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Suite à la [[Union sacrée (1914)|trahison de la social-démocratie]] que fut le soutien au déclenchement de la [[Première guerre mondiale|Première guerre mondiale]], l'Europe connut un des plus grands carnages de son histoire. Mais malgré les illusions chauvines, la [[lutte de classe|lutte de classe]] était flagrante pour une bonne partie de la [[classe ouvrière|classe ouvrière]] : la [[bourgeoisie|bourgeoisie]] des pays belliqueux avec des groupes comme Krupp profitait grassement de la guerre tandis qu'eux formaient la chair à canon. De plus, les russes avaient été les premiers à ouvrir la voie : ils avaient forcé la fin du conflit par leur [[Révolution russe (1917)|révolution socialiste]]. Les dures restrictions imposées aux masses par la guerre allaient ouvrir une crise révolutionnaire en Europe, et principalement dans ce pays central du [[capitalisme|capitalisme]] qu'est l'Allemagne. L'espoir des communistes révolutionnaires se portait donc sur l'issue de cette crise, car une [[révolution socialiste|révolution socialiste]] ne peut être que mondiale...
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Suite à la [[Union sacrée (1914)|trahison de la social-démocratie]] que fut le soutien au déclenchement de la [[Première guerre mondiale|Première guerre mondiale]], l'Europe connut un des plus grands carnages de son histoire. Mais malgré les illusions chauvines, la [[Lutte de classe|lutte de classe]] était flagrante pour une bonne partie de la [[Classe ouvrière|classe ouvrière]] : la [[Bourgeoisie|bourgeoisie]] des pays belliqueux avec des groupes comme Krupp profitait grassement de la guerre tandis qu'eux formaient la chair à canon. De plus, les russes avaient été les premiers à ouvrir la voie : ils avaient forcé la fin du conflit par leur [[Révolution russe (1917)|révolution socialiste]]. Les dures restrictions imposées aux masses par la guerre allaient ouvrir une crise révolutionnaire en Europe, et principalement dans ce pays central du [[Capitalisme|capitalisme]] qu'est l'Allemagne. L'espoir des communistes révolutionnaires se portait donc sur l'issue de cette crise, car une [[Révolution socialiste|révolution socialiste]] ne peut être que mondiale...  
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"La vérité absolue, c'est qu'à moins d'une révolution allemande, nous sommes perdus." [[Lénine|Lénine]], mars 1918<br>
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== Les événéments  ==
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== Les événéments ==
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=== Reconstruire un parti révolutionnaire<br>  ===
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=== 1914 1918&nbsp;: le prolétariat allemand démuni face à la trahison de la social-démocratie <br> ===
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Pour les révolutionnaires allemands, la trahison de 1914 fut totalement destabilisante. Ils considéraient ce grand parti ouvrier comme un "parlement de la classe ouvrière", et restèrent longtemps focalisés sur la lutte interne. En 1918, les révolutionnaires sont au sein de la Ligue spartakiste, qui appartient à l'USDP, un parti qui rassemble la gauche exclue du SPD.<br>
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Quand, le 4 août 1914, le groupe parlementaire social-démocrate vote pour les crédits militaires, c’est un coup terrible porté à tous les militants socialistes et sociaux-démocrates, et par-delà, à toute la classe ouvrière. La stupeur est telle que Lénine croira d’abord que cette annonce est un faux de l’Etat-major allemand. Ce parti, pilier décisif de la deuxième internationale, parti organique du prolétariat allemand, le plus imposant qu’on puisse se représenter, se rallie en quelques heures à l’union sacrée derrière le Kaiser et son régime. Au nom du "socialisme", le SPD va affirmer que la victoire de l’impérialisme allemand sera un progrès, notamment dans la défaite qu’il infligerait au régime tsariste semi-féodal qui prévaut en Russie. Il renvoie l’Internationale Socialiste au rang d’instrument "valable en temps de paix", bafouant au passage toutes les résolutions sur la guerre votées par les congrès de l’Internationale socialiste. Avec lui et à sa suite, tous les partis ou presque de la seconde internationale (sauf, essentiellement, le parti russe, le Parti Bolchevique) donnent leur caution à un massacre épouvantable qui va saigner les ouvriers et les paysans durant quatre ans. Tous ou presque vont, au nom du socialisme, serrer les rangs derrière les sanglants bouchers en uniforme qu'est l’Etat-major de "leurs" armées. Ce crime historique contre la classe ouvrière, le soutien apporté à la tuerie de millions d’hommes, tandis que «l’arrière» vit partout dans la misère et sans libertés démocratiques, est le résultat de l’adaptation définitive des partis sociaux-démocrates à la société bourgeoise, dans laquelle ils sont dorénavant installés, position de laquelle ils tirent de nombreux avantages matériels dont la défense est devenue l’objectif premier de leur politique. Rares sont les sociaux-démocrates qui, comme Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, refusent publiquement le ralliement à l’Union sacrée. Liebknecht, député de Berlin, votera seul contre les crédits militaires, et sera envoyé au front avant d’aller en prison pour avoir manifesté publiquement contre la guerre, et en uniforme, clamant que «l’ennemi principal est dans notre propre pays». Luxembourg passera une grande partie de la guerre en prison pour antimilitarisme. La faillite historique de son parti social-démocrate ne pouvait que prendre le prolétariat allemand au dépourvu, le tétaniser. Que l’appareil construit pour l’émancipation de la classe ouvrière se resserre au moment décisif sur elle comme un carcan étouffant ne pouvait se surmonter d’un coup de baguette magique, ni en quelques mois, surtout pas dans la situation créée par la guerre elle-même. La trahison du puissant appareil social-démocrate créait les conditions les plus défavorables à la construction d’un nouveau parti ouvrier et révolutionnaire.
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Avec lui et à sa suite, tous les partis ou presque de la seconde internationale (sauf, essentiellement, le parti russe, le Parti Bolchevique) donnent leur caution à un massacre épouvantable qui va saigner les ouvriers et les paysans durant quatre ans. Tous ou presque vont, au nom du socialisme, serrer les rangs derrière les sanglants bouchers en uniforme qu'est l’Etat-major de "leurs" armées. Ce crime historique contre la classe ouvrière, le soutien apporté à la tuerie de millions d’hommes, tandis que «l’arrière» vit partout dans la misère et sans libertés démocratiques, est le résultat de l’adaptation définitive des partis sociaux-démocrates à la société bourgeoise, dans laquelle ils sont dorénavant installés, position de laquelle ils tirent de nombreux avantages matériels dont la défense est devenue l’objectif premier de leur politique.  
 
