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Ce bref passage à Bruxelles a une certaine importance puisqu'il y fait la rencontre de [[Joachim_Lelewel|Joachim Lelewel]], qui le sensibilise à la question polonaise et l'oriente vers le [[Panslavisme|panslavisme]]. Contrairement à Lelewel et aux patriotes polonais, Bakounine rejette en effet le nationalisme et appelle à un soulèvement de l'ensemble des peuples slaves contre le despotisme, notamment russe, prévoyant pour ces peuples le premier rôle révolutionnaire en Europe.
 
Ce bref passage à Bruxelles a une certaine importance puisqu'il y fait la rencontre de [[Joachim_Lelewel|Joachim Lelewel]], qui le sensibilise à la question polonaise et l'oriente vers le [[Panslavisme|panslavisme]]. Contrairement à Lelewel et aux patriotes polonais, Bakounine rejette en effet le nationalisme et appelle à un soulèvement de l'ensemble des peuples slaves contre le despotisme, notamment russe, prévoyant pour ces peuples le premier rôle révolutionnaire en Europe.
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Sans un sou en poche, il quitte Bruxelles en juin 1844 pour Paris, où il reste trois ans. Des exilés allemands le logent dans les locaux de leur journal, le ''[[Vorwaerts|Vorwaerts]]''. Là, il retrouve Ruge et rencontre pour la première fois [[Karl_Marx|Marx]] et [[Friedrich_Engels|Engels]]. Tout en gardant une certaine distance, il devient leur ami<ref>Il écrit plus tard : ''« Nous fûmes assez amis […] Je ne savais alors rien de l'économie politique, je ne m'étais pas encore défait des abstractions métaphysiques, et mon socialisme n'était que d'instinct. Lui, quoique plus jeune que moi, était déjà un athée, un matérialiste savant et un socialiste réfléchi […] Nous nous vîmes assez souvent, car je le respectais beaucoup pour sa science et pour son dévouement passionné et sérieux, quoique toujours mêlé de vanité personnelle, à la cause du prolétariat, et je cherchai avec avidité sa conversation toujours instructive et spirituelle lorsqu'elle ne s'inspirait pas de haine mesquine, ce qui arrivait, hélas !, trop souvent. Jamais pourtant il n'y eut d'intimité franche entre nous. Nos tempéraments ne se supportaient pas. Il m'appelait un idéaliste sentimental et il avait raison ; je l'appelais un vaniteux perfide et sournois, et j'avais raison aussi. »'' Cité par Kaminski, ''Bakounine, la vie d'un révolutionnaire''.</ref>. À Paris, Bakounine apprend l'ukase du Tsar par lequel il perd la citoyenneté russe et ses titres de noblesse, et est condamné par contumace à la déportation en Sibérie.
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Sans un sou en poche, il quitte Bruxelles en juin 1844 pour Paris, où il reste trois ans. Il y apprend l'ukase du Tsar par lequel il perd la citoyenneté russe et ses titres de noblesse, et est condamné par contumace à la déportation en Sibérie. Des exilés allemands le logent dans les locaux de leur journal, le ''[[Vorwaerts|Vorwaerts]]''. Là, il retrouve Ruge et rencontre pour la première fois [[Karl_Marx|Marx]] et [[Friedrich_Engels|Engels]]. Tout en gardant une certaine distance, il devient leur ami. Il écrira plus tard&nbsp;:
 
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<blockquote>«&nbsp;Nous fûmes assez amis […]&nbsp; Je ne savais alors rien de l'économie politique, je ne m'étais pas encore défait des abstractions métaphysiques, et mon socialisme n'était que d'instinct. Lui, quoique plus jeune que moi, était déjà un athée, un matérialiste savant et un socialiste réfléchi […]&nbsp; Nous nous vîmes assez souvent, car je le respectais beaucoup pour sa science et pour son dévouement passionné et sérieux, quoique toujours mêlé de vanité personnelle, à la cause du prolétariat, et je cherchai avec avidité sa conversation toujours instructive et spirituelle lorsqu'elle ne s'inspirait pas de haine mesquine, ce qui arrivait, hélas&nbsp;!, trop souvent. Jamais pourtant il n'y eut d'intimité franche entre nous. Nos tempéraments ne se supportaient pas. Il m'appelait un idéaliste sentimental et il avait raison&nbsp;; je l'appelais un vaniteux perfide et sournois, et j'avais raison aussi.&nbsp;»</blockquote>  
 
Cela le rapproche des exilés polonais, poursuivis eux aussi par le tsar. Les Polonais bénéficient en France, à l'époque, d'une grande sympathie de l'opinion publique. Même si Bakounine éprouve des réticences politiques à leur égard, ils sont très introduits dans les milieux [[Progressistes|progressistes]] parisiens et lui permettent d'élargir ses relations. Il devient un ami de George Sand, liée à l'émigration polonaise par Chopin. Il rencontre [[Pierre_Joseph_Proudhon|Proudhon]], en cours d'écriture de ''La Philosophie de la misère'', et qui trouve en Bakounine un bon connaisseur de la philosophie allemande. Leurs discussions durent parfois la nuit entière.
 
