Le Front populaire en pratique : hier

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France 1934 - juin 1936[modifier le wikicode]

Et maintenant, la France...[modifier le wikicode]

1935 : Hitler parle haut et fort à toute l'Europe, ses S.S. exterminent physiquement dans les premiers camps de concentration plus d'un million de militants socialistes et communistes d'Allemagne. C'est du prix du sang que la classe ouvrière doit payer la politique de Staline de lutte contre les « social-fascistes », de refus du front unique ouvrier... A Rome, le dictateur fasciste Mussolini plastronne le mouvement ouvrier écrasé est dans l'illégalité.

Chemises brunes, Chemises noires, le fascisme montre quelles sont les « solutions » du système capitaliste.

1935 : Le Populaire, quotidien de la S.F.I.O., publie un dessin : des militants socialistes et communistes sont enfermés dans un camp gardé par des S.S. L'un d'entre eux déclare : « Cette fois, l'unité est réalisée... »

1935 , la France accuse le choc de la crise mondiale déclenchée en 1929.

La production industrielle baisse de manière spectaculaire : en 1913, l'indice de la production est 100 ; en 1930, il est à 140 ; en 1935, il est à 94.

Sur une population de 41 millions d'habitants, il y a officiellement plus de 500 000 chômeurs.

Les salaires diminuent avec la durée de la semaine de travail.

En 1930, la durée moyenne du travail est de 47 heures trois quarts par semaine, en 1934, elle est de 44 heures et demie.

La semaine de travail légale est de 48 heures ; dans certaines branches d'industrie, on travaille 52 à 56 heures par semaine. Dans d'autres, c'est quasiment le chômage total. Quant aux prix, ils galopent : les prix agricoles à la production baissent, ruinant des milliers de petits paysans, et ceux des denrées alimentaires augmentent de 25 % entre août 1925 et mai 1936. Pour des millions d'ouvriers, de petits bourgeois des villes et des campagnes, la misère devient une réalité. Dans les usines, le patronat organise la chasse aux militants syndicaux, aux militants politiques. On réprime le droit de grève, licencie pour activités syndicales : le mouvement ouvrier doit s'accrocher dans une situation de semi‑légalité.

Si en bas la situation du prolétariat et des classes laborieuses s'aggrave brutalement, en haut, ministres et députés bourgeois s'abîment dans le luxe insolent, la corruption : c'est la République des pots‑de‑vin.

L'impérialisme français est sorti « vainqueur » de la Première Guerre mondiale. Il est et restera jusqu'au réarmement allemand la plus grande puissance militaire en Europe. Mais il est sorti de la guerre exsangue : une partie du capital accumulé a dû être liquidé; toutes les régions du Nord dévastées ; plus de 1 800 000 morts ; des millions de blessés et d'invalides. C'est toute une génération qui est saignée à blanc. Du seul point de vue de sa population, la France mettra plusieurs années pour s'en remettre.

L'impérialisme français est « victorieux », mais incapable de dominer l'Europe, et même l'Allemagne défaite, en l'absence de l'appui de ses « alliés », l'Angleterre et les U.S.A., et encore bien moins contre eux. La crise de 1923 l'a prouvé. La bourgeoisie française a dû se contenter d'une partie des énormes réparations de guerre qu'elle voulait imposer à l'Allemagne. Elle a dû laisser l'industrie allemande, bénéficiant entre 1923 et 1929 de crédits américains massifs, redevenir la première d'Europe, envahir les marchés. Elle se réfugie dans les limites de son empire. Le capital financier français est plus que jamais un capital de rentiers, de « tondeurs de coupons », bien que la masse et l'importance de ceux‑ci ne soient plus ce qu'elles étaient sur le plan international, si la dette d'Etat s'est considérablement accrue. Le renouvellement et la concentration de l'appareil de production, malgré l'apport de l'Alsace-Lorraine, le charbon de la Ruhr, la reconstruction du Nord dévasté, dont pas eu lieu, et de loin, à la dimension où il s'est renouvelé et concentré en Allemagne. L'impérialisme français est irrémédiablement le plus décadent des grandes puissances impérialistes d'Europe.

En même temps, il garde le statut et le rôle d'une grande puissance impérialiste à l'échelle mondiale, celui de la plus grande puissance impérialiste sur le continent européen, gardien vigilant et jaloux de l'« ordre » européen que le traité de Versailles et les traités annexes ont institué en amputant l'Allemagne et en morcelant l'Europe. Cette charge, il doit la porter et elle l'écrase. Inéluctablement, les échéances devront être honorées. La classe ouvrière, la petite paysannerie, la petite bourgeoisie, devront les acquitter. Inéluctablement, l'impérialisme français devra être réduit à sa juste place en Europe et dans le monde. La crise économique n'a pas en France la même acuité qu'en Allemagne, en raison du caractère relativement arriéré de l'économie française, et de son isolement du marché mondial. Mais ses conséquences, surtout à partir de 1933, seront néanmoins très lourdes à supporter pour les masses. De plus, elle annonce de nouveaux bouleversements internationaux qui, obligatoirement, révéleront la faiblesse organique, la décadence très avancée de l'impérialisme français, et qui le mettront à sa juste place.

La venue d'Hitler au pouvoir, jouant de la politique d'équilibre de l'impérialisme anglais en Europe, de la distance, à ce moment, de l'impérialisme U.S. aux prises avec une crise économique sains précédent, par rapport à l'Europe, va révéler ces données. Il dénoue en se jouant l'étreinte de l'impérialisme français sur l'Allemagne, met en échec la politique d'encerclement, et s'engage dans une course aux armements que l'impérialisme français n'est pas en mesure ni politiquement ni économiquement de soutenir.

Alors que s'exaspèrent les contradictions entre les classes, s'ouvre une crise interne de la bourgeoisie française. La République parlementaire, que le parti radical incarne, entre en convulsions. Elle louvoie et recule devant les ligues fascistes, se révèle incapable d'écraser la classe ouvrière, d'ouvrir à la bourgeoisie comme classe une quelconque perspective internationale qui puisse préserver ses positions de première puissance impérialiste sur le continent européen, et de grande puissance mondiale. La France, « vainqueur de la Première Guerre mondiale », est incapable de tenir tête à l'expansionnisme de la bourgeoisie allemande, à la vitalité de son industrie : la bourgeoisie française qui n'a pu « faire payer l'Allemagne » tente de faire payer aux travailleurs les conséquences de la crise économique et financière.

Alors que s'exacerbent les contradictions entre les classes, la République parlementaire agonise.

L'affaire Stavisky[modifier le wikicode]

En 1934, l'affaire Stavisky éclate, et éclabousse l'ensemble du système parlementaire, révélant au grand jour la corruption du personnel politique de la bourgeoisie française.

Maintes fois condamné, le petit escroc Stavisky va en quelques années faire fortune, achetant « relations » politiques et policières. Armé de l'impunité, il fait éditer des bons du Crédit municipal de Bayonne pour plusieurs dizaines de millions... sans couverture.

Dix‑neuf fois inscrit au rôle, le procès est dix neuf fois remis. Le 7 janvier 1934, le député‑maire radical de Bayonne, Garat, est arrêté. Députés, ministres, préfets, hommes de cabinets, policiers, sont impliqués dans cette gigantesque affaire d'escroquerie qui masque toutes les autres.

L'affaire Stavisky démontre l'affairisme du personnel politique au service du grand capital. C'est trop, c'est trop dangereux. Stavisky ne parlera pas.

Le 8 janvier, le corps de Stavisky est découvert. Le Canard enchaîné titre : « Stavisky a été suicidé d'une balle tirée à bout portant ! » ; Le Figaro enregistre le « trépas opportun » de Stavisky...

Durant tout le mois de janvier, inculpations et arrestations se poursuivent, mettant en cause députés et journalistes en majorité membres du parti radical. Le gouvernement est atteint : Dalimier, ministre radical, démissionne. Il est intervenu à plusieurs reprises pour faire ajourner le procès... Le président du Conseil, le radical Chautemps, s'oppose farouchement à la constitution d'une commission parlementaire d'enquête. Mais l'indignation est à son comble dans le pays. Le 27 janvier, le cabinet Chautemps démissionne collectivement : le leader de « l'aile gauche » du parti radical, Daladier, constitue immédiatement un nouveau ministère : le parti radical, toujours lui...

Mais la crise politique ouverte par l'affaire Stavisky mobilise les lignes fascistes contre le « parlementarisme » et la « République pourrie ».

Les ligues[modifier le wikicode]

Les ligues fascistes en France sont à la mesure de l'impérialisme français. Elles vivent sur la grandeur passée, la « Victoire ». L'impérialisme français ne peut ouvrir aux « anciens combattants », à la petite bourgeoisie déclassée, de « grandes perspectives ». ‑C'est une des données fondamentales qui différenciera les ligues fascistes françaises du fascisme brun, des hordes hitlériennes. Bien que les ligues soient organisées militairement et qu'elles regroupent peut‑être plusieurs dizaines de milliers d'hommes plus ou moins bien armés que finance le grand capital, ce ne sont pas les S.A. et les S.S. Mais il est vrai également que le mouvement ouvrier français n'est pas comparable à son homologue allemand, avec ses millions de combattants regroupés au sein du S.P.D., du P.C.A., de la centrale syndicale.

Parmi ces ligues : l'Action française avec Charles Maurras et Léon Daudet ; la Solidarité française du parfumeur Coty ; les Jeunesses patriotes de Pierre Taittinger ; et surtout, organisant une partie des anciens combattants, les Croix‑de‑Feu dirigés par le colonel de La Rocque, homme de confiance d'Ernest Mercier, directeur de la Compagnie générale d'électricité. En exergue de leur journal Le Flambeau, Un slogan : « Ni blanc ni rouge : bleu, blanc, rouge » Leur programme : « L'ordre français a toujours reposé sur trois éléments : travail, famille, patrie. » Leur objectif : chasser la « Gueuse » et instaurer en France un Etat fasciste corporatiste à l'image de l'Italie ou de l'Allemagne. « S'il le faut, nous prendrons des fouets et des bâtons pour balayer cette Chambre d'incapables » (28 janvier 1933, meeting de la Fédérations des Contribuables).

Les ligues rassemblent anciens combattants, à qui l'Allemagne « n'a rien payé », aventuriers fascistes, petits bourgeois déclassés qui défilent béret sur la tête et drapeaux tricolores au vent, à la manière des S.A. d'Allemagne, des Fascis de Mussolini.

Financées par les grandes banques, soutenues par l'Eglise, les ligues vomissent l'antisémitisme, la lutte contre les « rouges », contre les ouvriers, contre leurs partis.

Mais leur nationalisme est étriqué, conservateur et sans envergure. Elles sont incapables d'offrir autre chose que les « fruits de la victoire », or ceux‑ci sont d'ores et déjà pourris ! Cela va donner un certain côté lamentable aux ligues, à l'image de la bourgeoisie française. Le danger n'en est pas moins considérable. La férocité des ligues contre le mouvement ouvrier et la classe ouvrière, si elles parvenaient au pouvoir, ne serait pas moins grande que dans tous les pays où le fascisme a vaincu (cf. l'Espagne).

A la suite du scandale Stavisky, le Préfet de Police de Paris, Chiappe, est déplacé. C'est un ami des bandes fascistes, c'est szurtout une occasion.

Le 6 février, les ligues appellent leurs adhérents à manifester contre cette décision sur le Palais‑Bourbon.

Le 6 au matin, L'Humanité annonce que le parti communiste et l'A.R.A.C. seront également présents: « Tous à 20 heures rond‑point des Champs­-Elysées pour manifester aujourd'hui vigoureusement à la fois contre les bandes fascistes et contre le gouvernement qui les protège et les développe, contre la social‑démocratie qui par sa division de la classe ouvrière s'efforce de l'affaiblir. »

Pour les dirigeants du P.C.F., la ligne est claire : coude à coude avec les ligues, contre les fascistes et la social‑démocratie

C'est l'émeute.

Les bandes fascistes tirent, la police réplique, la place de la Concorde est un véritable champ de bataille. Croix‑de‑Feu et militants communistes manifestent, et La Marseillaise se mêle à L'Internationale !

Le 7 février au matin, le pays apprend avec stupeur que cette nuit de violences a fait vingt morts et plusieurs centaines de blessés.

L'Humanité du 7 février écrit : « Contre les fascistes, contre la démocratie qui se fascise, Paris ouvrier a riposté ; tandis que les balles des gardes mobiles couchaient douze morts et près de deux cents blessés sur le pavé, le parti socialiste donne sa confiance au gouvernement. »

Trotsky écrit : « C'est maintenant le tour de la France, le 6 février 1934 y constitua la première répétition du banditisme fasciste. »

Morts de peur, les députés des partis bourgeois refusent de dissoudre les ligues, de défendre les libertés, d'écraser la vermine fasciste.

Le 7 février à 14 heures, Daladier qui vient d'obtenir la confiance de la Chambre... démissionne immédiatement pour laisser la place à un « sauveur », à un homme fort : Gaston Doumergue. Ce dernier accourt de sa retraite et forme un gouvernement de combat avec Pétain, Tardieu, Laval, Herriot, Adrien Marquet.

Un régime politique bâtard s'établit de fait. Le Parlement se dessaisit au profit du gouvernement d'une partie importante de ses pouvoirs : Doumergue et ses successeurs gouvernent par décrets‑lois. Le capital financier l'exige, le Parlement obéit. L'axe du gouvernement se déplace, de plus en plus consti­tué par l'appareil d'Etat, la police, l'armée, tandis que le capital financier utilise les bandes fascistes en tant que moyens de pression. La Chambre des députés s'efface devant l'exécutif. Le gouvernement a un caractère bonapartiste, mais à la mesure d'un impérialisme décadent et dont l'orientation est hésitante, zigzagante. Le président de la République confie le soin de former le gouvernement à un homme déterminé, mais c'est le Parlement qui investit ou désavoue le gouvernement. Mis en minorité à la Chambre, celui‑ci doit démissionner.

Le parlementarisme moribond s'efface devant un gouvernement de type bonapartiste qui obtient les pleins pouvoirs, laisse au second plan l'Assemblée, s'appuie sur l'armée et la police. Appuyé par le parti radical, Doumergue va gouverner par décrets-lois. Le parti radical, toujours lui...

Mais la classe ouvrière réagit.

Le 12 février 1934 : la réplique de la classe ouvrière[modifier le wikicode]

Au lendemain du 6 février, militants et travailleurs se mobilisent spontanément, exigeant des dirigeants des partis et des syndicats qu'ils agissent, qu'ils réagissent. Le 9 février, le parti communiste français, qui a « oublié » son appel à la manifestation du 6, organise à la République une manifestation contre les ligues fascistes. Des milliers de militants socialistes s'y joignent. Toute la nuit, du faubourg du Temple aux rues de Belleville, quelques dizaines de milliers de militants s'accrochent au terrain et font face à la police.

La police a hésité devant les ligues, elle charge et tire sans sommation contre les militants ouvriers. Cette nuit, le sang des travailleurs va couler.

Les manifestants descendent des quartiers nord et est de Paris, de la banlieue. Un puissant contingent vient du rayon de Saint‑Denis que dirige alors Jacques Doriot, partisan de l'unité avec la S.F.I.O. et qui n'est pas encore exclu du P.C.F. Ce sont principalement les militants qui descendent de Saint-Denis et de la banlieue nord qui tentent de forcer les barrages des forces de police à la hauteur de la gare du Nord et de celle de l'Est pour descendre le boulevard Magenta, sur la place de la République: neuf morts, des dizaines de blessés.

Dans tout le pays, militants socialistes et communistes exigent vengeance, harcèlent leurs dirigeants, pour que s'organise la riposte unitaire aux ligues fascistes soutenues par Doumergue.

Le 7 février au matin, la commission administrative de la C.G.T. se réunit. Elle décide d'appeler à une grève générale de 24 heures pour le lundi 12 février. Dans la soirée, elle convoque les organisations suivantes : la S.F.I.O., le parti socialiste de France (néo‑socialiste), le parti républicain socialiste, le parti d'unité prolétarienne (né d'une rupture au sein du P.C.F.), l'Union anarchiste, la Ligne des droits de l'homme, la Fédération ouvrière et paysanne (anciens combattants). Elle leur demande d'appuyer la grève du 12.

De leur côté, les fédérations S.F.I.O. de la Seine et de la Seine‑et‑Oise se prononcent dans la nuit du 6 au 7 février pour l'unité d'action avec le P.C.F. et la C.G.T.U. Une délégation que conduisent Zyromski, Pivert, Descourtieu, a été proposer dans la nuit du 6 au 7 après minuit une manifestation commune dès le 7 février. Elle n'est pas reçue. La lettre qu'elle dépose à la C.G.T.U. et au P.C.F. dit notamment :

« Nous vous demandons une entrevue, afin de fixer les bases d'un accord loyal et de réaliser l'unité d'action des travailleurs. Prière de nous répondre au plus tôt. Nous nous tiendrons dans notre permanence jusqu'à minuit.

« Toutes les organisations du prolétariat doivent former une barricade infranchissable au péril fasciste. »

La réponse du P.C.F. à l'offre des fédérations S.F.I.O. de la Seine et de la Seine‑et‑Oise est publiée le 8, en même temps que le P.C.F. convoque la manifestation du 9. C'est une fin de non‑recevoir sous prétexte que : « Votre parti a voté la confiance à Daladier. Vos chefs Léon Blum et Frossard ont conseillé la démission à Daladier pour faire venir un gouvernement de trêve des partis. » Assertion absolument fausse : Léon Blum a au contraire demandé expressément à Daladier de ne pas démissionner.

Et c'est l'appel classique aux ouvriers socialistes, par‑dessus la tête des dirigeants S.F.I.O. accusés de trahison, à se joindre à la manifestation du 9.

La volonté des militants, l'écho que rencontre Doriot, alors pour le front unique du P.S. et du P.C.F., de la C.G.T.U. et de la C.G.T., contraignent les dirigeants de la C.G.T.U. et du P.C.F. à appeler de leur côté à la grève du 12 février. Mais L'Humanité du 11 février titrait : « Le parti socialiste avec la République des fusilleurs », et écrivait : « La classe ouvrière condamnera et rejettera avec dégoût les chefs socialistes qui ont le cynisme et l'audace de prétendre entraîner les ouvriers à la lutte contre le fascisme au chant de La Marseillaise et de L'Internationale[1]. »

La C.G.T. et la C.G.T.U. ayant donné toutes deux le mot d'ordre de grève générale pour le 12 février, la grève est massive.

A Paris, deux manifestations sont convoquées. La première à l'appel de la S.F.I.O. et de la C.G.T., la seconde, par le P.C.F. et la C.G.T.U.

Les deux cortèges, forts de plusieurs dizaines de milliers de travailleurs s'avancent... l'un vers l'autre. Qui va l'emporter ? Les dirigeants du P.C.F. et de la S.F.I.O. qui refusent l'unité d'action contre le fascisme, ou la grande masse des militants qui exigent le front unique ouvrier contre les fascistes et contre le capitalisme ? De part et d'autre, un cri jaillit : « Unité ! Unité ! » Les deux cortèges fusionnent dans l'enthousiasme et une gigantesque manifestation rassemble au coude à coude ouvriers socialistes, communistes, militants de la C.G.T. et de la C.G.T.U. et travailleurs inorganisés.

Dans tout le pays, la grève générale est suivie et les manifestations sont imposantes. Le 12 février 1934, la classe ouvrière a imposé à ses chefs, et notamment à ceux du P.C.F., le front unique ouvrier. Cette action donne la mesure de la disponibilité au combat de la classe ouvrière contre la bourgeoisie et son Etat, et révèle cette « ardente aspiration à l'unité des ouvriers » (Lénine) qui se reflète dans la S.F.I.O. et dans le parti communiste.

La réplique du 12 février tourne une page de l'histoire du mouvement ouvrier et des rapports entre les classes en France. Un nouveau chapitre s'ouvre, militants et masses ont réussi à imposer aux dirigeants, pour un moment, le front unique ouvrier. Partant de là, le mouvement ouvrier français, la lutte de classe du prolétariat, vont connaître une véritable renaissance. Jamais depuis la Commune un mouvement ouvrier de masse n'était parvenu à se construire en France. La S.F.I.O. avait certes, dès avant la guerre, une grande surface parlementaire : aux élections du printemps 1914 il y avait eu plus de cent députés socialistes élus. Mais les militants de la S.F.I.O. étaient tout au plus quelques dizaines de milliers. Quant à la C.G.T. d'avant la guerre de 1914, elle organisait seulement ‑ et cétait déjà une puissance ‑ dans ses syndicats quelques centaines de milliers de travailleurs. Dans l'immédiat après‑guerre un puissant flux de militants entrait à la S.F.I.O., des centaines de milliers de travailleurs se syndiquaient à la C.G.T. dont les effectifs dépassaient le million. La scission syndicale de 1920, la scission au sein de la S.F.I.O., allaient briser et faire reculer très loin en arrière ce mouvement. La politique du P.C.F. et de la C.G.T.U. passant du plus plat opportunisme au « social‑fascisme » ramenait à quelques milliers de militants les effectifs du P.C.F., et à quelques dizaines de milliers de syndiqués ceux de la C.G.T.U. La S.F.I.O. et la C.G.T. étaient beaucoup plus fortes, mais leurs effectifs ne dépassaient pas quelques dizaines de milliers de militants pour l'une, quelques centaines de milliers pour l'autre.

Le 12 février commence la constitution d'un mouvement ouvrier de masse en France. Rapidement, la S.F.I.O. va dépasser la centaine de milliers de militants, le P.C.F. approcher de la centaine de milliers, les deux centrales syndicales bénéficient d'un afflux de centaines de milliers de nouveaux syndiqués, avant que la réunification en 1936 et juin 36 n'apportent à la C.G.T. réunifiée des millions de syndiqués. Et, ce qui va de pair, la disponibilité de la classe ouvrière en tant que classe, sa volonté d'action, sa fermentation politique faisaient un saut qualitatif. Le prolétariat dans son ensemble se rassemblait et se levait. Ainsi s'annonçaient de grands affrontements de classes. La situation posait encore confusément la question à la classe ouvrière : fascisme ou socialisme? bourgeoisie ou prolétariat ?

Le rôle du parti radical[modifier le wikicode]

Mais arrêtons‑nous sur le parti radical, ses relations avec le grand capital, les « classes moyennes », sa politique, en 1934.

Le parti radical se définit en 1907, lors de son congrès de Nancy, comme « résolument attaché aux principes de la propriété individuelle dont il ne veut ni commencer ni même préparer la suppression ».

Disposant d'une influence dans les couches de la petite bourgeoisie des villes et des campagnes, il entretient l'anticommunisme, les ressentiments à l'égard de la classe ouvrière, et ce, au compte du grand capital. Ainsi, ses représentants, toujours partisans de l'expansion coloniale et de la rapine impérialiste, obtiendront en retour quelques miettes en faveur des classes moyennes. Depuis 1885, il a fait partie de toutes les combinaisons gouvernementales de la III° République.

La crise de 1929 aura pour conséquence de précipiter à la faillite et à la ruine des centaines de milliers de petits commerçants, de petits paysans, de petits épargnants.

Cette couche sociale ne peut avoir de politique et de perspective propre. Elle est coincée entre le prolétariat et la grande bourgeoisie. Elle est stable seulement dans les moments de stabilité économique et politique. Mais les périodes de crise la bouleversent, font qu'elle passe à une instabilité totale, fiévreuse, capable de positions les plus extrêmes.

Quoi qu'il apparaisse, elle est toujours à la remorque d'une des classes fondamentales : prolétariat et grande bourgeoisie. En 1934, les « classes moyennes » amorcent un mouvement contradictoire : la plus grande partie délaisse le parti radical et se tourne vers les partis ouvriers, le P.C.F. et le P.S. ; une autre partie délaisse le parti radical, mais pour s'orienter à droite.

Ruinée par le grand capital, la grande industrie, les gros propriétaires terriens, une grande partie de la clientèle du parti radical se retrouve dans les faits poussée vers la classe ouvrière et ses organisations. Dès les années 1930, écrasés par la crise, des secteurs entiers de la petite bourgeoisie commencent à se détourner du parti radical. Mais celui‑ci s'adapte aux situations politiques et à la crise économique naissante. C'est le parti à l'aide duquel la grande bourgeoise entretenait les espoirs de la petite bourgeoisie en une amélioration de sa situation. Les radicaux dont pu jouer ce rôle qu'aussi longtemps que la situation économique restait supportable pour la petite bourgeoisie. A partir du moment où le grand capital subit les conséquences de la crise mondiale de 1929, la petite bourgeoisie cherche d'autres voies, alors que le parti radical reste fidèle à ses liens avec le grand capital, avec la Bourse, les conseils d'administration, l'appareil d'Etat. Parti du grand capital, exerçant une influence dans la petite bourgeoisie, le parti radical voit sa force et sa réalité électorale décroître au fur et à mesure que la crise se développe. C'est dans cette situation que Daladier va devenir au sein du parti radical leader d'une « aile gauche ». Mais l'aile gauche d'un parti attaché au maintien de la propriété privée des moyens de production, à la défense de l'Etat, n'a de gauche que le nom. Le rôle du parti radical ira en diminuant avec le développement de la lutte des classes, mais, nous le verrons plus loin, la politique de front populaire prônée par les dirigeants du P.C.F. et de la S.F.I.O. permettra à ce parti d'éviter la débâcle totale en le présentant comme le parti représentatif des « classes moyennes », défendant leurs intérêts. En réalité, la grande bourgeoisie, dont le parti radical est un instrument, ne peut en période de crise que ruiner davantage les classes moyennes, la petite bourgeoisie des villes et des campagnes, et le Daladier « de gauche » de 1936 se retrouvera en 1938 avec Reynaud pour s'engager à fond dans une politique de lutte contre la classe ouvrière et la petite bourgeoisie, toujours au compte du grand capital.

La politique du parti radical en ces journées de février 1934 éclaire de façon éblouissante la nature et la fonction de ce parti. Donc, le 7 février, Daladier qui a obtenu la confiance le 6 démissionne, et le 7, le président de la République fait appel à un sauveur, Doumergue. En se remettant au « sauveur » Doumergue, la bourgeoisie française démontre qu'elle est prête à se défaire du parlementarisme si les circonstances l'exigent... et le permettent. En obéissant servilement aux ordres du capital financier, en reculant devant les bandes fascistes, le Parlement, ses députés, ses partis, et notamment son parti, le parti radical, ont démontré leur incapacité à défendre y compris la démocratie bourgeoise, les libertés qu'elle suppose, et que les ligues fascistes menacent. Tous craignent cependant un prolétariat qui se regroupe et se lève, ce qui a des conséquences contradictoires : il faut en finir avec les libertés et en même temps temporiser par peur de la réplique des masses. Les partis bourgeois, et d'abord le parti radical, administrent la preuve qu'ils placent les intérêts du capital au‑dessus de la démocratie bourgeoise et du parlementarisme. Ils craignent un prolétariat qui pourtant ne s'est pas encore regroupé et unifié pour combattre, même si cela ne va pas tarder. Le 9 février, le ministère Doumergue est formé et obtient la confiance à la Chambre, dont celle des parlementaires radicaux.

Trotsky écrira : « En la personne de Doumergue, nous avons le bonapartisme sénile à l'époque du déclin capitaliste. Le gouvernement Doumergue est le premier degré du passage du parlementarisme. Pour maintenir son équilibre, il lui faut à sa droite les bandes fascistes et autres qui l'ont porté au pouvoir. Réclamer de lui qu'il dissolve ‑ non sur le papier, mais dans la réalité, les Jeunesses patriotes, les Croix‑de­Feu, les Camelots du roy et autres, c'est réclamer qu'il coupe la branche sur laquelle il se tient. Des oscillations temporaires d'un côté ou de l'autre restent, bien entendu, possibles. Ainsi, une offensive prématurée du fascisme pourrait provoquer dans les sommets gouvernementaux un "écart" à gauche. Doumergue ferait place pour un temps, non à Tardieu, mais à Herriot Mais il n'est d'abord pas dit que les fascistes feront une tentative prématurée, et ensuite un écart temporaire à gauche dans les sommets ne modifierait pas la direction générale du développement et hâterait plutôt le dénouement. Il n'existe aucune voie pour retourner à la démocratie pacifique. Le développement conduit inévitablement, infailliblement, à un conflit entre le prolétariat et le fascisme. » (Octobre 1934, Où va la France ?)

La politique du P.C.F.[modifier le wikicode]

Le 12 février, la grève générale, la manifestation du cours de Vincennes, la fusion des deux cortèges aux cris de « Unité ! Unité ! », ont engagé un processus politique. Le mouvement de la classe ouvrière s'ordonne sur un axe, qui mène inévitablement à l'affrontement. Dans des délais rapides mais que nul ne peut déterminer, les masses exigeront par l'action satisfaction à leurs revendications. Pourtant il faut que le processus politique se développe, ce qui n'est pas donné d'avance.

Sans aucun doute, au cours de l'année 1934, on assiste à une remontée des luttes ouvrières, et ce sont là des signes indéniables de la volonté des travailleurs d'obtenir satisfaction à leurs revendications. Pourtant, le développement de l'action gréviste reste difficile et délicat : d'abord, en raison de la situation économique. Alors qu'en 1930‑1931‑1932 les conséquences de la crise économique mondiale ne se sont pas faites pleinement sentir en France, c'est seulement durant les années 1933‑1934‑1935 que la France est touchée. Les chômeurs commencent à se compter par millions dans un pays qui reste alors un pays principalement rural. Cela pèse lourdement pour engager des luttes revendicatives. Là n'est pas néanmoins l'essentiel : la bourgeoisie n'a pas perdu pied et c'est elle qui continue à la surface des choses de mener l'offensive ; le problème n'est pas celui de la lutte gréviste d'abord et avant tout, mais d'un processus politique qui permette de réaliser les conditions du combat de classe.