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=== Cinq années de combat pour la construction du Parti Ouvrier Révolutionnaire  ===
      
" La vérité absolue, c'est qu'à moins d'une révolution allemande, nous sommes perdus ". En prononçant ces mots en mars 1918, Lénine ne faisait pas seulement référence à la situation épouvantable dans laquelle se trouvait à ce moment la révolution russe, agressée de toutes parts par les puissances impérialistes coalisées, les armées blanches, la réaction, la famine, et une misère inouïe. Il énonçait ce qui était alors une évidence pour tous les communistes, le "socialisme en un seul pays" n'ayant été inventé par Staline qu'en 1924, après la mort de Lénine, après la défaite de la révolution allemande. En effet, avant même la prise du pouvoir en 1917, les bolcheviques savaient parfaitement que&nbsp;:"Le prolétariat russe ne pourra accomplir victorieusement, par ses seules forces, la révolution socialiste. Mais il peut… faciliter les choses pour l'entrée dans les luttes décisives de son allié principal, le plus sûr&nbsp;: le prolétariat socialiste européen et américain" (Lettre d'adieu de Lénine aux ouvriers suisses cités par Trotsky dans L'Internationale Communiste après Lénine) Les bolcheviques ne l’ont jamais perdu de vue, luttant pourtant jusqu'à l'épuisement dans la forteresse assiégée qu’était devenue la Russie des Soviets. Le Parti Bolchevique n’aura de cesse de chercher à construire partout, grâce à l'Internationale Communiste, les partis révolutionnaires à même de prendre le pouvoir, de mettre fin à l'isolement mortel de la révolution russe, d'en finir avec les régimes bourgeois qui venaient de plonger l’Europe dans le puits de barbarie sans fond que fut la première guerre mondiale. Et l'Allemagne sera au coeur de ces efforts.  
 
