Congrès extraordinaire des soviets des députés paysans de Russie du 23 novembre-8 décembre 1917

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1. Déclaration à la fraction bolchévique du congrès extraordinaire des Soviets des députés paysans de Russie[modifier le wikicode]

La Déclaration à la fraction bolchévique du Congrès extraordinaire des Soviets des députés paysans de Russie fat rédigée par suite du refus des socialistes-révolutionnaires de gauche de donner la parole à Lénine, en tant que président du Conseil des Commissaires du peuple, comme l'exigeait la fraction bolchévique. Les s.-r. considéraient qu'une telle intervention déciderait par avance la question du pouvoir. Sur la proposition des s.-r. de gauche, le Congrès repoussa la revendication des bolchéviks. Lénine intervint au Congrès non pas comme président du Conseil des Commissaires du peuple, mais à titre de délégué de la fraction bolchévique. [N.E.]

Nous demandons catégoriquement aux députés bolchéviks d'exiger impérativement un vote à mains levées sur la question de l'invitation immédiate des représentants du Gouvernement.

Si la lecture de cette proposition et sa mise aux voix sont rejetées en séance plénière, toute la fraction bolchévique doit quitter la séance en guise de protestation.

Lénine

2. Discours sur la question agraire du 14 (27) novembre[modifier le wikicode]

Compte rendu de presse

Sur mandat de la fraction bolchévique, le camarade Lénine expose le point de vue du Parti bolchévik sur la question agraire.

Le parti socialiste-révolutionnaire a subi un échec dans ce domaine en prêchant la confiscation des terres des propriétaires fonciers et en refusant de passer aux actes.

La grande propriété foncière est le fondement du servage, aussi la confiscation des terres des propriétaires fonciers est-elle la première mesure de la révolution en Russie. Mais la question de la terre ne peut être résolue indépendamment des autres tâches de la révolution. Afin de poser celles-ci convenablement, il est nécessaire d'analyser les étapes que la révolution a franchies. La première est le renversement de l'autocratie et l'instauration du pouvoir de la bourgeoisie et des propriétaires fonciers. Les intérêts de ces derniers se sont étroitement liés à ceux de la bourgeoisie et des banques. La deuxième étape est le renforcement des Soviets et la politique d'entente avec la bourgeoisie. L'erreur des socialistes-révolutionnaires de gauche a été de ne pas s'opposer alors à la politique conciliatrice, sous prétexte que les masses n'étaient pas assez évoluées. Le parti étant l'avant-garde d'une classe, sa mission est d'entraîner les masses à sa suite, et non pas de refléter le niveau moyen de ces masses. Mais, pour entraîner les hésitants, il faut que les camarades socialistes-révolutionnaires de gauche cessent eux-mêmes d'hésiter.

Camarades socialistes-révolutionnaires de gauche, en juillet a commencé la rupture des masses populaires avec la politique conciliatrice ; mais les socialistes-révolutionnaires de gauche tendent jusqu'à présent largement la main aux Avksentiev, en ne tendant aux ouvriers que leur petit doigt. Si la politique conciliatrice devait se prolonger, la révolution périrait. Les tâches de la révolution ne peuvent être menées à bien que si la paysannerie soutient les ouvriers. La politique conciliatrice est une tentative des masses ouvrières, paysannes et de soldats de satisfaire leurs besoins au moyen de réformes, de concessions de la part du capital, sans révolution socialiste. Mais il est impossible de donner au peuple la paix, la terre sans renverser la bourgeoisie, sans le socialisme. La révolution doit rompre avec cette politique, mais rompre avec la politique conciliatrice signifie s'engager dans la voie de la révolution socialiste.

Le camarade Lénine poursuit en prenant la défense des instructions données aux comités de canton[1] et parle de la nécessité de briser avec les équipes dirigeantes dans le genre des comités militaires, du Comité exécutif des députés paysans, etc. Nous avons emprunté aux paysans notre loi sur les comités de canton. Les paysans veulent la terre, des instruments pour la travailler, l'interdiction du travail salarié. Mais cela, on ne saurait l'obtenir sans renverser le capital. Nous leur avons dit : vous voulez les terres, mais elles sont hypothéquées et appartiennent au capital russe et international. Vous jetez un défi au capital, vous suivez dans cette action une autre voie que la nôtre, mais nous vous accordons que nous allons et devons aller vers la révolution sociale. En ce qui concerne l'Assemblée constituante, l'orateur a déclaré que l'activité de cette assemblée dépendrait de l'état d'esprit du pays ; et il a ajouté : « je dirais, moi : l'état d'esprit, c'est bien, mais n'oublie pas ton fusil ».