Polémiquant avec les staliniens, Trotsky écrit en 1934 :

« Le comité central du parti communiste accuse de cette stagnation tout le monde, sauf lui. Nous ne nous disposons à blanchir personne. Nos points de vue sont connus. Mais nous pensons que le principal obstacle sur la voie du développement de la lutte révolutionnaire est actuellement le programme unilatéral, contredisant toute la situation, presque maniaque, des « revendications immédiates ». Nous voulons ici faire la lumière sur les considérations et les arguments du comité central du parti communiste avec toute l'ampleur nécessaire. Non pas que ces arguments soient sérieux et profonds : au contraire, ils sont misérables. Mais il s'agit d'une question dont dépend le sort du prolétariat français.

La résolution du comité central du parti communiste sur les « revendications immédiates »

Le document le plus autorisé sur la question des « revendications immédiates » est la résolution programmatique du comité central du parti communiste. (Voir L'Humanité du 24 février.) Nous nous arrêterons à ce document.

L'énoncé des revendications immédiates est fait très généralement : défense des salaires, amélioration des assurances sociales, conventions collectives, « contre la vie chère », etc. On ne dit pas un mot sur le caractère que peut et doit prendre dans les conditions de crise sociale actuelle la lutte pour ces revendications. Pourtant, tout ouvrier comprend qu'avec deux millions de chômeurs complets ou partiels, la lutte syndicale ordinaire pour des conventions collectives est une utopie. Pour contraindre dans les conditions actuelles les capitalistes à faire des concessions sérieuses, il faut briser leur volonté; on ne peut y parvenir que par une offensive révolutionnaire. Mais une offensive révolutionnaire qui oppose une classe à une classe ne peut se développer uniquement sous des mots d'ordre économiques partiels. On tombe dans un cercle vicieux. C'est là qu'est la principale cause de la stagnation du front unique.

La thèse marxiste générale : les réformes sociales ne sont que sous‑produits de la lutte révolutionnaire, prend à l'époque du déclin capi­taliste l'importance la plus immédiate et la plus brûlante. Les capitalistes ne peuvent céder aux ouvriers quelque chose que s'ils sont menacés du danger de perdre tout.

Mais même les plus grandes « concessions » dont est capable le capitalisme contemporain, lui-même acculé dans l'impasse, resteront absolument insignifiantes en comparaison avec la misère des masses et la profondeur de la crise sociale. Voilà pourquoi la plus immédiate de toutes les revendications doit être de revendiquer l'expropriation des capitalistes et la nationalisation (socialisation) des moyens de production. Cette revendication est irréalisable sous la domination de la bourgeoisie ? Evidemment. C'est pourquoi il faut conquérir le pouvoir.

Pourquoi les masses ne font‑elles pas écho aux appels du parti communiste ?

La résolution du comité central reconnaît en passant que « le parti n'a pas encore réussi à organiser et à développer la résistance à l'offensive du capital ». Mais la résolution ne s'arrête pas du tout sur la question de savoir pourquoi donc, malgré les efforts du P.C. et de la C.G.T.U., les succès dans le domaine de la lutte économique défensive sont absolument insignifiants. A la grève générale du 12 février, qui ne poursuivait aucune « revendication immédiate », participèrent des millions d'ouvriers et d'employés. Cependant, à la défense contre l'offensive du capital n'a participé jusqu'à maintenant qu'une fraction infime de ce même chiffre. Est‑ce que ce fait étonnamment clair ne conduit les « chefs » du parti communiste à aucune conclusion ? Pourquoi des millions d'ouvriers se risquent‑ils à participer à la grève générale, à des manifestations de rue agitées, à des conflits avec les bandes fascistes, mais se refusent‑ils à participer à des grèves économiques dispersées ?

« Il faut comprendre ‑ dit la résolution - les sentiments qui agitent les ouvriers désireux de passer à l'action. » Il faut comprendre... Mais le malheur est que les auteurs eux‑mêmes de la résolution ne comprennent rien. Quiconque fréquente les réunions ouvrières sait comme nous que les discours généraux sur les « revendications immédiates » laissent le plus souvent les auditeurs dans un état d'indifférence renfrognée ; par contre, les mots d'ordre révolutionnaires clairs et précis provoquent en réponse une vague de sympathie. Cette différence de réaction de la masse caractérise de la façon la plus claire la situation politique de votre pays.

« Dans la période présente ‑ remarque inopinément la résolution ‑ la lutte économique nécessite de la part des ouvriers de lourds sacrifices. » Il faudrait encore ajouter : et ce n'est que par exception qu'elle promet des résultats positifs. Et, pourtant, la lutte, pour les revendications immédiates a pour tâche d'améliorer la situation des ouvriers. En mettant cette lutte au premier plan, en renonçant pour elle aux mots d'ordre révolutionnaires, les staliniens considèrent, sans doute, que c'est précisément la lutte économique partielle qui est le plus capable de soulever de larges masses. Il s'avère justement le contraire :les masses ne font presque aucun écho aux appels pour des grèves économiques. Comment peut‑on donc en politique ne pas tenir compte des faits ? Les masses comprennent ou sentent que dans les conditions de la crise et du chômage des conflits économiques partiels exigent des sacrifices inouïs, que ne justifieront en aucun cas les résultats obtenus. Les masses attendent et réclament d'autres méthodes, plus efficaces. Messieurs les stratèges, apprenez chez les masses : elles sont guidées par un sûr instinct révolutionnaire.

La conjoncture économique et la lutte gréviste

S'appuyant sur des citations mal assimilées de Lénine, les staliniens répètent : « La lutte gréviste est possible même en temps de crise. » Ils ne comprennent pas qu'il y a crise et crise. A l'époque du capitalisme ascendant, à la fois industriels et ouvriers, même pendant une crise aiguë, regardent en avant, vers la nouvelle réanimation prochaine. La crise actuelle est la règle, non l'exception. Dans le domaine purement économique, le prolétariat, par la terrible pression de la catastrophe économique, est rejeté dans une retraite désordonnée. D'autre part, le déclin du capitalisme pousse de tout son poids le prolétariat sur la voie de la lutte politique révolutionnaire de masse. Pourtant, la direction du parti communiste tend, de toutes ses forces à barrer cette voie. Ainsi, dans les mains des staliniens, le programme des « revendications immédiates » devient un instrument de désorientation et de désorganisation du prolétariat. Cependant, une offensive politique (lutte pour le pouvoir) avec une défense armée active (milice) renverserait d'un seul coup le rapport des forces des classes, et, chemin faisant, ouvrirait, pour les couches ouvrières les plus retardataires, la possibilité d'une lutte économique victorieuse. »

1934 : Le pacte d'unité d'action[modifier le wikicode]

La tendance des masses et des militants va dans ce sens. L'aspiration des masses et des militants au front unique des organisations ouvrières, partis et syndicats, devient irrépressible. Les dirigeants de la S.F.I.O., mais surtout ceux du P.C.F., s'y opposent encore pendant quelques mois après le 12 février 1934.

Qu'on en juge: le 7 février 1934, L'Humanité écrit :

« Travailleurs ! Camarades !

« Le gouvernement sanglant Daladier‑Frot, soutenu par le parti socialiste, a préparé la venue au pouvoir de l'union nationale. Il vient de lui céder la place. C'est ainsi que parti radical et parti socialiste font le lit du fascisme !

« [...] A bas l'union nationale réactionnaire et fasciste préparée par le parti radical et le parti socialiste. Vive le gouvernement ouvrier et paysan ! »

La résolution du C.C. du P.C.F. du 15 mars se prononce toujours pour l'« unité à la base » sur le terrain « de la lutte révolutionnaire », en d'autres termes, derrière le P.C.F. et son appareil dirigeant. Le 11 mars, le conseil national de la S.F.I.O. avait affirmé : « La lutte contre le fascisme ne peut être conduite que sous l'action socialiste et dans le sens de la doctrine socialiste. »

Un article paru dans La Vérité en juillet 1934 témoigne :

« Depuis le 6 février, l'unité d'action a été la revendication fondamentale des travailleurs qui y voyaient une des conditions préalables du succès de leurs luttes. Sous toutes les formes, et dans les différents partis et organisations centristes et démocratiques, une pression dans ce sens s'est exercée, venue des profondeurs de la masse populaire. L'expérience allemande n'avait pas été vaine.

« Dans le parti socialiste, le mouvement à gauche s'amplifia, domina entièrement dam la Seine et dans une série de fédérations de province (Est, Midi, surtout). Dans le P.C., la lutte de Doriot refléta le même état d'esprit. Dans les syndicats, un mouvement tout aussi large se fit sentir en faveur de l'unité organique. D'autre part, les multiples comités de vigilance, d'alliance ouvrière, etc., virent le jour. Dans des millions de localités, ils maintinrent la liaison entre les diverses organisations qui s'étaient trouvées littéralement jetées les unes contre les autres le 12 février. Le mouvement d'Amsterdam fut lui‑même contraint d'envisager une modification de structure.

« Pendant des semaines et des mois (particulièrement en avril et en mai) l'action des bureaucrates dirigeants s'exerça contre la réalisation du front unique des organisations, c'est‑à‑dire contre les masses. Avec plus ou moins d'habileté, l'action était la même, à la tête des organisations centristes qui n'ont de communiste ou de socialiste que le nom. Mais l'action à la base ne cessait de rapprocher contre le fascisme les combattants des différentes tendances et couches sociales. En juin, ces manifestations se firent plus amples, plus serrées, plus fréquentes : l'heure était proche où les bureaucrates devraient céder[2]. »

Bientôt, la pression se fait si forte qu'il est difficile aux dirigeants de résister. Les premiers à « tourner » seront les dirigeants du P.C.F. après que l'autorisation en fut venue du Kremlin.

Le 30 mai, Maurice Thorez écrit dans L'Humanité : « Nous avons toujours exprimé notre désir d'action commune et immédiate [avec les socialistes]. Nous voulons lutter au coude à coude tout de suite contre l'ennemi capitaliste et ses bandes fascistes. »

Le lendemain, pour la première fois, L'Humanité s'adresse, non pas à la « base » du parti socialiste, « trompée par ses chefs », mais à la direction de la S.F.I.O. pour lui proposer un accord de parti à parti pour défendre Thaelmann emprisonné par les nazis.

Dans leur ouvrage Juin 36, Danos et Gibelin citent L'Humanité du 31 mai qui reproduit un article de la Pravda : « L'I.C. estime que rappel au front unique devant la menace fasciste [...] est nécessaire dans certaines conditions [...]. Un pareil appel est possible dans un pays comme la France où la social-démocratie n'a pas encore été au pouvoir, où [...] les ouvriers socialistes pensent que leur parti ne suivra pas le chemin de la social‑démocratie allemande. »

Le P.C.F. réunit une « conférence nationale » le 23 juin, en vue de prendre le « tournant » et de mandater le C.C. et le B.P. afin qu'ils proposent à la direction de la S.F.I.O. un pacte d'unité d'action contre le fascisme et la guerre. Le 25, le bureau politique du P.C.F. propose à la commission administrative permanente de la S.F.I.O. un tel pacte d'unité d'action. La direction de la S.F.I.O. tente de maintenir sa position anti‑unitaire. Mais les masses et les militants veulent ardemment l'unité des deux partis :

« Le 2 juillet, les fédérations socialistes de la Seine et de la Seine‑et‑Oise et la région parisienne du P.C. organisent en commun un grand meeting. La profonde volonté des travailleurs socialistes et communistes s'y manifeste puissamment. En effet, la salle Bullier, prévue pour le meeting, n'est pas assez grande pour contenir les auditeurs, qui se pressent à la porte, et il faut improviser une deuxième réunion au gymnase Huyghens. Des applaudissements enthousiastes ponctuent les discours des orateurs : Jacques Duclos, Cachin, Maurice Lampe (secrétaire de la région parisienne) pour le parti communiste ; Zyromski, Claude Just, Farinet (secrétaire de la fédération de la Seine) pour le parti socialiste. " Voilà douze ans que j'attends cette soirée, s'écrie Claude Just, et maintenant j'espère qu'elle ne sera pas sans lendemain. " Maurice Lampe lui fait écho : " Ce que nous avons réalisé régionalement sera réalisé demain sur le plan national. "

« La gauche de la S.F.I.O. mène campagne pour l'acceptation des propositions communistes, et à la veille du conseil national, Marceau Pivert écrit : " Nous souhaitons que le conseil national dise avec le maximum de netteté : camarades du parti communiste, pour l'action commune à l'échelle nationale, voici notre signature, voici nos mains fraternelles. " Le 16 juillet 1934, le conseil national de la S.F.I.O. décide à une écrasante majorité d'accepter le pacte d'unité d'action qui est signé par les représentants des deux partis le 27. Dès le mois d'août, une première manifestation réunit socialistes et communistes pour l'anniversaire de la mort de Jaurès[3]. »

Léon Blum écrira le 25 février 1935 dans Le Populaire : « Nous nous serions refusés à cette première unification des forces prolétariennes au moment où l'intérêt et la volonté populaire l'exigeaient [ ... ] une mésintelligence, une désaffection populaire se seraient développées autour de nous. »

On ne saurait dire plus clairement que ce sont les masses et les militants qui ont imposé l'unité entre la S.F.I.O. et le P.C.F.

Quelles sont les principales dispositions du pacte ?

  • désarmement et dissolution des ligues fascistes ;
  • défense des libertés démocratiques ;
  • dissolution de la Chambre et représentation proportionnelle ;
  • lutte contre les préparatifs de guerre ;
  • lutte contre les décrets‑lois ;
  • contre la terreur fasciste en Allemagne et en Autriche ;
  • libération de tous les antifascistes emprisonnés.

Le pacte d'unité d'action entre le P.S. et le P C.F. est un fait d'une considérable portée politique en soi, et qui répondait aux aspirations irrépressibles des masses et des militants. Son contenu n'en a pas moins une signification politique tout aussi importante : les dirigeants du P.S. et du P.C.F. ont fait l'unité, mais déjà ils dressent une digue contre le mouvement des masses pour le contenir dans le cadre de l'ordre, de la société bourgeoise, le contraindre à respecter la propriété privée des moyens de production, l'Etat bourgeois.

C'est au gouvernement, à l'Etat bourgeois, de dissoudre et de désarmer les ligues fascistes que le capital financier organise, subventionne et arme. La défense des libertés démocratiques s'entend comme défense du système parlementaire. La dissolution de la Chambre et la représentation proportionnelle sont les revendications les plus audacieuses de ce pacte, mais elles restent néanmoins dans le cadre précis du parlementarisme, et de toute façon, elles ne feront l'objet d'aucune action politique et resteront des clauses de style. « Lutte contre les préparatifs de guerre » est une formule évasive qui en soi ne veut rien dire. « Lutte contre les décrets-lois » est une formule tout aussi platonique, et le reste est à l'avenant.

Il n'est absolument pas question de chasser le gouvernement Doumergue. Mais celui‑ci, pendant ce temps, publie décret‑loi sur décret‑loi qui font reporter ter sur les masses le poids de la crise qui s'aggrave, et multiplie contre les masses les actes répressifs en juillet 1934, 5 000 instituteurs sont mis d'office à la retraite pour fait de grève. Paul Faure, secrétaire général de la S.F.I.O., se déclare « étreint d'anxiété ». Jean Longuet, lui, conclut à « l'impossibilité de s'abstenir sans se condamner à mort ».

Le contenu du pacte d'unité d'action ne fait pas de doute, ce n'est qu'une transition de la politique du « social‑fascisme » à une autre, celle des « fronts populaires ». Désormais, le P.C.F. va tout faire pour mettre sur pied cette nouvelle politique. Il devient l'aile marchante de l'Internationale communiste et du Kremlin.

Une des clauses les plus importantes du pacte d'unité d'action consiste dans le renoncement à toute critique entre les deux partis. Les divergences seront examinées par les représentants des deux partis qui formeront une commission bipartite spéciale. Ainsi chacune des directions des deux partis laisse les mains libres à l'autre par rapport aux masses et aux militants.

La volonté des masses est de chasser Doumergue, défenseur du grand capital, protecteur des ligues fascistes. C'est pour cela qu'elles veulent l'unité de la S.F.I.O. et du P.C.F. Le pacte d'unité d'action répond à cette aspiration des masses qui subissent la politique réactionnaire du gouvernement. Mais les dirigeants de ces partis se mettent d'accord pour interdire aux masses le combat pour chasser Doumergue, ce qui inéluctablement poserait la question : quel gouvernement sinon un gouvernement des partis ouvriers signataires du pacte d'unité d'action, du P.S. et du P.C.F., un gouvernement Blum‑Cachin, comme Trostky le dira ?

La marche du Front populaire[modifier le wikicode]

La contradiction n'en subsiste pas moins. Indépendamment du contenu de ce pacte, la simple réalisation du front unique du P.C.F. et du P.S., en unifiant les masses ouvrières, alors que la crise s'accentue, a une dynamique révolutionnaire. Objectivement et subjectivement, la question du pouvoir, du gouvernement, se trouve posée : quel gouvernement porter au pouvoir, sinon un gouvernement du P.S. et du P.C.F., un gouvernement des partis ouvriers sans représentants des organisations et partis bourgeois ?

Trotsky écrit en octobre 1934 : « Dès que les deux partis ouvriers qui se concurrençaient vivement dans le passé ont renoncé à se critiquer l'un l'autre, et à se conquérir l'un à l'autre des adhérents, par cela même ils ont cessé d'exister en tant que partis distincts... Le front unique agit comme un parti inachevé, construit sur le principe fédéraliste [...]. Le bloc défensif contre le fascisme ne pourrait être suffisant que si pour tout le reste les deux partis conservaient une complète indépendance. Mais non, nous avons un front unique qui embrasse presque toute l'activité publique des deux partis et exclut leur lutte réciproque pour conquérir la majorité du prolétariat. De cette situation, il faut tirer toutes les conséquences. La première et la plus importante, c'est la lutte pour le pouvoir. Le but de ce front unique ne peut être qu'un gouvernement socialiste‑communiste, un ministère Blum‑Cachin. Il faut le dire ouvertement, si le front unique se prend au sérieux ‑ et c'est à cette seule condition que les masses populaires le prendront au sérieux - il ne peut se dérober au mot d'ordre de conquête du pouvoir. Par quels moyens ? Par tous les moyens qui mènent au but. »

Les masses prennent au sérieux le front unique : le front unique du P.S. et du P.C.F. est une invite à l'action politique, à l'action centre le capital, le gouvernement, les bandes fascistes, et au combat pour porter au pouvoir un gouvernement des partis du front unique.

A tout prix, il faut éviter que se crée une situation semblable. D'autant plus qu'en conséquence de la venue au pouvoir d'Hitler ‑ écrasement du P.C.A., menace que constitue une Allemagne écrasée sous la botte nazie, où Hitler prépare ouvertement la guerre contre l'U.R.S.S. ‑ la bureaucratie du Kremlin est obligée de chercher à nouer des alliances avec d'autres puissances impérialistes dites « démocratiques ». Il faut tourner à 180 degrés. Le P.C.F. va devenir le héraut du « front populaire ». Il va tout faire pour noyer l'unité d'action entre les partis ouvriers en un rassemblement intégrant le parti radical qui reste au gouvernement.

Ainsi, à la veille des élections cantonales, Marcel Cachin écrit dans L'Humanité du 10 octobre 1934 :

« Dans l'état où la défaite électorale tant avoué ou masqué du fascisme obtenue par le désistement naturel communiste et du candidat socialiste d'un représentant avoué ou masqué du fascisme ne peut être obtenue par le désistement du candidat communiste et du candidat socialiste, le parti communiste est même prêt à envisager le désistement en faveur d'un candidat radical. A la condition qu'il se prononce nettement contre le fascisme, contre sa préparation, contre les décrets‑lois et contre la politique gouvernementale de préfascisme. »

Les résultats des élections cantonales du 14 octobre 1934 sont significatifs du profond mouvement politique qui a commencé. Le P.C.F. gagne 100 000 voix, ses élus passent de 10 à 28. Le P.S. maintient ses suffrages, mais le jeu des désistements porte ses élus, de 105 à 109. Déjà, le parti radical perd considérablement de voix, et 21 élus. Dès le 7 octobre, Maurice Thorez a lancé la fameuse formule du « front populaire » au cours d'un grand meeting à la salle Bullier, qui sera suivi de la proposition faite au comité de coordination du P.S. et du P.C.F. d'élaborer un programme qui permette d'inclure au sein d'un front populaire le parti radical. Le 24 octobre à Nantes où se tient le congrès du parti radical, nouveau discours. Bien que le parti radical continue à participer au gouvernement Doumergue, Maurice Thorez, au C.C. du P.C.F. de novembre, se déclare satisfait de l'évolution de ce parti.

Ce virage à droite surprend la S.F.I.O. qui hésite avant de se rallier au front populaire que propose le P.C.F. Le gouvernement Doumergue tombe le 8 novembre, la Chambre refusant d'adopter son projet de réforme de la Constitution. La situation économique ne cesse de s'aggraver. Mais la situation n'est pas telle qu'il apparaisse nécessaire au capital financier de liquider le parlementarisme, ainsi que le proposait Doumergue. Le tournant du P.C.F. vers le front populaire lui donne la garantie que celui‑ci se dressera contre les masses au cas où celles‑ci deviendraient menaçantes. De son côté, la S.F.I.O., si elle hésite à se prononcer clairement pour le front populaire, n'en montre pas moins ses dispositions à adopter cette politique. La commission adminis­trative permanente vote une résolution où on lit : « Si devant le péril couru par les libertés publiques et les libertés ouvrières, devant le ravage de plus en plus douloureux exercé par le chômage et la détresse paysanne, des républicains, sentant à leur tour le caractère exceptionnel des circonstances, se déterminent à opposer a la violence fasciste la force républicaine et constituent un gouvernement de combat pour la sauvegarde des libertés démocra­tiques et contre la crise, elle déclare ne poser d'avance aucune limite au concours que leur apporterait le parti. »

Il est impossible de dire mieux. C'est à juste titre que Trotsky écrira : « L'Humanité répète que c'est le front unique qui a chassé Doumergue. Mais c'est pour parler modérément une fanfaronnade creuse, Au contraire, si le grand capital a jugé raisonnable, possible, de remplacer Doumergue par Flandrin, c'est uniquement parce que le front unique, comme la bourgeoisie s'en est convaincue par l'expérience, ne représente pas encore un danger révolutionnaire immédiat... Les véritables maîtres de la situation [... ] maintiennent l'union nationale et ses décrets bonapartistes, ils mettent le Parlement dans la terreur, mais ils laissent se reposer Doumergue. Les chefs du capital ont apporté une certaine correction à leur appréciation primitive, en reconnaissant que la situation n'est pas révolutionnaire, mais pré-révolutionnaire. »

Le gouvernement Flandrin constitué le 8 novembre continue la politique de Doumergue au point de vue économique et social.

Le mouvement politique de regroupement des masses derrière les partis ouvriers ne s'en poursuit pas moins. Une fois encore, les élections vont traduire ce mouvement et permettre aux masses une expression nationale. L'avance du P.C.F. aux élections municipales est impressionnante :

« Ces élections qui eurent lieu le 5 et le 12 mai (1935) furent un grand succès pour notre parti. Huit conseillers municipaux communistes étaient élus à Paris, alors que précédemment il n'y en avait qu'un seul. Dans la banlieue (département de la Seine), le nombre des municipalités communistes passaient de 9 à 26 et parmi elles on comptait de grandes villes comme Montreuil, Drancy, Issy‑les‑Moulineaux, Aubervilliers, etc.

« En Seine‑et‑Oise le nombre des municipalités communistes passait de 6 à 29, parmi lesquelles la grande cité industrielle d Argenteuil, et Villeneuve‑Saint‑Georges.

« Dans le Nord et le Pas‑de‑Calais, les municipalités communistes passaient de 17 à plus de 50, tandis qu'une vingtaine de municipalités communistes étaient élues dans le Gard, une trentaine dans l'Allier et beaucoup d'autres dans la Corrèze, la Creuse, le Lot‑et‑Garonne, la Haute‑Vienne. Dans la banlieue de Lyon, nous enlevions Villeurbanne. De même nous gagnions Concarneau sur la côte bretonne. Le nombre de nos municipalités dans les communes de plus de 5 000 habitants était passé de 38 à 90 », écrit Jacques Duclos[4].

Plus loin : « Dans les communes de banlieue du département de la Seine, les élections municipales avaient été suivies des élections cantonales qui donnèrent au parti 25 sièges sur 50, alors qu'il n'en avait que 4 auparavant. »

Le nombre de voix qui se portent sur la S.F.I.O. se maintient, ainsi que le nombre de ses élus. Le grand perdant est encore le parti radical.

Duclos écrit encore : « A Aubervilliers, Laval fut battu par une liste qui avait à sa tête les camarades Charles Tillon et Emile Dubois. »

Ironie de l'histoire : le 2 mai, le même Laval, alors ministre des Affaires étrangères, signait le pacte franco‑soviétique et le 15 mai, à l'issue d'un entretien à Moscou avec Staline, il obtenait la fameuse déclaration de ce dernier : « M. Staline comprend et approuve pleinement la politique de défense nationale faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sa sécurité. »

Immédiatement, le P.C.F. emboîte le pas et publie une affiche où on lit :

« Pour faire face au danger menaçant, l'Union soviétique, dont l'intérêt permanent est la paix, a raison d'agir de concert avec les puissances qui ont un intérêt momentané à maintenir la paix.

« Ainsi s'exprime la politique réaliste des communistes qui veulent de toutes leurs forces : la sauvegarde de la paix. »

Désormais, le P.C.F. devient tricolore et ses dirigeants entonneront La Marseillaise à tout propos et hors de propos. Finie la politique des « gueules de vaches », du « drapeau dans le fumier », de l'affirmation d'Aragon : « Je conchie l'armée française » ; la déclaration de Staline a réussi une magnifique métamorphose : l'armée française, son corps d'officiers, sont devenus l' « armée républicaine ». La politique de front populaire prend son plein essor.

Pourtant, le pacte franco‑soviétique, la déclaration de Staline, n'ont pu sauver de la faillite le gouvernement Flandrin‑Laval : l'inflation commence, la fuite de l'or également, le chômage continue à s'accroître. Flandrin ne peut obtenir les pleins pouvoirs le 31 mai à la Chambre. Les élections municipales lui ont porté un coup fatal.

Laval, l'homme des accords avec Mussolini, et qui vient d'obtenir la magique déclaration de Staline, après l'intermède d'un gouvernement Bouisson qui dure deux jours, obtient l'investiture de la Chambre le 7 juin, assortie de « pouvoirs exceptionnels ». Les radicaux dont Herriot participent à ce gouvernement.

Mais le front populaire ne peut vraiment naître et prendre son essor que si la S.F.I.O. donne son accord et y participe. De ce point de vue, le congrès de Mulhouse va avoir une importance décisive. Il se tient du 9 au 12 juin 1935. La situation à la S.F.I.O. est bien particulière. A l'instigation de Trotsky, les trotskystes sont entrés en août 1934 à l'intérieur de la S.F.I.O. ouvertement, en y défendant leur programme. Le mode de fonctionnement, le droit de tendance reconnu à la S.F.I.O. donnent cette possibilité. L'appréciation de Trotsky est qu'après la capitulation de l'I.C. en Allemagne et la politique de la troisième période, dans les pays où se produira une nouvelle montée des masses, cela se traduira en un premier temps par un afflux de travailleurs révolutionnaires à l'intérieur des partis sociaux‑démocrates. Se constitueront alors de puissants courants cherchant la voie de la révolution, cherchant un programme révolutionnaire, cherchant à constituer un parti révolutionnaire. Il faut être avec eux, dégager, armer politiquement, organiser ces courants qui deviendront alors l'élément premier du parti révolutionnaire qu'il faut construire et que ne peuvent prétendre être, ni même ne peuvent construire indépendamment de ces militants, les faibles organisations trotskystes. Aucune illusion cependant les partis sociaux‑démocrates sont et resteront des partis ouvriers‑bourgeois, à un certain stade la rupture avec eux ne sera pas moins indispensable que ne l'a été l'entrée en leur sein.

Les trotskystes ont rapidement obtenu dans la fédération de la Seine, parmi les jeunesses socialistes, et en province, d'importants succès. Ils vont combattre au congrès de Mulhouse contre la politique du front populaire.

De son côté, Marceau Pivert amorce sa rupture avec la « Bataille socialiste » que dirige Zyromski. Cette tendance est depuis plusieurs années considérée comme l'aile gauche de la S.F.I.O., partisan de l'unité d'action avec le P.C.F. En cette année 1935, Zyromski l'aligne entièrement sur les positions du P.C.F. ‑ du front populaire au soutien à la défense nationale.

Marceau Pivert repousse la défense nationale mais ne s'oppose pas au front populaire. Plus tard, il adoptera le mot d'ordre de « front populaire de combat ». Il ne mènera pas bataille au congrès de Mulhouse contre la politique de « front populaire ».