" La vérité absolue, c'est qu'à moins d'une révolution allemande, nous sommes perdus ". En prononçant ces mots en mars 1918, Lénine ne faisait pas seulement référence à la situation épouvantable dans laquelle se trouvait à ce moment la révolution russe, agressée de toutes parts par les puissances impérialistes coalisées, les armées blanches, la réaction, la famine, et une misère inouïe. Il énonçait ce qui était alors une évidence pour tous les communistes, le "socialisme en un seul pays" n'ayant été inventé par Staline qu'en 1924, après la mort de Lénine, après la défaite de la révolution allemande. En effet, avant même la prise du pouvoir en 1917, les bolcheviques savaient parfaitement que&nbsp;:"Le prolétariat russe ne pourra accomplir victorieusement, par ses seules forces, la révolution socialiste. Mais il peut… faciliter les choses pour l'entrée dans les luttes décisives de son allié principal, le plus sûr&nbsp;: le prolétariat socialiste européen et américain" (Lettre d'adieu de Lénine aux ouvriers suisses cités par Trotsky dans L'Internationale Communiste après Lénine) Les bolcheviques ne l’ont jamais perdu de vue, luttant pourtant jusqu'à l'épuisement dans la forteresse assiégée qu’était devenue la Russie des Soviets. Le Parti Bolchevique n’aura de cesse de chercher à construire partout, grâce à l'Internationale Communiste, les partis révolutionnaires à même de prendre le pouvoir, de mettre fin à l'isolement mortel de la révolution russe, d'en finir avec les régimes bourgeois qui venaient de plonger l’Europe dans le puits de barbarie sans fond que fut la première guerre mondiale. Et l'Allemagne sera au coeur de ces efforts.  
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Au début du XXe siècle, Rosa Luxembourg avait polémiqué contre l'ouvrage "Que Faire?" de Lénine en ces termes (dont on verra à quel point ils sont tragiques)&nbsp;: "les erreurs commises par un mouvement ouvrier véritablement révolutionnaire sont historiquement infiniment plus fécondes et plus précieuses que l'infaillibilité du meilleur "comité Central" Au contraire, l'expérience politique de la lutte des classes en Allemagne ne sera des "plus fécondes et plus précieuses" que grâce à l'action politique du "meilleur des "Comité central"", celui de Lénine. Cinq ans durant, en effet, les bolcheviques, ont élaboré au sein de l'Internationale Communiste la politique qui a rendu possible la construction d'un parti ouvrier révolutionnaire de masse dans un pays capitaliste développé et industrialisé, doté d'un puissant mouvement ouvrier. Cette expérience est incontournable pour se donner les moyens théoriques et politiques du combat pour la construction du parti ouvrier révolutionnaire.  
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Cinq ans durant, en effet, les bolcheviques, ont élaboré au sein de l'Internationale Communiste la politique qui a rendu possible la construction d'un parti ouvrier révolutionnaire de masse dans un pays capitaliste développé et industrialisé, doté d'un puissant mouvement ouvrier. Cette expérience est incontournable pour se donner les moyens théoriques et politiques du combat pour la construction du parti ouvrier révolutionnaire.  
    
