside dans une catégorie sociale particulière : la propriété monopole du sol.

Le droit de propriété — dit Marx dans le chapitre sur la rente foncière absolue — ne crée pas par luimême la rente, mais il assure au propriétaire foncier le pouvoir de soustraire sa terre à l’exploitation jusqu’au moment où celle-ci donne lieu à un excédent, que la mise en valeur se fasse par l’agriculture proprement dite ou par un autre système de production. Le propriétaire ne peut donc pas augmenter la quantité absolue de sol pouvant être mis en exploitation, mais seulement la quantité agissant sur le marché, et c’est ainsi qu’il se fait, comme le constatait déjà Fourier, que dans les pays civilisés il y a une partie relativement importante du sol qui est continuellement soustraite à l’agriculture[43].

La propriété foncière agit donc comme une barrière qui empêche, aussi longtemps qu’il n’en résulte pas une rente, toute avance de capital pour des terres non encore cultivées ou non encore affermées, alors même que ces terres appartiennent à une catégorie qui ne rapporte pas de rente différentielle [c’est- à-dire de rente obtenue par suite de la différence de qualité des terrains, etc.] et qu’il suffirait, si la propriété foncière ne réclamait pas son tribut, d’une légère augmentation du prix du marché pour que celui-ci couvre le coût de production [c’est-à-dire les frais de production plus un profit moyen] et rende la culture économiquement possible[44].

Or si l’augmentation des prix sur les articles de l’industrie manufacturière entraîne généralement une diminution de la demande, dont la courbe varie rapidement selon le mouvement des prix, il n’en est pas de même dans le domaine de la répartition des produits agricoles, où la demande est représentée par une valeur moins variable. (Il ne faut pas oublier que la production des matières premières destinées à l’industrie manufacturière est, dans la plupart des cas, une branche auxiliaire de la production des denrées alimentaires : la production du cuir est liée à la production de la viande, il en est de même des boyaux et, dans une certaine mesure, de la laine, etc.) Voilà pourquoi la concurrence elle-même joue, dans la production agricole, un rôle moins important, malgré le développement relativement faible des monopoles proprement dits. La loi de la production massive, l’accumulation accélérée du capital, etc., sont des choses beaucoup plus inhérentes à l’industrie qu’à l’agriculture.

[3] Ainsi, à la disproportion existante entre les branches de production de l’économie capitaliste en général, disproportion qui découle de la structure économique anarchique du capitalisme et qui se maintient nonobstant l’apparition des cartels, des trusts, etc., vient encore s’ajouter une disproportion spécifique, toujours plus grande, entre l’industrie et l’agriculture. On comprend aisément que cette disproportion se soit particulièrement accusée ces derniers temps. Nous avons vu précédemment avec quelle intensité les forces productives se sont développées dans ces dix années. Les pays d’outre-mer, les Etats-Unis au premier chef, ont développé leur propre industrie et, partant, leur propre demande en produits agricoles. Il en a été de même des autres pays agraires. L’Autriche-Hongrie, par exemple, est devenue en très peu de temps un pays où les importations de blé et autres denrées dépassent les exportations. L’essor général des forces productives du capitalisme mondial dans ces dix dernières années a déplacé et bouleversé à tel point les rapports entre la production industrielle et la production agricole que, là encore, les modifications de quantité ont dépassé les limites au delà desquelles se situent les modifications de qualité ; c’est précisément pourquoi, l’époque de renchérissement, en tant qu’augmentation générale et universelle des prix sur les produits de l’agriculture, est un phénomène de la nouvelle phase du capitalisme. L’augmentation du prix des matières premières affecte directement le taux du profit, puisque, à conditions égales, le taux du profit monte ou baisse en sens inverse du mouvement du prix des matières premières. D’où une tendance croissante des capitalistes des diverses économies nationales à élargir leurs marchés de matières premières. Or le même processus qui a considérablement réduit les débouchés, a réduit également l’ampleur des marchés de matières premières, puisque ceux-ci sont principalement constitués par les pays mêmes qui constituent les débouchés extérieurs, c’est-à-dire par les pays à développement inférieur, parmi lesquels il faut placer les colonies. C’est pourquoi les tendances capitalistes des diverses grandes puissances se heurtent sur ce terrain avec la même violence que sur le terrain de la concurrence dans le processus d’écoulement. On ne doit pas s’en étonner puisque le processus de reproduction du capital social présuppose non seulement l’importance des modifications qui peuvent se produire dans la dernière phase A – M… P … M’ – A’, c’est-à-dire dans la phase d’écoulement, mais encore des modifications qui peuvent s’opérer dans la phase A - M, c’est-à-dire dans la phase d’achat des moyens de production. Le « producteur » capitaliste est non seulement un vendeur, mais un acheteur. Au demeurant, il n’est pas simplement vendeur et acheteur, il est vendeur et acheteur capitaliste dont les actes de vente et d’achat entrent dans la définition de la circulation du capital et font partie de cette définition. On se rend compte par là du caractère fictif de la théorie de Franz Oppenheimer, qui soutient la thèse qu’entre acheteurs la concurrence a un « caractère pacifique » et que les vendeurs sont en rapports hostiles[45].

Son raisonnement est basé sur l’idée que le vendeur n’apporte généralement sur le marché qu’une seule marchandise et que le sort de celui-ci est lié à cette marchandise, c’est-à-dire à son prix ; par contre, déclare Oppenheimer, l’acheteur s’intéresse aux produits les plus divers et à leur prix ; ses intérêts sont liés à chacune de ces marchandises mais relativement beaucoup moins : « le prix d’une marchandise monte, le prix d’une autre peut baisser », etc. Oppenheimer perd de vue l’essentiel, à savoir que l’acheteur moderne est en général un acheteur capitaliste. La consommation individuelle passe à l’arrière-plan par rapport à la consommation industrielle basée sur une reproduction de plus en plus grande. Or, les besoins industriels exigent un achat massif de marchandises relativement restreintes. On achète généralement des masses considérables de produits de même nature, et c’est ce qui explique qu’une seule marchandise remplit fréquemment une fonction très importante (comme le coton, par exemple, dans l’industrie textile)[46].

[4] Ainsi il n’y a pas lieu de croire en se basant sur les considérations d’Oppenheimer que la lutte pour les marchés de matières premières est devenue moins « âpre ». Le développement fantastique de la concurrence dans ce domaine est un fait qui est encore accentué par la tendance à s’annexer les gisements de houille, de minerais de fer, de cuivre, les terrains pétrolifères, etc. Ces branches de production, qui jouent un rôle primordial et qui dépendent de conditions naturelles, sont facilement monopolisables. Or, à partir du moment où elles sont tombées aux mains de certains groupes nationaux, elles cessent d’exister pour les autres. Il en est de même, évidemment, de la production agricole dans la mesure où c’est un groupe national homogène, disposant des moyens nécessaires d’« occupation » qui opère sur la scène. La politique de l’Angleterre en Egypte et la transformation de l’Egypte entière en un immense champ de culture du coton, fournissant les matières premières à l’industrie textile anglaise, en est une vivante illustration.

Ainsi, même dans ce domaine, la nouvelle phase du capitalisme aggrave le conflit. Le déséquilibre entre l’industrie et l’agriculture, la concurrence des pays avancés pour la suprématie dans les pays retardataires et leur conflit déclaré sont d’autant plus violents et inévitables que le développement capitaliste est plus rapide et que l’industrialisation de l’économie et le développement des villes sont plus accentués dans ces pays.