Les résultats du congrès de Mulhouse seront les suivants : la résolution MolinierRous qui préconise la lutte pour le pouvoir, un gouvernement du P.S. et du P.C.F., un programme de revendications transitoires, obtient 105 mandats ; celle de la « Bataille socialiste » (à laquelle Pivert s'est rallié) obtient 777 mandats. Celle de Blum obtient 2025 mandats. Les deux dernières motions se situent sur l'orientation de la politique de front populaire. Aucun obstacle n'existe plus sur la voie qui mène au Front populaire, il suffira que le parti radical s'y rallie en temps opportun.

Le 17 juin se constitue le « Comité du rassemblement populaire ». Sa tâche immédiate sera de préparer les manifestations populaires du 14 juillet 1935. La date de la « fête nationale » est évidemment politiquement significative. Le matin se tient au stade Buffalo un immense meeting où parlent les représentants des organisations et partis qui constituent le Comité du rassemblement populaire. Duclos nous apprend que « le serment que les manifestants prêtèrent dans la matinée du 14 juillet 1935 au stade Buffalo, après qu'Octave Rabaté en eut donné lecture, était ainsi formulé :

« Au nom de tous les partis et groupements de liberté et des organisations ouvrières et paysannes,

Au nom du peuple de France rassemblé aujourd'hui sur toute l'étendue du territoire,

Nous, représentants mandatés ou membres du Rassemblement populaire du 14 juillet 1935,

Animés de la même volonté de donner du pain aux travailleurs, du travail à la jeunesse et la paix au monde,

Nous faisons le serment solennel de rester unis pour désarmer et dissoudre les ligues factieuses, pour défendre et développer les libertés démocratiques et pour assurer la grande paix humaine. »

Toujours selon la même source : « En conclusion, les manifestants déclaraient :

« Dans cette journée du 14 juillet, ils saluent dans les armées de Terre, de Mer, de l'Air ‑ officiers, sous‑officiers, soldats et marins les forces nationales constituées pour la défense des libertés. »

Jacques Duclos, ce même 14 juillet, déclare au nom du parti communiste : « Nous voyons dans le drapeau tricolore le symbole des luttes du passé et dans notre drapeau rouge le symbole des luttes et des victoires futures. Et si l'immense foule chante notre hymne d'espérance et de lutte, L'Internationale, mais aussi La Marseillaise, nous n'oublierons pas que La Marseillaise est un chant révolutionnaire dont nous reprenons volontiers l'appel vibrant : Liberté, liberté chérie, combats avec tes défenseurs. » L'après‑midi, des centaines de milliers de travailleurs défilent de la Bastille à la Nation derrière Thorez, Léon Blum et Daladier venu à titre personnel.

Lors des premières négociations pour définir le programme du Front populaire, les dirigeants de la S.F.I.O. n'en croient pas leurs oreilles : le parti communiste refuse toutes mesures qui peuvent sembler porter atteinte au capital et que met en avant l'aile gauche du parti socialiste, telle la nationalisation des banques, des chemins de fer et des mines, en expliquant que de telles exigences ne pourraient qu'épouvanter le parti radical, défenseur de la propriété privée.

Et pourtant, les nationalisations, comme l'explique Léon Blum, « ce n'est pas la révolution » : « Les nationalisations sont aux socialisations ce que l'exercice du pouvoir est à sa conquête. Les nationalisations se placent dans le cadre du régime capitaliste. Elles sont exécutables sans conquête préalable de l'appareil politique de la bourgeoisie. Elles sont un moment de l'évolution capitaliste et non pas un moment de la révolution sociale. »

Qu'importe ! Les dirigeants du P.C.F. entendent dresser un barrage contre la montée des masses. Démonstrativement, ils s'allient au parti parlementaire classique de la bourgeoisie française : ils veulent élargir sans limites à droite le Rassemblement Populaire. Leur objectif est de défendre la propriété privée des moyens de production et, bien sûr, l'Etat bourgeois instrument politique de la domination de classe de la bourgeoisie sur la société.

Après la manifestation du 14 juillet 1935, Jacques Duclos explique devant les militants communistes de la région parisienne la signification de cette politique: « Nous ne repoussons pas les hommes qui sont à la droite du parti radical, qui veulent avec nous défendre la liberté. Pour notre part, nous n'avons jamais demandé au parti radical d'accepter nos mots d'ordre et notre Programme. Mieux, nous avons eu l'occasion, aussi bien dans le comité d'action à Paris qu'à Lyon, de nous élever contre certaines exigences mises en avant par d'aucuns pour amener la rupture avec les radicaux. »

La lutte des classes s'aiguise. Expulsés du processus de production, travailleurs et jeunes manifestent. Les heurts avec la police se multiplient. Le cabinet Laval au sein duquel siègent six ministres du parti radical, dont Edouard Herriot, son président, se livre à une attaque forcenée contre la classe ouvrière et les masses au moyen des décrets-lois.

Le 15 juillet 1934, décrets-lois qui réduisent de 10% toutes les dépenses Publiques (sauf les pensions militaires) de l'Etat et des collectivités locales (dont les salaires des fonctionnaires et assimilés) ; réduction des prestations des assurances sociales et des rentes, majoration de 20 à 25 % de l'impôt sur le revenu, baisse de 10 % sur le prix de l'électri­cité, du gaz et des loyers professionnels. La somme des économies devait permettre, de retirer 11 milliards de l'époque de la circulation. Le 8 août, nouvelle série de décrets‑lois, et encore le 30 octobre­

La classe ouvrière subit toujours les attaques du capital, mais elle se prépare incontestablement à prendre l'offensive. Dès lors et jusqu'à la grève géné­rale de juin 1936, le mouvement va se préparer, mettre ses conditions en place. De puissantes mani­festations toujours plus impressionnantes se succèdent. Les militants des partis ouvriers, et singulièrement ceux du parti socialiste, encadrés par le service d'ordre des T.P.P.S. que dirige Marceau Pivert, vont chasser des quartiers ouvriers les ligues fascistes. Ils mettent en fuite Camelots du roy, Volontaires nationaux, Croix‑de‑Feu. Ceux‑ci s'accrochent : ils organisent de grandes manifestations paramilitaires le jour de la fête de Jeanne d'Arc à Paris par exemple. Ils organisent également d'imposants rallyes au cours desquels des centaines d'automobiles convergent vers une ville de province où les « chefs » viennent inspecter leurs troupes. A différentes occasions, la parade motorisée se termine en déroute.

Ainsi à Limoges où les T.P.P.S. leur organisent une « chaleureuse réception ». Le prolétariat utilise l'en­semble des formes de lutte politique dont il dispose malgré l'entrave des appareils. La marée monte, et les masses s'ordonnent politiquement. Depuis la grève générale du 12 février et plus encore la conclusion du pacte d'unité d'action entre la S.F.I.O. et le P.C.F., inéluctable : se pose la question de l'unité syndicale, d'une centrale unique.

En octobre 1934, les dirigeants de la C.G.T., Jouhaux, Dumoulin, Bothereau, etc., modifient leur position : jusqu'alors ils exigeaient des dirigeants de la C.G.T.U. qu'ils rentrent à la C.G.T. en dissolvant la C.G.T.U. et ses syndicats. Ils acceptent que des discussions s'engagent sur la réalisation de l'unité organique des deux centrales. Mais les « unitaires » ne tiennent pas à l'unité organique, et les « confédéraux » exigent la dissolution des fractions au sein des confédérations. Lefranc signale un article que Les Cahiers du communisme publient le 1er novembre, où on lit : « L'unité du mouvement syndical assure la possibilité au parti communiste d'exercer son influence sur des masses plus larges que ce n'est le cas actuellement. C'est pourquoi les camarades français ont agi avec juste raison en ne faisant pas dépendre la question de l'unité de la question de l'indépendance du mouvement syndical. Que signifie cette indépendance ? Les communistes renoncent‑ils à avoir des fractions communistes dans les syndicats ? Renoncent‑ils à y poursuivre leur politique ? Bien entendu que non. »

Le 19 mars 1935, les comités confédéraux nationaux avaient constaté l'échec des pourparlers sur l'unité organique. Après le pacte franco‑soviétique, brusque tournant du P.C.F. Le 6 juin, Gitton dans L'Humanité annonce que le P.C.F. renonce aux fractions dans les syndicats. Les pourparlers sont repris. Le 27 septembre 1935, les congrès de la C.G.T. et de la C.G.T.U. fixent une procédure de réunification syndicale : au sommet, une commission mixte ; fusion des syndicats, des fédérations et des unions départementales ; un comité confédéral national enregistrera ces fusions et désignera un bureau national provisoire ; réunion d'un congrès confédéral national qui se tint à Toulouse du 2 au 5 mars 1936.

A la vérité, l'unification syndicale était devenue inévitable, bien avant que l'unité soit décidée de nombreux syndicats fusionnaient.

Les ex‑confédérés étaient largement majoritaires au congrès de Toulouse, 5 500 mandats contre 2 500 environ. En juillet 1935, les effectifs de la C.G.T. étaient évalués à 700 000 membres, ceux de la C.G.T.U. à 200 000. En 1937, le nombre de cartes placées sera de 4 936 025 !

Au mois d'août 1935, les travailleurs des arsenaux réagissent contre les conséquences des décrets Laval qui les frappent durement. A Brest et à Toulon, les ouvriers font grève. Ils hissent le drapeau rouge sur les arsenaux de ces deux villes. Du 5 au 9 août se déroulent de violentes manifestations au cours desquelles il y a trois morts.

Quelque temps après, Léon Trotsky écrit : « Le danger immédiat en France consiste en ce que l'énergie révolutionnaire des masses, dépensée morceau par morceau dans des explosions isolées comme à Toulon, à Brest, à Limoges, fasse place à l'apathie... La tâche des partis prolétariens consiste non pas à freiner et à paralyser ces mouvements, mais à les unifier et à leur donner la plus grande place. » (Où va la France ?)

Les résultats des élections municipales sont significatifs, des batailles de classe comme celles de Brest et de Toulon ne le sont pas moins, l'unifica­tion syndicale que la base impose l'est également. Manifestement, une crise révolutionnaire se prépare. A tout prix, il faut dresser un barrage qui endigue la montée des masses et les détourne de leurs objectifs de classe. L'alliance ouverte, proclamée, au nom de la défense de la démocratie contre le fascisme, est indispensable pour que les masses sachent bien qu'au moment les plus extrêmes de la crise, il faut, il faudra respecter le système capitaliste et l'Etat bourgeois.

Le Kremlin et les dirigeants du P.C.F. ont élaboré contre le mouvement des masses qui monte la politique du front populaire.

Jacques Duclos ne s'y trompe pas, dans le discours déjà cité du 23 juillet 1935, il déclare : « La secte des trotskystes qui s'intitule bolchevique‑léniniste, alors qu'ils sont aussi éloignés du bolchevisme-léninisme que le socialisme national de Jean Hennessy du socialisme, n'a qu'un objectif : consommer la rupture entre les masses populaires groupées derrière le parti radical et celles qui suivent les autres groupements du Front populaire. »

Le front populaire exige la chasse aux trotskystes. mais tenter de contenir et de faire refluer le mouvement des masses exige qu'à la S.F.I.O. aussi s'organise la chasse aux sorcières. Déjà, au congrès de Mulhouse, Blum a annoncé qu'il faudrait en finir avec la tendance trotskyste des bolcheviques‑léninistes. Ce sont d'abord les militants dans les J.S. qui sont frappés. A la conférence nationale de Lille, le 29 juillet, douze membres de la commission exécutive de la Seine des J.S., trotskystes et sympathisants trotskystes, sont exclus. Le 1er octobre, ce sont quinze dirigeants trotskystes que la commission administrative permanente exclura. C'est au même moment que Marceau Pivert rompt définitivement avec la « Bataille socialiste » de Zyromski. Le 26 septembre, la 15° section du P.S., qui est la section de Pivert, organise une réunion de militants socialistes de gauche de la Seine, à laquelle mille militants participent. Le 30 septembre, la « Gauche révolutionnaire » est constituée : l'orientation affirmée est celle de la lutte des classes, elle démarque souvent l'orientation que Trotsky défend dans ses écrits, mais elle se prononce (point 1) pour le front populaire en le gauchissant sous l'appellation de « front populaire de combat » ; et elle se conclut ainsi au point 7 : « Notre but est de gagner la majorité des militants S.F.I.O. à ces points de vue. »

il est difficile de ne pas voir que la constitution de, la « Gauche révolutionnaire » survient à propos pour couper les militants révolutionnaires de la S.F.I.O. des « bolcheviques‑léninistes » qui viennent d'en être exclus.

Du côté du capital financier, une politique complexe contre la montée du mouvement des masses s'élabore. D'un côté, les ligues continuent à être généreusement arrosées financièrement, le gouvernement Laval poursuit ses attaques contre les masses ; de l'autre, le parti radical va accepter, tout en continuant à être au gouvernement Laval et à le soutenir au Parlement, de participer au Front populaire. L'opération se réalise en octobre 1935 où le congrès du parti radical qui se tient à la salle Wagram décide d'adhérer au Front populaire.

Le gouvernement Laval tiendra jusqu'au 22 janvier. Auparavant, un épisode significatif a éclairé le sens de la politique de front populaire. Le 6 décembre, lbarriegaray déclare à la Chambre que les Croix‑de‑Feu consentiraient à leur désarmement. Par sa bouche, c'est le grand capital, lequel arme et entretient les ligues fascistes, qui parle. Le désarmement réel est une chose. L'opération politique en est une autre. Immédiatement Blum et Thorez prennent, l'un au nom de la S.F.I.O., l'autre du P.C.F., un engagement parallèle. Le gouvernement dépose trois projets de loi qui renvoient devant une juridiction criminelle les auteurs de provocations au meurtre, prononcent la dissolution des milices privées, édictent des peines de prison pour ceux qui seront trouvés porteurs d'armes prohibées. Tout cela n'aura pas d'efficacité pratique. Léon Blum lui-même sera le jeudi 13 février 1936 victime d'une agression fasciste. Ce qui importe, c'est l'opération politique qui se prépare.

A la suite de divergences au comité exécutif du parti radical, Herriot, ministre du gouvernement Laval, démissionne de la présidence du parti. La politique étrangère de Laval est mise en cause à la Chambre, car il a soutenu l'Italie fasciste qui a occupé l'Ethiopie en torpillant les sanctions. Le 10 janvier 1936, l'accord sur le programme de Front populaire se réalise entre le P.C.F., la S.F.I.O., le parti radical. Le 18 janvier, 88 députés du parti radical votent contre la confiance au gouvernement Laval, 45 ont voté pour, 10 se sont abstenus. Le 19 janvier, Daladier est élu président du parti radical. Les ministres radicaux vont démissionner du gouvernement Laval, qui à son tour démissionne.

Sarraut, radical « de droite », forme le nouveau gouvernement. Un gouvernement de transition jusqu'aux élections législatives. De nombreux radicaux occupent d'importants ministères, mais Régnier, ministre des Finances de Laval, garde son poste. Les députés S.F.I.O. votent pour la confiance, ceux du P.C.F. s'abstiennent. C'est certainement le premier gouvernement de front populaire, et même, au‑delà, il anticipe sur le « front des Français » de « Thorez à Paul Reynaud ».

Le décor est posé. Le programme de Front populaire, dont l'objectif est « la défense de la République », exclut toute atteinte à la propriété privée des moyens de production, assure la défense des institutions, de la Police, du corps des magistrats, des hauts fonctionnaires : de l'Etat.

Il s'agit d'une alliance qui subordonne les intérêts de la classe ouvrière au maintien du système capitaliste à un moment extrême de crise.

Le ralliement du parti radical s'explique aisément : la radicalisation des « classes moyennes » jetées dans la misère par la crise du système capitaliste aboutit à une polarisation classe contre classe dont la première conséquence serait la liquidation quasi totale sur le plan électoral du parti radical. Pour sa propre défense comme parti bourgeois, le parti radical, porté aux nues par les dirigeants du P.C.F., adhère sur sa politique comme parti de la grande bourgeoisie au Front populaire.

Mais la participation du parti radical au Front populaire doit être analysée plus fondamentalement. Y compris en Allemagne, le capital financier a longtemps hésité avant de confier le pouvoir à Hitler et à ses séides. Longtemps, il les a utilisés pour attaquer le prolétariat, faire contrepoids à la classe ouvrière. Ce n'est qu'avec l'éclatement de la crise économique qu'il a procuré aux nazis les moyens qui leur ont permis de développer leur propagande, leur agitation, leur organisation, de payer des dizaines de milliers de S.A., de S.S., de fonctionnaires, de s'appuyer sur l'appareil d'Etat, la police, l'armée, etc. Ce n'est que devant l'impossibilité de résoudre la crise économique, autrement qu'au moyen d'un vaste plan de réarmement, et la certitude qu'en fin de compte s'ouvrirait une crise révolutionnaire si une solution n'était pas apportée aux crises politiques et économiques, que le capital financier a confié le pouvoir à Hitler. Le capital financier allemand pouvait avoir de tout autres perspectives que son homologue français pendant ces années 30. Jouant de la division des puissances impérialistes européennes « victorieuses » en 1918, de la crise qui secouait l'impérialisme, U.S., en raison de sa puissance et de sa place en Europe, le capital financier allemand peut tenter l'aventure de l'hitlérisme : subordonner l'Europe au cours d'une seconde guerre mondiale. Le risque est énorme, mais l'impérialisme allemand a les moyens de cette fuite en avant, et ne pas la pratiquer est pour lui tout aussi aventureux. Il en va tout autrement du capital financier français. Tout conserver, maintenir les choses en l'état, c'est son credo. Pour le reste, il est poussé par l'événement. Trotsky souligne qu'en février 1934 le capital financier français n'a pas voulu aller plus loin.

La montée des masses, la faiblesse des ligues, conjuguées à son incapacité à ouvrir à la façon hitlérienne de « grandioses perspectives », la difficulté de « radicaliser », d'« électriser » dans ces conditions la petite bourgeoisie désespérée, la peur du lendemain, de l'» aventure », amènent le capital financier à pratiquer une politique d'équilibre : d'un côté, appui aux ligues fascistes, à la « droite » de l'autre, par parti radical interposé, appui à la politique de Front populaire qui dresse un barrage contre la montée révolutionnaire des masses. Le choix du parti radical est fondamentalement celui que le capital financier fait pour lui, le rôle qu'il lui dicte. Trois ans plus tard, ce même parti sera celui qui en terminera avec le Front populaire pour passer à une politique de répression ouverte contre les masses et leurs organisations, de remise en cause des conquêtes sociales de la grève générale de juin 1936.

Les élections d'avril 1936[modifier le wikicode]

La campagne électorale s'ouvre le 7 avril. Les élections législatives auront lieu au scrutin uninominal à deux tours. Le premier tour le 26 avril, le second le 3 mai.

Innovation : pour la première fois, les principaux partis pourront utiliser les ondes de la radiodiffusion.

Le chômage s'est développé, la situation internationale fait peser sur les masses le risque de la guerre.

Les candidats socialistes font campagne sur le thème : « Imposition des deux cents familles, organisation de grands travaux pour résorber le chômage, réduction de la semaine de travail à quarante heures. »

Les communistes, eux, proposent d'élargir le front populaire en front national.

Maurice Thorez déclare à la radio le 7 avril :

« Nous te tendons la main, catholique, ouvrier, employé, artisan, paysan, nous qui sommes des laïques, parce que tu es notre frère et que tu es comme nous accablé par les mêmes soucis.

« Nous te tendons la main, volontaire national, ancien combattant devenu Croix‑de‑Feu, parce que tu es fils de notre peuple, que tu souffres comme nous du désordre et de la corruption, parce que tu veux comme nous éviter que le pays ne glisse à la ruine et à la catastrophe. »

François Mauriac, étonné par les propos de Thorez, les commente en ces termes dans Le Figaro : « Or, dans ce vieux salon où j'étais seul, attentif à la voix du rossignol qui essayait de chanter bien que la nuit fût froide, une autre voix s'éleva, presque aussi douce, une voix tendre et bêlante, plus persuasive que celle de Philomène, la voix du communiste Thorez. »

Daladier, s'appuyant sur les déclarations de Maurice Thorez, assure à la grande bourgeoisie que la victoire du Front populaire, c'est la victoire de la France et de la « sécurité ».

La droite, elle, va à la bataille en ordre dispersé, Un argument domine tous les autres : l'anticommunisme.

Le premier tour exprime dans ses résultats une formidable poussée à gauche.

Très forte participation d'électeurs (84%), 174 élus, 424 ballottages. Communistes et socialiste progressent, quant aux radicaux, ils s'effondrent.

N'oublions pas qu'en 1936 la classe ouvrière est numériquement beaucoup moins nombreuse en France qu'elle ne l'est aujourd'hui, que la population des campagnes reste supérieure à celle des villes, que le nombre et la proportion des salariés sont beaucoup plus faibles. La force organisée, les positions que la classe ouvrière occupe en tant que classe à l'intérieur même de la société bourgeoise sont également bien moindres que celles d'aujour­d'hui. Mais le rôle politique du prolétariat, lui, est le même qu'aujourd'hui. Bien que minoritaire, mal organisée, n'occupant que de faibles positions, la classe ouvrière entraîne dans son mouvement la population laborieuse, jusqu'à des fractions importantes de la petite bourgeoisie, et de la petite et moyenne paysannerie.

Dès le lundi 27, Daladier, au nom du parti radical, Séverac pour la S.F.I.O., et Thorez au nom du parti communiste, lancent un appel commun de désistement en faveur du candidat « de la gauche » le mieux placé. Cette politique va sauver le parti radical du désastre : dès le premier tour, une partie des petits bourgeois des villes et des campagnes, des paysans, bref, de la clientèle électorale du parti radical, a voté pour les candidats de la S.F.I.O. et du P.C.F.

Dans les usines et les entreprises, on sent que la victoire est à la portée de la main. Bien que le 1er Mai ne soit pas chômé, des débrayages importants et spontanés ont lieu : les résultats du second tour donnent la victoire absolue en majorité et en sièges au Front populaire.

Les résultats électoraux sont les suivants[5] :

Nombre de voix (premier tour)19321936
Radicaux et apparentés2 315 0001 745 000
Socialistes et apparentés2 094 0002 206 000
Communistes et apparentés783 0001 468 000

Les partis appelés « de droite » n'avaient déjà en 1932 recueilli que 37,5 % des suffrages. Ils tombent à seulement 35,38 %o. Le grand perdant est le parti radical. Le, P.C.F. d'abord, la S.F.I.O. ensuite, sont en voix comme en sièges les grands gagnants. Les sièges, les pertes et les gains se répartissent ainsi :

Partis du Front populaire19321936
PCF1072+62
PUP1110-1
SFIO97146+49
USR (scission SFIO 1933)4526-19
Radicaux159116-43
TOTAL322370+48
TOTAL partis non-membres du FP222

Ces résultats expriment la polarisation, la division de la société : d'un côté, les masses s'alignent derrière le P.C.F. et le P.S. et les poussent en avant ; de l'autre, tous ceux qui redoutent la révolution s'alignent et s'abritent derrière les partis bourgeois les plus réactionnaires. Ajoutons que même sur le plan électoral, l'effondrement en voix et en élus du parti radical devait être infiniment plus considérable s'il n'avait bénéficié de la couverture des partis ouvriers, du manteau de Noé que le Front Populaire a jeté sur lui.

Résultats impressionnants. Pourtant , ils ne transcrivent pas les rapports de force réels. Premièrement, le poids social d'un électeur n'égale pas le poids social d'un autre électeur. Les producteurs sont la force sociale déterminante d'une société, et non les douairières du XVI° arrondissement, les bonnes sœurs, les curés, les patrons, les parasites sociaux de toutes origines. Mais même les producteurs n'ont pas tous le même poids social : la classe ouvrière exerce les fonctions productives vitales de la société capitaliste. Les élections atomisent la société : chaque électeur n'est plus qu'un individu. Or, ce sont les classes sociales qui fondamentalement s'affrontent

Enfin, l'image du rapport entre les classes que donnent les élections est une image déformée, elle ne montre pas la dynamique de ces rapports. La victoire de la classe ouvrière dans sa lutte contre le capital, la société bourgeoise, l'Etat bourgeois, dépend uniquement de la conscience qu'elle acquiert de sa puissance sociale, et que seuls les rapports politiques permettent d'exprimer vraiment et pleinement. Les résultats des élections de 1936 doivent être interprétés comme un moment du mouvement politique de la classe ouvrière contre la société et l'Etat bourgeois. La classe ouvrière, s'appuyant sur ces résultats qui lui permettent de vérifier sa force politique, va aller plus loin.

Le Populaire en date du 5 mai titre : « Après le triomphe électoral de dimanche, le parti socialiste est prêt à former le gouvernement de Front Populaire. »

Et, immédiatement, dirigeants socialistes, communistes et radicaux de rassurer la bourgeoisie sur la signification de la victoire du Front populaire. Waldeck Rochet écrit dans L'Humanité : « Les électeurs ne se sont pas prononcés pour la révolu­tion. Nous ne sommes ni des putschistes ni des partisans du tout ou rien. »

Maurice Thorez, interrogé le 6 mai lors d'une conférence de presse par un journaliste :

« Que ferez‑vous de la Banque de France ?

‑ Nous, rien. Ce sera l'affaire du gouvernement. »

Blum constate : « Il n'y a pas de majorité socialiste, il n'y a pas de majorité prolétarienne, il y a la majorité du Front populaire dont le programme de Front populaire est le lieu géométrique. Notre mandat, notre devoir, c'est d'accomplir et d'exécuter ce programme. »

Doucement, constitutionnellement, le Front populaire s'apprête à former un gouvernement.

France : juin 1936­ - 30 novembre 1938[modifier le wikicode]

C'est la grève[modifier le wikicode]

La classe ouvrière, elle, n'attend pas. Prenant appui sur sa victoire électorale, elle exige immédiatement et dans un mouvement spontané que ses revendications, que dégage son propre mouvement et qu'aucun programme n'a antérieurement formulées, soient satisfaites. A cet égard, le programme du Front populaire est entièrement vide, il ne contient pas grand-chose et surtout pas les revendications de la classe ouvrière. Mais la classe ouvrière a voté P.C.F.-P.S. pour des raisons précises : en finir avec les gouvernements du capital et que ses revendications soient satisfaites.

En effet, ce qu'il est convenu d'appeler le « programme social du Front populaire » est très modeste et très abstrait. Il se réduit en tout et pour tout à cela :

« 1. - RESTAURATION DE LA CAPACITÉ DACHAT SUPPRIMÉE OU RÉDUITE PAR LA CRISE

Contre le chômage et la crise industrielle :

Institution d'un fonds national de chômage.

Réduction de la semaine de travail sans réduction du salaire hebdomadaire.

Appel des jeunes au travail par l'établissement d'un régime de retraites suffisantes pour les vieux travailleurs.

Exécution rapide d'un plan de grands travaux d'utilité publique, citadine et rurale, en associant à l'effort de l'Etat et des collectivités l'effort de l'épargne locale.

Contre la crise agricole et commerciale :

Revalorisation des produits de la terre, combinée avec une lutte contre la spéculation et la vie chère, de manière à réduire l'écart entre les prix de gros et les prix de détail.

Pour supprimer la dîme prélevée par la spéculation sur les producteurs et les consommateurs : création d'un office national interprofessionnel des céréales.

Soutien aux coopératives agricoles, livraison des engrais au prix de revient par les offices nationaux de l'azote et des potasses, contrôle et ratification de la vente des superphosphates et autres engrais, développement du crédit agricole, réduction des baux à ferme.

Suspension des saisies et aménagement des dettes. Mise au point de la révision des billets de fonds de commerce.

En attendant l'abolition complète et aussi rapide que possible de toutes les injustices que les décrets-lois comportent, suppression immédiate des mesures frappant les catégories les plus touchées dans leurs conditions d'existence par ces décrets. »

La classe ouvrière ne respecte pas le programme du Front populaire. Elle engage rapidement le combat pour ses revendications qui vont se préciser.

Le lundi 11 mai, la grève éclate à l'usine Bréguet du Havre : les travailleurs exigent qu'on revienne sur le licenciement de deux ouvriers qui ont fait grève le 1er Mai. La direction refuse de négocier : les travailleurs occupent l'usine, organisent un service de ravitaillement. Le lendemain, la direction cède : le droit de grève du 1er Mai est admis, les deux ouvriers réintégrés, les jours de grève payés. Pour les mêmes motifs, une grève éclate aux usines Latécoère de Toulouse : là aussi, les ateliers sont occupés, et les travailleurs obtiennent satisfaction sur toutes les revendications. Le 14 mai, grève avec occupation des locaux aux usines Bloch à Courbevoie : la direction avait refusé d'examiner un cahier de revendications comportant un relèvement des salaires et l'aménagement des horaires de travail. Le lendemain, elle cède.

L'Humanité comme Le Populaire minimisent ces événements.

Au Comité du rassemblement populaire, l'idée d'une grande manifestation célébrant la victoire du Front populaire est retenue. Mais les radicaux s'opposent à ce que la date retenue soit le 24 mai et le lieu le mur des Fédérés. La « Commune de Paris » et le « Front populaire », ce sont en effet deux termes qui s'excluent l'un l'autre. La S.F.I.O. et le P.C.F. le reconnaissent pleinement : la manifestation est donc prévue pour le 14 juin.

Mais la tradition des partis ouvriers ne leur permet pas d'annuler la manifestation du 24 mai.