=== 1918&nbsp;: il n'y a pas de parti communiste en Allemagne <br>  ===
 
=== 1918&nbsp;: il n'y a pas de parti communiste en Allemagne <br>  ===
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=== Constituer un réel Parti Communiste&nbsp;: le poids de la troisième Internationale <br>  ===
 
=== Constituer un réel Parti Communiste&nbsp;: le poids de la troisième Internationale <br>  ===
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C’est vers le parti "indépendant", et pas vers le KPD(s), que se tournent en masse les travailleurs allemands au fur et à mesure que l’abomination de la politique social-démocrate les prend à la gorge. Cet afflux provoque une radicalisation de ce parti, qui prend position en 1919 contre le régime parlementaire et pour le pouvoir des conseils&nbsp;; la gauche y grandit sans cesse. Et c’est vers Moscou, vers la Russie des Soviets, vers la Troisième Internationale que sont tournés les espoirs de ces centaines de milliers de militants. Au sein du PC(s), la direction, à l’initiative de Paul Levi, va procéder à l’exclusion en bloc des gauchistes à l’été 1919. Cette scission délibérée ampute le PC de la moitié de ses effectifs (50 000 militants qui vont fonder le parti communiste des ouvriers d’Allemagne – K.A.P.D.). Mais elle ouvre la voie à un rapprochement avec la gauche du parti indépendant. C’est en décembre 1920, après le deuxième congrès de l’Internationale Communiste, que la fusion s’opère&nbsp;: le Parti Communiste Unifié d’Allemagne (V.K.P.D.) voit le jour, avec 350 000 membres, dont 300 000 viennent du parti indépendant, c’est-à-dire d’une rupture avec la social-démocratie de gauche, une rupture d’un parti ouvrier de masse. La direction de l’Internationale communiste joue dans l'affaire un rôle décisif. Zinoviev en personne, président de l’Internationale, s’est rendu au congrès du parti indépendant pour obtenir son adhésion à l’IC. Mais c’est sur la base d'une élaboration politique que l’IC joue son rôle. Les thèses de Lénine "démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat" adoptées dès le premier congrès polémiquent durement avec les positions du parti social-démocrate indépendant – et sont diffusées dans le monde entier, avec toute l’autorité que leur confère leur signature. Le deuxième congrès (1920) – auquel, nous l’avons dit, ont été invités les indépendants, mais aussi les membres du parti "gauchiste" allemand - s’attaque directement au gauchisme que Lénine critiquera dans son ouvrage "La Maladie infantile". Les thèses sur le mouvement syndical, sur le parlementarisme, sont une condamnation du "gauchisme" allemand notamment, elles rejettent l’isolement sectaire qui interdirait de construire des partis à même de conquérir le pouvoir. Cela dit, les meilleures thèses du monde ne peuvent aboutir à constituer ipso facto une direction révolutionnaire. La fusion est un pas en avant colossal, elle ne règle pas tous les problèmes politiques, loin de là.
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C’est vers le parti "indépendant", et pas vers le KPD(s), que se tournent en masse les travailleurs allemands au fur et à mesure que l’abomination de la politique social-démocrate les prend à la gorge. Cet afflux provoque une radicalisation de ce parti, qui prend position en 1919 contre le régime parlementaire et pour le pouvoir des conseils&nbsp;; la gauche y grandit sans cesse. Et c’est vers Moscou, vers la Russie des Soviets, vers la Troisième Internationale que sont tournés les espoirs de ces centaines de milliers de militants. Au sein du PC(s), la direction, à l’initiative de Paul Levi, va procéder à l’exclusion en bloc des gauchistes à l’été 1919. Cette scission délibérée ampute le PC de la moitié de ses effectifs (50 000 militants qui vont fonder le parti communiste des ouvriers d’Allemagne – K.A.P.D.). Mais elle ouvre la voie à un rapprochement avec la gauche du parti indépendant. C’est en décembre 1920, après le deuxième congrès de l’Internationale Communiste, que la fusion s’opère&nbsp;: le Parti Communiste Unifié d’Allemagne (V.K.P.D.) voit le jour, avec 350 000 membres, dont 300 000 viennent du parti indépendant, c’est-à-dire d’une rupture avec la social-démocratie de gauche, une rupture d’un parti ouvrier de masse. La direction de l’Internationale communiste joue dans l'affaire un rôle décisif. Zinoviev en personne, président de l’Internationale, s’est rendu au congrès du parti indépendant pour obtenir son adhésion à l’IC. Mais c’est sur la base d'une élaboration politique que l’IC joue son rôle. Les thèses de Lénine "démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat" adoptées dès le premier congrès polémiquent durement avec les positions du parti social-démocrate indépendant – et sont diffusées dans le monde entier, avec toute l’autorité que leur confère leur signature. Le deuxième congrès (1920) – auquel, nous l’avons dit, ont été invités les indépendants, mais aussi les membres du parti "gauchiste" allemand - s’attaque directement au gauchisme que Lénine critiquera dans son ouvrage "La Maladie infantile". Les thèses sur le mouvement syndical, sur le parlementarisme, sont une condamnation du "gauchisme" allemand notamment, elles rejettent l’isolement sectaire qui interdirait de construire des partis à même de conquérir le pouvoir. Cela dit, les meilleures thèses du monde ne peuvent aboutir à constituer ipso facto une direction révolutionnaire. La fusion est un pas en avant colossal, elle ne règle pas tous les problèmes politiques, loin de là.  
    