Là encore l’expansion économique apparaît comme la « solution » des antagonismes, qui infailliblement mènent à la phase décisive de la politique impérialiste : la guerre.

Jusqu’à présent nous avons examiné les modifications qui sont survenues dans les conditions de l’échange mondial et qui ont aggravé à l’extrême la concurrence entre les capitalistes nationaux et, partant, leur politique agressive. Or, les modifications caractéristiques pour notre époque ne s’arrêtent pas là. Le développement des forces productives du capitalisme mondial a fait surgir d’autres liaisons économiques internationales. Nous voulons parler de la circulation des capitaux valeurs, dont nous abordons l’analyse

Chapitre VII : Circulation mondiale du capital et modification des formes économiques de liaison internationale[modifier le wikicode]

1. La surproduction du capital et son accroissement. — 2. Les forces motrices de l’exportation de capital. — 3. Les cartels et l’exportation de capital. — 4. Exportation de capital et emprunts. — 6. Exportation de capital et traités commerciaux. — 6. Exportation de capital et exportation de marchandises. — 7. Aggravation de la concurrence pour la possession des sphères d’investissement de capital et expansion capitaliste.

On peut examiner la circulation internationale du capital du point de vue de l’exportation et du point de vue de l’importation de capital d’un pays. Tout d’abord, c’est de l’exportation de capital qu’il s’agira.

[1] L’exportation de capital d’un pays donné présuppose une surproduction de capital dans ce pays, c’est-à-dire une suraccumulation. Cette surproduction serait absolue dans le cas où le capital supplémentaire ne rapporterait rien du point de vue capitaliste, autrement dit si un capital donné ayant subi un certain accroissement rapportait autant de profit qu’avant cet accroissement[47]. Or, pour l’exportation de capital, il n’est pas nécessaire que la reproduction ait atteint cette limite :

« Lorsqu’on envoie du capital à l’étranger, on le fait, non parce qu’il est absolument impossible de l’employer dans le pays, mais parce qu’on peut en obtenir un taux de profit plus élevé »[48]. Ainsi, nous nous heurtons à l’exportation de capital presque tout au long de l’évolution du capitalisme. Or, malgré cela, l’exportation de capital, surtout dans les dernières dizaines d’années, a acquis une importance qu’elle n’avait jamais eue autrefois. On peut même dire que, jusqu’à un certain point, il s’agit là de la création d’un nouveau type de liaison économique entre pays, tant s’est accrue l’importance de cette forme de relation économique internationale.

[2] En l’occurrence, des causes de deux espèces ont agi et continuent d’agir. Premièrement, étant donné la grande production capitaliste, avec le progrès technique et l’accroissement incessant et rapide du rendement du travail; étant donné le développement surprenant des transports et le perfectionnement des moyens de circulation en général et, partant, l’accélération du circuit du capital, l’accumulation de celui-ci s’opère à une allure sans précédent. Les masses de capitaux qui cherchent un placement n’ont jamais été aussi considérables. D’autre part, l’organisation moderne du capital, les cartels et les trusts, ont tendance à mettre des bornes déterminées au placement des capitaux, en fixant des limites précises à la production. Quant aux domaines sur lesquels les cartels n’exercent pas leur domination, le placement de capitaux y présente de moins en moins d’avantages. Car les monopoles ne peuvent vaincre, en obtenant un surprofit de cartel, la tendance à la diminution du taux de profit qu’aux dépens des branches où il n’existe pas de cartels. Une partie de la plus-value quotidienne provenant de ces branches passe aux copropriétaires des monopoles capitalistes, tandis que la part des outsiders diminue continuellement. Ainsi, tout le processus rejette le capital hors des frontières du pays.

Deuxièmement : l’existence de droits de douane élevés est l’obstacle principal à la pénétration des marchandises. La production et la reproduction massives rendent nécessaire l’expansion du commerce extérieur, mais celui-ci se heurte aux barrières que constituent les hauts tarifs douaniers. Certes, le commerce extérieur se développe, les ventes à l’étranger sont en croissance, mais il en est ainsi en dépit des difficultés et malgré elles. Il ne s’ensuit pas, cependant, que les charges douanières ne se fassent pas sentir. Elles se répercutent avant tout sur le taux du profit. Or, si l’exportation des marchandises est considérablement entravée par les barrières douanières, il n’en est pas de même de l’exportation des capitaux. Il est clair que plus les charges douanières s’aggravent, plus l’évasion des capitaux s’accentue.

[3] La défense de l’industrie (!) ne stimule pas l’étranger à fonder une usine à l’intérieur des frontières douanières. Ce n’est que lorsque le fabricant ou l’importateur étranger perd tout ou partie de ses ventes, qu’il a recourt à la fondation d’usines à l’étranger, ce qui comporte toujours des frais et des risques élevés. On trouve des tarifs prohibitifs à conséquences de ce genre dans le Mac-Kinley et le Dingley Bill aux Etats-Unis (1890 et 1897), puis dans la législation russe de 1877, 1885 et 1891, ainsi que dans les lois françaises de 1881 et 1892[49].

Les droits de douane agissent d’une autre façon sur l’exportation du capital : ils deviennent eux-mêmes un appât pour le capitaliste. Quand un capital est investi et fonctionne dans un pays « étranger » en tant que capital, il bénéficie de la « défense » douanière dont jouissent les industriels du pays[50]. D’où un redoublement de la tendance à l’exportation de capital.

Cependant, il ne faut pas considérer cette exportation en elle-même, sans tenir compte des autres phénomènes économiques et politiques, extrêmement importants, qui l’accompagnent. Nous allons examiner quelques-uns de ces phénomènes, pris parmi les principaux.

[4] Lors d’un emprunt gouvernemental ou communal, il ne faut pas croire que le pays créditeur reçoit uniquement les intérêts de l’emprunt. Généralement, l’accord prévoit une multitude d’obligations et, en premier lieu, l’obligation de passer des commandes (armes, munitions, navires de guerre, matériel roulant, etc.) ou l’octroi de concessions pour la construction de voies ferrées, de tramways, l’installation de lignes télégraphiques et téléphoniques, la construction de ports, l’exploitation de mines, de forêts, etc. Ces arrangements sont stipulés directement comme conditions dans les clauses de l’emprunt, ou bien sont la suite logique de la « marche des événements ». A titre d’exemple, nous citerons les stipulations d’une concession accordée en 1913, à la Banque persane d’escompte et de prêt (qui, en réalité, est une banque russe) par le Gouvernement persan pour la construction du chemin de fer Dizfou-Tauris :

L’écartement des voies est celui qui existe en Russie. La durée de la concession est de 75 ans. Le gouvernement persan aura le droit de racheter le réseau au bout de 35 ans en remboursant tous les capitaux engagés avec 5 % d’intérêts si ces derniers ont été déjà retirés de la concession. La Banque acquiert, en vertu de la concession, le droit d’exploiter les gisements carbonifères et pétrolifères dans un rayon de 60 verstes des deux côtés de la voie ferrée et de construire des embranchements aboutissant à ces exploitations. La Banque acquiert également un droit préférentiel pour la construction du chemin de fer Tauris-Kasvin, un droit exclusif pour la construction de la voie ferrée entre ces deux localités dans un délai de 8 ans et l’exploitation des gisements houillers et pétrolifères dans un rayon de 60 verstes des deux côtés de la voie. Outre le versement, au profit du concessionnaire, de 7 % d’intérêts à prélever sur les bénéfices du réseau pour tous les capitaux investis dans la construction, ce qui restera du revenu net sera partagé par moitié entre le concessionnaire et le Gouvernement persan. Pour les exploitations de gisements houillers et pétrolifères, le concessionnaire verse au Gouvernement persan 5 % du revenu net. Toutes les entreprises du concessionnaire sont définitivement exemptées de toutes espèces de redevances et d’impôts persans[51].