Exprimant les véritables rapports de force, le 24 mai, au Père-Lachaise, des centaines de milliers de travailleurs manifestent pour commémorer la Commune. La classe ouvrière se sent forte : un formidable mouvement d'une ampleur inconnue commence.

Le 28 mai, les 33 000 ouvriers de chez Renault partent en grève, occupent l'usine, hissent le drapeau rouge. Dans les heures qui suivent, la grève fait tache d'huile dans toute la métallurgie parisienne : Fiat, Chausson, Talbot, Citroën, Gnome et Rhône...

M. Lehideux, administrateur de chez Renault, commente en ces termes la signification de ce mouvement : « La grève est le résultat d'une contagion qui a pour déterminante un problème politique. »

Intervenant au Sénat, pour s'expliquer sur son action, Sarraut, président du Conseil, décrira en ces termes la réponse des patrons à une éventuelle intervention de la troupe pour faire évacuer les usines : « Non, surtout pas cela... Pas d'usage de la police... Nous risquons le conflit sanglant... C'est du sang qui rejaillira sur nous et cela nous interdira peut-être de reprendre la direction de nos usines. » (Sénat, 7 juillet 1936.)

Le 27 mai, Marceau Pivert écrit dans Le Populaire son célèbre article : « Tout est possible. »

« Tout est possible. » Quoi, tout ? La satisfaction des revendications, un gouvernement des partis ouvriers, l'expropriation du capital ? Marceau Pivert est extrêmement vague. Tout est possible, certes, mais à quelques conditions cependant. Briser le carcan du Front populaire, s'orienter vers la construction d'un parti révolutionnaire, ne distiller nulle illusion tant à l'égard de la S.F.I.O. que du P.C.F. Ce n'est pas l'orientation de la « Gauche révolutionnaire » et de Marceau Pivert. Il affirme :

« TOUT EST POSSIBLE

Qu'on ne vienne pas nous chanter des airs de berceuse : tout un peuple est désormais en marche, d'un pas assuré, vers un magnifique destin.

Dans l'atmosphère de victoire, de confiance et de discipline qui s'étend sur le pays, oui TOUT EST POSSIBLE aux audacieux !

Tout est possible, et notre parti a ce privilège et cette responsabilité, tout à la fois, d'être porté à la pointe du mouvement.

Qu'il marche ! Qu'il entraîne ! Qu'il tranche! Qu'il exécute ! Qu'il entreprenne ! Et aucun obstacle ne lui résistera !

Il n'est pas vrai que nos amis radicaux puissent, ou même désirent s'opposer à certaines revendications d'ordre économique, comme la nationalisation du crédit, de l'énergie électrique ou des trusts. Il n'est pas vrai qu'ils soient destinés à servir de terre-neuve aux compagnies d'assurances ! Le goût du suicide politique n'est pas tellement développé sous la pression croissante des masses vigilantes.

Il n'est pas vrai que nos frères communistes puissent, ou même désirent retarder l'heure de la révolution sociale en France pour répondre à des considérations diplomatiques d'ailleurs dignes d'examen. On ne freinera pas, on ne trahira pas la poussée invincible du Front populaire de combat.

[...]

Si, par hasard, des personnes trop prudentes voulaient nous mettre en garde, sous prétexte de ne pas gêner le gouvernement, nous leur répondrions que c'est là méconnaître la volonté de combat qui inspire le parti, depuis le plus modeste militant jusqu'à ses chefs les plus éminents. Cette volonté de combat, à elle seule, est un élément dynamique dans la bataille qui s'engage ; il faudra que le congrès l'exprime en termes catégoriques et concrets. Les mauvais serviteurs du socialisme ne seraient pas ceux qui, quoi qu'il arrive, entendent conserver leur franc-parler, mais ceux qui voudraient transformer en couvent silencieux un grand parti de démocratie prolétarienne ouvert à toutes les idées, et tout entier dressé dans un décisif combat de classe.

CAR TOUT EST POSSIBLE, avec un tel parti fidèle à son objet, à sa structure et à ses principes. »

Quant à Jouhaux, Frachon, Blum et Thorez, ils ne veulent absolument pas que tout ce qui est possible soit fait, que soit porté au pouvoir un gouvernement des partis ouvriers sans ministre représentant les partis bourgeois, que toutes les revendications soient satisfaites, que le capital soit exproprié.

Le 2 juin, plus de 100 000 métallos parisiens sont en grève, le mouvement se développe en province. De nouvelles corporations entrent dans l'action : travailleurs de l'Exposition universelle, mineurs, ouvriers boulangers, chauffeurs de taxi. Le 4 juin, les vendeurs de journaux entrent à leur tour dans la grève et décident de ne diffuser que Le Populaire, L'Humanité et L'Œuvre, quotidien du parti radical...

Les dirigeants de la C.G.T. réformistes et staliniens sont submergés par la grève générale, mais l'appareil n'est pas ébranlé. La grève par son ampleur et son contenu soulève les questions politiques du gouvernement, du pouvoir, de qui est le maître, dans le pays, dans les entreprises, sans pourtant leur donner une claire réponse et encore moins les résoudre. La digue des appareils syndicaux submergée par la vague sert néanmoins de brise-lames.

Jouhaux reconnaîtra que l'appareil a été débordé, lorsque, faisant l'historique de la grève, il déclarera le 16 juin devant le C.N. de la C.G.T. : « Le mouvement s'est déclenché sans qu'on sût ni comment ni où... »

François Lerbettes, leader de droite, écrit : « Ce qui est à nos portes, c'est la révolution communiste dont les tentatives d'installation en France ont déjà fait couler des flots de sang, dans les trois printemps tragiques de 1794, 1848 et 1871. »

En effet, pour la première fois depuis la Commune de Paris, la classe ouvrière entre nationalement et dans tous les secteurs dans l'action, avec ses revendications, ses délégués, ses comités de grève.

Le paysage politique vire au rouge.

Le 4 juin, on dénombre plus de 12 000 grèves, dont 9 000 avec occupation d'usine...

La grève est calme et ordonnée. Elle est aussi « fraîche et joyeuse ». La bourgeoisie est, quant à elle, plus qu'inquiète, angoissée. La grève, son ampleur, l'ont surprise. La classe ouvrière, en cessant le travail, paralyse le pays. Les travailleurs occupent les usines. Les militants ouvriers chassent les vendeurs de journaux d'extrême droite. L'ordre bourgeois est remis en cause. Un nouvel ordre ne va-t-il pas surgir : l'ordre ouvrier ?

« C'est la grève, c'est le rassemblement au grand jour des opprimés contre les oppresseurs, c'est le début classique de la révolution » a écrit Trotsky.

Des milliers d'ouvriers « anonymes » sortent du rang, élus par leurs camarades, ils se font organisateurs, orateurs, parlent haut et fort au patron.

En quelques jours, tout a changé : les opprimés prennent conscience de leur force, de la puissance de l'unité.

Mais la grève est aussi pleine d'illusions : illusions dans les dirigeants ouvriers, illusions dans le fait que la puissance du mouvement, l'occupation des usines, suffisent... La victoire est au bout, contre les patrons et leur gouvernement.

La C.G.T. s'efforce de reprendre le contrôle du mouvement. Elle appelle à la grève générale là où elle est déjà déclenchée : dans les mines du Nord et du Pas-de-Calais ; dans le bâtiment. Les dirigeants de la C.G.T. courent après le mouvement pour tenter de le « coiffer », de le canaliser.

C'est en ces termes que le comité régional du Nord et du Pas-de-Calais des mineurs appelle à la grève : « Pour maintenir l'ordre et le calme, et faciliter la tâche du gouvernement... »

Le gouvernement ? Quel gouvernement ?

Légalement, le gouvernement Sarraut doit continuer son « action » jusqu'à ce que la Chambre ait accordé l'investiture au gouvernement que doit former Léon Blum.

Le 4 juin, Sarraut remet sa démission au président de la République, Lebrun, qui immédiatement supplie Léon Blum de constituer son gouvernement pour se mettre au travail. Blum proteste : il faut respecter les usages et la Constitution, et convoquer la Chambre pour obtenir l'investiture...

Mais Lebrun insiste : l'heure n'est pas à ce légalisme. Le 4 juin à 18 h 15, le ministère Blum est constitué. Salengro, ministre de l'Intérieur, et Lebas, ministre du Travail, entrent immédiatement en fonctions.

« A ce moment, dans la bourgeoisie et en particulier dans le monde patronal, on me considérait, on m'attendait comme un sauveur. Les circonstances étaient si angoissantes, on était si près de quelque chose qui ressemblait à la guerre civile, qu'on n'espérait plus que dans une sorte d'intervention providentielle, je veux dire l'arrivée au pouvoir de l'homme auquel on attribuait sur la classe ouvrière un pouvoir suffisant de persuasion pour qu'il lui fît entendre raison et qu'il la décidât à ne pas user, à ne pas abuser de sa force. » (Léon Blum au procès de Riom.)

Dès la présentation du gouvernement, Lebrun entraîne Léon Blum à l'écart et lui demande d'intervenir immédiatement à la radio : « Dites-leur que le Parlement va se réunir, que dès qu'il sera réuni vous allez lui demander le vote rapide et sans délai de lois sociales... Ils vous croiront et alors peut-être le mouvement s'arrêtera-t-il ? »(Léon Blum au procès de Riom.)

Le 5 juin, Blum s'adresse par trois fois aux grévistes : le gouvernement n'a toujours pas « eu le temps » d'obtenir l'investiture de la Chambre. C'est l'illégalité au service des intérêts de... la légalité du profit.

Les 6 et 7 juin, la grève gagne la plupart des villes de province, les « cols blancs » se joignent aux travailleurs manuels.

La panique du grand patronat est directement proportionnelle avec l'ampleur du mouvement ; oui, Trotsky a raison : la révolution française a commencé.

Sur ce point, Lebrun, Blum, Thorez, Daladier, Jouhaux, sont d'accord.

Il faut donc enrayer le processus, faire rentrer la grève, faire accepter à la classe ouvrière qu'elle reprenne la vie quotidienne, respecte la propriété, la légalité, l'ordre bourgeois. En un mot, céder quelque chose pour éviter le pire.

Les accords Matignon[modifier le wikicode]

La Confédération générale de la production française (ancêtre du C.N.P.F.) n'y va pas par quatre chemins. Vendredi 5 au matin, Alexandre Lambert-Ribot, délégué général du Comité des Forges, collègue de Blum au Conseil d'Etat, le fait prévenir qu'il souhaite lui parler. Lambert-Ribot déclare au chef du gouvernement que la C.G.P.F. désire que « sans perdre une minute » soit organisée une rencontre entre représentants des syndicats et ceux du patronat.

Tout va aller très vite. Le 7 juin, à 15 heures, Léon Blum, Jouhaux, Frachon, Belin, Serrat, Cordier, Milain pour la C.G.T. Duchemin, Richemond, Dalbonge, Lambert-Ribot pour la C.G.P.F. s'assoient à la table des négociation..

La première discussion dure jusqu'à 20 heures. Puis reprend à 23 heures. A 0h40, l' « accord Matignon » est signé et communiqué à la presse.

« Ils ont cédé sur tous les points », dira Frachon.

Non. Mais pour maintenir la propriété privée des moyens de production, pour maintenir l'ETAT, pour éviter l'explosion, l'affrontement direct à un niveau supérieur entre les masses ouvrières et le grand capital, le patronat « lâche » en cette journée plus qu'en trente ans.

Les résultats sont loin d'être négligeables :

  • établissement immédiat de contrats collectifs de travail ;
  • reconnaissance du droit de se syndiquer - majoration des salaires de 7 à 15 %

Les revendications arrachées n'ont rien de commun avec les formules creuses du programme de Front populaire.

Le patronat concède des revendications considérables pour conserver l'essentiel : la propriété privée des moyens de production. Les tendances fondamentales du mouvement des masses vont vers l'appropriation des moyens de production. Spontanées mais confuses, elles trouvent çà et là une expression plus claire. Les métallos sont à l'avant-garde du mouvement. C'est eux qui dégagent le plus clairement la tendance du mouvement. Un délégué de Rateau déclare : « Les camarades sauront bien organiser le travail sans les patrons. »

Les ouvriers de l'aéronautique proposent à Cot, ministre de l'Air, de nationaliser les usines d'armement et d'en prendre le contrôle direct.

Les grévistes se tournent vers « leurs » ministres du Front populaire en disant : « Nous sommes prêts ! Donnez les consignes, les directives, nous agirons. »

Usines occupées, grands magasins, banques, compagnies d'assurances, le temple du profit, la Bourse elle-même, est menacée par la grève...

Signe de la profondeur de la crise : la police est atteinte dans son « moral ». L'Etat bourgeois dont elle est une composante va-t-il tenir ? Comme toujours en ces cas-là, elle perd sa superbe, son assurance, sa certitude d'être la force, donc le droit. Elle se sent « plus près du peuple ».

Les accords Matignon sont salués par la presse des organisations et partis ouvriers comme une formidable victoire.

L'Humanité titre : « La victoire est acquise. » Le Populaire écrit : « Victoire ! Victoire ! Les patrons ont capitulé !... Les patrons ? Quels patrons ? Tous ! [...] Victorieux, les ouvriers peuvent reprendre le travail... »

Le 8, Jouhaux déclare à la radio, après avoir analysé la portée des « accords » : « Dans chaque entreprise la grève doit cesser si le patron déclare adhérer à l'accord du 7 juin [...]. La C.G.T. s'est formellement engagée à favoriser ce processus d'apaisement. »

Les travailleurs en grève comprennent que ce que le patronat lâche témoigne de sa peur de perdre beaucoup plus, sinon tout. Mais les accords Matignon sont l'accord de la trahison, le nœud coulant que l'on veut passer autour de la gorge de la classe ouvrière pour faire cesser la grève. Les travailleurs en ont l'intuition : ils refusent de cesser la grève, de reprendre le travail, la vie quotidienne de l'exploitation.

Non seulement la grève ne cesse pas, mais de nouvelles corporations vont entre le 7 et le 12 juin entrer dans l'action, encouragées par les accords signés à Matignon. Dans le Nord, le Midi, en Afrique du Nord, des centaines de milliers de prolétaires faites passent à l'action, « relevant » ceux qui rentrent dans la région parisienne.

Dans la banlieue, les métallos renâclent. Confusément, la classe ouvrière sent qu'elle peut aller plus loin. Le mardi 9 juin, 700 délégués des usines en grève se réunissent salle Mathurin-Moreau. Les dirigeants de la C.G.T. demandent aux travailleurs de se prononcer sur la fin de la grève : les délégués interviennent et exigent que toutes leurs revendications - dépassant l'accord de Matignon - soient honorées !

Les métallos ne reprendront pas le travail : la C.G.T. s'incline.

Le 10 juin, après avoir enregistré le refus de, patrons, la C.G.T. fait son compte rendu devant une nouvelle assemblée de délégués : la colère gronde et les travailleurs commencent à envisager une manifestation de rue...

Ils décident de continuer la grève : la CGT s'incline à nouveau...

Le 11, après de nouvelles négociations, où le patronat recule, nouvelle assemblée présidée par Frachon. Malgré les concessions enregistrées, les délégués exigent au nom de leurs camarades que toutes les traites soient payées. Les métallos ne cèdent pas, malgré les appels de Frachon et d'Henaff. Certains délégués reprennent les propositions d'organiser une manifestation pour « descendre sur Paris ».

Le 12, le patronat cède sur tous les points.

Ainsi, malgré les illusions, les incertitudes de la classe ouvrière, Trotsky a-t-il raison d'écrire : « La révolution française a commencé. »

Thorez : « Il faut savoir terminer une grève »[modifier le wikicode]

Depuis sa fondation en 1921, le parti communiste français a connu jusqu'en 1934 bien des vicissitudes, Au moment de la scission, il était largement majoritaire et comptait plus de 100 000 membres. En revanche, la C.G.T.U., née de la scission que l'appareil réformiste avait imposée afin le courant révolutionnaire ne devienne majoritaire, était restée minoritaire. La politique tour à tour opportuniste, puis sectaire et aventuriste, que l'I.C. stalinisée devait imposer jusqu'en 1934 au P.C.F. l'avait réduit à quelque dix à vingt mille adhérents en 1933, la C.G.T.U. n'étant plus qu'un squelette. 1934 va voir se modifier cette tendance. Si la grande masse des travailleurs regarde du côté de la S.F.I.O., si celle-ci voit croître ses effectifs, si par milliers les ouvriers d'avant-garde y entrent et cherchent à se constituer en courant révolutionnaire, aux yeux des masses l'U.R.S.S. reste le pays de la révolution d'Octobre, l'I.C. et le P.C.F. ses représentants.

Au fur et à mesure où de 1934 à 1936 s'affirme la marche à la crise révolutionnaire, les masses et les militants se tournent de plus en plus nombreux vers le parti qui leur semble être celui de la révolution. De 1934 à 1936, le P.C.F. reconstitue son cadre militant. Il reste minoritaire par rapport au P.S., mais ce sont déjà plusieurs dizaines de milliers de militants qui le rejoignent. Ils vont être les cadres organisateurs des couches profondes et décisives du prolétariat en mouvement en juin 1936.

Selon Lefranc, les effectifs du P.S. et du P.C.F. évoluent de la façon suivante : « En avril 1936, les effectifs de la S.F.I.O. dépassent ceux de la S.F.I.C. (114 000 contre 106 000). En mai 1936, la S.F.I.O. est distancé : elle compte 127 000 adhérents contre 131 000 au parti communiste. »

Dans les mois suivants, la S.F.I.O. atteindra 200 000 adhérents environ. Au comité central du 22 février 1937, la direction du P.C.F. affirme son parti est passé de 80 000 adhérents au congrès de Villeurbanne en janvier 1936 à 220 000.

Une grande masse de travailleurs adhèrent à la section française de la III° Internationale, voyant dans le P.C.F. le parti héritier de la révolution d'Octobre, de Lénine, du combat pour le socialisme. Les masses le chargent de leurs espoirs, de leurs espérances.

La nature du P.C.F. n'est pas identique à celle de la S.F.I.O. L'un et l'autre sont des partis ouvriers. bourgeois contre-révolutionnaires. Mais la S.F.I.O. est directement liée à sa bourgeoisie, au système impérialiste. Le P.C.F. dépend entièrement de la bureaucratie du Kremlin : il est un rouage de son appareil international, et c'est par sa médiation qu'il est lié à l'impérialisme au maintien du capitalisme, de l'ordre bourgeois international. Les masses, malgré sa politique, sentent que ce parti n'est pas identique à la vieille S.F.I.O.

Le P.C.F. ne participe pas au gouvernement de Léon Blum, il se borne a le soutenir. Ce qui contribue à le faire apparaître comme un parti « différent » de la S.F.I.O. passée depuis 1914 du côté de l'ordre bourgeois avec toute la social-démocractie internationale.

Mais, en réalité, c'est le P.C.F. qui va en 1936 s'opposer le plus férocement, le plus directement, et déjà le plus efficacement, au mouvement des masses, à leurs aspirations révolutionnaires.

Thorez prononce en 1936 toute une série de discours au cours desquels il « tend la main aux catholiques et aux Croix-de-Feu ». Le 6 août, il concrétise au cours d'un discours au gymnase Huyghens ce que cela signifie, il appelle à la « consti­tution du Front des Français » de Thorez à Paul Reynaud.

« Malheureusement, nos partenaires du Front populaire n'acceptèrent pas nos propositions du Front des Français, et il fallut les retirer », écrit Jacques Duclos.

C'est encore Thorez qui mène l'offensive, au premier rang, contre le processus révolutionnaire en cours ; c'est que la poussée des masses place les militants du P.C.F. dans les entreprises dans une situation contradictoire : suivre le bureau politique qui freine les grèves et les occupations, ou les masses qui combattent et cherchent une direction, et se tournent naturellement vers les militants du P.C.F., considérés comme des militants d'un parti révolutionnaire. A. Ferrat, ancien dirigeant des J.C., membre du C.C., proteste contre la politique suivie depuis le pacte d'unité d'action de 1934 et propose au C.C. que le P.C.F. prenne la tête des mouvements pour dépasser le Front populaire.

Ferrat ne fait qu'exprimer de manière assez confuse la position de nombreux militants du rang qui espèrent que le processus révolutionnaire engagé par des millions d'ouvriers ira jusqu'à son terme : la prise du pouvoir.

A. Ferrat est immédiatement exclu du P.C.F. Thorez, Duclos, Frachon, Gitton, ne badinent pas avec la défense de l' « ordre social », c'est-à-dire l'ordre du profit.

En réponse au célèbre article de Marceau Pivert « Tout est possible », Marcel Gitton écrit dans L'Humanité du 26 mai : « Tout n'est pas possible [...]. Il n'est nullement question de chambardement ni d'anarchie [...]. Non ! Non ! Marceau Pivert, il n'est pas question pour le gouvernement de demain d' "opérations chirurgicales". »

Les positions sont claires, la puissance du mouvement, le débordement de la C.G.T. conduisent Maurice Thorez, lors du rassemblement des militants du P.C.F. au gymnase Jean-Jaurès à Paris, à préciser la politique contre-révolutionnaire dictée par Moscou : « Notre but reste le pouvoir des soviets, mais ce n'est pas pour ce soir, ni pour demain matin [...]. Alors, il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir un compromis si toutes les revendications n'ont pas encore été acceptées, mais que l'on a obtenu la victoire sur les plus essentielles des revendications. »

Reprenant « en main » les militants qui se laissent aller aux « tendances gauchistes », Thorez prend l'exemple des métallos parisiens. Il jette toute la force du P.C.F., auréolé de la gloire du parti de la révolution victorieuse en U.R.S.S. dans la lutte contre la révolution montante.

Dès le lendemain de ce célèbre discours, un mot d'ordre, revient dans tous les discours, toutes les interventions des dirigeants du P.C.F. : « Il faut savoir terminer une grève... »

L'offensive contre les masses est menée par les dirigeants du P.C.F., en liaison avec le gouverne. ment de Front populaire, qui le 12 juin au soir fait saisir à l'imprimerie le journal des trotskystes Lutte ouvrière qui titre : « Dans les usines et dans les rues, le pouvoir aux ouvriers. »

Le 12 juin, le groupe parlementaire radical fait savoir par Daladier qu'il est « très inquiet » devant les événements. Le gouvernement enregistre, et engage des poursuites contre les dirigeants trotskystes. Salengro affirme que le cas échéant, l'ordre sera maintenu par la force.

Les radicaux sont inquiets ?

Jacques Duclos, qui est partisan du langage clair, les rassure dans un article publié le 27 juin dans L'Humanité, sous le titre « Les radicaux ont raison ».

La citation suivante exprime le véritable contenu du Front populaire, comme programme et comme alliance au service des intérêts du grand capital. En lisant ces lignes, on s'étonne même du cynisme de Duclos qui, au mépris des plus élémentaires principes d'indépendance de classe du prolétariat, crie à tue-tête : « Nous sommes là pour maintenir l'ordre ! »

« Les radicaux ont raison, quand ils proclament que ce qu'ils ont voulu en prenant place dans les rangs du Front populaire, c'est faire cesser le chômage démoralisant, assurer aux ouvriers dans la sécurité qui garantit l'avenir un salaire suffisant pour mener une vie digne, calme et heureuse.

« Les radicaux ont raison, quand ils déclarent avoir voulu, en adhérant au Front populaire, réaliser une union nationale capable de faire face à la menace que fait peser sur nous l'ardeur guerrière des dirigeants d'un grand pays voisin. Cette préoccupation est en somme identique à celle qui nous a poussés, nous, communistes, à lutter pour l'union du peuple français, pour une France libre, forte et heureuse, dont le destin sera digne de son passé glorieux.

« Les radicaux ont raison quand ils déclarent n'accepter aucune menace contre la propriété privée et nous n'hésitons pas, nous, communistes, à proclamer que c'est là également notre souci en ajoutant que ce qui menace aujourd'hui la propriété, c'est la puissante domination économique des deux cents familles contre laquelle nous nous dressons de toutes nos forces.

« En résumé, les radicaux ont raison de rappeler que les réformes sur lesquelles se sont mis d'accord les partis du Front populaire ne sont, somme toute, en gros, que la reproduction du vieux Programme du Parti radical-socialiste[6] »

La classe ouvrière résiste[modifier le wikicode]

Malgré ce matraquage politique, cette mobilisation forcenée des dirigeants du P.C.F. et de la S.F.I.O. le mouvement de grève connaÎt encore de redoutables flambées. Si la grève décroÎt dans la métallurgie parisienne et dans les grands centres industriels, elle s'étend dans les campagnes : les ouvriers agricoles de, grosses fermes occupent les propriétés des hobereaux et montent le drapeau rouge. Au Sénat, c'est l'indignation ; Salengro, socialiste, ministre de l'Intérieur, vient faire amende honorable et rassurer les « pairs » de la République : « Si demain, des occupations de magasins, de bureaux, de chantiers, d'usines, de fermes, étaient tentées, le gouvernement, par tous les moyens appropriés, saurait y mettre un terme. » (Sénat, 7 juillet 1936.)

Grâce à la politique du P.C.F. et de la S.F.I.O., la droite relève la tête et commence, notamment, au Sénat, à se manifester. L'année précédente, les « B.L. » (bolcheviques-léninistes) ayant été exclus de la S.F.I.O., la « Gauche révolutionnaire » avait canalisé les aspirations révolutionnaires de milliers d'adhérents de ce parti. Marceau Pivert était devenu colla­borateur du gouvernement Léon Blum en tant que délégué à l'Information à la présidence du Conseil.

Dans le même temps, à la S.F.I.O., les courants gauche commençaient à être menacés de sanction pour leurs prises de position.

Le mois de juillet voit la grève s'étioler, se diviser, se fragmenter. Le patronat respire : le pire a été évité. Au moment où « tout était possible », les dirigeants du P.C.F. et de la S.F.I.O. ont mobilisé leurs énergies pour faire appliquer le « vieux programme du parti radical-socialiste ».

Nous l'avons vu, le Comité du rassemblement populaire avait prévu une manifestation le 14 juin pour célébrer la victoire du Front populaire. Mais, à cette date, la grève générale est au plus fort.

« A l'initiative du comité de grève des usines Hotchkiss se sont réunis une première fois des délégués de 33, puis de 250 entreprises de la région parisienne : les 350 présents à la réunion du 12 juin " jugent très utile de former un comité d'entente entre les usines qui permette d'envisager demain de nouvelles victoires ". Qu'est-ce donc sinon l'embryon d'un soviet[7] »

Ce sont les métallos de la région parisienne qui devant le refus du patronat d'accorder satisfaction à leurs revendications, qui dépassent de beaucoup les « accords Matignon », parlent de « marcher sur Paris ». Dans ces conditions, la manifestation est reportée au 14 juillet.

Le 14 juillet 1936, des centaines de milliers de travailleurs défilent devant la tribune dressée place de la Nation.

Ils sont submergés par leurs illusions, ils croient « à la victoire ». Alors que cette tribune est la tribune où siège l'état-major du Front populaire, barrage à la révolution. Daladier déclare : « Le parti radical­-socialiste m'a donné mandat de déclarer ici qu'aucune réforme ne saurait l'inquiéter. »

C'est le moins qu'on puisse dire.

L'Espagne[modifier le wikicode]

Le vendredi 17 juillet, une rébellion militaire éclate au Maroc espagnol. Le gouvernement Blum, soutenu par le P.C.F., va montrer son « sens des responsabilités ».

Le coup d'Etat fasciste est préparé et réalisé pour tenter de prévenir la révolution qui monte, renverser le gouvernement de Front populaire, jugé incapable de la juguler, et instaurer une dictature militaire. Il va provoquer la révolution et disloquer l'Etat bourgeois espagnol. Le prolétariat, les masses paysannes d'Espagne font échouer le coup d'Etat.

La guerre civile commence. Les masses espagnoles appellent à l'aide. En un premier temps, Blum va livrer quelques armes au gouvernement républicain déliquescent.

Le gouvernement anglais proteste immédiatement, alors que l'Allemagne et l'Italie commencent à acheminer ouvertement armes et troupes pour aider Franco dans sa croisade anticommuniste. L'Eglise se mobilise contre les « rouges ».

Les ministres radicaux menacent de démissionner.

« Le Front populaire osera-t-il armer le Front populaire espagnol ? » demande Raymond Cartier - déjà lui... - dans L'Echo de Paris.

Non, malgré les cris qui fusent des rassemblements populaires, le 7 août le gouvernement fait savoir qu'il se rallie à la thèse de la « non-intervention », à une attitude de neutralité.

Maurras exulte dans L'Action française : « Blum-la-guerre a reculé. »

La non-intervention est à n'en pas douter une machination bourgeoise internationale contre la révolution prolétarienne que le coup d'Etat militaire de Franco a déclenchée en réaction. Certes, les gouvernements républicains en place et qui vont se succéder sont des gouvernements bourgeois, mais ils sont par rapport aux masses d'une extrême faiblesse ; l'Etat bourgeois est disloqué, partout ont surgi des embryons plus ou moins développés d'un pouvoir ouvrier, le gouvernement républicain ne tient que directement appuyé sur les appareils des organisations syndicales U.G.T., C.N.T., et des partis ouvriers P.S.O.E., P.C.E., de la F.A.I., du P.O.U.M., etc.