=== Mars 1920&nbsp;: face au putsch militaire <br>  ===
 
=== Mars 1920&nbsp;: face au putsch militaire <br>  ===
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=== La prise du pouvoir se prépare <br>  ===
 
=== La prise du pouvoir se prépare <br>  ===
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Il est notable que ce soit le Parti Russe qui, après notamment consultation de dirigeants ouvriers communistes allemands, le bureau politique décide unanimement le 15 août (y compris Staline qui en juillet s’était prononcé en sens inverse) d’orienter le PC allemand vers la prise du pouvoir, malgré les doutes de la direction allemande. Le plan décidé est le suivant&nbsp;: les communistes, menant campagne sur le mot d’ordre de gouvernement ouvrier, imposent un gouvernement des seules organisations ouvrières en Saxe et Thuringe, et y font franchir un cap aux centuries prolétariennes et aux conseils d’usine. Face à la réaction de l’Etat bourgeois, ne tolérant pas ce développement des linéaments d’un Etat ouvrier, face donc à l’intervention armée qui ne peut manquer de se produire, le congrès des conseils d’usine se tenant en Saxe le 21 octobre doit appeler à la grève générale pour la défense de la Saxe ouvrière. Pendant la grève générale, les communistes s’emparent du pouvoir, en s’appuyant sur les conseils d’usine, ceux-ci devant jouer le rôle des soviets de 1917 en Russie, et leur réunion nationale prévue le 9 novembre 1923 doit ainsi se voir remettre le pouvoir. Techniquement, la rigueur de la préparation laisse à désirer. Trotsky doit par ailleurs batailler pour imposer qu’une date précise soit fixée pour la prise du pouvoir. De plus, l’appareil de l’Internationale, Zinoviev en tête, s’oppose à la demande des Allemands qu’on leur envoie Trotsky pour régler les détails de l’insurrection comme il l’a fait en octobre 1917. Les premières phases du plan se déroulent comme prévu. Sur la base de l’agitation antérieure, de la tenue depuis des mois de réunions unitaires pour imposer un gouvernement d’unité des organisations ouvrières, les sociaux-démocrates de gauche de Saxe et Thuringe ne peuvent s’opposer à l’entrée des communistes dans les gouvernements, le 10 octobre. Cela dit, cette entrée pose de nouveaux problèmes&nbsp;: en Saxe, le président du land, social-démocrate de gauche, refuse à la fois de dissoudre les centuries, comme le lui demande le gouvernement fédéral, et à la fois de les armer en masse, sans que le KPD ne s’y oppose vigoureusement. Comme prévu, son refus de dissoudre les centuries entraînent un ultimatum du gouvernement fédéral. Les troupes de la Reichswehr se rapprochent de la Saxe, mais n’avancent qu’à pas comptés, tâtant le terrain, ne rencontrant sur leur chemin que quelques escarmouches. La conférence des conseils d’usine se tient à Chemnitz comme prévu le 21 octobre. Mais les communistes n’ont eu de cesse que de freiner le prolétariat pour ne pas s’exposer à un combat prématuré. Ils préparent l’insurrection mais le dissimulent tant que dans leur propagande, rien n’indique qu’elle est à l’immédiat ordre du jour. A la veille encore de la conférence des comités d’usine se tient à Hambourg la conférence du syndicat des dockers. Elle veut appeler à la grève générale contre l’intervention armée qui a commencé contre la Saxe et son gouvernement ouvrier. Les communistes s’y opposent&nbsp;: ils attendent l'heure H. Mais quand elle sonne, les sociaux-démocrates de gauche s’opposent irrévocablement à l’appel à la grève générale. Pire encore, Brandler s’aligne sur eux et accepte le renvoi de cette question …en commission. La direction du KPD annule dans la foulée l’ordre de l’insurrection. Il n’y a qu’à Hambourg où, faute d’avoir reçu le contrordre, les communistes se battent deux jours durant avant de se replier en bon ordre. Les masses n’ont de toute façon pas suivie. Quelques jours plus tard, la Reichswehr entre en Saxe et chasse comme des malpropres les communistes de leurs ministères. Aucune résistance. C’est un incommensurable gâchis, une défaite sans combat et sur toute la ligne. "Une démonstration classique de la leçon dont on peut laisser passer une situation révolutionnaire exceptionnelle d’une importance mondiale", écrira Trotsky dans Les leçons