Aux « moyens de pression » vient encore s’ajouter la pression exercée par le Gouvernement sous forme d’interdiction de coter les titres d’emprunts étrangers et les titres de valeurs. Ainsi, par un décret spécial en date du 6 février 1880, le Ministre des Finances français a été investi de pleins pouvoirs pour interdire les transactions sur les titres étrangers, et empêcher que les emprunts étrangers soient cotés dans les Bourses françaises. (En 1909, le Gouvernement français a refusé un emprunt à l’Argentine qui, en 1908, avait passé ses commandes à Krupp, au lieu de les donner à Schneider, du Creusot ; en 1909, un emprunt bulgare échoua parce que les commandes n’étaient pas suffisamment garanties; il passa ensuite à un consortium de banques austro-allemand ; depuis 40 années, les fonds d’Etat allemands n’ont pas accès à la cote : en septembre 1910, un emprunt hongrois fut repoussé; un emprunt serbe a été conclu moyennant des commandes à Schneider; après la Révolution de 1905, les Russes donnèrent des commandes de navires de guerre à la France moyennant des emprunts, etc.)[52].

[5] Outre les commandes et les concessions, on peut encore mettre comme conditions à la conclusion d’un emprunt certains avantages à inclure dans les traités de commerce (voir, par exemple, le traité de commerce franco-russe du 16/25 septembre 1905, prorogé jusqu’en 1917; le traité de commerce franco-suédois du 2 décembre 1908 ; l’accord commercial de 1908 avec le Danemark; le tarif douanier franco-japonais du 13 août 1 91 1; en même temps, refus de laisser coter à la Bourse de Paris les actions de l’United States Steel Corporation, à cause des droits de douane frappant les vins, les soieries et les automobiles, en vertu du Payne-Tarif américain de 1909)[53].

[6] Enfin, lorsque de simples particuliers et des établissements industriels et bancaires exportent du capital, l’exportation des marchandises de la métropole en est accrue du fait que les entreprises étrangères représentent elles- mêmes une certaine demande de marchandises et que, d’autre part, elles développent par leur activité un marché qui, en grande partie, dépend d’elles. Il faut tenir compte du fait que les entreprises « étrangères » sont, comme nous l’avons vu dans la première partie, des entreprises financées par de grandes banques ou par des consortiums bancaires et disposant d’une puissance économique considérable[54]. En voici un exemple. Dans le Cameroun allemand, un tiers de la terre est propriété privée et appartient en grande partie à deux compagnies. La Compagnie du Cameroun du Sud possède 7.700.000 hectares, la Compagnie du Cameroun du Sud-Ouest, 8.800.000 hectares, c’est-à-dire une superficie 6 fois supérieure à celle du royaume de Saxe (1.500.000 hectares) et plus vaste que toute la Bavière (7.600.000 hectares)[55]. A défaut de territoires, la force financière est là pour y suppléer. Lorsque la Deutsche Bank construit le chemin de fer de Bagdad, elle ne fait pas qu’employer en Turquie du matériel allemand pour les besoins du chemin de fer, elle crée en outre tout un réseau de marchés où il est facile aux marchandises allemandes de pénétrer. Ainsi l’exportation de capital crée, par surcroît, des conditions favorables pour l’industrie du pays d’origine de ce capital.

[7] L’exportation de capital aggrave singulièrement les rapports entre les grandes puissances.

Déjà la lutte pour les possibilités d’investissement de capital, autrement dit, la lutte pour les concessions et ainsi de suite, est continuellement appuyée par la pression de la force militaire. Tout gouvernement ou « pays » où opèrent les financiers des grandes puissances cède généralement à celui des concurrents qui lui paraît militairement le plus fort. Si, aujourd’hui, certains pacifistes (les pacifistes anglais notamment) croient pouvoir agir sur les classes dominantes par des arguments logiques et les persuader de désarmer en faisant valoir que les marchandises trouveront à s’écouler indépendamment de la quantité de dreadnoughts, ils seront cruellement déçus. Car la politique « pacifique » qui se pratiquait avant la guerre, et qui se pratiquera après, a été appuyée à tout moment par la menace de recourir à la force militaire. Comme le dit très justement l’écrivain anglais Brailsford, « la guerre permanente de l’acier et de l’or ne cesse pas un instant, même en temps de paix »[56]. Sartorius, le grand théoricien de l’impérialisme allemand, brosse en traits plus vifs encore le tableau de cette concurrence acharnée :

L’industrialisation du monde est un fait dont toute la politique économique est obligée de tenir compte... Il n’est au pouvoir de personne d’arrêter la marche de l’évolution, et si un gouvernement interdisait à ses ressortissants de fonder des établissements à l’étranger, les hommes d’affaires d’un autre Etat seraient seuls à en tirer profit. C’est pourquoi le mieux qu’on puisse faire à l’heure actuelle est de se mêler au jeu. Le monde économique ne reste pas figé sur place, un changement en appelle un autre. Un peuple fort a toujours la possibilité d’intervenir. Le carpe diem a ici toute sa valeur[57].

Or, si la pression de la force militaire assure des concessions et des privilèges de toutes sortes, le fonctionnement ultérieur du capital exige encore une « protection » particulière. Autrefois, le centre de gravité se situait dans l’exportation marchande, et les exportateurs ne risquaient que leurs marchandises, c’est-à-dire leur capital de roulement. Aujourd’hui, il en est tout autrement. D’immenses sommes fonctionnent en « pays étranger », la plupart du temps sous forme de capital de fonds investi dans de vastes entreprises : chemins de fer couvrant des milliers de vestes, coûteuses entreprises électriques, grandes plantations, etc. Les capitalistes du pays exportateur sont très fortement intéressés à la « défense » de leurs richesses, et ils sont prêts à tout pour se réserver la possibilité de continuer leur accumulation[58].

Si, d’autre part, le pays exploité est militairement faible, la « pénétration pacifique » du capital se transforme bientôt en occupation également « pacifique » ou en partage, à moins qu’elle n’entraîne encore un conflit armé entre les pays en compétition pour la possession des sphères d’investissement de capital. Sous ce rapport, le sort de la Turquie, en raison de la concurrence franco-allemande, est typique. A litre d’illustration, nous nous bornerons à citer deux extraits des écrits d’impérialistes français et allemands qui ont paru bien avant la guerre : « L’Empire turc est submergé par des hordes germaniques de commerçants et de commis-voyageurs ». « Ainsi, peu à peu, le réseau des banques allemandes gagne tout l’Empire Ottoman, soutenant l’industrie, accaparant les moyens de transport, concurrençant les établissements financiers étrangers... En un mot, grâce à un puissant appui politique, ces banques s’efforcent d’asseoir définitivement l’influence allemande dans tout le Levant »[59].