Les gouvernements des partis bourgeois « démocratiques » d'Europe n'ont aucune confiance dans la capacité des gouvernements républicains à rétablir et à assurer l'ordre bourgeois en Espagne en cas de victoire sur Franco. Malgré les rapport de Franco, Hitler et Mussolini, ils préfèrent la victoire de Franco, garantie certaine du maintien de l'ordre bourgeois en Espagne à partir de l'écrasement du prolétariat et des masses d'Espagne. Les gouvernements « démocratiques » qui ont inventé la « non-intervention » laissent Hitler et Mussolini, qui ont signé le pacte de non-intervention, accroître leur aide militaire à Franco.

En un premier temps, la bureaucratie du Kremlin approuve la non-intervention. La chaîne de la contre-révolution enserre l'Espagne révolutionnaire. Comment le gouvernement de Front populaire n'aurait-il pas été un des maillons de cette chaîne ? Secondairement, l'Espagne sera un terrain d'expérience du matériel militaire que mettent au point Hitler et Mussolini, une occasion de roder les troupes fascistes. Il en est ainsi d'ailleurs pour le matériel militaire de l'U.R.S.S.

Les dirigeants du P.C.F., après avoir mollement protesté lorsque le Kremlin participait à la non-intervention, vont par la suite mener grand tapage sur les mots d'ordre : « Des canons, des avions pour l'Espagne. » Ce ne sera qu'une couverture « gauche » qui les aidera à mieux étouffer la crise révolution en France et à faire taire les voix qui s'élèvent contre l'assassinat légal des dirigeants de la révolution d'Octobre.

Le 19 août, s'ouvre à Moscou le premier procès des dirigeants bolcheviques. Ils sont 16, parmi lesquels Zinoviev et Kamenev. Tous les accusés, révolutionnaires chevronnés, vont s'accuser des pires crimes contre-révolutionnaires, des complots les plus invraisemblables. La technique stalinienne pour obtenir les « aveux » est désormais parfaitement rodée. Les glapissements de Vichinsky sont repris par L'Humanité. A travers les accusés, la bureaucratie stalinienne juge et condamne la révolution d'Octobre, le parti bolchevique, l'internationalisme prolétarien, et Trotsky qui symbolise par son action politique cet héritage que Staline doit détruire. Le 23 août, les 16 accusés sont condamnés à mort. La droite exulte. Thorez et Duclos approuvent. Pivert proteste, Trotsky dénonce Thermidor et ses assassinats. C'est dans cette situation internationale que Thorez lance ridée du « Front des Français », de « Thorez à Paul Reynaud », des communistes aux Croix-de-Feu... La signification politique de cette prise de position est de viser à réaliser l' « union nationale » par-delà les classes...

La contre-offensive[modifier le wikicode]

Septembre 1936. Les masses sont rentrées ; la grève n'a pu déboucher politiquement grâce aux chefs de la S.F.I.O. et du P.C.F. La classe ouvrière a conquis des droits et des positions, mais l'ordre social n'est pas modifié. Le canon tonne en Espagne, et les masses françaises sont désarmées devant cette situation. Le désenchantement est perceptible. Si elles ne savent pas où elles veulent aller, en l'absence d'un parti révolutionnaire qui exprime en un programme leurs aspirations et leurs besoins, et le traduise en termes d'action et d'organisation politiques, les masses sentent que l'essentiel leur a échappé. La droite recommence à agir. La Cagoule se manifeste. Les patrons s'organisent pour la contre-offensive. La hausse des prix réduit jour après jour les « conquêtes » des accords Matignon. La fuite des capitaux organisée par le grand capital aggrave les conséquences du déficit de la balance du commerce extérieur. Le 25 septembre, le franc est dévalué. Le gouvernement de Front populaire refuse de mobiliser les masses, d'instituer le contrôle des changes et des mouvements de capitaux. Il s'aligne sur les intérêts de la classe dominante.

Blum propose l'échelle mobile des salaires pour lutter contre les conséquences de la dévaluation. Mais l'opposition se déchaîne, soutenue par de nombreux députés radicaux. Le Front populaire se désagrège. Blum recule. Finalement, cette capitulation est sanctionnée par un vote, les radicaux « de droite » votent contre le gouvernement, les communistes acceptent de voter le texte gouvernemental...

Le patronat qui s'est organisé lance le mot d'ordre : « Patrons, soyez des patrons. »

Des fonds importants sont mis à la disposition des journaux, des partis de droite, pour orchestrer une campagne dans tout le pays contre la classe ouvrière et la C.G.T.

A chaque occasion, Blum tergiverse, louvoie et donne finalement gain de cause au patronat. La hiérarchie catholique entre en scène, les cinq cardinaux français déclarent le 31 octobre :

« Notre pays, il faut l'avouer, a connu peu d'heures aussi graves [...]. Les principes naturels du droit à la propriété, du droit à la liberté, du respect de la parole donnée et des contrats consentis qui constituent les fondements de la civilisation, nous les voyons aujourd'hui systématiquement violés, et, ce qui est plus grave encore, on les regarde comme des préjugés qu'il faut définitivement écarter [...].

« La vraie cause, nous ne le redirons jamais assez, c'est l'athéisme pratique auquel notre pays semblait s'être résigné pour la vie nationale. Car, Dieu, chassé officiellement de partout, est devenu pour les masses le " Dieu inconnu ", et du même coup l'ordre moral et social dont il est le nécessaire fondement devait chanceler et tomber [... ].

« Oui, il faut chasser de nos écoles ces virus révolutionnaires [...] »

L'Eglise et la droite, main dans la main, entretiennent une campagne de haine, dénonçant la guerre civile que selon elles le Front populaire veut provoquer, alors que toute la France bourgeoise applaudit aux victoires de la soldatesque fasciste de Franco.

Le 7 octobre, pour la première fois, une entreprise - la Chocolaterie des Gourmets - occupée par des grévistes est « libérée » par la police.

Avec stupeur, les masses voient le gouvernement qu'elles considéraient comme le « leur », après avoir limité et contenu leurs revendications, finalement s'y opposer brutalement.

Au congrès des radicaux, à Biarritz, les délégués condamnent « l'occupation des usines, des magasins et des fermes qui constitue une atteinte à la liberté ».

De toutes leurs forces, les radicaux invitent le gouvernement de Front populaire, les partis ouvriers du Front populaire, le P.S. et le P.C.F., à réaliser la politique du Front populaire et de passer de la phase où le mouvement des masses a été contenu à celle où il faut le faire reculer et commencer à le réprimer. Ils se préparent dès cet instant, lorsque le Front populaire aura rempli sa fonction, à le liquider.

Maurice Thorez continue à souhaiter un gouvernement « de tous les Français », alors que les 40 heures, votées par la Chambre, ne sont toujours pas appliquées et que le chômage n'est toujours pas résorbé.

Enfermées dans le carcan du Front populaire, les masses ouvrières, la jeunesse, sont neutralisées, bloquées, sans initiative, sans parti en mesure de leur ouvrir la voie de la solution ouvrière, alors que la bourgeoisie attaque dans tous les domaines et cherche à reconquérir politiquement le terrain gagné par l'action du prolétariat.

La presse bourgeoise et fasciste tire à boulets rouges sur les ministres socialistes.

Blum est le « You-pain-cher » pour L'Action française, et mange dans de la vaisselle d'or. Mais l'attaque se concentre contre Roger Salengro, ministre de l'Intérieur, accusé par L'Action française d'avoir déserté en 1914-1918.

Le matin du 18 novembre, Salengro est trouvé mort dans son appartement : il s'est suicidé. Une foule énorme assiste à son enterrement ; le gouvernement envisage de... réprimer la diffamation par voie de presse. Léon Blum avait été plus rapide à faire saisir Lutte ouvrière...

L'année 1936 s'achève dans la grisaille. La classe ouvrière résiste à l'offensive de la bourgeoisie, qui n'a été rendue possible que par la politique de collaboration des partis ouvriers avec le parti radical et les autres partis bourgeois du Front populaire sur un accord de défense de la propriété privée et de l'Etat.

En janvier 1937, à la conférence nationale du parti communiste à Montreuil, Maurice Thorez célèbre les vertus du Front populaire et affirme : « Nous resterons les animateurs et les meilleurs défenseurs du Front populaire. Le mot d'ordre des communistes a été, reste et restera : tout pour le Front populaire, tout par le Front populaire. »

En clair, et ce langage nous rappelle d'autres formules - « Tout pour le programme commun, tout par le programme commun ! » - Thorez .réaffirme : tout pour la défense de la propriété privée et du grand capital, tout pour la défense de l'Etat...

La « pause »[modifier le wikicode]

L'année commence bien pour le patronat. Le 24 février 1937, le bulletin quotidien du Comité des Forges écrit : « La production a continué, dans les dernières semaines, à bénéficier du regain d'activité qui depuis l'automne s'est manifesté dans les branches essentielles... »

La dévaluation favorise la reprise, donc le patronat, mais rend plus difficile les conditions d'existence des masses laborieuses, alors que les capitalistes continuent à exporter les capitaux, spéculant contre le franc.

La bourgeoisie sent son heure venir, de toutes parts, les « économistes » du grand capital « expliquent » la nécessité de restreindre la consommation intérieure, d'accroître la productivité, de remettre en cause les 40 heures...

Le 13 février, Léon Blum s'adresse aux fonctionnaires, il admet que leurs revendications sont légitimes, mais estime qu' « un temps de pause est nécessaire ».

Au conseil national de la S.F.I.O., Blum s'explique plus clairement : « Nous sommes obligés d'agir avec prudence, d'avancer pas à pas. Désormais s'affirme la nécessité d'une pause ; nous allons traverser la période la plus difficile, au bout de laquelle nous repartirons, s'il y a lieu, avec un nouveau programme. »

La « pause », c'est la mise au rancart des revendications des travailleurs des villes et des campagnes, la « pause », c'est tout simplement l'arrêt des mesures minimales que le programme du Front populaire s'était engagé à réaliser pour les vieux et contre le chômage.

Les dirigeants du P.C.F. appuient, avec des réserves de forme, cette politique, et proposent qu'à l'occasion de la « pause », on élargisse le gouvernement vers la droite.

Pivert refuse cette politique et démissionne de ses fonctions au secrétariat général à la présidence du Conseil.

Dans l'organe de la « Gauche révolutionnaire » qu'il anime, Marceau Pivert écrit : « Le rassemblement populaire n'a pas été créé pour faire avaler la pilule des crédits militaires et de l'union nationale. Non ! Je ne serai pas un complice silencieux et timoré. Non ! Je n'accepte pas de capituler devant le militarisme et les banques. Non ! Je ne consens ni à la paix sociale ni à l' " union sacrée ". »

Eh bien, si : le rassemblement populaire a été créé pour faire avaler la pilule des crédits militaires et de l'union nationale, pour faire barrage à la révolution sociale, la faire refluer, et l'écraser. Il faudrait rompre avec la bourgeoisie, la politique des fronts populaires, ouvrir la perspective d'un gouvernement des partis ouvriers sans représentants des organisations et partis bourgeois, et Pivert maintient le cordon ombilical qui l'attache au Front populaire et à sa politique.

Ainsi, Marceau Pivert s'indigne des résultats d'une politique, sans aller aux origines extirper ses racines, et contribue de cette façon à sa poursuite. On ne peut cautionner comme courant révolutionnaire une politique qui vise à maintenir la « paix sociale », la paix du capital. Cautionner même de façon « critique », le Front populaire, c'est finalement le renforcer.

Les prix grimpent en flèche, les salaires ne suivent pas. A Moscou, les procès se suivent et se ressemblent - la lutte contre le « centre trotskyste anti-soviétique » bat son plein.

Mais la classe ouvrière tente de préserver les positions acquises.

Les travailleurs de l'Exposition des arts et des techniques se mettent en grève.

Léon Blum, Léon Jouhaux et Marcel Gitton secrétaire du P.C.F. se rendent sur le chantier, pour convaincre les ouvriers de reprendre le travail.

Ces derniers les reçoivent aux cris de : « Nos 15 % ! »

Léon Blum déclare : « L'Exposition sera le triomphe de la classe ouvrière, du Front populaire et de la liberté ; elle démontrera que le régime de la liberté est supérieur à la dictature [...]. Ni le retard ni encore moins l'échec ! La bonne renommée du Front populaire est en jeu. Et, maintenant, je vous le dis franchement : le travail du samedi et du dimanche est nécessaire. »

Cris dans la foule : « Non ! Non ! Nos 15 % ! »

Le 5 mars, Léon Blum place à la tête du Fonds d'égalisation des changes le gouverneur de la Banque de France, Emile Labeyrie, qui réduit les crédits consacrés aux grands travaux, décide de financer les dépenses d'armement par un emprunt spécial de la Défense nationale.

Ainsi, les capitaux seront à l'abri des fluctuations de la monnaie, alors que l'échelle mobile des salaires a été refusée aux travailleurs.

Le Temps commente : « On ne peut qu'approuver. »

Paul Reynaud jubile : « Le gouvernement sacrifie la théorie du pouvoir d'achat à l'équilibre budgétaire. »

Le massacre de Clichy[modifier le wikicode]

Le 16 mars 1937, le parti social français (ex-Croix-de-Feu) décide d'organiser une réunion à Clichy. Le gouvernement de Front populaire se refuse à l'interdire.

A l'appel du maire S.F.I.O. de Clichy, Charles Auffray, du conseiller général Naile, communiste, et du député également communiste Honel, une contre-manifestation est organisée. La police du ministre socialiste Marx Dormoy ouvre le feu. Bilan : 5 morts et des centaines de blessés.

Quatrième Internationale de mars 1937 rapporte :

« Dormoy et Blum accourus en smoking du gala de l'Opéra sont conspués avec violence par les travailleurs : "Dormoy assassin ! Dormoy démission !" Des dizaines de barricades ont été dressées, puis décimées par la garde mobile de Dormoy et Daladier. Thorez, accouru à l'appel du député de Clichy Honel, n'ose dire mot. "Sales trotskystes", lance-t-il seulement aux travailleurs qui se défendent avec acharnement.

« A Asnières, tout proche, des mouvements analogues se produisent. Sous les coups de feu des fascistes et de la police deux travailleurs sont grièvement blessés. Dans la nuit même du 16 au 17, la nouvelle se répand dans le prolétariat. Une émotion profonde souleva tout le prolétariat parisien à l'annonce par les journaux du massacre de Clichy. Il comprit que c'était son avant-garde, son corps même qui avait été mitraillé par l'ordre de M. Blum. Dans la journée du mercredi 17 une série d'entreprises commencèrent la grève. Dans une série d'usines (Renault, entre autres), les ouvriers arrêtés arrêtaient le travail, préparaient des réunions pour le midi et le soir, exigeaient la grève générale et commençaient à chasser les fascistes (surtout des contremaîtres et des chefs de service). Les directions syndicales d'usine se réunirent d'urgence. Dans la soirée, l'union régionale du bureau confédéral était saisie de centaines de résolutions exigeant une réponse foudroyante. Mais l'objectif de la grève restait incertain. Et c'est là-dessus que jouèrent les chefs réformistes pour briser le mouvement.[8] »

Léon Blum prend la défense du ministre de l'Intérieur : il argumente. Le gouvernement défend les libertés, il a protégé la réunion du P.S.F., il condamne l'initiative des élus du Front populaire de Clichy.

Aucune sanction ne sera prise contre les responsables de la fusillade.

L'émotion dans la classe ouvrière est immense

« Comment est-il possible que le gouvernement de Front populaire puisse faire tirer sur les travailleurs que les élus du P.S. et du P.C.F ont mobilisée pour protester sinon empêcher la tenue d'une réunion fasciste dans une ville ouvrière ? » L'union des syndicats de la région parisienne décide une grève qui est limitée à la matinée du jeudi 18 mars. Le 21 mars, un immense cortège suit les corps des victimes de la fusillade dans la plus pure réconciliation, sous l'égide du Front populaire qui les a assassinées. Mais l'U.D. C.G.T. de la région parisienne, que dirigent les militants du P.C.F., laisse déployer le drapeau de la IV° Internationale.

A la Chambre, Jacques Duclos, le 23 mars, propose un ordre du jour de confiance. Les députés communistes sont bien sûr parmi les 362 députés qui votent la confiance au gouvernement des fusilleurs de Clichy !

Seuls les pivertistes et les trotskystes dénoncent les « assassins de Clichy ». La Jeune Garde, organe des jeunesses S.F.I.O. dirigées par des militants gagnés en partie au trotskysme, sort un numéro spécial sous le titre : « Huit milliards pour l'emprunt - Cinq morts à Clichy - L'argent de la bourgeoisie se paie avec le sang des ouvriers. »

Vingt-deux militants dirigeants des J.S. sont exclus, et l'organisation de jeunesse dissoute. Quant à la « Gauche révolutionnaire », elle est dissoute lors du conseil national du 18 avril.

Les dirigeants du P.C.F. continuent leur travail de matraquage politique, avec cynisme et obstination. Alors que le capital, utilisant les élus de droite qui se regroupent, se prépare à frapper, Thorez conforte, réconforte la bourgeoisie, démobilisant le prolétariat :

« Nous sommes les partisans décidés de la tranquillité et de la concorde. Nous l'avons montré dans des circonstances où personne n'a osé prendre les responsabilités que nous avons prises. Nous avons eu le courage de dire, nous, aux ouvriers en grève tout n'est pas possible !

« Nous nous refusons, surtout en considérant les événements d'Espagne, à accepter la perspective de deux blocs dressés irréductiblement l'un contre l'autre et aboutissant à une guerre civile dans des conditions qui seraient pour notre pays encore plus redoutables que pour l'Espagne, ne serait-ce qu'en raison des menaces d'Hitler.

« Nous aimons la France.

« Nous le déclarons très nettement : la plupart des dirigeants des ligues fascistes sont devenus les hommes de l'étranger. En eux, revit l'esprit de Coblenz.

« Le parti communiste a quelques titres, en effet, à la reconnaissance des classes moyennes.

« Le front unique, c'était le rassemblement des forces du prolétariat. C'est le parti communiste qui a lancé, à Ivry, le mot d'ordre d'élargissement du front unique antifasciste afin que celui-ci englobe les classes moyennes. »

Le stalinien Maurice Thorez a raison : s'opposant au front unique ouvrier - l'unité des partis ouvriers contre les partis bourgeois - le P.C.F. a dressé le front populaire opposé aux intérêts des masses, obstacle à la marche de la révolution socialiste.

La chute[modifier le wikicode]

Malgré la résistance confuse mais farouche des masses, en l'absence d'un parti révolutionnaire, la politique des chef, de la S.F.I.O. et du P.C.F. a sauvé la bourgeoisie et désarmé la classe ouvrière. La révolution n'a pas été vaincue par la bourgeoisie, mais disloquée de l'intérieur du mouvement ouvrier par les Blum et les Thorez. La classe ouvrière a cherché obstinément une voie pour changer la société. Elle s'est, naturellement, tournée vers les partis se réclamant du socialisme, du communisme. Ces partis l'ont conduite, de recul en recul, jusqu'à la démoralisation.

Le 21 juin, le gouvernement Blum tombe, battu, mis en minorité au Sénat.

Le gouvernement Blum va-t-il faire appel aux masses pour chasser le Sénat réactionnaire ?

Non. Le gouvernement démissionne dans une relative indifférence.

Le radical Chautemps - membre du gouvernement Blum - forme un nouveau gouvernement de Front populaire. Le P.C.F. qui avait refusé d'entrer dans le gouvernement Blum offre cette fois d'y participer... Chautemps refuse. Son cabinet est constitué par des radicaux et par des socialistes.

Le mouvement qui a explosé en juin 36 reste cependant vivant à la fin 1937, et début 1938 il va resurgir, mais bien différent de ce qu'il était en juin 36. C'est, après quelques mouvements en septembre, la grève de décembre 1937. Voici quelques extraits d'un rapport fait par Marceau Pivert sur la grève de l'entreprise Goodrich :

« La goutte d'eau ...

Le 9 décembre, on chasse, pour « faute professionnelle », un ouvrier électricien (communiste) sous prétexte qu'un brouillage sur une ligne téléphonique n'a pas été réparé. La section syndicale réagit vigoureusement et obtient, le vendredi, l'assurance que la sanction ne serait pas appliquée.

Mais, entre le vendredi et le lundi, on trouve un autre prétexte : l'ingénieur-conseil Gaestel, fasciste forcené, obtient et annonce le maintien du licenciement.

Alors, le 15 décembre, les ouvriers occupent l'entreprise. Ils sont appuyés par la section syndicale, par la fédération des produits chimiques, par l'union des syndicats. Les ouvriers ont raison à cent pour cent. Ils marchent à cent pour cent pendant huit jours, on ne prête guère attention à cette occupation dans la presse ouvrière. Une nouvelle erreur de calcul en résulte pour le gouvernement. C'est ici que l'affaire révèle très exactement, comme un réactif sensible et sûr, la position réelle des forces sociales antagonistes.

La journée du 23 : les gardes mobiles

Les grévistes se sont parfaitement organisés les trente membres du comité de grève se partagent les tâches ; le contrôle du roulement des équipes est rigoureux : chacun passe deux nuits sur trois chez lui, mais revient à 6 heures à l'usine. Cartes blanches, cartes jaunes, cartes roses, états de pointage, services de garde, etc.

A 5 heures, ce matin-là (une heure avant le retour des équipes extérieures), cent gardes mobiles entourent l'usine. Aussitôt, les sirènes sont actionnées : elles appelleront, deux heures durant, à l'aide, et la solidarité ouvrière sera immédiate et formidable. Toutes les usines qui tournent jour et nuit, celles qui commencent à ouvrir, toutes, sans exception, débraient dans toute la région et envoient des délégations. Comme les gardes mobiles empêchent tout contact avec les grévistes, les équipes extérieures (accourues dès le premier signal) passent dans les usines voisines, Alsthom, Erikson, Gnome et Rhône, Lobstein, Lorraine, et, par-dessus les murs, regagnent leur poste de combat au milieu de l'usine Goodrich. Celle-ci est mise en état de défense, jets de vapeur prêts, et tout ce qu'on peut imaginer... Les délégations arrivent bientôt de chez Renault, Nieuport, Lioré-Ollivier... toute la métallurgie est sous pression. L'évacuation par la force devait avoir lieu à midi : elle est retardée à 5 heures ; 30 000 personnes sont sur les lieux et l'opération s'avère difficile.

Politique syndicale (suite)

Un mot... et toute la région parisienne est dressée... un autre mot et tout le territoire se met à l'unisson... et cette fois il est possible de parler clair au patronat provocateur, d'en finir avec les trusts spoliateurs, de reprendre la suite du mouvement de juin 36...

Non. L'esprit d'offensive et la volonté de victoires révolutionnaire sont absents (du moins chez les « responsables », quant aux masses, elles n'ont pas dit leur dernier mot). Les autorités syndicales donnent l'ordre de reprendre le travail dans les usines occupées par solidarité, cela sans même demander le retrait préalable des forces de police hors de la ville...

Les délégations auprès du gouvernement se multiplient. On sait la suite : il faut toute l'autorité des responsables syndicaux pour arracher la décision de l'évacuation. La neutralisation de l'usine est obtenue jusqu'au règlement du conflit. Mais quel sera le résultat de l'arbitrage Chautemps ?

L'attitude du parti communiste

La direction des syndicats est sous l'influence du parti communiste (fédération et union des syndicats) ; la solidarité dans la lutte joue incontestablement au départ : le déclenchement s'effectue en plein accord avec les militants communistes. Mais les ouvriers observent avec amertume qu'au moment où l'extension du conflit devenait considérable, au moment où la contagion analogue à celle de juin 1936 allait se développer à une allure vertigineuse, le coup de frein brutal a été donné. Il est apparu avec la proposition d'évacuation : « Prenez la responsabilité de ce qui arrivera ensuite, a-t-on dit au comité de grève, nous, nous ne le pouvons pas. »

Or, une bataille de classe ne peut pas s'engager victorieusement dans de telles conditions. La ligne générale du P.C. est à la pause, à la main tendue et à la défense de la démocratie... capitaliste... Tout le reste s'explique facilement !

L'attitude du gouvernement dit de Front populaire

Les ministres socialistes ont promis aux délégations de ne pas utiliser la force contre les ouvriers. Mais comment les gardes mobiles sont. ils venus ? Il y a un préfet de police, un ministre de l'Intérieur responsables de ce « contact » possible, et particulièrement insupportable aux militants, entre la police et les ouvriers.

A-t-on mesuré, du côté des ministres socialistes, les répercussions d'une attitude de compromis à l'égard d'un conflit de cet ordre ? Sans doute, ils ont dû mettre en garde leurs collègues radicaux, mais dans quel langage ? Il n'y en a qu'un qui soit efficace : « Ou bien la police restera hors de cause, ou bien les ministres socialistes s'en iront. » Nous avons le droit d'affirmer que ce langage n'a pas été tenu ; qu'on a accepté volontiers tiers de « passer la main » au président Chautemps pour prendre les mesures impopulaires et prononcer les menaces les plus graves.

Observons qu'on n'a pas hésité à demander des camions militaires à Daladier pour briser la grève des transports ! D'ailleurs, les délégations ouvrières qui ont vu Chautemps et Février en audience n'ont à aucun moment eu l'impression que le ministre socialiste défendait la position des ouvriers... il était au contraire utilisé par Chautemps peut faire admettre par les ouvriers la position « d'arbitrage et de respect de la légalité » du président du Conseil. Celui-ci invoqua naturellement la « paix sociale ». les pertes énormes causées au Trésor public... il accusa les ouvriers de « poignarder la patrie » (!). Le gouvernement chargé des intérêts de la classe dirigeante était dans son rôle. NOS CAMARADES MINISTRES ÉTAIENT-ILS DANS LE LEUR ?

L'attitude du parti socialiste

Elle souligne d'abord le rôle essentiel que devrait avoir le secrétaire à la coordination pour les Amicales rattachées à une section. Aucune liaison, en effet, n'a été établie avec la fédération avant le jeudi après-midi, et encore par un de nos camarades, G.R., sans mandat. Pourtant, Boyer, adjoint socialiste au maire de Colombes, et Daniel Mayer, du Populaire, étaient dans l'usine dès le matin. Mieux - dès que Just, envoyé par la fédération, arrive sur les lieux, les ouvriers lui refusent l'entrée... Nous ne commentons pas : ce geste mesure le degré de considération des travailleurs à l'égard du permanent des Amicales. On imagine les commentaires qui peuvent circuler au sein des entreprises contre le parti socialiste associé à une telle politique : derrière les gardes mobiles on voit nos ministres ! Et la propagande antisocialiste en est singulièrement renforcée ; d'où la difficulté de développer notre organisation dans de telles conditions... On ne peut pas tout avoir - les « avantages » ( ? !) des délégations au gouvernement et les avantages, réels ceux-ci, d'une position de classe devant la prolétariat en lutte.

Comprendra-t-on maintenant un peu mieux pourquoi nous voulons dégager notre parti d'une coalition ministérielle de plus en plus au service du sauvetage du régime ? Et pourquoi aussi nous voulons prendre en main la direction dune fédération où peut se jouer l'avenir du parti et du prolétariat, selon que nous y déploierons largement le rouge drapeau du socialisme ou que celui-ci sera bafoué et ridiculisé par les radicaux « nationaux » et les forces capitalistes tirant les ficelles dé Georges Bonnet ?[9] »

Le 9 janvier, les dirigeants de l'U.D. de la région parisienne imposent aux grévistes une instance arbitrale qui rejette la plupart de leurs revendications : « Le licenciement prévu est confirmé. La question des cadences et du système Bedeau est renvoyée à un arbitrage ultérieur.[10] »

La mort dans l'âme, les travailleurs de chez Goodrich reprennent le travail le 10.

Ce n'est pas le seul conflit. Le 29 décembre, se déclenche à l'improviste la grève des services publics qui ne sont pas entrés en grève en juin 36 : Paris est privé de gaz, d'eau, d'électricité, de transports. Ce mouvement est condamné par le gouvernement qui affirme sa volonté de « remplir son devoir et d'assurer en dépit de toute résistance la reprise des services publics et le maintien de l'ordre ». Daniel Mayer dans Le Populaire condamne également le mouvement. Mais le gouvernement recule et accorde l'indemnité de vie chère de 1200 F que les travailleurs des services publics réclament ; le travail reprend.

Mais le premier gouvernement Chautemps est en crise. Le P.C.F. décide de s'abstenir au Parlement. Chautemps réplique : « M. Ramette demande sa liberté. C'est son droit. Quant à moi, je la lui donne. »

Le groupe socialiste décide dans ces conditions de retirer ses ministres ; le gouvernement démissionne. La S.F.I.O. refusera de participer à un gouvernement que Georges Bonnet aurait présidé.

Blum va s'efforcer de répondre aux vœux du P.C.F. en constituant un gouvernement d' « union nationale », sinon sous sa direction, au moins sous celle d'Herriot. Le projet échoue. Paul Reynaud veut qu'il s'étende encore plus loin... à droite, jusqu'aux fascistes avérés. Chautemps forme alors un nouveau gouvernement auquel la S.F.I.O. ne participe pas. Au conseil national de la S.F.I.O., la proposition Blum-Paul Faure d'y participer a été rejetée. A la chute de ce gouvernement, Blum fera une nouvelle tentative pour constituer un gouvernement d'union nationale qui échouera. Pour répondre à l'Anschluss, il constitue alors un gouvernement qui ne durera que vingt-six jours, du 13 mars au 10 avril 1938.