d’octobre.", rajoutant&nbsp;: "Le prolétariat allemand aurait marché au combat s’il avait pu se convaincre que, cette fois, le problème de la révolution était nettement posé que le parti communiste était prêt à aller à la bataille, qu’il était capable d’assurer la victoire. (…) C’est la direction dans son ensemble qui hésita, et cette hésitation se transmit au parti et à travers lui à toute la classe." Pour conclure&nbsp;: "Il y a des périodes où Marx et Engels ne pourraient faire avancer d’un pouce le développement historique même en le cravachant. Il en est d’autres où des hommes de faible stature, s’ils sont à la barre, peuvent retarder le développement de la révolution internationale pour toute une série d’années".
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Il est notable que ce soit le Parti Russe qui, après notamment consultation de dirigeants ouvriers communistes allemands, le bureau politique décide unanimement le 15 août (y compris Staline qui en juillet s’était prononcé en sens inverse) d’orienter le PC allemand vers la prise du pouvoir, malgré les doutes de la direction allemande. Le plan décidé est le suivant&nbsp;: les communistes, menant campagne sur le mot d’ordre de gouvernement ouvrier, imposent un gouvernement des seules organisations ouvrières en Saxe et Thuringe, et y font franchir un cap aux centuries prolétariennes et aux conseils d’usine. Face à la réaction de l’Etat bourgeois, ne tolérant pas ce développement des linéaments d’un Etat ouvrier, face donc à l’intervention armée qui ne peut manquer de se produire, le congrès des conseils d’usine se tenant en Saxe le 21 octobre doit appeler à la grève générale pour la défense de la Saxe ouvrière. Pendant la grève générale, les communistes s’emparent du pouvoir, en s’appuyant sur les conseils d’usine, ceux-ci devant jouer le rôle des soviets de 1917 en Russie, et leur réunion nationale prévue le 9 novembre 1923 doit ainsi se voir remettre le pouvoir. Techniquement, la rigueur de la préparation laisse à désirer. Trotsky doit par ailleurs batailler pour imposer qu’une date précise soit fixée pour la prise du pouvoir. De plus, l’appareil de l’Internationale, Zinoviev en tête, s’oppose à la demande des Allemands qu’on leur envoie Trotsky pour régler les détails de l’insurrection comme il l’a fait en octobre 1917. Les premières phases du plan se déroulent comme prévu. Sur la base de l’agitation antérieure, de la tenue depuis des mois de réunions unitaires pour imposer un gouvernement d’unité des organisations ouvrières, les sociaux-démocrates de gauche de Saxe et Thuringe ne peuvent s’opposer à l’entrée des communistes dans les gouvernements, le 10 octobre. Cela dit, cette entrée pose de nouveaux problèmes&nbsp;: en Saxe, le président du land, social-démocrate de gauche, refuse à la fois de dissoudre les centuries, comme le lui demande le gouvernement fédéral, et à la fois de les armer en masse, sans que le KPD ne s’y oppose vigoureusement. Comme prévu, son refus de dissoudre les centuries entraînent un ultimatum du gouvernement fédéral. Les troupes de la Reichswehr se rapprochent de la Saxe, mais n’avancent qu’à pas comptés, tâtant le terrain, ne rencontrant sur leur chemin que quelques escarmouches. La conférence des conseils d’usine se tient à Chemnitz comme prévu le 21 octobre. Mais les communistes n’ont eu de cesse que de freiner le prolétariat pour ne pas s’exposer à un combat prématuré. Ils préparent l’insurrection mais le dissimulent tant que dans leur propagande, rien n’indique qu’elle est à l’immédiat ordre du jour. A la veille encore de la conférence des comités d’usine se tient à Hambourg la conférence du syndicat des dockers. Elle veut appeler à la grève générale contre l’intervention armée qui a commencé contre la Saxe et son gouvernement ouvrier. Les communistes s’y opposent&nbsp;: ils attendent l'heure H. Mais quand elle sonne, les sociaux-démocrates de gauche s’opposent irrévocablement à l’appel à la grève générale. Pire encore, Brandler s’aligne sur eux et accepte le renvoi de cette question …en commission. La direction du KPD annule dans la foulée l’ordre de l’insurrection. Il n’y a qu’à Hambourg où, faute d’avoir reçu le contrordre, les communistes se battent deux jours durant