Telle est l’indignation que manifeste un bourgeois français à l’idée des « hordes germaniques ».

Or, la même indignation se retrouve chez le bourgeois allemand :

Les Français cherchent méthodiquement à faire de la Turquie leur débiteur-esclave par des prêts qui atteignent à ce jour 2 milliards 200 millions de francs. De cette somme, un demi- milliard est allé uniquement à la construction des chemins de fer, de sorte qu’à l’heure actuelle la France a construit plus de voies ferrées que n’importe quelle autre nation. Les ports principaux de la Turquie, comme Constantinople, Salonique, Smyrne et Beyrouth, sont entre les mains des Français. Il en est de même des phares des côtes turques. Enfin, la principale banque de Turquie, la Banque Ottomane, fonctionne à Constantinople sous l’influence complète de la France : qui donc pourrait se soustraire, en politique, à cette puissante pression financière ! La diplomatie française, surtout depuis quelque temps, exploite de la façon la plus active cette position privilégiée[60].

L’exportation de capital, avec ses proportions actuelles et son importance, est provoquée, comme on voit, par les particularités de l’évolution économique des dernières années. Si on l’examine du point de vue de l’expansion des formes d’organisation du capitalisme moderne, elle n’est pas autre chose que la conquête et la monopolisation de nouvelles sphères d’investissement de capital par les monopoles d’une grande puissance, ou bien — en prenant le processus dans son ensemble — par une industrie nationale organisée, ou par un capital financier national. L’exportation de capital constitue la méthode la plus commode de la politique économique des groupes financiers qui, le plus facilement du monde, s’assujettissent de nouvelles contrées. Voilà pourquoi l’aggravation de la concurrence entre les divers Etats apparaît là avec un relief particulier. Ainsi l’internationalisation de la vie économique, ici aussi, conduit fatalement à trancher par le glaive les questions litigieuses.

Chapitre VIII : L’économie mondiale et l’État national[modifier le wikicode]

1. La reproduction du capital mondial et les racines de l’expansion capitaliste. — 2. La surproduction des produits industriels, la sous-production des produits agricoles et la surproduction de capital, trois aspects d’un même phénomène. — 3. Le conflit entre l’économie mondiale et les cadres de l’Etat national. — 4. L’impérialisme, politique du capital financier. — 5. L’idéologie de l’impérialisme.

Les frictions et conflits qui surgissent fatalement entre groupes nationaux de la bourgeoisie dans la société moderne, en se développant, conduisent à la guerre, unique moyen, selon les milieux dirigeants, de trancher la question.

[1] Comme nous l’avons vu, ces frictions et conflits sont dus aux modifications survenues dans les conditions de reproduction du capital mondial. La société capitaliste, édifiée sur un amas d’éléments antagonistes, ne peut se maintenir dans un équilibre relatif qu’au prix de crises douloureuses. L’adaptation des différentes pièces de l’organisme social ne peut s’effectuer que moyennant une formidable dépense improductive d’énergie, des faux frais considérables, qui découlent de la nature de la société capitaliste elle-même, expression déterminée d’une phase de l’évolution historique.

Nous avons mis à nu les trois mobiles essentiels de la politique de conquête des Etats capitalistes contemporains : aggravation de la concurrence pour la possession des débouchés, des marchés de matières premières et des sphères d’investissement de capital, voilà à quoi ont abouti le nouveau développement du capitalisme et sa transformation en capitalisme financier.

Or, ces trois racines de la politique du capitalisme financier ne sont au fond que trois aspects d’un même phénomène : le conflit entre le développement des forces productives et la limitation nationale de l’organisation productive.

[2] En effet, une surproduction de produits industriels est une sous-production de produits agricoles. Cette sous-production nous importe, en l’occurrence, dans la mesure où la demande de l’industrie est démesurément élevée, c’est-à-dire dans la mesure où des masses considérable de produits fabriqués par l’industrie ne peuvent être échangés contre des produits de l’agriculture; en d’autres termes, dans la mesure, où entre ces deux branches, la proportion de production est rompue (et se rompt de plus en plus). C’est pourquoi l’industrie grandissante se cherche un « complément économique » agraire, ce qui dans le cadre du capitalisme — et surtout avec l’existence de ces éléments monopolisateurs, c’est-à-dire le capital financier — amène fatalement la subordination des pays agraires par la force militaire.

Tout à l’heure, il était question de l’échange. Or, l’exportation de capital elle-même ne constitue pas un phénomène isolé. Elle repose, comme nous l’avons déjà vu, sur une surproduction relative au capital. Toutefois, cette surproduction n’est, encore une fois, rien de plus qu’un autre aspect de la surproduction marchande.

La surproduction de capital — écrit Marx — n’est jamais qu’une surproduction de moyens de travail et d’existence pouvant être appliqués à l’exploitation des travailleurs à un degré déterminé... Le capital se compose de marchandises ; donc la surproduction de capital présuppose une surproduction de marchandises[61].

Et inversement : lorsqu’il y a diminution de la surproduction de capitaux, il y a diminution de la surproduction de marchandises. Ainsi, l’exportation de capital, en diminuant la surproduction de capitaux, contribue à la diminution de la surproduction marchande (entre parenthèses, constatons que si, par exemple, des poutres en fer sont exportées pour être vendues, il y a là une simple exportation marchande; si la maison qui a produit les poutres fonde un établissement à l’étranger et exporte ses marchandises pour l’outiller, il y a, à ce moment, exportation de capital; dans ces conditions, le critérium est de savoir s’il y a ou non transaction de vente et d’achat.

Or, outre une simple « raréfaction », dans la mesure où celle-ci résulte de l’exportation de capital sous forme marchande, il y a encore, par la suite, un rapport entre l’exportation de capital et la diminution de la surproduction marchande. Otto Bauer a très bien défini ce rapport.

Dans ces conditions, dit-il, l’exploitation des pays économiquement retardataires par les capitalistes d’un pays européen quelconque a deux sortes de conséquences : directement, la création pour le capital de nouvelles sphères d’investissement dans un pays colonial et, en même temps, un écoulement accru pour l’industrie du pays dominateur ; indirectement, de nouvelles sphères d’investissement de capital à l’intérieur même du pays dominateur et accroissement de l’écoulement pour les produits de la totalité des branches de son industrie[62].

[3] Ainsi, si l’on examine la question sous toutes ses faces et, en outre, sous son aspect objectif, c’est-à-dire, du point de vue des conditions d’adaptation de la société moderne, on constate un manque d’harmonie grandissant entre la base de l’économie sociale du monde et la structure de classe spécifique de la société où la classe dirigeante elle-même (la bourgeoisie) est scindée en groupes nationaux, aux intérêts économiques discordants, groupes qui, tout en étant opposés au prolétariat mondial, agissent en même temps en concurrents dans le processus du partage de la plus-value produite dans la totalité du monde. La production revêt un caractère social. La division internationale du travail fait des modes nationaux de la production privée des parties intégrantes du vaste processus universel du travail qui embrasse la quasi-totalité de l’humanité. L’assimilation prend le caractère d’une assimilation nationale où, comme agent, agissent les puissantes unions nationales de la bourgeoisie financière capitaliste. Dans le cadre étroit des frontières nationales s’opère le développement des forces productives qui ont déjà débordé ce cadre. Dans ces conditions, le conflit éclate fatalement. Il est tranché sur la base capitaliste par l’élargissement violent des frontières nationales, dont la conséquence est de provoquer de nouveaux conflits de plus en plus considérables.