Une nouvelle vague de grèves prend naissance dans la métallurgie. Elle débute le 24 mars aux usines Citroën, elle va s'étendre, à l'initiative des cellules du P.C.F., à de nombreuses entreprises de la métallurgie parisienne au cours de la fin du mois de mars. Mais bientôt, la direction du P.C.F. freine. L'article de Pierre Broué et Nicole Dorey qui rapporte ces informations cite : « André Blumel dit aux responsables des amicales socialistes d'entreprise :

« Si lundi 28 mars la grève n'est pas terminée, Blum s'en va et vous aurez Pétain"; Doury et Timbaud, dirigeants communistes des métaux, répondent à la section d'Alsthom-Lecourbe qu'ils tiennent de Vincent Auriol que le gouvernement démissionnerait si la fédération des métaux lançait elle-même la grève. »

Les mêmes rapportent : « Le 7 avril, sous la signature de Marceau Vigny, militant du P.C.F. et secrétaire de la section C.G.T. Renault, L'Humanité affirme : "Les ouvriers sentent nettement la volonté du patronat d'imposer la grève chez Renault. Des milliers et des milliers de tracts signés de la IV° Internationale appelant les ouvriers à l'action sont distribués chaque jour aux portes de l'usine." Et de conclure que la section "fera le maximum pour lutter contre la démagogie fasciste" et que ses délégués ont demandé au gouvernement" de prendre, les mesures nécessaires". »

Lorsque le mouvement commence à refluer, après chute du gouvernement Blum, la section syndicale fera débrayer le 13 avril Renault pour bien prendre le mouvement en main. Très rapidement, morceau par morceau, la grève est liquidée sans obtenir de revendications substantielles : quelques rajustements du taux horaire.

La classe ouvrière politiquement battue par le Front populaire assiste impuissante à l'irrésistible montée de la réaction. L'Espagne républicaine agonise, les armées allemandes sont entrées à Vienne, la Cagoule multiplie les attentats et les complots. A Moscou, Staline continue à briser le parti de Lénine.

Blum est accueilli au Sénat aux cris de « Voleurs ! », à l'Assemblée nationale, Xavier Vallat lance : « A bas les juifs, la France aux Français. » Les radicaux dénoncent le P.C.F., qui n'est plus un parti national... C'est l'hallali. Le 8 avril, Blum démissionne mis en minorité au Sénat.

Mais le Front populaire continue...[modifier le wikicode]

Le 10 avril, Daladier constitue un gouvernement de radicaux, de centristes catholiques et de « modérés ». La présence de Paul Reynaud, Sarraut, Ramadier, a une signification politique précise : c'est le ministère de la « revanche » sur la classe ouvrière. Faire payer à la classe ouvrière la « grande peur » de mai-juin 1936, voilà l'objectif de ce gouvernement qui se présente avec un programme bien défini :

  • augmenter la production
  • bloquer les salaires
  • restaurer l'ordre.

Le Front populaire continue : fait sans précédent, le gouvernement Daladier-Reynaud est investi par 575 voix contre 5. Les groupes S.F.I.O. et P.C.F. ont voté la confiance...

Nouvelle dévaluation, retour à la politique des décrets-lois, blocage des salaires, augmentation des impôts atteintes au droit de grève et à l'exercice de l'activité syndicale. Daladier ne lève plus le poing, il l'abat, contre la classe ouvrière, au nom du Front populaire...

La S.F.I.O. s'épure. La fédération de la Seine est dirigée par la « Gauche révolutionnaire » qui y a gagné la majorité. Elle distribue en mars un tract qui soutient les grévistes contre Le Populaire et la direction du parti. Le 18 mars, elle envoie aux autres fédérations un texte qui déclare « le parti en danger ». Le 11 avril, la commission des conflits suspend pour trois ans Marceau Pivert, pour deux ans tous les autres membres du bureau fédéral. La direction de la fédération de la Seine se maintient et ses militants occupent ses locaux. La scission est inévitable. Le congrès de Royan (4-7 juin) exclura la « Gauche révolutionnaire » qui constituera le parti socialiste ouvrier et paysan (P.S.O.P.).

Au P.C.F., c'est également l'épuration. A la vérité, l'épuration est permanente depuis les années 1924-1925 dites de la « bolchevisation », c'est-à-dire de l'asservissement du P.C.F. au Kremlin par la construction et la sélection d'un appareil entièrement subordonné à Moscou. L'histoire de ces épurations ne rentre pas dans le cadre de cet ouvrage. Depuis 1934, après Doriot et le rayon de Saint-Denis qui allaient complètement dégénérer pour finir par constituer le Parti Populaire français, mais qui en 1934 se prononçaient pour le front unique du P.C. et du P.S., jusqu'à Ferrat exclu du C.C. du P.C. F. en juin 1936 pour s'être opposé à la politique de liquidation de la grève générale, pour aboutir en 1938 à l'exclusion de nombreux militants de la métallurgie qui n'acceptent pas la liquidation de la grève de mars-avril Le 19 mai, L'Humanité publie une lettre du député de Clichy Honel, lequel fait écho au malaise des militants du P.C.F. de l'usine Citroën qui réclament un « front ouvrier », ou un « front révolutionnaire ». C'est l'abcès de fixation qui va permettre l'épuration.

Cependant, tout n'est pas encore dit. En septembre, Daladier tente, sans succès, d'obtenir l'accord de la fédération des métaux C.G.T. et du bureau confédéral pour en finir officiellement avec les 40 heures. Il décide de passer outre, mais Frossard et Ramadier (U.S.R.) y sont hostiles, ils démissionnent. Anatole de Monzie et Pomaret les remplacent. La crise qu'Hitler a ouverte en exigeant l'incorporation des Sudètes au III° Reich évolue vers son dénouement : Munich.

Les accords de Munich sont signés entre Hitler, Mussolini, Chamberlain et Daladier le 30 septembre : le territoire des Sudète, dont la population est allemande est rattaché à l'Allemagne. Les accords de Munich laissent les mains libres à Hitler contre la Tchécoslovaquie. Un jeu politique s'affirme qui va se poursuivre jusque pendant la « drôle de guerre » : les impérialismes français et anglais s'efforcent d'engager Hitler sur la voie d'une guerre contre l'U.R.S.S., de rester en dehors de la guerre pour finalement arbitrer. A son retour, Daladier obtient la confiance de la Chambre : 535 voix pour, les 78 députés du P.C.F. votent contre. L'orientation de la politique de l'impérialisme français devient inacceptable pour le P.C.F.

Le gouvernement Daladier demande les pleins pouvoirs : il n'obtient plus que 331 voix contre 78, celles des députés du P.C.F. Il y a 203 abstentions, dont celles des députés S.F.I.O. La majorité gouvernementale n'a donc plus rien à voir avec celle de juin 1936. Le congrès annuel du parti radical se tient le 28 octobre à Marseille, il vote la résolution suivante : « Le parti communiste, par l'agitation qu'il entretient à travers le pays, par les difficultés qu'il a créées aux gouvernements qui se sont succédés depuis 1936, par son opposition agressive et injurieuse de ces derniers mois, a rompu la solidarité qui l'unissait aux autres partis du Rassemblement populaire. Le parti radical donne mandat à ses délégués au comité national de prendre acte de cette rupture, dont le parti communiste porte seul la responsabilité, et d'indiquer sa volonté de continuer sa collaboration avec les partis de la démocratie. »

Le 1er novembre, Paul Reynaud est devenu ministre des Finances à la place de Marchandeau. Le 13 novembre, il publie une première série de décrets-lois. Il déclare : « C'en est fini de la semaine des deux dimanches. »

La classe ouvrière doit produire le plus de jours possible, le plus d'heures qui soient. Les cheminots sont tenus d'effectuer des travaux relevant de la Défense nationale. Paul Reynaud commente : « Le régime capitaliste étant ce qu'il est, pour qu'il fonctionne, il faut obéir aux lois. »

Pour bien se faire comprendre, le gouvernement recrute 1500 gendarmes...

Tout n'est cependant pas joué. En septembre et octobre, des grèves ont eu lieu. La classe ouvrière reste disponible et mobilisable. Justement, le congrès de la C.G.T. se tient du 14 au 17 novembre à Nantes. Ce congrès ne décide d'aucune riposte, ne lance aucun mot d'ordre d'action. Il donne seulement mandat à la C.A. et au bureau confédéral « de préparer sans retard toute l'action nécessaire, y compris la cessation collective du travail dans le cas où celle-ci s'avérerait indispensable à la défense des réformes sociales ».

Dirigeants ex-confédérés et ex-C.G.T.U. se mettent d'accord sur toutes les résolutions. Le fait démontre que les uns et les autres mènent par rapport à la classe ouvrière la même politique.

Mais, dès le 21 novembre, des grèves se produisent, surtout dans la région parisienne. Le 23, les travailleurs de chez Renault débraient, occupent les usines de Billancourt qu'ils organisent militairement. Le maire S.F.I.O. Morizot et le député du P.C.F. Costes les appellent à évacuer l'usine. Le gouvernement a massé d'énormes forces de police autour de chez Renault : 200 pelotons de gardes mobiles, plus de 1500 policiers. Profitant des flottements, la police attaque l'usine et la fait évacuer : 285 ouvriers sont condamnés pour « violences ». Ce n'est que le 25 novembre que le bureau confédéral décide une grève de 24 heures... pour le 30, sans occupations d'usine ni manifestation. Le travail, précise le communiqué, devra reprendre le 1er décembre. Lefranc affirme que le bureau de la C.G.T. estimait que « des conversations demeuraient possibles. Elles s'engageront entre un membre du bureau confédéral et les deux ministres U.S.R. de Monzie et Pomaret qui eux-mêmes agissaient près de Daladier. Un compromis était en vue. Le mardi soir 29 novembre, il fut abandonné devant le refus de Paul Reynaud d'y consentir ».

En fait, le gouvernement amusait la galerie tandis qu'il mettait au point toutes les mesures pour casser la grève. Les fonctionnaires et les travailleurs des services publics sont réquisitionnés. Paris est mis en état de siège.

La grève du 30 novembre : les masses sont responsables[modifier le wikicode]

Le combat demeure possible. Il faut mobiliser, galvaniser, organiser. Mais dirigeants réformistes et staliniens tergiversent, reculent, zigzaguent. Ils donnent l'impression à la classe ouvrière de ne pas vouloir combattre tout en donnant l'ordre de grève. Les soldats occupent les carrefours, baïonnettes au canon, le gouvernement a massé à Paris des troupes considérables, et cherche l'affrontement avec la classe ouvrière.

La grève est inégalement suivie. Mais militants et travailleurs, dans les secteurs décisifs du prolétariat, combattent.

Le patronat et le gouvernement frappent : les militants sont licenciés, arrêtés, pourchassés. La répression est extrêmement dure : des milliers et des milliers de licenciements. L'ordre patronal règne à nouveau dans les usines et les entreprises, comme en 1934­-1935.

CETTE DEFAITE, LA CLASSE OUVRIÈRE N'EN PORTE PAS LA RESPONSABILITÉ.

Les chefs du P.C.F. et de la S.F.I.O. sont responsables de cette situation. C'est la conclusion classique et normale des fronts populaires, alliance des partis ouvriers et des partis bourgeois contre la révolution prolétarienne.

Les radicaux ont parfaitement tenu leur rôle. Garantie dans le Front populaire que l'ordre serait respecté, ils constituent le relais, le pont entre la collaboration avec les partis ouvriers, quand les conditions l'exigent, et l'instrument de lutte contre les partis ouvriers quand les conditions le permettent.

Après le Frente Popular en Espagne, la révolution française est frappée par le Front populaire.

Le 26 septembre 1939, Daladier, qui défilait le 14 juillet 1936 aux côtés de Maurice Thorez et de Léon Blum, décide la dissolution du parti communiste français.

Le 10 juillet 1940, la Chambre de Front populaire amputée des députés communistes vote avec le Sénat les pleins pouvoirs à Pétain, par 569 voix pour, 80 contre et 17 abstentions : bien sûr, les deux tiers des radicaux ont voté pour Pétain.

Tirant le bilan de son action à la tête du gouvernement, Léon Blum déclarera au procès de Riom intenté par le régime de Vichy : « J'ai été le gérant loyal des intérêts de la bourgeoisie. »

Terminé par la défaite du 30 novembre1938, le Front populaire de 1935 prend aujourd'hui sa véritable signification - non pas politique, mais historique : c'est la première fois que dirigeants de la S.F.I.O et du P.C.F s'unissent avec des partis bourgeois, sur un programme bourgeois, contre la classe ouvrière, qui ouvre par son action les conditions de la révolution prolétarienne.

La question n'est pas de savoir si « la révolution était possible ». La crise révolutionnaire était ouverte - il fallait tout mettre en œuvre pour qu'elle aboutisse.

S'adressant en 1935 aux bolcheviques-léninistes, Trotsky écrit à propos du Front populaire :

« Il est parfaitement explicable qu'au cours des premières semaines, certaines oscillations se soient également manifestées dans nos propres rangs : la situation est complexe, le Front populaire était pour beaucoup d'entre nous un phénomène nouveau et par conséquent un problème nouveau. Mais le fait que certains camarades, aujourd'hui encore, après une expérience relativement importante du Front populaire et les importants articles qui ont été publiés dans notre presse, se révèlent partisans de la politique du Front populaire, me paraît un symptôme extrêmement inquiétant. Sur cette question, il faut élever à temps la protestation la plus sévère, car il ne s'agit ni plus ni moins que de la ligne de clivage entre le bolchevisme et le menchevisme.

« On dit qu'il serait faux d'exiger l'élimination des radicaux du Front populaire : les masses devraient d'abord faire leur expérience des radicaux. C'est pourquoi il serait préférable d'exiger la prise du pouvoir par le Front populaire dont la seule carence inciterait les masses à accepter nos enseignements, etc. Cette façon de penser est intégralement mencheviste. »

Menchevisme ou bolchevisme, socialisme ou barbarie, tels sont les problèmes posés par la politique de front populaire.

Espagne : 1935 - 1939[modifier le wikicode]

L'histoire du Front populaire en Espagne s'étend de 1935 à 1939. Précédée d'une situation de crise politique de la bourgeoisie, qui débouche sur une situation révolutionnaire, elle comprend : une crise révolutionnaire, un coup d'Etat militaire qui échoue, une révolution, la guerre civile, l'étranglement de la révolution à l'intérieur du camp républicain, la défaite et l'écrasement des masses, enfin la victoire du franquisme. Ce sont là des événements d'une richesse immense dont les enseignements sont inépuisables. Il faudrait écrire des volumes pour en restituer la richesse. De nombreux ouvrages déjà ont été écrits, d'autres paraîtront encore... Nous avons de façon déterminée pris le parti inverse : dégager les traits essentiels du Front populaire en Espagne. La raison en est simple : le Front populaire en Espagne est une épure de la politique des fronts populaires. Nous espérons que cette méthode la dégagera dans sa tragique pureté.

Accord de Front Populaire pour les élections de février 1936[modifier le wikicode]

Le 15 janvier 1936, la Gauche républicaine, l’Union républicaine, le parti socialiste, l'Union générale des travailleurs, le parti communiste espagnol, la Fédération nationale des jeunesses socialistes, le parti syndicaliste, le parti ouvrier d'unification marxiste, signaient le Programme de l'alliance électorale qu'ils contractaient en vue des élections aux Cortes du 16 février. Cet accord électoral était le document de base du Front populaire qu'il constituait. A défaut d'autre chose, ce texte a au moins l'avantage de définir précisément le contenu du Front populaire. Il s'agissait « d'un plan politique commun servant de base et de charte de coalition de leurs forces respectives dans la compétition électorale prochaine et de normes de gouvernement que devraient appliquer les partis républicains avec l'appui des forces ouvrières en cas de victoire ».

Le premier point prévoyait « une large amnistie des délits politiques commis antérieurement à novembre 1935, même s'ils n'ont pas été considérés comme tels par les tribunaux ».

Point capital pour l'immense masse des travailleurs. Après l'écrasement du mouvement révolutionnaire des Asturies et l'échec du mot d'ordre de grève générale d'octobre 1934, la répression avait été féroce : 5 000 morts, 10 000 blessés, 40 000 emprisonnés. Malgré la chute en septembre 1935 du gouvernement Lerroux composé de catholiques, de monarchistes et de profascistes, quelque 30 000 travailleurs et militants restaient emprisonnés.

Le deuxième point s'engageait à « défendre la liberté et la justice comme mission spéciale de l'Etat républicain et de son régime constitutionnel », et il définissait dans quel cadre : « le règne de la Constitution ». Aucune équivoque n'existait : «liberté », « démocratie », peut-être, mais dans le respect de l'ordre, des institutions, de l'Etat, du gouvernement bourgeois.

Une constante revenait sans cesse dans cet accord, l'affirmation de la défense de l’ordre, de l’Etat, de la propriété.

Point 3 : « Les républicains n’acceptent pas le principe de la nationalisation de la terre et de sa remise gratuite aux paysans demandée par les délégués du parti socialiste. Ils considèrent comme concevables les mesures [...] qui proposent le rachat de la terre par le paysan et le cultivateur moyen et petit, non seulement pour faire œuvre de justice mais parce qu'elles constituent la base la plus solide de la reconstruction économique nationale. »

Point 5 : « Les républicains n'acceptent pas l'allocation de chômage demandée par les représentants ouvriers. »

Point 6 : « Les partis républicains n'acceptent pas les mesures de nationalisation des banques proposées par les partis ouvriers. »

Le point 7 enregistrait que « la République telle que la conçoivent les partis républicains n'est pas une République dirigée par des motifs sociaux ou économiques de classe, mais un régime démocratique animé par des motifs d'intérêts publics et de progrès social ». L'intérêt public est toujours bien sûr celui du mode de production existant, le mode de production capitaliste, et ce sont les classes dominantes de ce système de production qui représentent cet intérêt. En conséquence, la République des républicains ne saurait être dirigée par les motifs sociaux et économiques des classes exploitées. Et le point 7 ajoutait : « Les Partis républicains n'acceptent pas le contrôle ouvrier demandé par la délégation du parti socialiste. »

Doucereux, Jacques Duclos estime que « le grand défaut de ce programme résdait dans le fait qu'il ne posait pas le problème de la réforme agraire ».

De son côté, le parti ouvrier d'unification marxiste (P.O.U.M.) a justifié sa signature au bas de cet accord et sa participation au Front populaire en invoquant la loi électorale et le mouvement des masses qui, selon le P.O.U.M., était si fort qu'il ne pouvait que se rallier. La loi électorale, en effet, était au plus haut point antidémocratique. En d'énormes circonscriptions, il fallait présenter une liste de candidats. La liste ayant recueilli le plus de voix au premier et unique tour des élections obtenait automatiquement 80 % des députés. Le but de la loi électorale était d'empêcher ou de réduire la représentation des partis ouvriers aux Cortes. Elle était un des fleurons de la légalité républicaine espagnole. Voulant l'amnistie, espérant un profond changement, le 16 février, les masses votèrent pour les listes du Front populaire. La loi électorale joua au profit de ces listes qui, avec quelques centaines de milliers de voix d'écart, obtenaient une confortable majorité de députés aux Cortes : 287 sièges contre 132 à la droite et 32 au centre. Mais là encore, le véritable contenu du Front populaire apparaissait. En raison du scrutin de listes, les listes ont été constituées avant les élections par les états-majors et reflétaient l'esprit du Front populaire que les résultats traduisaient : 84 députés à la Gauche républicaine d'Azaňa, 37 à l'Union républicaine de Martinez Barrio, 38 à l'Esquerra de Companys, 90 au parti socialiste, 16 au P.C.E., 1 au P.O.U.M., 1 au parti syndicaliste de Pestaňa.

Certes, au nombre de suffrages, 4 838 449 voix contre 4 446 251, la majorité des listes Front populaire était faible, mais elle signifiait une extraordinaire poussée politique des masses.

Le suffrage universel, les institutions et les formes politiques bourgeoises, affaiblissent et déforment toujours la force véritable du prolétariat et des masses populaires : un citoyen est formellement égal à un autre citoyen. La loi électorale espagnole était faite sur mesure pour permettre à la bourgeoisie et à ses instruments politiques de fausser la représentation des masses. Le trucage et la violence aidaient la loi et se surajoutaient aux pressions de toutes sortes, administratives, religieuses, etc. Pour surmonter les obstacles classiques du suffrage universel, ceux propres à la « démocratie espagnole », et ceux qui résultaient de la position classique des anarchistes (la Fédération anarchiste ibérique et la Confédération nationale du travail, sans appeler au boycott selon leurs traditions, n'avaient pas appelé à voter pour les listes Front populaire), il fallait que les masses soient d'ores et déjà engagées en un puissant mouvement de radicalisation politique. Ce mouvement était également affaibli, truqué, vidé de son contenu, si l'on considère la répartition des sièges. Les partis bourgeois dAzaňa et Barrio, étaient surreprésentés. Les masses se tournaient vers les partis ouvriers et non vers « les partis républicains qui n'acceptaient pas la nationalisation de la terre et sa remise gratuite aux paysans, l'allocation de chômage, la nationalisation des banques, la République sociale, le contrôle ouvrier », etc.

Les partis bourgeois confortaient la République bourgeoise, les partis de la classe ouvrière confortaient les partis bourgeois, et tout ce beau monde était à cheval sur le dos des masses qu'il écrasait

Une République aux abois dès sa naissance[modifier le wikicode]

En réalité, la révolution prolétarienne dont l'Espagne était grosse depuis des années venait à son terme. Depuis la chute du dictateur Primo de Rivera en 1930, congédié par le roi Alphonse XIII et les oligarques, la crise du régime ne cessait de s'approfondir. Le 12 avril 1931, les élections municipales provoquées et préparées pourtant par le successeur de Primo de Rivera, Berenguer, donnèrent une majorité écrasante aux partis républicains. Le roi Alphonse XIII, sans abdiquer pour autant, s'enfuyait,

La II° République espagnole était proclamé.. Les élections aux Cortes constituants du 28 juin confirmèrent les résultats des élections municipale,. Le gouvernement provisoire était présidé par Zamora, catholique, conservateur et centralisateur. Il s'étendait jusqu'aux socialistes Prieto et Largo Caballero, secrétaire de l'Union générale des travailleurs. Bientôt, Zamora, Opposé à la séparation de l'Église et de l'État et aux lois sur le, congrégations, démissionnait du gouvernement. Le républicain Azaňa lui succédait. Zamora n'en devenait pas moins président de la République après l'adoption de la Constitution le 9 décembre 1931. La politique du gouvernement républicain-socialiste d'Azaňa combinait des concessions extrêmement limitées aux masses, la lutte contre l'Église, et la répression.

Pierre Broué écrit : « Cette politique de répression brutale, l'arsenal juridique que le gouvernement se donne (comprend) avec la loi d'avril 1932 sur le contrôle des syndicats la loi sur l'ordre public de juillet 1933, la loi sur les vagabonds permettant de poursuivre et de frapper en même temps chômeurs et militants professionnels, l'obligation d'un préavis de huit jours pour toute grève, la multiplication des arrestations préventives, la protection accordée par la police aux commandos anti-anarchistes. »

Les élections municipales d'avril 1933 traduisaient la désaffection des masses à l'égard des partis républicains. Le ministère Azaňa tombait. Un gouvernement dirigé par Lerroux lui succédait, Zamora dissolvait les Cortes. Les abstentions furent massives : plus de 40 % dans les provinces de Barcelone, Saragosse, Huesca, Tarragone, Séville, Malaga, Cadix. La C.N.T. et la F.A.I. avaient appelé à ne pas voter. Les socialistes conservaient leurs voix. Mais ils avaient présenté leurs propres listes et la loi électorale jouant, le nombre de leurs députés aux Cortes était réduit de moitié. Les républicains étaient battus. Le nouveau gouvernement liquide les réformes des premières années de la République.

Le 10 avril 1932, le général Sanjurjo avait tenté à Séville un pronunciamiento. A l'initiative de la C.N.T., les travailleurs de Séville avaient répliqué par la grève générale et brisé cette tentative de coup d'Etat. Sanjurjo avait été condamné à mort et ensuite gracié. Le nouveau gouvernement amnistiait Sanjurjo et les putschistes.

Mais l'extrême droite classique, inspirée par Mussolini et impulsée par l'Eglise, s'était regroupée. Elle avait formé l'Action populaire dirigée par Gil Robles. En même temps se constituait, dirigée également par Gil Robles, la C.E.D.A. (Confédération espagnole des droites autonomes). La C.E.D.A. était devenue le groupe politique le plus important aux Cortes. Longtemps, la C.E.D.A. resta néanmoins écartée du gouvernement. Gil Robles exigea d'entrer au gouvernement. Le 1° octobre 1934, un nouveau gouvernement était formé, dirigé par Leroux, il comprenait trois ministres de la C.E.D.A.

La marche à l'Etat corporatiste et fasciste était ouverte. Le 4 octobre, l'U.G.T. donna l'ordre de grève générale. Mais la C.N.T., sur le plan national, n'était pas d'accord. A Barcelone, le mouvement fut rapidement liquidé. A Madrid, la grève fut effective. Mais les dirigeants de l'U.G.T. voulaient que cette grève soit pacifique. La grève se poursuivit jusqu'au 12 octobre. En revanche, dans les Asturies, la C.N.T., et en dernière minute le P.C.E., appelaient à la grève générale aux côtés du P.S. et de l'U.G.T. La grève générale fut effective le 4. Le 5, dans toutes les Asturies, les grévistes désarmaient la police. Le 6, ils s'emparaient d'Oviedo. Ils constituaient le Comité révolutionnaire qui prit le contrôle des Asturies. L'échec du mouvement sur le plan national devait permettre au gouvernement de concentrer ses troupes sur les Asturies. Il les lança à l'assaut, troupes marocaines et légion étrangère en tête. Oviedo tomba le 12 octobre. Les combats se poursuivirent jusqu'au 18 octobre.

La crise politique de la bourgeoisie n'était pas résolue pour autant. Le gouvernement Lerroux restait instable. La C.E.D.A. était minoritaire au sein du gouvernement. Zamora refusa de donner à Gil Robles, qui l'exigeait, la direction du gouvernement. Mais les scandales discréditèrent bientôt complètement le gouvernement, que quittent les ministres de la C.E.D.A. En septembre 1935, le gouvernement Lerroux était contraint de démissionner. Les Cortes devenaient ingouvernables. Zamora se résigna à les dissoudre. La République parlementaire agonisait. Les élections de février 1936 marquèrent un tournant décisif.

Contradictions de classes et axe du pouvoir en Espagne[modifier le wikicode]

Lorsque Alphonse XIII s’enfuit et que la II° République fut proclamée, républicains et socialistes qui composaient le gouvernement se déclarèrent fiers de la « glorieuse exception d'une révolution pacifique ». En fait, la fuite d'AIphonse XIII était la conséquence de la chute de Primo de Rivera à propos de laquelle Trotsky écrivait : « La dictature de Primo de Rivera est tombée sans révolution.

« En d'autres termes, cette première étape est le résultat des maladies de la vieille société, et non des forces révolutionnaires d'une société nouvelle. Ce n'est pas par hasard. Le régime de la dictature qui ne se justifiait plus aux yeux des classes bourgeoises par la nécessité d'écraser immédiatement les masses révolutionnaires, représentait en même temps un obstacle aux besoins de, la bourgeoisie dans les domaines économique, financier, politique et culturel. Mais la bourgeoisie a évité jusqu'au bout la lutte : elle a laissé la dictature pourrir et tomber comme un fruit gâté. »

L'Espagne, de 1930 était dans une impasse totale. L'histoire lui léguait un lourd passif. La décadence espagnole a touché dès sa formation la bourgeoisie naissante. Malgré les barrières douanières, elle est intégrée au marché mondial et à la division internationale, mais sa part dans le marché mondial n'était avant 1914 que de 1,2%, et elle était tombée après guerre à 1,1%. Les investissements étrangers sont considérables dans les mines, les transports, l'industrie électrique, etc. Mais la faible base économique, les échanges insuffisants, le marché intérieur trop étroit, ont eu comme conséquence d'arrêter le processus d'unification nationale. Les nationalismes locaux catalan, basque, castillan, loin de s'affaiblir, de disparaître, se maintiennent, s'ils ne se renforcent pas. La langue espagnole parlée dans le monde par des dizaines de millions de femmes et d'hommes, c'est le « castillan ». Elle n'est pas celle de toute l'Espagne. Soixante-dix pour cent de la population sont agraires : « 50 000 hobereaux possèdent la moitié du sol, 10 000 plus de 100 hectares... Le duc de Medinaceli 79 000 hectares, le duc de Peňaranda 51 000 », écrit Broué. Dans le Centre et le Nord, en revanche, ce sont des millions de paysans qui, propriétaires de petits lopins ou métayers, sont néanmoins écrasés. Broué donne quelques autres exemples significatifs : 45 % d'illettrés, mais 80 000 prêtres, nonnes ou religieux, deux fois et demie l'effectif des étudiants. L'enseignement aux mains de l'Eglise ; 11 000 domaines ; le cardinal Segura, primat d'Espagne, avait un revenu de 600 000 pesetas et affirmait : « Le bain est une invention de païens, sinon du diable lui-même. »

La question agraire est une question centrale : sans sa solution, il est impossible de constituer un marché national important, indispensable au développement de l'économie capitaliste.

Et pourtant, le développement industriel a été suffisant pour que se constitue un prolétariat d'un million et demi d'ouvriers, employés dans l'industrie, le commerce, les transports, sans compter les fonctionnaires, sur 21 millions d'habitants.