avant de se replier en bon ordre. Les masses n’ont de toute façon pas suivie. Quelques jours plus tard, la Reichswehr entre en Saxe et chasse comme des malpropres les communistes de leurs ministères. Aucune résistance. C’est un incommensurable gâchis, une défaite sans combat et sur toute la ligne. "Une démonstration classique de la leçon dont on peut laisser passer une situation révolutionnaire exceptionnelle d’une importance mondiale", écrira Trotsky dans Les leçons d’octobre.", rajoutant&nbsp;: "Le prolétariat allemand aurait marché au combat s’il avait pu se convaincre que, cette fois, le problème de la révolution était nettement posé que le parti communiste était prêt à aller à la bataille, qu’il était capable d’assurer la victoire. (…) C’est la direction dans son ensemble qui hésita, et cette hésitation se transmit au parti et à travers lui à toute la classe." Pour conclure&nbsp;: "Il y a des périodes où Marx et Engels ne pourraient faire avancer d’un pouce le développement historique même en le cravachant. Il en est d’autres où des hommes de faible stature, s’ils sont à la barre, peuvent retarder le développement de la révolution internationale pour toute une série d’années".  
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=== Fin piteuse ===
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=== Fin piteuse ===
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Janvier 1923. Les troupes françaises et belges occupent la Ruhr, région la plus industrielle de l'Allemagne, pour saisir directement sa production au titre des "réparations de guerre" prévues dans le traité de Versailles. La crise économique que connaît l’Allemagne prend alors une ampleur extraordinaire, dont un symptôme majeur est l’effondrement total du mark. L'ensemble des rapports sociaux et politiques subit une secousse terrible. Le 9 août, démarre une grève générale qui va balayer le gouvernement en place, celui de Cuno, en deux jours. L'Internationale Communiste oriente alors le PC vers la prise du pouvoir en Allemagne. Ce parti est alors fort de centaines de milliers de membres et jouit d'une influence sans équivalent. En octobre, il impose aux sociaux-démocrates de gauche en Saxe et en Thuringe la constitution de gouvernements de leurs seules organisations, entraînant une intervention militaire de l’Etat bourgeois à laquelle il est prévu de répondre par une grève générale insurrectionnelle. Mais au moment d’appeler à la grève générale contre cette intervention, le 21 octobre, la direction du PC allemand renonce, à la suite des sociaux-démocrates de gauche. Le 29, l'armée congédie sans mal le gouvernement de Saxe. "L'octobre allemand", aboutissement de tout un processus révolutionnaire ouvert par la chute du Kaiser en novembre 1918, échoue lamentablement. <br>
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Janvier 1923. Les troupes françaises et belges occupent la Ruhr, région la plus industrielle de l'Allemagne, pour saisir directement sa production au titre des "réparations de guerre" prévues dans le traité de Versailles. La crise économique que connaît l’Allemagne prend alors une ampleur extraordinaire, dont un symptôme majeur est l’effondrement total du mark. L'ensemble des rapports sociaux et politiques subit une secousse terrible. Le 9 août, démarre une grève générale qui va balayer le gouvernement en place, celui de Cuno, en deux jours. L'Internationale Communiste oriente alors le PC vers la prise du pouvoir en Allemagne. Ce parti est alors fort de centaines de milliers de membres et jouit d'une influence sans équivalent. En octobre, il impose aux sociaux-démocrates de gauche en Saxe et en Thuringe la constitution de gouvernements de leurs seules organisations, entraînant une intervention militaire de l’Etat bourgeois à laquelle il est prévu de répondre par une grève générale insurrectionnelle. Mais au moment d’appeler à la grève générale contre cette intervention, le 21 octobre, la direction du PC allemand renonce, à la suite des sociaux-démocrates de gauche. Le 29, l'armée congédie sans mal le gouvernement de Saxe. "L'octobre allemand", aboutissement de tout un processus révolutionnaire ouvert par la chute du Kaiser en novembre 1918, échoue lamentablement. <br>  
    