Cela le rapproche des exilés polonais, poursuivis eux aussi par le tsar. Les Polonais bénéficient en France, à l'époque, d'une grande sympathie de l'opinion publique. Même si Bakounine éprouve des réticences politiques à leur égard, ils sont très introduits dans les milieux [[Progressistes|progressistes]] parisiens et lui permettent d'élargir ses relations. Il devient un ami de George Sand, liée à l'émigration polonaise par Chopin. Il rencontre [[Pierre_Joseph_Proudhon|Proudhon]], en cours d'écriture de ''La Philosophie de la misère'', et qui trouve en Bakounine un bon connaisseur de la philosophie allemande. Leurs discussions durent parfois la nuit entière.
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<blockquote>''«&nbsp;Marx, comme penseur, est dans la bonne voie. Il a établi comme principe que toutes les évolutions politiques, religieuses et juridiques dans l’histoire sont, non les causes, mais les effets des évolutions économiques. C’est une grande et féconde pensée, qu’il n’a pas absolument inventée&nbsp;: elle a été entrevue, exprimée en partie, par bien d’autres que lui&nbsp;; mais enfin, à lui appartient l’honneur de l’avoir solidement établie et de l’avoir posée comme base de tout son système économique.&nbsp;»<ref name="NoticeBio" />''</blockquote>  
 
<blockquote>''«&nbsp;Marx, comme penseur, est dans la bonne voie. Il a établi comme principe que toutes les évolutions politiques, religieuses et juridiques dans l’histoire sont, non les causes, mais les effets des évolutions économiques. C’est une grande et féconde pensée, qu’il n’a pas absolument inventée&nbsp;: elle a été entrevue, exprimée en partie, par bien d’autres que lui&nbsp;; mais enfin, à lui appartient l’honneur de l’avoir solidement établie et de l’avoir posée comme base de tout son système économique.&nbsp;»<ref name="NoticeBio" />''</blockquote>  
 
Bakounine était par conséquent [[Athée|athée]], Dieu n'étant pour lui que ''«&nbsp;l'être universel, éternel, immuable, créé par la double action de l'imagination religieuse et de la faculté abstractive de l'homme&nbsp;»''<ref>Michel Bakounine, ''Théorie générale de la révolution'', textes assemblés et annotés par Étienne Lesourd, d'après G.P. Maximow, Éditions Les Nuits Rouges, 2008, page 103.</ref>, pure spéculation dont l'origine se trouve dans la dépendance et la peur de phénomènes naturels inexpliqués. Au nom de la liberté, Bakounine attachait une grande importance au combat contre la soumission à l'idée de Dieu&nbsp;: ''«&nbsp;Dieu est, donc l'homme est esclave. L'homme est libre, donc il n'y a point de Dieu. Je défie qui que ce soit de sortir de ce cercle, et maintenant, choisissons.&nbsp;''»<ref>Michel Bakounine, ''Catéchisme de la franc-maçonnerie moderne''. Cité par Jean Préposiet, ''Histoire de l'anarchisme'', Tallandier, 1993.</ref>. On peut voir aussi dans le titre de sa brochure [[Dieu_et_l'Etat|''Dieu et l'Etat'']] la centralité qu'avait la critique de la religion chez Bakounine, et qu'elle gardera globalement dans le mouvement [[Anarchiste|anarchiste]] (avec par exemple le slogan [[Ni_Dieu_ni_maître|''Ni Dieu ni maître'']]). Par contraste, on peut souligner que dans la propagande [[Marxiste|marxiste]], la critique de la [[Religion|religion]] n'a pas ce rôle central. Néanmoins, Bakounine s'accordait sur le fait qu’il ne saurait être question d’ériger l’athéisme en «&nbsp;principe obligatoire&nbsp;» dans l'[[AIT|AIT]], bien que celui-ci constitue le «&nbsp;point de départ […] ''négatif''&nbsp;» de toute «&nbsp;philosophie sérieuse&nbsp;».
 