Les divers groupes nationalement organisés de la bourgeoisie, avec leurs intérêts contradictoires, constituent l’agent social de propagation de cet antagonisme. Le développement du capitalisme mondial, d’une part, aboutit à l’internationalisation de la vie économique et au nivellement économique, et, d’autre part, dans une mesure infiniment plus grande, aggrave à l’extrême la tendance à la nationalisation des intérêts capitalistes, à la formation de groupes nationaux étroitement liés, armés jusqu’aux dents et prêts à tout moment à se jeter les uns sur les autres. [4] On ne saurait mieux définir que ne l’a fait R. Hilferding les buts essentiels de la politique moderne.

La politique du capital financier, écrit-il, poursuit un triple but : premièrement, la création d’un territoire économique aussi vaste que possible ; deuxièmement, la défense de ce territoire contre la concurrence étrangère par des barrières douanières et, par suite, troisièmement, sa transformation en champ d’exploitation pour les monopoles du pays[63].

L’expansion du territoire économique livre aux cartels nationaux des régions agraires et, par conséquent, des marchés de matières premières, accroît les débouchés et la sphère d’investissement de capital; la politique douanière permet d’écraser la concurrence étrangère, d’obtenir de la plusvalue et de mettre en mouvement le bélier du « dumping ». Tout l’ensemble du système contribue à augmenter le taux de profit des monopoles. Or, cette politique du capital financier, c’est l’impérialisme.

Cette politique implique des méthodes violentes, puisque l’élargissement du territoire national, c’est la guerre. Mais il ne s’ensuit pas, évidemment, que toute guerre et toute expansion du territoire national présupposent une politique impérialiste; l’élément déterminant est le fait qu’une guerre est l’expression de la politique du capital financier, ce ternie pris dans le sens dont nous avons parlé précédemment. Là comme ailleurs, nous rencontrons certaines formes intermédiaires dont l’existence ne compromet pas la définition essentielle. C’est pourquoi des tentatives comme celles de l’économiste et sociologue italien bien connu, Achille Loria, de bâtir deux notions de l’impérialisme qui dissimuleraient « des relations tout à fait hétérogènes », sont radicalement fausses[64]. Loria fait une distinction entre l’impérialisme « économique » et l’impérialisme « commercial ». Le premier a pour objet les pays tropicaux, le second, les pays dont les conditions sont propices à la colonisation européenne; la force armée est la méthode du premier; les accords pacifiques, la méthode du second; le premier ne connaît ni nuances, ni gradations; le second a le don de les connaître en tenant, à côté d’une assimilation maximum ou d’une union économique unique, une formule élastique comme les tarifs préférentiels entre colonies et métropole, etc.

Telle est la théorie de Loria. Il est évident que tout cela est tiré par les cheveux. Au fond, l’impérialisme commercial comme l’impérialisme économique sont, ainsi que nous l’avons vu précédemment, l’expression de tendances identiques. La barrière des tarifs douaniers et leur augmentation, si elles n’ont pas abouti dans la phase actuelle à un conflit armé, y aboutiront dans la phase prochaine. Ainsi, il n’est pas possible d’opposer les « accords pacifiques » à la « force armée » (les accords pacifiques de. l’Angleterre avec les colonies sont une aggravation des rapports entre l’Angleterre et les autres pays); de même, il n’est pas possible de parler du caractère exclusivement « tropical » de l’impérialisme « économique » : le sort de la Belgique, de la Galicie, de l’Amérique du Sud, de la Chine, de la Turquie et de la Perse en est la meilleure preuve.

[5] Récapitulons. Le développement des forces productives du capitalisme mondial a fait, au cours des dernières décades, lin bond gigantesque. Partout, dans le processus de lutte pour la concurrence, la grande production est sortie victorieuse, en groupant les « magnats du capital » en une organisation de fer, qui a étendu son emprise sur la totalité de la vie économique. Une oligarchie financière s’est installée au pouvoir et dirige la production liée par les banques en un seul faisceau. Ce processus d’organisation de la production est parti d’en bas pour se consolider dans les cadres des Etats modernes devenus les interprètes fidèles des intérêts du capital financier. Chacune des « économies nationales » développées, dans le sens capitaliste du mot, s’est transformée en une espèce de trust national d’Etat. D’autre part, le processus d’organisation des parties économiquement avancées’ de l’économie mondiale est accompagné d’une aggravation extrême de leur concurrence mutuelle. La surproduction de marchandises, inhérente au développement des grandes entreprises, la politique d’exportation des cartels et rétrécissement des débouchés par suite de la politique coloniale et douanière des puissances capitalistes ; la disproportion croissante entre l’industrie au développement formidable, et l’agriculture retardataire ; enfin, l’immense extension de l’exportation du capital et l’assujettissement économique de pays entiers à des consortiums bancaires nationaux portent au paroxysme l’antagonisme entre les intérêts des groupes nationaux du Capital. Ces groupes puisent leur dernier argument dans la force et dans la puissance de l’organisation d’Etat et, en premier lieu, de leur flotte et de leurs armées. Un puissant Etat militaire est le dernier atout dans la lutte des puissances. Ainsi la capacité combattive sur le marché mondial dépend de la force et de la cohésion de la nation, de ses ressources financières et militaires. Une unité économique et nationale se suffisant à elle-même, élargissant sans fin son immense force jusqu’à gouverner le monde dans un empire universel, tel est l’idéal rêvé par le capital financier.

D’un œil assuré, il regarde le mélange babylonien des peuples et, au-dessus des autres, il voit sa propre nation. Elle est réelle, elle vit dans son puissant Etat, multipliant sans cesse sa force et sa grandeur. A son élévation toutes ses forces sont vouées. Ainsi, on obtient la subordination des intérêts de l’individu aux intérêts généraux supérieurs qui constituent la condition de toute idéologie sociale vitale ; l’Etat, ennemi du peuple, et la nation ne font qu’un et l’idée nationale, force motrice, est subordonnée à la politique. Les contradictions de classe ont disparu, supprimées, englouties par le fait que tout est mis au service des intérêts du tout. La dangereuse lutte de classe, grosse pour les possédants de conséquences inconnues, a fait place aux actions générales de la nation, cimentée par un but identique : la grandeur nationale[65].

1 R. HILFERDING, l. c., p. 515, trad. russe. [traduction française 1970, p. 454 : « Il regarde avec des yeux durs et clairs la masse des peuples et voit dressée aux dessus d’eux sa propre nation. Elle est réelle et vit dans l’Etat puissant, de plus en plus puissant ; c’est à sa grandeur qu’il voue tous ses efforts. La soumission de l’intérêt individuel à un intérêt général plus élevé, qui est le fondement de toute idéologie sociale viable, est ainsi acquise, l’Etat étranger au peuple et la nation elle-même solidement unis et l’idée nationale mise en tant que force motrice au service de la politique. Les antagonismes de classe ont disparu et se sont fondus dans le service de la communauté. A la lutte de classes, dangereuse et sans issue pour les possédants, s’est substitué l’action commune de la nation unie dans le même idéal de grandeur nationale. »]

Les intérêts du capital financier se couvrent ainsi d’une formule idéologique élevée, qu’on s’efforce par tous les moyens d’inculquer à la masse ouvrière. Comme le remarque fort justement, de son point de vue, un impérialiste allemand : « Il faut établir son autorité non seulement sur les pieds des soldats, mais encore sur leur esprit et sur leur cœur[66]».