== Un prix terriblement lourd <br>  ==
 
== Un prix terriblement lourd <br>  ==
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== Notes et sources<br>  ==
 
== Notes et sources<br>  ==
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''Les morts restent jeunes'', Anna Seghers <br>''Les spartakistes'', Gilbert Badia <br>[http://www.marxists.org/francais/broue/works/1971/00/broue_all.htm ''La révolution en Allemagne''], [[Pierre Broué|Pierre Broué]], 1971<br>[http://www.marxists.org/francais/luxembur/spartakus/rl19190114.htm ''L'ordre règne à Berlin''], [[Rosa Luxemburg|Rosa Luxemburg]], 1919
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''Les morts restent jeunes'', Anna Seghers <br>''Les spartakistes'', Gilbert Badia <br>[http://www.marxists.org/francais/broue/works/1971/00/broue_all.htm ''La révolution en Allemagne''], [[Pierre Broué|Pierre Broué]], 1971<br>[http://www.marxists.org/francais/luxembur/spartakus/rl19190114.htm ''L'ordre règne à Berlin''], [[Rosa Luxemburg|Rosa Luxemburg]], 1919  
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[http://socialisme.free.fr/cps12_revolution_allemande.htm Article publié en mai 2003] par le groupe [http://socialisme.free.fr/ ''Combattre pour le socialisme'']<br>[http://www.socialisme.be/marxismeorg/allemande.html Article de Peter Van der Biest de 1998]&nbsp; sur [http://www.socialisme.be ''socialisme.be'']<br>[http://www.collectif-smolny.org/article.php3?id_article=857 La Révolution allemande&nbsp;: Documents (octobre 1918 - janvier 1919)] sur le site du [http://www.collectif-smolny.org ''Collectif Smolny'']
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[http://socialisme.free.fr/cps12_revolution_allemande.htm Article publié en mai 2003] par le groupe [http://socialisme.free.fr/ ''Combattre pour le socialisme'']<br>[http://www.socialisme.be/marxismeorg/allemande.html Article de Peter Van der Biest de 1998]&nbsp; sur [http://www.socialisme.be ''socialisme.be'']<br>[http://www.collectif-smolny.org/article.php3?id_article=857 La Révolution allemande&nbsp;: Documents (octobre 1918 - janvier 1919)] sur le site du [http://www.collectif-smolny.org ''Collectif Smolny'']  
    
'''<references />'''  
 
'''<references />'''  
    
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