La I° République espagnole (11 février 1873 - janvier 1874) avait révélé l'irrémédiable impuissance de la bourgeoisie. Le radicalisme des masses populaires et petites-bourgeoises en France, en 1789-1794, a brisé l'Ancien Régime et ouvert la voie à la bourgeoisie. En Espagne, la bourgeoisie à peine au pouvoir entrait directement et ouvertement en contradiction avec les masses, brisait le mouvement cantonaliste qui lui-même n'avait ni programme national ni perspective unifiant l'ensemble de l'Espagne. Le 3 janvier 1874, un coup d'Etat militaire du général Pavia mit fin à la République démocratique. Il fut suivi d'un autre coup d'Etat militaire le 29 décembre 1874 qui mit Alphonse XII sur le trône. Trotsky écrit : « Dans le pays du particularisme et du séparatisme, l'armée a pris par la force des choses une importance énorme comme force de centralisation. Elle est devenue non seulement l'appui de la monarchie, mais aussi le conducteur du mécontentement des classes dominantes, et avant tout de son propre mécontentement. »

Pendant la guerre de 1914-1918, l'Espagne resta neutre. Sans avoir à se moderniser, l'économie espagnole profita de la guerre et connut un moment de grand essor, surtout les industries nécessaires à la guerre : mines, métallurgie, textiles. Le prolétariat s'accrut en nombre et en puissance. La guerre terminée, le contrecoup fut d'autant plus dur que le développement avait été rapide et réalisé en fonction d'un marché artificiel qui absorbait les marchandises espagnoles à n'importe quelles conditions. Toutes les classes sociales furent touchées, mais le prolétariat espagnol, dont la puissance s'était considérablement accrue, plus que toute autre classe.

Quoique la classe ouvrière espagnole ait été longtemps peu nombreuse et peu concentrée, le mouvement ouvrier est très ancien. Influencée par Bakounine, la Fédération régionale espagnole de l'Internationale comptait plusieurs dizaines de milliers de membres au cours des années 1870-1880. En juillet 1879, le parti socialiste ouvrier espagnol était constitué. Il fonda en août 1888 la centrale syndicale Union générale des travailleurs (U.G.T.). Les 30 et 31 octobre et 1er novembre 1910 à Barcelone, la Confédération nationale du travail (C.N.T.) était constituée sous l'influence des anarcho-syndicalistes, au cours d'un congrès auquel participaient plus de 120 délégués. En juillet 1909, en réplique à un décret de mobilisation des réservistes pour les envoyer combattre au Maroc, les travailleurs de Barcelone s'insurgeaient. Les syndicalistes appelèrent à la grève générale révolutionnaire le 26 juillet. Barcelone se couvrit de barricades. L'insurrection gagna l'ensemble de la Catalogne, et dura jusqu'au 31 juillet.

Le 18 décembre 1916, l'U.G.T. et la C.N.T. donnaient ensemble un ordre de grève générale de 24 heures. A partir de 1917, le souffle de la révolution russe attisait le feu révolutionnaire du jeune prolétariat espagnol. Du 12 au 19, grève générale nationale à l'appel de l'U.G.T. et de la C.N.T., que l'armée réprimait dans le sang. De 1919 à 1923, ce fut une suite de grands mouvements, de batailles parfois sanglantes. La C.N.T. comptait plus d'un million d'adhérents et l'U.G.T. plusieurs centaines de milliers. La seule solution bourgeoise, ce fut une fois encore : la dictature, la répression, le pouvoir de l'armée. Le 23 septembre 1923, un coup d'Etat militaire portait au pouvoir le général Primo de Rivera, que les contradictions entre les classes dominantes allaient conduire à l'impasse et faire tomber en janvier 1930 ainsi qu'un fruit pourri.

De la crise de la bourgeoisie à une situation révolutionnaire[modifier le wikicode]

La chute de Primo de Rivera et ensuite la fuite d’Alphonse XIII furent ainsi appréciées par l'I.C. : « Il faut se rendre compte nettement qu'en dépit des formes de guerre civile auxquelles donne issue l'essor révolutionnaire d'Espagne, la classe ouvrière ne joue qu'un rôle infime dans ce mouvement. De ce fait, les mouvements de cet ordre défilent sur l'écran historique comme un simple épisode qui ne laisse pas de traces profondes dans l’esprit des masses travailleuses et n'enrichit pas leur expérience de la lutte des classes. » (Manouliski, secrétaire du C.E. de l'I.C., X° Plénum, 1930.)

En revanche, de la chute du dictateur, Trotsky écrivait : « La suite du développement de la crise espagnole signifie le réveil révolutionnaire de millions d'hommes dans les masses laborieuses » (13 juin 1930).

De la proclamation de la République à la répression sanglante de la grève générale et de l'insurrection des Asturies, le bouillonnement dans le prolétariat, la petite paysannerie, ne cessa pas. Répondant à la Pravda, Trotsky écrivait le 28 mai 1931 : « Que la révolution socialiste ne soit pas en Espagne la "tâche immédiate", c’est incontestable. Il serait plus exact de dire que l'insurrection armée dans le but de la prise du pouvoir du prolétariat n'est pas en Espagne une " tâche immédiate ". Pourquoi ? Parce que l'avant-garde morcelée du prolétariat n'entraîne pas encore derrière elle les masses paysannes opprimées. Dans ces conditions, la lutte pour le pouvoir serait une entreprise d'aventuriers. »

Cela allait être confirmé a contrario par les actions putschistes des anarchistes et notamment les tentatives de janvier 1933 et de décembre 1933 qui décimèrent la C.N.T.

Au printemps 1933, une première ébauche de front unique ouvrier s'esquissait à Barcelone : l'Alliance ouvrière (A.O.). Elle comprenait le Bloc ouvrier et paysan, la Gauche communiste, l'U.G.T. catalane, l'Union socialiste, les syndicats minoritaires au sein de la C.N.T., l'Union des rabassaires (petits paysans), le petit parti communiste de Catalogne (P.S.E.). Avec l'appui de Largo Caballero, déçu par sa participation au gouvernement Azaňa-Prieto, l'Alliance ouvrière s’étendait en Catalogue, à Madrid, à Valence. Dans les Asturies, la direction de la C.N.T. se déclarait d'accord avec la constitution d'une Alliance ouvrière. L'Alliance ouvrière sera donc réalisée et elle comprendra l'U.G.T. et la C.N.T. Mais la direction nationale de cette dernière était contre le front unique des organisations ouvrières que matérialisait l'Alliance ouvrière.

Quant à la direction du P.C.E. en 1933 et au début de 1934, elle étendait sa caractérisation de social-fasciste du P.S.O.E. à l'Alliance ouvrière. Dans les Asturies, ce n'est qu'au moment de l'insurrection d'octobre 1934 que le P.C.E. se ralliera à l'A.O. C'est l'A.O. qui donna sa puissance à l'insurrection d'octobre 1934 dans les Asturies. En revanche, la division des rangs ouvriers dans l'ensemble de l'Espagne, le refus des dirigeants nationaux de la C.N.T. de se joindre au mouvement, alors que les dirigeants de la C.N.T. des Asturies y participaient, entraînera la défaite de la grève générale d'octobre 1934, l’isolement et l'écrasement des Asturies.

La situation, les courants et tendances du mouvement ouvrier espagnol se comprennent en mettant en relation diverses données. Premièrement, l'anarchisme qui reflète la difficulté de la classe ouvrière à se dégager de l'état arriéré, inachevé, de tout en Espagne, le particularisme, le localisme petit-bourgeois. Mais cela n'explique pas tout. Dès leur formation, la P.S.O.P. et l'U.G.T. sont timorés et subissent l'influence des grands partis de la II° Internationale. Ils sont parlementaristes sans qu'en Espagne existe le cadre politique parlementaire. L'anarchisme trouve une nouvelle forme en organisant des syndicats révolutionnaires. L'anarcho-syndicalisme est le prix à payer pour l'opportunisme du P.S.O.E. et de l'U.G.T. Les anarchistes pénétrèrent dans certains syndicats dirigés par des réformistes et en prirent la direction. Ils fondèrent la C.N.T. qui se proclama pour la grève générale, le boycott des élections, le sabotage, l'émeute, l'apolitisme, le refus des chefs, l'hostilité à tous les partis politiques et à tous les gouvernements.

C'était l'anarcho-syndicalisme. Bientôt, l'influence de la C.N.T. dépassa celle de l'U.G.T. Un dernier élément contribuera à donner au mouvement ouvrier espagnol sa physionomie. Les militants de la C.N.T. ont été très influencés par la révolution russe. Cependant, le parti communiste espagnol naît de la scission du P.S.O.E. en 1921. Il est formé de la J.S., de la minorité du P.S., de dirigeants de la C.N.T. Trotsky et Lénine estiment cependant que la C.N.T. rassemble le meilleur des militants révolutionnaires. Hélas ! la dégénérescence gangrène bientôt la III° Internationale. Le P.C.E. devient un repoussoir. Le 24 juillet 1927, les libertaires constituèrent la Fédération anarchiste ibérique (F.A.I.). Trois mille militants de la fédération de Catalogne et des Baléares allaient quitter le P.C.P. et rejoindre le Bloc ouvrier et paysan dirigé par un des fondateurs du P.C.E., Maurin, et l'ancien fonctionnaire de l'I.C. Gorkin. Andrés Nin, autre fondateur du P.C.E. et secrétaire de l'Internationale syndicale rouge, partisan de Trotsky, était exclu du P.C.E. Le P.C.E., aux élections de 1933, n'aura qu'un seul élu, à Malaga.

Ultérieurement, Nin et Andrade, le 25 septembre 1934, rejoignaient les dirigeants du Bloc ouvrier et paysan et formaient avec eux le parti ouvrier d'unité marxiste. Le P.S.O.E. et l'U.G.T. ont cours des années 1931-1936, une croissance importante, et ont connu des processus politiques plus importants encore. C'est d'abord la formation d'une aile gauche, après 1933, sous la direction de Largo Caballero en opposition à l'aile droite de Prieto. L'aile gauche se formait en réaction à la politique de participation au gouvernement Azaňa qui avait conduit à de durs échecs, foulant aux pieds les intérêts des masses. L'aile gauche exprimait non sans faiblesse la radicalisation du prolétariat. Prieto contrôlait l'appareil du P.S.O.E., mais Caballero avait une influence prépondérante sur l'U.G.T. Phénomène d'une portée aussi grande : les Jeunesses socialistes évoluaient à gauche. Sous la direction de Santiago Carrillo, elles cherchaient leur voie. Après avoir regardé du côté du trotskysme, les J.S. vont se rallier au stalinisme, fusionner avec les J.C. et former en avril 1936 les Jeunesses socialistes unifiées. Trotsky, dès le début 1934, invitait ses partisans espagnols à pénétrer à l'intérieur du P.S.O.E. et des J.S., à y développer un courant. Il se fondait sur la perspective qu'après la défaite en Allemagne, après la politique du social-fascisme pratiquée par les P.C., à un premier stade la radicalisation des masses se manifesterait au travers des P.S. Il estimait qu'il s'y formerait des ailes gauches cherchant la voie et le programme de la révolution, que ces forces seraient décisives et qu'il fallait les capter pour construire le parti révolutionnaire.

Mais les trotskystes espagnols se refusèrent à suivre cette orientation. Nin préférait former le P.O.U.M. avec le Bloc ouvrier et paysan. Le P.O.U.M., rappelons-le, devait signer l'accord électoral de Front populaire. Trotsky rompit politiquement avec Nin. Le faible groupe trotskyste qui restait n'a eu que peu d'impact sur les événements.

Le mouvement ouvrier, hétérogène et confus, subissait en outre la pression des mouvements nationalistes : notamment basque, et de l'Esquerra de Companys en Catalogne.

C'est ce mouvement ouvrier, tel qu'il est, que les masses ouvrières et paysannes vont utiliser pour traduire leurs besoins et aspirations. L'impasse politique et la crise de la bourgeoisie vont ouvrir les vannes et les contradictions sociales explosives seront avivées par la crise économique des années 30. Lénine avait défini trois conditions constituantes d'un situation révolutionnaire :

« 1. - Impossibilité pour les classes dominantes de conserver leur domination sous une forme non modifiée ; telle ou telle crise du "sommet" crise de la politique de la classe dominante, qui crée une fissure par laquelle le mécontentement et l'indignation des classes opprimées se fraient un chemin. Pour que la révolution éclate, il ne suffit pas d'ordinaire que "la base ne veuille plus" vivre comme auparavant, mais il importe encore plus que " le sommet ne le puisse plus ".

« 2. - Aggravation, plus qu'à l'ordinaire, de la misère et de la détresse des classes opprimées.

« 3. - Accentuation marquée, pour les raisons indiquées plus haut, de l'activité des masses, qui, en période de " paix " se laissent piller tranquillement, mais qui, en période orageuse, sont appelées, tant par l'ensemble de la crise que par le "sommet" lui-même, vers une action historique indépendante. »

Auxquelles il ajoute : « ... La capacité de la classe révolutionnaire de mener des actions révolutionnaires de masses assez vigoureuses pour briser (ou " entamer ") l'ancien gouvernement qui ne "tombera" jamais, même à l'époque des crises, si on ne le " fait choir ". »

Ces trois conditions étaient pleinement réunies dans les années 1930 en Espagne. D'une étonnante clairvoyance, Trotsky estimait cependant que la marche vers la révolution serait sans doute lente, mais qu'elle était inéluctable. Mais la marche à la révolution et la révolution elle-même allaient être traduites et orientées par le mouvement ouvrier et les organisations qui le composaient ; et, finalement, elles dépendaient de ces organisations.

La crise révolutionnaire... le coup d'Etat militaire[modifier le wikicode]

Au lendemain des élections du 16 février 36, Zamora rappela au pouvoir Azaňa qui formait un gouvernement. Les socialistes, sous la pression de Largo Caballero et de l'U.G.T., refusaient d'y participer. Le P.S.O.E. soutient le gouvernement républicain bourgeois dont la tâche, dit Caballero, est d'appliquer le programme bourgeois de Front populaire.

En mai, Zamora est destitué par les Cortes qui élisent Azaňa à la présidence de la République. Le nouveau gouvernement formé par Quiroga ne comprend pas non plus de socialistes, bien que Prieto se soit prononcé pour un gouvernement à l'image du Front populaire. Le gouvernement est débordé. Il court après les masses pour les contenir. L'amnistie est votée. Les conseils municipaux sont rétablis, ainsi que le statut d'autonomie de la Catalogne, un statut d'autonomie basque est mis à l'étude. Une « réforme agraire » dans les cadres définis par le pacte de Front populaire est également mise à l'étude. Mais, dès le lendemain des élections, les masses ont ouvert les prisons. Les paysans commencent à s'emparer des terres et à se les partager. Les masses imposent les libertés démocratiques. Les grèves s’étendent. Eglises et couvents flambent (il faut se souvenir de la position sociale et politique de l'Eglise en Espagne). Les employée des tramways de Madrid décident de gérer eux-mêmes la compagnie. Le 1er juin, les 70 000 travailleurs du bâtiment de Madrid débraient. Le 4 juillet, le gouvernement impose aux patrons qu'ils satisfassent partiellement les revendications. L'U.G.T. donne l'ordre de reprise, mais la C.N.T. appelle à la poursuite de la grève. Des affrontements ont lieu entre militants U.G.T. et C.N.T. La classe ouvrière, la paysannerie, ne sont pas unifiées, elles n'ont pas de perspective politique qui les rassemble et ordonne leur mouvement. Au contraire.

Les affrontements armés entre militants ouvriers, travailleurs, paysans et bandes fascistes prennent de l'ampleur. En octobre 1933, José Antonio Primo de Rivera, fils du dictateur, a fondé la Phalange, qui fusionnera en février 1934 avec les Juntes offensives nationales syndicalistes. Tandis que les chefs militaires organisés dans l’Union militaire espagnole, appuyés par l'Eglise et les carlistes préparent le soulèvement, la Phalange engage déjà la guerre civile. Elle assassine les militants ouvriers, elle s'efforce de répandre la terreur dans les quartiers ouvriers. En riposte à l'assassinat d'un lieutenant des gardes d'assaut qui instruisait les milices socialistes, une quinzaine de gardes d'assaut s'emparent du leader monarchiste Calvo Sotelo et l'exécutent.

Le gouvernement et les dirigeants des organisations et partis ouvriers savent que les généraux préparent un soulèvement, mais le gouvernement de Front populaire cautionne le corps des officiers, sa loyauté vis-­à-vis de la République. Les staliniens et le P.S.O.E., dont l'appareil est entre les mains de Prieto, cautionnent le gouvernement. Les dirigeants de la C.N.T. et de l'U.G.T. sont incapables de définir une orientation, de tracer une ligne politique qui organise et mobilise les masses face au soulèvement qui se prépare. Largo Caballero se contente de demander au gouvernement d'« armer le peuple ».

Le 17 juillet, le soulèvement militaire éclate au Maroc. D'abord, toute la journée du 17, le gouvernement nie. Ce n'est que le 18 qu'il admet qu'« une partie de l'armée s'est soulevée ». Alors que l'armée se soulève à Malaga et à Séville, il affirme : « Dans la péninsule personne n'a adhéré à une entreprise aussi absurde. »

A 15 heures, il répond aux partis et aux syndicats ouvriers « Le gouvernement prend acte des offres d'aide [...]. Grâce aux mesures préventives prises par le gouvernement, on peut dire qu'un vaste mouvement antirépublicain a été étouffé, Il n'a trouvé aucune assistance dans la péninsule et a seulement réussi à recruter quelques partisans dans une fraction de l'armée. »

Largo Caballero demande toujours au gouvernement de distribuer des armes aux organisations ouvrières. Une fois encore, le gouvernement s'y refuse. Une fois encore, le P.S.O.E. et le P.C.E. appuient le gouvernement. Un communiqué commun déclare : « Le moment est difficile, non désespéré. Le gouvernement est sûr de posséder les moyens suffisants pour écraser cette tentative criminelle. Au cas où les moyens seraient insuffisants, la République a la promesse solennelle du Front populaire. Il est prêt à intervenir dans la lutte à partir du moment où l'on réclamera son aide. Le gouvernement commande et le Front populaire obéit. » Et que fait le gouvernement ? Il abandonne sans combattre l'Espagne à la clique militaro-fasciste et le 19, à 4 heures du matin, il démissionne.

Ce n'est qu'au soir du 18 que la C.N.T. et l'U.G.T. donnent l'ordre de grève générale et une fois encore, sans ouvrir de perspectives politiques, sans centralisation, sans plan.

La révolution[modifier le wikicode]

C'est dans ces conditions que les masses, que les dirigeants régionaux et locaux vont réagir et combattre. Rien n'est plus prodigieux et significatif que cette réaction des cadres régionaux et locaux et des masses. Sans perspective, sans organisation, sans armes, en ayant à leur tête un gouvernement formé en hâte, que dirige Martinez Barrio, qui est élargi sur la droite et dont I'objectif est de négocier avec les généraux rebelles, les masses font échouer le coup d'Etat militaire. Car c'est un échec. Echec à Barcelone, Madrid, Valence, Malaga. La flotte passe du côté des masses. Echec au Pays basque, dans les Asturies. En bien des endroits, si la clique militaro-fasciste prend le contrôle de la situation, c'est en raison des atermoiements imposés aux masses. A Saragosse, ce sont les dirigeants de la C.N.T. qui invitent les travailleurs à rentrer chez eux les 17 et 18, sur les instances du gouverneur, lequel a des assurances de loyauté du général commandant la place. Le 19, les militaires passent à l'action : c'est le massacre. Dans de nombreuses villes, il en est ainsi. Oviedo est prise de cette façon. Au mois de juillet, les franquistes n'occupent encore qu'une partie de l'Andalousie au Sud, la Galicie, une partie des Asturies, la Navarre, la Vieille Castille, une partie de l'Aragon. Ils sont coupés en deux. Ils ne feront leur jonction qu'à la mi-août en conquérant l'Estrémadure.

L'action révolutionnaire des masses a mis en échec le pronunciamiento. A Barcelone, les travailleurs dirigés par les militants de la C.N.T., du P.O.U.M., combattent pendant trois jours, et prennent d'assaut les casernes. A Madrid également. Partout, les « colonnes » partent à l'attaque des troupes rebelles et reprennent nombre de villes que celles-ci semblaient devoir contrôler. Bien que les « colonnes », en l'absence d'armement, d'un plan d'ensemble, de centralisation, d'organisation, d'expérience, ne puissent rivaliser sur le plan purement militaire, aux premiers jours, avec l'armée encadrée par le corps des officiers, qui a un plan, possède les moyens techniques, a un objectif politique précis. L'ensemble de ces données démontre la profondeur, la puissance élémentaire du mouvement révolutionnaire des masses qui malgré tout met en échec le coup d'Etat.

L'Etat bourgeois, sa police, ses administrations, ont volé en éclats dans l'ensemble du pays. Dans les zones occupées par les rebelles, l'armée constitue le pouvoir autour duquel s'agglomèrent les autres organismes de l'Etat bourgeois. Partout ailleurs, se sont constitués des comités issus directement des masses ou rassemblant les représentants des organisations ouvrières. A côté du gouvernement de la Généralité de Catalogne, s'organise à Barcelone le Comité central des milices de Catalogne qui siège en présence de délégués de la Généralité et est constitué de représentants des syndicats et de partis ouvriers. En Aragon, libéré en partie par les « colonnes », le Conseil d’Aragon que la C.N.T. dirige, a été constitué en septembre 1936. A peu près dans toutes les villes et provinces où la rébellion est battue, des comités, des juntes, formés de militants des partis et syndicats ouvriers se sont constitués : à Valence, c'est le Comité exécutif populaire qui étend son autorité sur l'ensemble de la province du Levant ; dans les Asturies, à Gijón, s'est constitué un Comité de guerre, et un Comité populaire à Sama de Langria, qui fusionnent en septembre. A Malaga, c'est un Comité de salut public. A Badajoz, c'est le Conseil provincial. A Madrid, la situation est plus confuse. Une situation de double pouvoir s'est établie. Dans la journée du 19 juillet, à peine constitué, le gouvernement de Martinez Barrio doit laisser la place, devant le soulèvement des masses, à un nouveau gouvernement : le gouvernement Giral. Ce gouvernement décrète ce qui est un état de fait : la dissolution de l'armée, l'armement des milices ouvrières formées par les partis et les syndicats ouvriers.

Du même mouvement où ils s'emparaient localement et régionalement du pouvoir politique, les masses et les militants s'emparaient des usines et des terres, sans autre forme de procès. Ils faisaient fonctionner les usines, constituaient des communautés agraires ou se partageaient les terres.

La question du pouvoir[modifier le wikicode]

Ce profond mouvement de masse, c'est la révolution. Mais la victoire de la révolution exige beaucoup plus : liquider l’ancien pouvoir, les débris de l'Etat bourgeois, constituer un pouvoir central, construire un Etat ouvrier, agir en fonction d'une perspective et selon un plan. Cette perspective, ce plan, seul un parti révolutionnaire lié aux masses ainsi que l'était le parti bolchevique en 1917 peut les fournir. En Espagne, un tel parti n'existe pas. L'U.G.T. n'est pas un parti. De plus, Largo Caballero qui la dirige ne veut pas appliquer lui-même le programme de Front populaire qu'il qualifie de bourgeois, mais il appuie les gouvernements qui s'engagent à l'appliquer. Pour le reste, il peut à l'occasion être très radical en paroles. Le P.O.U.M. a signé l'accord de Front populaire et est une organisation hétérogène implantée surtout en Catalogne. La C.N.T.-F.A.I. est en principe contre tout pouvoir politique. « Les hommes de la C.N.T., aguerris, audacieux, énergiques, allaient devenir les grandes vedettes du drame. Pourtant, à cause du récent congrès de Saragosse, ils ne pouvaient débuter dans de pires conditions idéologiques. Ils n'avaient pas de plan de combat, pas d'orientation, pas de doctrine claire, pas de vue sur ce qu'il fallait faire ou ne pas faire en période révolutionnaire. Le "concept confédéral du communisme libertaire" dépourvu du moindre réalisme, extra-temporel et muet sur le chemin à suivre, les laissait désemparés.[11] »

Le gouvernement Giral n'avait pas de forces. L’Etat bourgeois n’était plus que morceaux épars. Le pouvoir n'était plus qu'une ombre. Mais le gouvernement Giral restait le gouvernement « légitime », le gouvernement central, et le Front populaire, le P.S.O.E., le P.C.E., l'étayaient politiquement. Ils étaient ses relais et affirmaient sa souveraineté. Ils s'activaient à reconstruire l'Etat bourgeois démantelé. Ils agissaient ainsi que des forces centralisées, sur une ligne politique précise et nationale, centralisant l'action gouvernementale, reconstruisant un Etat central. Leur force venait d'abord de ce que la situation ne pouvait s'éterniser ainsi. Il fallait un pouvoir central, une politique d'ensemble, et ce d'autant plus que la guerre civile ne permettait pas de ruser avec la question : soit un gouvernement ouvrier et paysan, un Etat ouvrier ou... un gouvernement bourgeois reconstruisant l'Etat bourgeois.

Reconstruction de l'Etat bourgeois[modifier le wikicode]

Le 4 septembre, Giral démissionne, Largo Caballero forme le nouveau gouvernement. C'est un tournant. Pour la première fois, un dirigeant socialiste et de l’U.G.T. dirige un gouvernement. Qui plus est, Largo Caballero a, au cours des mois qui ont précédé le soulèvement militaire, parlé de la dictature du prolétariat ; en août, il a été question de balayer le gouvernement Giral et de constituer, sous sa direction, un gouvernement U.G.T.-C.N.T.-P.S.-P.C.E.-F.A.I., dont seraient exclus les partis bourgeois. Mais Largo Caballero forme un gouvernement de Front populaire auquel participent le P.S., le P.C.E., l'U.G.T., et six ministres des partis bourgeois.

Son programme : d'abord gagner la guerre et... la révolution viendra après. Tout d’abord, la C.N.T. ne participe pas au nouveau gouvernement, mais elle reconnaÎt son « autorité ».

A Valence, le Comité exécutif populaire apporte son soutien au nouveau gouvernement et à son programme. La dissolution du Comité central des milices à Barcelone, la formation d'un gouverne­ment de la Généralité de Catalogne présidé par Companys, dirigeant du parti catalan bourgeois, l'Esquerra, devenu fantomatique, la participation de tous les partis à ce gouvernement, y compris le P.O.U.M., signifient la subordination et la destruction des organismes de pouvoir ouvrier et la reconstruction de l'appareil d'Etat bourgeois. Le 31 octobre c'est au tour du Conseil d'Aragon de reconnaître l'autorité du gouvernement central. Finalement, le 4 novembre, la C.N.T. entre au gouvernement. La capitulation est complète... au nom, bien sûr, des circonstances exceptionnelles.

Le P.C.E. a une ligne et s'y tient : le Front populaire. En Espagne, il la justifie d'un double point de vue : « La révolution qui se déroule dans notre pays est la révolution démocratique bourgeoise... En cette heure historique, le P.C. fidèle à ses principes révolutionnaires et respectueux de la volonté du peuple se place aux côtés du gouvernement qui exprime cette volonté, aux côtés de la République, aux côtés de la démocratie. Le gouvernement espagnol est un gouvernement issu du triomphe électoral du 16 février et nous le soutenons et le défendons parce qu'il est le représentant légal du peuple en lutte pour la démocratie et la liberté. » (Dolores Ibarruri, Mundo Obrero, 30 juillet 1936.)

Et ensuite : « Nous combattons sincèrement pour la République démocratique, parce que nous savons qui si nous commettons l'erreur de combattre pour la révolution socialiste dans notre pays – et même pour une période relativement éloignée après la victoire – nous donnerions la victoire au fascisme : nous verrions dans notre pays non seulement les envahisseurs fascistes, mais à leurs côtés les gouvernements démocratiques du monde, qui ont déjà dit explicitement que dans la situation européenne actuelle, ils ne toléreraient pas une dictature du prolétariat dans notre pays. » (Santiago Carrillo, discours à la conférence des J.S.U., janvier 1937.)

En outre, le P.C.E. bénéficie politiquement de l'aide matérielle et en cadres de l'U.R.S.S., les brigades internationales sont politiquement contrôlées par l'Internationale communiste. Il contribue puissamment à la défense de Madrid. Son influence grandit, de 30 000 ses effectifs sont passés (selon ses dirigeants) à plus de 1 million, d'autant qu'il est le refuge de tout ce qui s'oppose résolument à la révolution.

Au printemps 1937, la situation politique n'est plus la même qu'en juillet et septembre 1936. L'Etat est en pleine reconstruction. Une armée républicaine est reconstituée, la police fonctionne à nouveau. Les conseils municipaux ont repris leurs fonctions et les masses sont refoulées par le gouvernement. Le pouvoir judiciaire est rétabli, etc.

Déjà, le P.O.U.M. a été exclu du gouvernement de la Généralité de Catalogne. Le gouvernement Caballero a rempli sa fonction : gouvernement « gauche » de Front populaire, permettant la participation de toutes les organisations ouvrières, inspirant confiance aux masses, qui le prennent pour leur gouvernement, mais instrument de reconstruction de l'Etat bourgeois. Une nouvelle étape doit être franchie. Le P.C.E. va jouer pleinement son rôle.