  1. Nous ne pouvons nous livrer dans cet ouvrage à une explication détaillée des différences qui existent entre ces formes ; étant donné la tâche que nous nous sommes assignée il suffit de dire que nous ne voyons pas de différence de principe entre le cartel et le trust, celui-ci n'étant pour nous qu'une forme plus centralisée d'un seul et même objet. Toutes tentatives (purement formelles) (v., par ex., Eduard Heilmann : Ueber Individualismus und Solidarismus in der Kapitalistischen Koncentration, Archives Jaffé, t. 39, 36 fascicule) d'établir une différence de principe entre le trust « autocratique » et le syndicat (ou cartel) « démocratique », ne changent en rien le fond des choses qui découle du rôle de ces organisations dans l'eeonomie sociale. Il ne s'ensuit pas, cependant, que rien ne les différencie et de ce point de vue il est bon d'établir cette différence. Or, de toute façon, elle ne consiste pas à opposer un principe « démocratique » à un principe « autocratique ». Voir à ce sujet l'ouvrage de Hilferding : le Capital Financier. En deux mots, cette différence se traduit par le fait que « à l'inverse de la trustisation, la cartellisation n'amène pas la disparition des antagonismes entre les entreprises isolées adhérant au cartel » (HILFERDING : Organisationsmacht und Staatsgewalt, Neue Zeit, 32e année, t. II, p. 140 et suiv.).
  2. Prof. NAZAREVSKY : Esquisse de l´histoire et de la théorie de l´économie collective capitaliste. Syndicats industriels et entreprises combinées, t. I, 1ère partie « Esquisse de l´histoire de l´unification de l´industrie américaine », Moscou, 1912, p. 318-319.
  3. Ibid, Consulter également Georges Renard et A. A. Dulac : L'évolution industrielle et agricole depuis cent cinquante ans, Paris, 1912, p. 204.
  4. I. GOLDSTEIN : Les Syndicats industriels, les Trusts et la Politique économique contemporaine, Moscou, 1912, p. 51.
  5. Eugen von PHILIPPOWICH : Monopole und Monopolpolitik (Grünberg's Archiv für die Geschichte des Sozialismus und der Arbeiterbewegung, 6. année, 1915, 1er fascicule, p. 158.
  6. LIEFMANN : Kartelle und Trusts.
  7. Dr. TSCHIERSCHKY : Kartell und Trust, Leipzig, 1911, p. 52.
  8. A. RAFFALOVITCH : Les syndicats et les cartels en Allemagne en 1910, (Revue internationale du commerce, de l´industrie et de la banque, numéro du 30 juillet 1911.
  9. Voir Martin SAINT-LEON : Cartels et Trusts, 3e édition, Paris 1909, p. 56.
  10. Martin SAINT-LEON, l. c., p. 89 et suiv.
  11. G. LECARPENTIER : Commerce maritime et marine marchande, Paris 1910, p. 165.
  12. Hermann LEVY : Monopoly and Competition, Londres 1911, p. 222-267.
  13. Les données sont tirées de l´ouvrage de L. KAFENHAUS : Les syndicats dans l´industrie métallurgique ; GOLDSTEIN, l .c. ; ZAGORSKY, l. c.
  14. NAZAREVSKY, l. c., p. 354 et suiv.
  15. Rudolph HILFERDING : Le capital financier [traduction française de 1970, pp. 317-318 : Une partie de plus en plus grande du capital de l’industrie n’appartient pas aux industriels qui l’emploient. Ils n’en obtiennent la disposition que par la banque qui représente à leur égard le propriétaire. En outre, la banque doit fixer une part de plus en plus grande de ses capitaux dans l’industrie. Elle devient ainsi dans une mesure croissante capitaliste industriel. J’appelle le capital bancaire, - par conséquent capital sous forme d’argent, qui est de cette manière transformé en réalité en capital industriel – le capital financier.].
  16. RIESSER : Die deutschen Grossbanken, Annexe VIII, p. 745
  17. NAZAREVSKY, l. c., p. 362.
  18. PARVUS (« première manière ») ; Der Staat, die Industrie und der Socialismus, p. 77 ; RIESSER, l. c., p. 365.
  19. RIESSER, l. c., p. 501.
  20. NAZAREVSKY, l. c., p. 362.
  21. RIESSER, l. c., p. 501.
  22. V. Willy BAUMGART : Unsere Reichsbank. Ihre Geschichte und ihre Verfassung, Berlin, 1915. L´importance de l´Etat, en tant qu´organisateur de l´industrie, s´est singulièrement accrue pendant la guerre. Nous aurons à en parler plus loin, lorsque nous examinerons l´avenir de l´économie nationale et mondiale.
  23. Friedrich LIST : Gesammelte Schriften, hg. von Ludwig Haüser. 3 Teilen, Stuttgart und Tübingen, 1851. « Das Nationale System der politischen Oekonomie », p. 302-303.
  24. Karl MARX : Le Capital, livre III, p. 118, note d´ENGELS [Editions sociales, t. 6, p. 137 : Le fait que les forces productives modernes qui grandissent rapidement et prennent des proportions gigantesques dépassent chaque jour davantage les lois de l’échange capitaliste de marchandises, dans le cadre desquelles elles devraient se mouvoir, s’impose de plus en plus même à la conscience des capitalistes. On le constate surtout à duex symptômes. D’abord dans la nouvelle manie généralisée des barrières douanières qui se distingue de l’ancien protectionnisme en particulier parce qu’elle protège surtout les articles d’exportation. Deuxièmement dans les accords (trusts) des industriels de grandes sphères de production tout entières,…] . Tout cela n´empêche pas H. GRUNZEL de ne pas saisir le sens des phénomènes signalés plus haut. Voir son Handel politik, 4e édit. « Grundriss der Wirtschaftspolitik », p. 76. Il est juste de reconnaître, cependant, que la différence qui existe entre les droits de douane éducatifs et cartellistes est un lieu commun dans la littérature économique politique, depuis Brentano jusqu´à Hilferding. Voir par exemple Joseph HELLAUER : System der Welthandelslehre, t. I, 1910, p. 37 ; TSCHIERSCHKY, l. c., p. 86 et suiv.
  25. Il ne faut pas oublier que lorsque nous parlons de politique etc. des pays, nous sous-entendons la politique des gouvernements et des forces sociales bien définies sur lesquelles s'appuient ces gouvernements. Aujourd'hui il est malheureusement nécessaire de le rappeler encore, étant donné que le « point de vue national étatique qui, scientifiquement est absolument inconsistant » est celui d'hommes dans le genre de Plekhanov et consorts.
  26. ISSAIEV : L'économie mondiale, p. 115-116. Soit dit en passant les « explications » du professeur Issaïev ne laissent pas d'être curieuses. L'élévation des tarifs de 1862 à 1864 s'explique, par exemple, par « les inclinations protectionnistes des hommes qui administraient les finances américaines ». Textuel ! (p. 114-115). Voir également GRUNZEL, l. c.
  27. W. J. ASCHLI : « La conférence impériale britannique de 1907 » (Revue économique internationale, 1907, t. IV, p. 477).
  28. Additions de KOURTCHINSKY à la brochure déjà citée du professeur EBERG, p. 411. Même M. KOURTCHINSKY dit de la majoration des droits de douane sur les articles manufacturés allemands que « ce ne fut guère avantageux pour l'économie nationale russe » (p. 412). Ainsi il ne confond pas « économies » avec « employeurs ». Avis à ceux qui « sur leurs vieux jours refont leur éducation ».