Le camarade Lénine s'arrête ensuite sur la question de la guerre. Quand l'orateur parle de la destitution de Doukhonine et de la nomination de Krylenko au poste de commandant en chef, on entend des rires. Cela vous paraît risible, dit-il, mais les soldats vous blâmeront pour ces rires. S'il y a ici des gens qui trouvent risible que nous ayons destitué un général contre-révolutionnaire et que nous ayons nommé Krylenko qui est parti mener les pourparlers[2] à l'encontre de ce général, nous n'avons rien à nous dire, ces gens-là et nous. Avec ceux qui n'admettent pas la lutte contre les généraux contre-révolutionnaires, nous n'avons rien de commun, nous préférerons abandonner le pouvoir, entrer, peut-être, dans la clandestinité, mais nous n'aurons rien de commun avec ces gens-là.

3. Projet de résolution[modifier le wikicode]

Le Congrès paysan soutient entièrement et sans réserve la loi (le décret) sur la terre du 26 octobre 1917, ratifiée par le IIe Congrès des Soviets des députés ouvriers et soldats de Russie, et promulguée par le Conseil des Commissaires du peuple, en sa qualité de gouvernement ouvrier et paysan provisoire de la République de Russie. Le Congrès paysan exprime sa résolution inébranlable de lutter énergiquement pour que cette loi soit appliquée, il appelle tous les paysans à la soutenir et à la mettre eux-mêmes immédiatement en pratique dans leurs localités ; il les convie aussi à élire aux postes et aux charges responsables uniquement des gens qui ont prouvé, non en paroles, mais par leurs actes, leur dévouement sans bornes aux intérêts des paysans travailleurs et exploités, leur volonté et leur capacité de défendre ces intérêts contre toute résistance des propriétaires fonciers, des capitalistes et de leurs partisans ou de leurs complices.

Le Congrès paysan exprime en même temps sa conviction que la mise en pratique des mesures impliquées par la loi sur la terre n'est possible que par le succès de la révolution ouvrière socialiste qui a commencé le 25 octobre, car seule la révolution socialiste est en état d'assurer à la fois la remise sans indemnité de la terre à la paysannerie laborieuse, la confiscation du cheptel des propriétaires fonciers et la défense pleine et entière des intérêts des salariés agricoles ; elle seule peut également amorcer dans l'immédiat l'abolition totale de tout le système d'esclavage capitaliste, répartir équitablement et selon un plan les produits de l'agriculture et de l'industrie dans les différentes régions et entre les habitants, dominer les banques (sans cette condition, il est impossible que le peuple devienne maître de la terre même après l'abolition de la propriété privée de la terre) ; elle seule peut assurer aux travailleurs et aux exploités l'aide de l'Etat dans tous les domaines.

C'est pourquoi le Congrès paysan, apportant un soutien sans réserve à la révolution du 25 octobre, en tant que révolution socialiste, exprime sa résolution inébranlable de mettre en pratique les mesures de transformation socialiste de la République de Russie, en procédant progressivement, comme il se doit, mais sans aucune hésitation.

La condition nécessaire de la victoire de la révolution socialiste, qui seule garantit le succès durable et la pleine application de la loi sur la terre, est l'alliance étroite de la paysannerie laborieuse et exploitée avec la classe ouvrière, le prolétariat, dans tous les pays avancés. Dans la République de Russie, toute l'organisation et toute la direction de l'Etat doivent désormais reposer de haut en bas sur une telle alliance. En repoussant toutes les tentatives, directes ou indirectes, déclarées ou cachées, faites pour revenir à la politique d'entente avec la bourgeoisie et avec les promoteurs de la politique bourgeoise que la vie a condamnée, cette alliance pourra seule assurer la victoire du socialisme dans le monde entier.