Au printemps 1937, les masses sont à nouveau en fermentation au Levant et en Catalogne en particulier. Une nouvelle explosion révolutionnaire due au désappointement causé par la politique du gouvernement Caballero, tant en ce qui concerne la conduite de la guerre que par son impéritie économique, que par les coups portés aux organismes de masse, se prépare. Le P.C.E. veut aller jusqu'au bout. Son terrain d'attaque sera Barcelone, la capitale révolutionnaire de la Catalogne. C'est ainsi que les incidents se multiplient : le lundi 3 mai, sous les ordres de Rodriguez Salas, commissaire à l’ordre public, membre du parti socialiste unifié de Catalogne (appellation en Catalogne du P.C.E.), trois camions de gardes d’assaut pénètrent à l'intérieur du central téléphonique et veulent s'en emparer. Le central téléphonique est sous le contrôle d'un comité U.G.T.-C.N.T., il est gardé par la C.N.T. Le feu est mis aux poudres. A l'initiative des comités et militants locaux, la classe ouvrière se mobilise. Le prolétariat se soulève et contrôle pratiquement la ville. Immédiatement, les dirigeants de la C.N.T. interviennent. Ils négocient un « compromis » avec Companys. La C.N.T. et les gardes se retirent du central téléphonique. La C.N.T. appelle les travailleurs à abandonner les barricades, à retourner au travail. Ses dirigeants dénoncent le groupe des « Amis de Durruti » qui veulent poursuivre la lutte, Leur capitulation est complète. Ils arrêtent les colonnes du P.O.U.M. et de la C.N.T. qui descendent sur Barcelone pour aider les ouvriers. En revanche, le gouvernement central, s'il envoie les ministres de la C.N.T. Garcia Oliver et Federica Montseny appeler au calme les travailleurs de Barcelone, fait croiser devant le port une partie de la marine de guerre, et détache du front de Jarama une colonne motorisée de 5000 gardes d'assaut. Il nomme le général Pozas, ancien chef de la garde du P.C.E., commandant des troupes de Barcelone. Le P.S.U.C. Poursuit son offensive. Il assassine les militants de la C.N.T. et de la F.A.I., tels Berneri et son collaborateur Barbieri. Il occupe, en en chassant la C.N.T., la principale gare de Barcelone. Dans toute la Catalogne, l'offensive contre-révolutionnaire se développe. C'en était fait de l'autonomie de la Catalogne. Une nouvelle étape de la reconstruction et de la centralisation de l’Etat bourgeois s'ouvrait.

Du gouvernement de l'Etat fort... à la défaite[modifier le wikicode]

Le gouvernement Caballero n'était plus adapté aux tâches nouvelles du Front populaire qui sont désormais la répression, porter des coups mortels aux masses. Il démissionne le 14 mai.

Le nouveau gouvernement est dirigé par Juan Negrin du P.S.O.E. Son cabinet comprend des ministres P.S.O.E., du P.C.E., des partis républicains, de l'Esquerra catalane. L'U.G.T. et la C N.T ne participent plus. Le gouvernement Negrin écrase tout ce qui subsiste de la révolution. Le P.O.U.M. est interdit. Ses militants sont arrêtés. Nin est enlevé et assassiné par le N.K.V.D. Le Conseil de défense de l'Aragon est dissout. Tous les comités nés de juillet 1936 et qui subsistent encore sont détruits. L'autonomie de la Catalogne n'est plus qu'une illusion vide de contenu.

La F.A.I. est mise au pas. Les dirigeants de la C.N.T. s'inclinent devant le nouveau gouvernement. Un moment Largo Caballero résiste : il n'accepte pas que l'U.G.T. applique la politique que le gouvernement Negrin exige d'elle. Un comité P.S.O.E.-P.C.E. est mis alors debout. Par de véritables coups de force appuyés directement sur l'appareil d'Etat, il brise la résistance de l'U.G.T. à la politique du gouvernement. La censure est établie. Le gouvernement monopolise les émetteurs radio. Une police spéciale est constituée : le Service des investigations militaires (S.I.M.), que contrôlent le P.C.E. et le N.K.V.D. Il n'y a plus de milices mais une armée nationale. Des tribunaux spéciaux sont institués.

En Espagne, plus qu'ailleurs, le pouvoir bourgeois est fondé sur l'unité du sabre et du goupillon. L’Eglise est une puissance politique et sociale réactionnaire, en outre, elle est propriétaire foncier et joue un rôle économique important. La révolution a obligatoirement balayé cette institution, cette force politique, sociale, économique, réactionnaire. Le gouvernement Negrin rétablit la liberté du culte et dispense les prêtres de service armé. En revanche, le 14 août 1937, une circulaire interdit toute critique à l'égard du gouvernement d'U.R.S.S.

Réaction sociale et réaction politique vont ensemble.

En juillet 1936, les travailleurs se sont emparés des grosses entreprises capitalistes et en assument la gestion. En attendant de les rendre à leurs « légitimes propriétaires », le gouvernement prend directement en main leur gestion.

Les terres avaient été occupées en juillet 1936 par les paysans pauvres et sans terre, sous l'impulsion des militants de la C.N.T., de la F.A.I., du P.O.U.M. En Aragon, en Catalogne, au Levant, les propriétaires terriens réclament et recouvrent «leurs terres ». Ils sont appuyés par le gouvernement. En Catalogne, le décret sur la collectivisation n'est pas appliqué, le gouvernement Negrin le considère comme illégal.

A la fin 1937, début 1938, les gouvernements de Front populaire ont porté des coups décisifs au prolétariat, aux paysans pauvres, à la jeunesse. L'appareil d'Etat bourgeois est reconstruit. Les masses sont politiquement mortellement frappées.

L'Espagne était grosse d'une révolution. L'ensemble des contradictions politiques et sociales y conduisaient. La crise politique de dislocation du vieux système de domination politique derrière lequel s'alignait la bourgeoisie, avaient ouvert de larges brèches dans l’édifice de l’ordre social et politique, et dans ces brèches, les masses s'étaient engouffrées. A partir de décembre 1935, janvier 1936, la révolution frappait à la porte. Elle se précisait après les élections de février 1936. C'est pour mettre fin à cette situation que le soulèvement militaro-fasciste avait eu lieu. Mais au contraire, il avait précipité le processus. La révolution avait déferlé.

L'Espagne était un nœud de contradictions sociales et politiques. La crise politique était la conséquence et la manifestation de l’impuissance de la bourgeoi­sie à les résoudre. Aux paysans affamés de terre, ou voulant se libérer du fardeau du métayage, aux nationalités étouffant dans le carcan d'une unité nationale inachevée, il fallait une direction qui les entraÎne sur la voie de la solution à leurs problèmes : ce ne pouvait être que le prolétariat. Lui seul pouvait, à la tête des masses exploitées d'Espagne, exproprier les grands propriétaires terriens, résoudre les problèmes des métayers, assurer les droits des nationalités en constituant une Espagne unifiée, prendre en charge les libertés démocratiques, toutes les tâches que, plus d'un siècle de l'histoire de l'Espagne Ie démontrait la bourgeoisie espagnole était incapable d'assumer. Seul le prolétariat pouvait à la fois rompre les liens de subordination de l'Espagne exploitée par de grandes sociétés capita­listes étrangères, et libérer le Maroc colonisé par l'impérialisme croupion espagnol. Mais il ne pouvait se mettre à la tête des masses exploitées qu'en accomplissant ses propres tâches, en résolvant ses propres questions politiques et sociales : prendre le pouvoir, exproprier le capital, planifier l'économie. Tout se résumait à cela : quel Etat ? quel gouvernement ?

Un gouvernement des organisations et partis ouvriers, balayant les débris de l'Etat bourgeois disloqué, s'appuyant sur les comités ouvriers et paysans, les centralisant et en faisant la base et l'armature de l'Etat ouvrier ; ou un gouvernement des organisations et partis ouvriers alliés à l'« ombre politique » de la bourgeoisie, mais respectant cette ombre, tentant de lui insuffler vie et réalité, recontituant pièce par pièce et globalement l'Etat bourgeois disloqué et détruisant les organismes ouvriers et paysans nés aux jours de juillet 1936.

Rappelons-le. Le Front populaire était un choix : « les républicains n'acceptent pas la nationalisation et la remise gratuite des terres aux paysans, respectent la Constitution ». Le Front populaire allait à l'encontre des besoins et aspirations des masses. Le soulèvement militaro-fasciste s'était produit en vue de briser la révolution montante. Il la précipita. Le Front populaire l'écrasa. Dès lors, la suite était inévitable au gré des relations internationales entre les grandes puissances impérialistes et la bureaucratie du Kremlin.

Aux premières heures du soulèvement, la révolution pouvait balayer Franco. Plus tard, le programme de la révolution pouvait encore permettre de vaincre et y compris de décomposer les troupes de Franco. L'œuvre des gouvernements de Front populaire, ce fut essentiellement de détruire les instruments révolutionnaires et de démoraliser par là même les combattants et l'arrière républicains.

Le paysan voulait la terre, les ouvriers les usines, tous voulaient les libertés ; le prolétariat construisait les éléments d'un nouveau pouvoir : les gouvernements de Front populaire foulaient aux pieds tout cela ou le détruisait. Les Maures formaient les troupes de choc de l'armée de Franco. Les gouvernements de Front populaire pouvaient disloquer cette armée : il leur suffisait de proclamer l'indépendance sans conditions du Maroc espagnol. Cette arme non plus, ils ne l'utilisaient pas et ne pouvaient l'utiliser. La bourgeoisie espagnole à cette période ne pouvait l'accepter. De plus, donner l'indépendance au Maroc espagnol, c'était dénoncer les puissances colonialistes, la France en particulier, qui avait colonisé tout le Maghreb. Or, les gouvernements de Front populaire se réclamaient de la croisade des « démocraties » contre le fascisme.

La guerre est la prolongation de la politique par d'autres moyens. La guerre civile est une lutte de classes poussée à ses limites ultimes. La contre-révolution victorieuse entraînait la défaite de l'Espagne républicaine. L'écrasement du prolétariat de Barcelone, de la paysannerie de Catalogne, d’Aragon, du Levant, la mise au pas des nationalités, la liquidation des libertés préludaient et annonçaient la victoire de Franco. De façon limitée et épisodique la bureaucratie du Kremlin a fourni des armes à la République espagnole. Elle les lui a fait payer en se faisant livrer les réserves d'or de la Banque d'Espagne. Mais la fourniture de matériels militaires, l'envoi de techniciens, l'encadrement des brigades internationales, ont été de puissants moyens de pression sur les gouvernements espagnols. Negrin devenait un instrument du P.C.E. Le N.K.V.D. s'installait en Espagne. Corrélativement, aux procès de Moscou, la répression se développait selon les moyens, les méthodes et les buts de la bureaucratie du Kremlin. Finalement, d'ailleurs, les spécialistes russes, les cadres militaires et politique envoyés en Espagne, furent en grande partie exterminés à leur retour en U.R.S.S. L'aide russe dépendait des intérêts et des combinaisons diplomatiques du Kremlin. Alors que la politique du P.C.E. brisait les armes révolutionnaires, cassait le ressort des masses exploitées espagnoles, les armes proprement dites n'étaient jamais suffisantes pour vaincre uniquement sur le plan militaire. Jusqu’à l'automne 1936, l'U.R.S.S. ne livra pratiquement pas d'armes. De l'automne 1936 au printemps 1937, les envois d'armes sont relativement importants. Ensuite, les envois d'armes vont diminuer et finalement cesser au milieu de l'année 1938 les brigades internationales seront dissoutes.

A cette époque, la bureaucratie du Kremlin est engagée en des manœuvres diplomatiques complexes afin d'obtenir des engagements précis de la France et de l'Angleterre en cas de guerre de l'Allemagne contre l’U.R.S.S. ; en même temps qu'elle cherche à réaliser un accord avec l'Allemagne hitlérienne. Elle se désintéresse de l'Espagne, qui dans un cas comme dans l'autre ne peut plus être qu'une gêne dans son jeu. Le sort de l'Espagne est définitivement scellé. Au cours de l'année 1938 et au début 1939, c'est l'effondrement. Le 28 mars 1939, les troupes fascistes entrent à Madrid.

Sur la pierre tombale du Front populaire espagnol, on peut écrire son bilan : un million de morts, et depuis, quarante ans d'exploitation des masses, des années et des années de misère et d'atroce répression.

Dans l'esprit où nous avons rédigé ce chapitre, pour le conclure, nous laissons la parole à Trotsky. Ce serait affadir, affaiblir, cette rigoureuse conclusion que de la paraphraser. Or, la fin que nous poursuivons est d'éclairer le mieux qu'il nous est possible les militants et travailleurs sur le contenu de la politique des fronts populaires.


Trotski- « Leçon d'Espagne : Dernier avertissement » 17 décembre 1937 (Extraits)[modifier le wikicode]

« La théorie du front populaire[modifier le wikicode]

Il serait pourtant naïf de penser qu'à la base de la politique du Komintern en Espagne se trouvaient quelques « erreurs » théoriques. Le stalinisme ne se guide pas sur la théorie marxiste, ni sur quelque théorie que ce soit, mais, empiriquement, sur les intérêts de la bureaucratie soviétique. Entre eux, les cyniques de Moscou se moquent bien de la « philosophie » du front populaire à la Dimitrov. Mais ils ont à leur disposition, pour tromper les masses, des cadres nombreux de propagandistes de cette formule sacrée, sincères ou filous, naïfs ou charlatans. Louis Fischer avec son ignorance et sa suffisance, son état d'esprit de raisonneur provincial organiquement sourd à la révolution, est le représentant le plus répugnant de cette confrérie peu attrayante. L'« union des forces progressistes », le « triomphe des idées du front populaire », l’» atteinte portée par les trotskystes à l’unité des rangs antifascistes »… Qui croirait qu’il y a quatre-vingt-six ans que le Manifeste communiste a été écrit ?

Les théoriciens du front populaire ne vont pas plus loin que la celle de la première règle d'arithmétique, celle de l’addition : la somme des communistes, des socialistes, des anarchistes et des libéraux est supérieure à chacun de ses termes. Pourtant, l’arithmétique ne suffit pas dans l'affaire. Il faut au moins la mécanique : la loi du parallélogramme des forces se vérifie, même en politique. La résultante est, comme on sait, d'autant plus courte que les forces divergent entre elles. Quand les alliés politiques tirent dans des directions opposées, la résultante est égale à zéro. Le bloc des différents groupements politiques de la classe ouvrière est absolument nécessaire pour résoudre les tâches communes. Dans certaines circonstances historiques, où un tel bloc est capable d'attirer à lui les masses petites-bourgeoises opprimées dont les intérêts sont proches de ceux du prolétariat, la force commune d'un tel bloc peut se trouver beaucoup plus grande que la résultante des forces constituantes. Au contraire, l'alliance du prolétariat avec la bourgeoisie, dont les intérêts, à l'heure actuelle, dans les questions fondamentales, font un angle de 180 degrés, ne peut, en règle générale, que paralyser la force révolutionnaire du prolétariat.

La guerre civile, où la force de la seule violence a peu d'action, exige de ses participants un dévouement suprême. Les ouvriers et les paysans ne sont capables d'assurer la victoire que quand ils mènent la lutte pour leur propre émancipation. Les soumettre dans ces conditions à la direction de la bourgeoisie, c'est assurer d'avance leur défaite dans la guerre civile.

Ces vérités ne sont d'aucune manière le fruit d'une analyse purement théorique. Au contraire, elles représentent la conclusion irréfutable de toute l'expérience historique, au moins à partir de 1848. L'histoire moderne des sociétés bourgeoises est pleine de fronts populaires de toutes sortes, c'est-à-dire de combinaisons politiques les plus diverses pour tromper les travailleurs. L'expérience espagnole n'est qu'un nouvel anneau tragique de cette chaîne de crimes et de trahisons. L’alliance avec l'ombre de la bourgeoisie

Le fait le plus étonnant politiquement est que, dans le Front populaire espagnol, il n'y avait pas au fond de parallélogramme des forces : la place de la bourgeoisie était prise par son ombre. Par l'intermédiaire des staliniens, des socialistes et des anarchistes, la bourgeoisie espagnole s'est subordonné le prolétariat sans même se donner la peine de participer au Front populaire : la majorité écrasante des exploiteurs de toutes nuances politiques était passée dans le camp de Franco. Sans aucune théorie de la révolution permanente, la bourgeoisie espagnole a compris, dès le début du mouvement révolutionnaire des masses, que, quel que soit son point de départ, ce mouvement était dirigé contre la propriété privée de la terre et des moyens de production, et qu'il était absolument impossible d'en venir à bout par les moyens de la démocratie.

C'est pourquoi il n'est resté dans le camp républicain que des débris insignifiants de la classe possédante. MM. Azaňa, Companys et leurs semblables, avocats politiques de la bourgeoisie, mais nullement la bourgeoisie elle-même. Ayant tout misé sur la dictature militaire, les classes possédantes surent en même temps utiliser leurs représentants politiques de la veille pour paralyser, désagréger, puis étouffer le mouvement socialiste des masses sur le territoire « républicain ».

Ne représentant plus à aucun titre la bourgeoisie espagnole, les républicains de gauche représentaient bien moins encore les ouvriers et les paysans : ils ne représentaient rien en dehors d'eux-mêmes. Pourtant, grâce à leurs alliés socialistes, staliniens et anarchistes, ces fantômes politiques ont joué dans la révolution un rôle décisif.

Comment ? Très simplement en tant qu'incarnation du principe de la révolution démocratique, c'est-à-dire de l'inviolabilité de la propriété privée.

Les staliniens dans le Front populaire[modifier le wikicode]

Les causes de l'apparition du Front populaire espagnol et sa mécanique interne sont parfaitement claires. La tâche des chefs en retraite de l'aile gauche de la bourgeoisie consistait à stopper la révolution des masses et à regagner la confiance perdue des exploiteurs : pourquoi Franco si nous, les républicains, pouvons faire la même chose ? Sur ce plan essentiel, les intérêts d'Azaňa et de Companys coïncidaient pleinement avec ceux de Staline, pour lequel il était nécessaire de gagner la confiance des bourgeoisies anglaise et française en montrant qu'il était capable de protéger l'ordre contre l'anarchie. Azaňa et Companys servaient nécessairement de couverture à Staline face aux ouvriers : lui-même, Staline, est évidemment pour le socialisme, mais il ne peut pas repousser la bourgeoisie républicaine. Staline est nécessaire à Azaňa et Companys en tant que bourreau expérimenté jouissant d'une autorité de révolutionnaire. Sans lui réduits à être un ramassis de zéros, ils n’auraient pu, ni osé attaquer les ouvriers.

Les réformistes traditionnels de la II° Internationale, depuis longtemps affolés par le cours de la lutte de classe, reçurent un regain d'assurance du fait du soutien de Moscou. Ce soutien fut d'ailleurs accordé non à tous les réformistes, mais seulement aux plus réactionnaires : Caballero représentait la face du parti socialiste tournée vers l'aristocratie ouvrière, tandis que Negrin et Prieto tournaient toujours leur regard vers la bourgeoisie. Negrin a vaincu Caballero grâce à l’aide de Moscou. Les socialistes de gauche et les anarchistes, prisonniers du Front populaire, se sont efforcés, il est vrai, de sauver de la démocratie ce qui pouvait en être sauvé. Mais comme ils n'ont pas su mobiliser les masses contre les gendarmes du Front populaire, leurs efforts se sont en fin de compte réduits à de pitoyables lamentations. Les staliniens se sont ainsi trouvés alliés à l'aile la plus droitière, la plus ouvertement bourgeoise du parti socialiste. Ils ont dirigé leurs coups à gauche, contre le P.O.U.M., les anarchistes et les socialistes de gauche, c'est-à-dire contre les groupements centristes qui, quoique imparfaitement, reflétaient la pression des masses révolutionnaires.

Ce fait politique, significatif en lui-même, donne aussi la mesure de la dégénérescence du Komintern au cours des dernières années. Nous avions autrefois défini le stalinisme comme un centrisme bureaucratique ; les événements ont donné un certain nombre de preuves de la justesse de cette affirmation, mais elle est actuellement dépassée. Les intérêts de la bureaucratie bonapartiste ne correspondent plus au caractère hybride du centrisme. Dans sa recherche d'accommodements avec la bourgeoisie, la clique stalinienne est capable de s'allier seulement aux éléments les plus conservateurs de l'aristocratie ouvrière dans le monde par là, le caractère contre-révolutionnaire du stalinisme dans l'arène mondiale est définitivement établi.

Les avantages contre-révolutionnaires du stalinisme[modifier le wikicode]

Nous arrivons là au cœur de la solution de l'énigme : comment et pourquoi le parti communiste espagnol, insignifiant tant par son nombre que par ses dirigeants, a-t-il été capable de concentrer entre ses mains tous les leviers du pouvoir, en dépit de la présence d'organisations socialistes et anarchistes incomparablement plus puissantes ? L'explication courante suivant laquelle les staliniens ont tout simplement troqué le pouvoir en échange des armes soviétiques reste superficielle. Pour prix de ses armes, Moscou a reçu de l'or espagnol. Cela suffisait, selon les lois du marché capitaliste. Comment Staline a-t-il réussi à obtenir également le pouvoir dans ce marché ? A cela, on répond d'ordinaire : en accroissant son autorité aux yeux des masses par des fournitures militaires, le gouvernement soviétique a pu exiger, comme condition de son aide, des mesures décisives contre les révolutionnaires et écarter ainsi de sa route de dangereux adversaires. C'est indiscutable, mais c'est seulement un aspect de la question, et le moins important. En dépit de l'« autorité » acquise grâce aux fournitures soviétiques, le parti communiste espagnol est demeuré une petite minorité, et il a rencontré, de la part des ouvriers, une haine toujours plus grande[12]. Il ne suffisait pas d'autre part que Moscou posât des conditions : encore fallait­-il que Valence les acceptât. C'est là le fond du problème. Car non seulement Companys et Negrin, mais aussi Caballero, quand il était président du Conseil, tous sont allés, de plus ou moins bon gré, au-devant des exigences de Moscou. Pourquoi ? Parce que ces messieurs eux-mêmes voulaient maintenir la révolution dans le cadre bourgeois.

Ni les socialistes, ni même les anarchistes, ne se sont sérieusement opposés au programme stalinien. Ils avaient eux-mêmes peur de la rupture avec la bourgeoisie. Ils étaient mortellement effrayés devant chaque offensive révolutionnaire des ouvriers. Grâce à ses armes et à son ultimatum contre-révolutionnaire, Staline a été pour tous ces groupes le sauveur. Il leur assurait en effet ce qu'ils espéraient, la victoire militaire sur Franco, et, en même temps, les affranchissait de toute responsabilité pour le cours de la révolution. Ils se sont donc empressés de mettre au rancart leurs masques socialistes et anarchistes, avec l'espoir de les utiliser de nouveau quand Moscou aurait rétabli pour eux la démocratie bourgeoise. Pour comble de commodité, ces messieurs pouvaient justifier leur trahison envers le prolétariat par la nécessité de l'entente militaire avec Staline ; de son côté, ce dernier justifiait sa politique contre-révolutionnaire par la nécessité de l'entente avec la bourgeoisie républicaine.

C'est seulement de ce point de vue plus large que devient claire pour nous l'angélique patience dont ont fait preuve, vis-à-vis des représentants du G.P.U., ces champions du droit et de la liberté que sont Azaňa, Companys, Negrin, Caballero, Garcia Oliver et autres. S'ils n'ont pas eu le choix, comme ils l'ont affirmé, ce n'est nullement parce qu'ils n'avaient pas les moyens de payer avions et tanks autrement que par des « têtes » révolutionnaires et les droits des ouvriers, c'est parce qu'il leur était impossible de réaliser leur propre programme « purement démocratique », c'est-à-dire antisocialiste, autrement que par la terreur. Quand les ouvriers et les paysans s'engagent dans la voie de la révolution, c’est-à-dire s'emparent des usines, des grandes propriétés, et chassent les anciens propriétaires, prennent localement le pouvoir, alors, la contre-révolution, bourgeoise-démocratique, stalinienne ou fasciste - tout se tient - n'a plus d'autre moyen d'arrêter le mouvement que par la violence sanglante, le mensonge et la tromperie. L'avantage de la clique stalinienne dans cette voie consistait en ce qu'elle a immédiatement entrepris d'appliquer des méthodes qui dépassaient Azaňa, Companys, Negrin et leurs autres alliés de « gauche ».

Staline confirme à sa manière la théorie de la révolution permanente[modifier le wikicode]

Ainsi, sur le territoire de l’Espagne, se sont affrontés deux programmes. D'une part, celui de la sauvegarde à tout prix de la propriété privée contre le prolétariat, et, si possible, de la sauve­garde de la démocratie contre Franco. De l'autre, le programme d'abolition de la propriété privée grâce à la conquête du pouvoir par le prolétariat. Le premier exprimait le programme du capital par l'intermédiaire de l'aristocratie ouvrière, des sommets de la petite bourgeoisie et surtout de la bureaucratie soviétique. Le second traduisait, en langage marxiste, les tendances, pas pleinement conscientes, mais puissantes, du mouvement révolutionnaires des masses. Pour le malheur de la révolution, il y avait, entre la poignée des bolcheviques et le prolétariat révolutionnaire, la cloison contre-révolutionnaire du Front populaire.

La politique du Front populaire, à son tour, ne fut nullement déterminée par le chantage de Staline en tant que fournisseur d'armes. Assurément, le chantage est compris dans les conditions internes de la révolution elle-même. Le fonds social de celle-ci avait été, au cours des six dernières années, l'offensive croissante des masses contre la propriété semi-féodale et bourgeoise. C'est précisément la nécessité de défendre cette propriété qui a jeté la bourgeoisie dans les bras de Franco. Le gouvernement républicain avait promis à la bourgeoisie de défendre la propriété par des mesures « démocratiques », mais il enregistra, surtout en juillet 1936, une faillite complète. Quand la situation sur le front de la propriété devint encore plus menaçante que sur le front militaire, les démocrates de tout poil, y compris les anarchistes, s'inclinèrent devant Staline, et ce dernier n'a trouvé dans son arsenal d'autres méthodes que celles de Franco.

Sans les persécutions contre les trotskystes, les poumistes, les anarchistes révolutionnaires et les socialistes de gauche, les calomnies fangeuses, les documents forgés, les tortures dans les prisons staliniennes, les assassinats dans le dos, sans tout cela, le drapeau bourgeois, sous le drapeau répu­blicain, ne se serait pas maintenu deux mois. Le G.P.U. ne s'est trouvé maître de la situation que parce qu’il a défendu de façon plus conséquente que d’autres, c’est-à-dire avec plus de fourberie et de cruauté, les intérêts de la bourgeoisie contre le prolétariat.

Au cours de sa lutte contre la révolution socialiste, le démocrate Kerensky avait d'abord cherché un appui dans la dictature de Kornilov, puis il avait tenté de rentrer à Petrograd dans les fourgons du général monarchiste Krasnov ; d'autre part, les bolcheviques, pour mener la révolution démocratique jusqu'au bout, ont été contraints de renverser le gouvernement des charlatans et des bavards démocratiques. Ce faisant, ils ont mis fin en passant à toutes les tentatives de dictature militaire ou fasciste.

La révolution espagnole montre une nouvelle fois qu’il est impossible de défendre la démocratie contre les masses révolutionnaires autrement que par des méthodes de la réaction fasciste. Et, inversement, il est impossible de mener une véritable lutte contre le fascisme autrement que par les méthodes de la révolution prolétarienne. Staline a lutté contre le trotskysme (la révolution prolétarienne) en détruisant la démocratie par les mesures bonapartistes et le G.P.U. Cela réfute une nouvelle fois, et définitivement, la vieille théorie menchevique que s'est appropriée le Komintern, théorie qui fait de la révolution socialiste deux chapitres historiques indépendants, séparés l'un de l'autre dans le temps. L’œuvre, des bourreaux de Moscou confirme à sa manière la justesse de la théorie de la révolution permanente.

  1. G. Lefranc, Histoire du Front Populaire.
  2. Extrait du recueil publié par Pierre Naville : L'entre‑deux deux‑guerres. Ed. Edi.
  3. Danos et Gibelin, Juin 36.
  4. Mémoires, 1935-1939, « Aux jours ensoleillés du Front Populaire »
  5. Lefranc, Histoire du Front populaire, Payot.
  6. C'est nous qui soulignons.
  7. Article de Pierre Broué et Nicole Dorey dans Le Mouvement social en France, janvier-mars 1966.
  8. Cité par Pierre Naville, in L'Entre-deux-guerres, éd. EDI..
  9. Marceau Pivert, sur observations directes des militants socialistes de Goodrich, Les Cahiers rouges, janvier 1938.
  10. P. Broué et N. Dorey, op. cit.
  11. Cesar M. Lorenzo, Les Anarchistes et le pouvoir.
  12. Dans un ouvrage paru en 1971, G. Hermet, sur la base des sources du P.C.E., écrit que « le parti compte en mars 37, 55 % de paysans, dont une majorité de petits exploitants, et près de 10 % de membres des classes moyennes et des professions libérales, contre seulement 35 % d'ouvriers d'industrie ».
    Il ajoute que « 53 % des membres se trouvent dans l'armée », et parle de « ruralisation » et d’ « embourgeoisement des effectifs communistes » pendant la guerre civile (Les Communistes en Espagne, p. 46-49).
    Il semble incontestable que le P.C.E. devenu « parti de l'ordre » servit de refuge aux partisans de l' « ordre » qui ne se recrutaient pas particulièrement en milieu ouvrier.