  29. Lorsque nous parlons de capital national d'économie nationale, etc., nous entendons partout non pas l'élément national au sens propre du mot, mais l´élément territorial national de la vie économique.
  30. Karl MARX : Le Capital, t. IV, p. 267, trad. Julian Borchardt et Hippolyte Vanderrydt. [Editions sociales, t. 6, p. 257- 258 : Les conditions de l’exploitation immédiate et celles de sa réalisation ne sont pas identiques. Elles ne diffèrent pas seulement par le temps et le lieu, théoriquement non plus elles ne sont pas liées. Les unes n’ont pour limite que la force productive de la société, les autres les proportions respectives des diverses branches de la production et la capacité de consommation de la société. Or celle-ci n’est déterminée ni par la force productive absolue, ni par la capacité absolue de consommation, mais par la capacité de consommation sur la base de rapports de distribution antagoniques, qui réduit la consommation de la grande masse de la société à un minimum susceptible de varier seulement à l’intérieur de limites plus ou moins étroites. Elle est en outre limitée par la tendance à l’accumulation, la tendance à agrandir le capital et à produire de la plus-value sur une échelle élargie. C’est là, pour la production capitaliste, une loi, imposée par les constants bouleversements des méthodes de production elles-mêmes, par la dépréciation du capital existant que ces bouleversements entraînent toujours, la lutte générale de la concurrence et la nécessité de perfectionner la production et d’en étendre l’échelle, simplement pour se maintenir et sous peine de disparaître. Il faut donc que le marché s’agrandisse sans cesse,…]
  31. Karl MARX : Le Capital, t. IV, p. 364, trad. Julian Borchardt et Hippolyte Vanderrydt. [Editions sociales, t. 6, p. 339 : Aussi longtemps que le capital marchand met en œuvre l’échange de produits de communautés non développées, le profit commercial ne se présente pas seulement comme du vol et de l’escroquerie, mais c’est en grande partie là qu’il trouve son origine. Si l’on écarte le fait que le capital marchand exploite la différence entre les prix de production des différents pays (agissant, sous ce rapport, sur l’égalisation et la fixation des valeurs marchandise), ces modes de production impliquent que le capital marchand s’approprie une partie prépondérant du surproduit. Il arrive, d’une part, comme intermédiaire entre les communautés dont la production est essentiellement orientée vers la valeur d’usage et pour l’organisation économique desquelles la vente de la fraction des produits entrant en circulation, donc, en général, la vente des produits à leur valeur, est d’importance secondaire. D’autre part, parce que, dans ces systèmes de production anciens, le possesseur principal du surproduit auquel a affaire le commerçant, propriétaire d’esclaves, suzerain, Etat (par exemple, le despote oriental) symbolise la richesse tournée vers la jouissance.]
  32. Souligné par nous.
  33. Karl MARX : Le Capital, t. IV, p. 258-255, trad. Julian Borchardt et Hippolyte Vanderrydt. [Editions sociales, t. 6 p. 250. Des capitaux investis dans le commerce extérieur sont en mesure de donner un taux de profit plus élevé parce que d’abord on entre ici en concurrence avec des pays dont les facilité de production marchande sont moindres, de sorte que le pays le plus avancé vendra ses marchandises au-dessus de leur valeur, bien qu’il les cède à meilleur compte que les pays concurrents. Dans la mesure où le travail du pays le plus évolué est mis en valeur en tant que travail d’un poids spécifique plus élevé, le taux de profit augmente, le travail qui n’est pas payé comme un travail de qualité supérieure étant vendu comme tel. On peut avoir la même situation vis-à-vis du pays où l’on expédie et d’où l’on reçoit des marchandises ; celui-ci fournissant plus de travail matérialisé in natura (en nature) qu’il ne reçoit et malgré tout obtenant la marchandise à meilleur marché qu’il ne pourrait la produire lui-même. Tout comme le fabricant qui, utilisant une invention nouvelle avant sa généralisation, vend à meilleur marché que ses concurrents et néanmoins au-dessus de la valeur individuelle de sa marchandise, c’est-à-dire met en valeur, comme surtravail, la productivité spécifiquement supérieure du travail qu’il emploie. Il réalise de la sorte un surprofit. Quant aux capitaux investis dans les colonies, etc., ils sont d’autre part en mesure de rendre des taux de profit plus élevés parce qu’en raison du moindre développement le taux de profit y est d’une façon générale plus élevé et plus élevée aussi, grâce à l’emploi d’esclaves, de coolies, etc., l’exploitation du travail. Or on ne voit pas pourquoi ces taux de profit plus élevés que rendent des capitaux investis dans certaines branches, et qu’ils transfèrent dans leur pays d’origine, n’entreraient pas alors, si par ailleurs des monopoles n’y font pas obstacle, dans le système de péréquation du taux de profit général et ne l’augmentaient pas pro tanto (proportionnellement).]
  34. S. SCHILDER, l. c., p. 147 et suiv.
  35. B. von KÖWIG : Le développement commercial, économique et financier des colonies allemandes (Revue écon. int., 1907, 4e vol., p. 130 et suiv.).
  36. Voir M. N. POKROVSKY : La politique extérieure de la Russie à la fin du XIXe siècle, 35e fascicule.
  37. Nous avons emprunté ce tableau à l’ouvrage, récemment paru, du camarade V. Iline. [Lénine, O., t. 22, p. 278.]
  38. Tous les conflits internationaux qui se sont produits depuis 1871 sont imputables à la politique coloniale. Voir Joaquim Fernandez PRIDA : Historia de los conflictos internationales del siglo XIX, Barcelone, 1901, p. 118 et suiv. Si la politique expansionniste vise en premier lieu les contrées inoccupées, cela tient uniquement à ce que la bourgeoisie suit la ligne du moindre effort.
  39. Nous ne parlerons pas des méthodes d’exploitation qui ont couvert de honte cette politique. Rappelons seulement qu’elle n’est pas une politique « passée », mais une politique éminemment actuelle.
  40. Le poud vaut 16,38 kilos. (N. du Tr.)
  41. Mercuriale des matières sur les principaux marchés russes et étrangers en 1913. Edition du Ministère du commerce et de l’industrie, Pétrograd 1914.
  42. Sur le rapport entre l’industrie et l’agriculture par suite du renchérissement du coût de la vie, consulter la petite mais remarquable brochure d’Otto Bauer Die Tenerung.
  43. Karl Marx : Le Capital, livre III, t. II, p. 349-350. [Editions sociales, t. 8, p. 141 « La propriété purement juridique de la terre ne procure pas de rente foncière au propriétaire, mais elle lui confère le pouvoir de ne pas exploiter sa terre tant que les conditions économiques ne permettent point une mise en valeur qui lui rapporte un excédent, que la terre soit utilisée à des fins agricoles proprement dites, ou à d’autre fins, la construction par exemple, etc. Il ne peut ni accroître, ni restreindre l’étendue absolue de sa terre, mais bien la partie qui s’en trouve sur le marché. Il est donc caractéristique, comme l’a déjà constaté Fourier, que dans tous les pays civilisés une partie relativement considérable des terres est toujours soustraite à la culture. »]