4. Discours à propos de la déclaration du représentant du Vikjel, le 18 novembre (1er décembre)[modifier le wikicode]

Compte rendu de presse

Camarades,

La déclaration du Vikjel n'est, sans aucun doute, rien d'autre qu'un malentendu. Pouvez-vous admettre, ne fût-ce qu'un instant, que des troupes, conscientes de leur devoir révolutionnaire, qui combattent pour les intérêts du peuple, se mettent aux approches du Quartier Général à saccager à tort et à travers, sans présenter leurs revendications, sans expliquer pourquoi elles sont venues, ne serait-ce qu'aux soldats qui montaient la garde ? Vous comprenez, camarades, qu'une telle conduite est inconcevable. L'armée révolutionnaire, consciente de ses actes, veut que ses exigences soient connues de ceux à qui elle s'adresse. En présentant des revendications, on faisait davantage, on indiquait, on expliquait que la résistance serait une résistance à la volonté du peuple, un crime grave, non seulement un crime ordinaire, mais un crime moral contre la liberté du peuple, contre ses intérêts et contre ses aspirations les plus nobles. L'armée révolutionnaire ne tire jamais le premier coup de feu, elle ne se dresse farouchement que contre les envahisseurs et les tortionnaires du peuple. S'il en était autrement, le mot révolution perdrait son sens. Je ne peux pas m'empêcher d'attirer l'attention sur le fait que le Vikjel, en portant des accusations gratuites, proclame en même temps sa « neutralité ». Le Vikjel n'a nul droit de le faire. Pendant les journées de lutte révolutionnaire, où chaque minute est précieuse, où les divergences, la neutralité permettent à l'adversaire de prendre la parole et de se faire écouter quand même, si on ne s'empresse d'aider le peuple dans sa lutte pour ses droits les plus sacrés, une telle position ne peut absolument pas être qualifiée de neutralité ; ce n'est pas de la neutralité, c'est ce qu'un révolutionnaire appelle l'incitation au crime. (Applaudissements.) En adoptant cette position, vous poussez les généraux à intervenir ; en ne nous apportant pas votre soutien, vous êtes contre le peuple.

Le général Doukhonine ne cherche qu'une chose : ajourner l'armistice. En lui prêtant votre concours, vous sapez l'armistice. Réfléchissez à la lourde responsabilité qui retombe sur vous et à la façon dont le peuple se comportera à votre égard.

Le camarade Lénine poursuit en disant qu'en certains endroits on sabote le télégraphe. Le gouvernement est privé d'informations alors que des rumeurs absurdes sont répandues par les ennemis. Par exemple, les bataillons polonais seraient intervenus contre le gouvernement. En réalité, les Polonais ont maintes fois déclaré qu'ils ne se mêlaient pas des affaires russes, et ne s'en mêleraient pas ; on a reçu également une déclaration où ils se prononcent pour l'armistice.

5. Quelques mots de conclusion sur la question agraire, le 18 novembre (1er décembre)[modifier le wikicode]

Compte rendu de presse

Le camarade Lénine commence par indiquer que l'accusation d'anarchisme portée contre les bolchéviks par les socialistes-révolutionnaires de gauche est dénuée de fondement.

En quoi les socialistes se distinguent-ils des anarchistes ? Ces derniers n'admettent pas le pouvoir alors que les socialistes, y compris les bolchéviks, sont partisans du pouvoir dans la période de transition entre l'état actuel et le socialisme vers lequel nous allons.

Nous autres, bolchéviks, nous sommes partisans d'un pouvoir ferme, mais d'un pouvoir qui serait celui des ouvriers et des paysans.

Tout pouvoir d'Etat est une contrainte, mais jusqu'ici ce pouvoir était celui d'une minorité, celui du propriétaire foncier et du capitaliste contre l'ouvrier et le paysan.

Nous sommes partisans d'un pouvoir qui serait le pouvoir inébranlable de la majorité des ouvriers et des paysans, contre les capitalistes et les propriétaires fonciers.

Après avoir indiqué que dans la résolution des socialistes-révolutionnaires de gauche sur la terre, le nouveau gouvernement est désigné comme un gouvernement socialiste populaire, le camarade Lénine examine en détail ce qui peut unir étroitement les bolchéviks et les socialistes-révolutionnaires de gauche.

L'alliance des paysans et des ouvriers est la base d'une entente entre les socialistes-révolutionnaires de gauche et les bolchéviks.

C'est bien une coalition honnête, une honnête alliance, mais il en sera ainsi également au sommet, entre les dirigeants socialistes-révolutionnaires de gauche et les dirigeants bolchéviks, si les premiers expriment, plus nettement leur conviction que la révolution actuelle est une révolution socialiste. Cette révolution est socialiste. L'abolition de la propriété privée de la terre, l'introduction du contrôle ouvrier, la nationalisation des banques sont autant de mesures qui mènent au socialisme. Ce n'est pas encore le socialisme, mais ce sont des mesures qui nous y mènent, à pas de géant. Nous ne promettons pas aux paysans et aux ouvriers un pays de cocagne du jour au lendemain, mais nous disons : l'alliance étroite des ouvriers et des paysans exploités, la lutte ferme, sans défaillance, pour le pouvoir des Soviets nous conduisent au socialisme ; et tout parti qui veut être authentiquement populaire doit proclamer clairement et résolument que notre révolution est socialiste.

C'est seulement dans le cas où les socialistes-révolutionnaires de gauche se prononceront sans équivoque sur ce point que notre alliance avec eux pourra s'affermir et s'élargir.

On nous dit que nous sommes contre la socialisation de la terre et que, pour cette raison, nous ne pourrons pas nous mettre d'accord avec les socialistes-révolutionnaires de gauche.

Nous répondons : oui, nous sommes contre la socialisation de la terre que demandent les socialistes-révolutionnaires, mais cela ne nous empêchera pas de nous allier honnêtement aux socialistes-révolutionnaires de gauche.

Aujourd'hui ou demain, les socialistes-révolutionnaires de gauche proposeront leur ministre à l'agriculture, et s'il applique la loi sur la socialisation, nous ne voterons pas contre. Nous nous abstiendrons.

En terminant son discours, le camarade Lénine a souligné que seule l'alliance des ouvriers et des paysans permettra d'obtenir la terre et la paix.

La question suivante a été posée, entre autres, au camarade Lénine : Que feront les bolchéviks à l'Assemblée constituante si les socialistes-révolutionnaires de gauche, en minorité, proposent une loi sur la socialisation de la terre ? Les bolchéviks s'abstiendront-ils dans ce cas ? Non, naturellement. Les bolchéviks voteront pour cette loi, après avoir fait la réserve qu'ils agissent ainsi pour soutenir les paysans contre leurs ennemis.

  1. Il s'agit des instructions sur l'activité des comités agraires de canton ratifiées par le 1er Congrès des Soviets des députés ouvriers et soldats de Russie le 23 juin (6 juillet) 1917 et publiées le 3 (16) novembre 1917 comme loi « Sur les comités de canton ». [N.E.]
  2. Il s'agit de l'ouverture des pourparlers de paix avec l'Allemagne.
    Après la publication du Décret sur la paix, adopté au IIe Congrès des Soviets de Russie, le gouvernement soviétique prit plusieurs mesures pratiques pour conclure une paix démocratique entre les divers belligérants. Le 7 (20) novembre 1917, le Conseil des commissaires du peuple par un arrêté spécial obligea le Commandant en chef Doukhonine à proposer aux commandements des armées ennemies de cesser le feu et à ouvrir des pourparlers de paix. Il y était dit que le Conseil des Commissaires du peuple « estime nécessaire de faire une proposition formelle d'armistice à tous les pays belligérants que ce soit nos alliés ou les pays qui nous font la guerre » (Les lzvestia du Conseil exécutif central, n° 221 du 10 novembre 1917). Mais les généraux contre-révolutionnaires, liés aux missions militaires des pays de l'Entente, faisaient tout pour empêcher la conclusion de l'armistice. Le 8 (21) novembre, le Commissariat du peuple aux Affaires étrangères adressa une note aux ambassadeurs des puissances alliées dans laquelle il proposa de conclure immédiatement un armistice sur tous les fronts et d'ouvrir des pourparlers de paix. Le 9 (22) novembre, les ambassadeurs des pays de l'Entente, réunis à l'ambassade des Etats-Unis à Pétrograd, décidèrent de ne pas tenir compte de cette note du Gouvernement soviétique.
    Devant le refus des impérialistes de l'Entente de soutenir l'initiative de paix du Gouvernement soviétique, face à leurs tentatives d'empêcher la conclusion de la paix, le Conseil des Commissaires du peuple fut obligé d'engager des pourparlers de paix séparés avec l'Allemagne. Le 14 (27) novembre, le Quartier Général allemand se déclara prêt à ouvrir les pourparlers. Sur la proposition du Gouvernement soviétique, l'ouverture des pourparlers fut ajournée de cinq jours, pour donner encore une fois la possibilité aux gouvernements des pays de l'Entente de préciser leur attitude envers la signature de la paix. Le 15 (28) novembre, le Gouvernement soviétique appela les gouvernements et les peuples de tous les pays belligérants à s'associer aux pourparlers de paix. Les puissances alliées ne répondirent pas à cet appel.
    Le 19 novembre (2 décembre), la délégation du Gouvernement soviétique, conduite par A. Ioffé, arriva dans la zone neutre pour se rendre ensuite à Brest-Litovsk où se trouvaient la délégation du bloc austro-allemand et les représentants de la Bulgarie et de la Turquie. A l'issue des pourparlers qui eurent lieu les 20-22 novembre (3-5 décembre), on convint de suspendre les hostilités pour dix jours. Profitant, de ce répit, le Gouvernement soviétique tenta encore une fois de transformer les pourparlers sépares avec l'Allemagne en des pourparlers sur une paix démocratique générale. Le 24 novembre (7 décembre), le Gouvernement soviétique adressa de nouveau une note aux ambassadeurs des puissances alliées pour les inviter à prendre part aux pourparlers. La note fut laissée sans réponse. Le 2 (15) décembre, les pourparlers reprirent. Le même jour fut conclu un armistice pour 28 jours. L'accord sur l'armistice prévoyait la convocation d'une conférence pour la paix qui s'ouvrit le 9 (22) décembre à Brest-Litovsk. [N.E.]