  44. Ibid., p. 354.[Editions Sociales, t ; 8, p. 146 « [Dans le cas qui nous occupe,] la propriété foncière est bien cette barrière , qui ne tolère pas de nouvel investissement de capital sur une terre qui n’a pas été cultivée ni affermée jusque là, sans prélever un droit, c’est-à-dire une rente, bien que le terrain destiné à l’exploitation appartienne à une catégorie non productrice de rente différentielle et qu’une hausse du prix du marché même moindre eût déjà permis de cultiver, si la propriété foncière n’existait pas : le prix régulateur du marché aurait alors seulement rapporté son prix de production au cultivateur de ce très mauvais terrain. »]
  45. Voir son exposé des causes de la guerre dans Die neue Rundschau. août 1915 (Franz Oppenheimer : Die Wurzel des Krieqes). L’opinion générale d’Oppenheimer sur l’évolution, de même que sa « solution positive de la question » qui ne va guère, selon nous, au delà des idées développées par Henry George et les « réformateurs agraires » bourgeois, est résumée dans son ouvrage de « critique » : Die soziale Frage und der Sozialismus. Soit dit en passant, le citoyen P. Maslow subit fortement l’influence de cet économiste bourgeois.
  46. Les « producteurs » in concreto ne produisent pas qu’une seule marchandise, à plus forte raison les vendeurs en général. Voir, par exemple, les magasins universels. Par là nous n’entendons pas du tout contester l’importance de la spécialisation. Nous tenons seulement à rétablir les « droits outragés » des acheteurs.
  47. Karl Marx : Le Capital, livre III, p. 276. [Editions Sociales, Le Capital, t. 6, p. 264.]
  48. Ibid., p. 277. [Editions Sociales, t. 6, p. 268 : « Si on exporte des capitaux, ce n’est pas qu’on ne puisse absolument les faire travailler dans le pays. C’est qu’on peut les faire travailler à l’étranger à un taux de profit plus élevé. »]
  49. Sartorius von WALTERSHAUSEN, l. c., p. 179.
  50. Ibid, p. 180.
  51. M. P. PAVLOVITCH : Les grandes voies terrestres et maritimes de l’avenir, Saint-Pétersbourg, 1913, p. 143.
  52. S. SCHILDER, l. c., p. 343 et suiv.
  53. Ibid., p. 353
  54. Dans l’ouvrage de M. Pavlovitch, le lecteur trouvera de nombreux exemples de politique bancaire dans le domaine de la construction ferroviaire, politique par laquelle des pays entiers sont livrés en pâture aux requins capitalistes nationaux.
  55. Voir l’intéressant ouvrage : Deutsche Kolonialreform, notamment la deuxième partie, intitulée : Staatsstreich oder Reformen, Zurich, 1905, p. 1318.
  56. H. N. BRAILSFORD : The War of Steel and Gold, 1914.
  57. SARTORIUS, l. c., p. 190-191.
  58. « Le capital — dit le rédacteur de la Quaterly Review — évite le bruit et la lutte ; il est craintif de nature. C’est exact, mais toute la vérité n’est pas là. Le capital a peur lorsque le profit fait défaut ou lorsqu’il est trop maigre, il est comme la nature qui a horreur du vide. Un profit convenable le rend audacieux. Dix pour cent d’intérêts assurés et l’on en peut faire ce que l’on veut : 20 %, il est plein de vie ; 50 %, et il devient positivement un coupe-jarret. Pour 100 %, il écrase sous son talon toutes les lois humaines et il n’est pas de crimes auxquels il ne soit résolu, même sous la menace du gibet » (Cité par Marx).
  59. DU BIEF : Le chemin de fer de Bagdad (Revue économique internationale, 1912, tome 11, p. 7 et suiv.)
  60. Deutsche Kolonialreform, p. 1396-1397. Il ne faut pas oublier que cet ouvrage a été écrit en 1905. Depuis, le rapport des forces comme la carte du monde se sont sérieusement modifiés.
  61. Karl MARX : Le Capital, livre III, p. 273-279. [Editions sociales, t. 6, p. 268 : « Surproduction de capital ne signifie jamais autre chose que surproduction de moyens de production – moyens de travail et subsistances – pouvant exercer la fonction de capital, c’est-à-dire susceptibles d’être utilisés pour exploiter le travail à un degré d’exploitation donné… » puis, p. 269 : « Du reste, on sait que le capital se compose de marchandises et par suite la surproduction de capital inclut celle des marchandises. »] C’est pourquoi les facteurs déterminant l’exportation des marchandises (écoulement, matières premières, main-d’œuvre, etc.) peuvent également déterminer l’exportation de capital. Consulter à ce sujet Herman SCHUMACHER : Weltwirtschaftliche Studien, Leipzig, 1911. Art. : Die Wanderunger der Großindustrie in Deutschland und Vereinigten Staaten, notamment les pages 406-407.
  62. Otto Bauer : La question nationale et la social-démocratie.[traduction française, EDI-Arcantère, 1987, p. 478 : « La soumission de pays économiquement arriérés à l’exploitation de la classe capitaliste d’un pays européen a donc deux séries d’effets ; immédiatement, des sphères d’investissement pour le capital dans le pays colonisé et donc un accroissement de débouchés pour l’industrie du pays dominant : à terme aussi, dans le pays dominant lui-même, de nouvelles sphères d’investissement pour le capital et un accroissement des possibilités de débouchés pour toutes les industries. »]
  63. Rudolph HILFERDING : Le capital financier, p. 435. [traduction française, Minuit, 1970, p. 440 : « La politique du capital financier poursuit ainsi trois objectifs : premièrement, créer un territoire économique le plus vaste possible, qui sera, deuxièmement, protégé par de hautes barrières douanières contre la concurrence étrangère, et deviendra ainsi, troisièmement, un territoire réservé aux unions nationales à caractère de monopole. »]
  64. V. Achille LORIA : Les deux notions de l’impérialisme (Revue écon. int., 1907, t. III, p. 459 et suiv.)
  65. R. HILFERDING, l. c., p. 515, trad. russe. [traduction française 1970, p. 454 : « Il regarde avec des yeux durs et clairs la masse des peuples et voit dressée aux dessus d’eux sa propre nation. Elle est réelle et vit dans l’Etat puissant, de plus en plus puissant ; c’est à sa grandeur qu’il voue tous ses efforts. La soumission de l’intérêt individuel à un intérêt général plus élevé, qui est le fondement de toute idéologie sociale viable, est ainsi acquise, l’Etat étranger au peuple et la nation elle-même solidement unis et l’idée nationale mise en tant que force motrice au service de la politique. Les antagonismes de classe ont disparu et se sont fondus dans le service de la communauté. A la lutte de classes, dangereuse et sans issue pour les possédants, s’est substitué l’action commune de la nation unie dans le même idéal de grandeur nationale. »]
  66. Die deutsche Finanz-Reformen der Zukunft III Teil von « Staatsreich oder Reformen » von einem Ausland deutschen, Zürich 1907, p. 203.