Bakounine était par conséquent [[Athée|athée]], Dieu n'étant pour lui que ''«&nbsp;l'être universel, éternel, immuable, créé par la double action de l'imagination religieuse et de la faculté abstractive de l'homme&nbsp;»''<ref>Michel Bakounine, ''Théorie générale de la révolution'', textes assemblés et annotés par Étienne Lesourd, d'après G.P. Maximow, Éditions Les Nuits Rouges, 2008, page 103.</ref>, pure spéculation dont l'origine se trouve dans la dépendance et la peur de phénomènes naturels inexpliqués. Au nom de la liberté, Bakounine attachait une grande importance au combat contre la soumission à l'idée de Dieu&nbsp;: ''«&nbsp;Dieu est, donc l'homme est esclave. L'homme est libre, donc il n'y a point de Dieu. Je défie qui que ce soit de sortir de ce cercle, et maintenant, choisissons.&nbsp;''»<ref>Michel Bakounine, ''Catéchisme de la franc-maçonnerie moderne''. Cité par Jean Préposiet, ''Histoire de l'anarchisme'', Tallandier, 1993.</ref>. On peut voir aussi dans le titre de sa brochure [[Dieu_et_l'Etat|''Dieu et l'Etat'']] la centralité qu'avait la critique de la religion chez Bakounine, et qu'elle gardera globalement dans le mouvement [[Anarchiste|anarchiste]] (avec par exemple le slogan [[Ni_Dieu_ni_maître|''Ni Dieu ni maître'']]). Par contraste, on peut souligner que dans la propagande [[Marxiste|marxiste]], la critique de la [[Religion|religion]] n'a pas ce rôle central. Néanmoins, Bakounine s'accordait sur le fait qu’il ne saurait être question d’ériger l’athéisme en «&nbsp;principe obligatoire&nbsp;» dans l'[[AIT|AIT]], bien que celui-ci constitue le «&nbsp;point de départ […] ''négatif''&nbsp;» de toute «&nbsp;philosophie sérieuse&nbsp;».
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Pour justifier son opposition frontale à l'Etat, Bakounine reproche à Marx de ne pas voir que l'Etat renforce le capital, même si c'est originellement le capital qui a créé l'Etat&nbsp;:
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<blockquote>«[Marx] ne tient aucun compte des autres éléments de l’histoire, tels que la réaction, pourtant évidente, des institutions politiques, juridiques et religieuses sur la situation économique. Il dit&nbsp;: ’La misère produit l’esclavage politique, l’État’&nbsp;; mais il ne permet pas de retourner cette phrase et de dire&nbsp;: ‘L’esclavage politique, l’État, reproduit à son tour et maintient la misère, comme une condition de son existence; de sorte que pour détruire la misère, il faut détruire l’État’. Et, chose étrange, lui qui interdit à ses adversaires de s’en prendre à l’esclavage politique, à l’État, comme à une cause ''actuelle'' de la misère, il commande à ses amis et à ses disciples du Parti de la démocratie socialiste en Allemagne de considérer la conquête du pouvoir et des libertés politiques comme la condition préalable, absolument nécessaire, de l’émancipation économique&nbsp;»<ref>Projet de lettre à ''La Liberté'' de Bruxelles en octobre 1872</ref></blockquote>
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=== Lutte des classes ===
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Les marxistes attribuent au prolétariat le rôle de seule [[Classe_révolutionnaire|classe révolutionnaire]], même s'ils considèrent que la paysannerie peut être entraînée dans un mouvement révolutionnaire si le prolétariat offre une perspective différente de celle de la bourgeoisie. Bakounine était moins tranché. Il disait que seule l'union entre les mondes rural et industriel est riche de potentialités révolutionnaires, et que la paysannerie était source de révolte anti-étatique, et pouvait trouver sa complémentarité dans l'esprit de [[Discipline|discipline]] des ouvriers.
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Lors de sa demande collective d’adhésion à l’AIT, l'Alliance comprenait dans son programme ''«&nbsp;l’égalisation des classes et des individus&nbsp;»''. Marx critique cette formule en disant qu'il ne s’agit pas d’égaliser les classes, mais de les supprimer. Dans sa lettre à Marx du 22 décembre 1868, Bakounine lui donne raison et explique cette confusion de vocabulaire par la nécessité d’avoir à convaincre l’auditoire bourgeois de la Ligue de la Paix et de la Liberté.
    
=== L'organisation et l'action révolutionnaire ===
 
=== L'organisation et l'action révolutionnaire ===
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Bakounine et ses partisans se sont souvent opposés aux marxistes sur la question de l'organisation, même s'ils ont cohabité un certain temps dans l'AIT. De fait, Bakounine était souvent plus préoccupé d'actions immédiates très volontaristes que d'organisation sur le long terme.
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Bakounine et ses partisans se sont souvent opposés aux marxistes sur la question de l'organisation, même s'ils ont cohabité un certain temps dans l'AIT. Bakounine reprochait à Marx une trop forte [[Centralisme|centralisation]] autour du Conseil général de Londres, prônant un fonctionnement [[Fédéraliste|fédéraliste]]. Il faisait explicitement le lien avec la société future&nbsp;: ''«&nbsp;Si c’est être mystique et rêveur que de s’imaginer que l’Internationale contient en germe toute l’organisation de la société humaine future, nous nous avouons humblement et mystiques et rêveurs&nbsp;»''.
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Bakounine reprochait à Marx une trop forte [[Centralisme|centralisation]] autour du Conseil général de Londres, prônant un fonctionnement [[Fédéraliste|fédéraliste]]. Il faisait explicitement le lien avec la société future&nbsp;: ''«&nbsp;Si c’est être mystique et rêveur que de s’imaginer que l’Internationale contient en germe toute l’organisation de la société humaine future, nous nous avouons humblement et mystiques et rêveurs&nbsp;»''. A l'inverse Marx (en lien avec sa notion de [[Dictature_du_prolétariat|dictature du prolétariat]]) considérait que seule une force suffisamment organisée pouvait vaincre la bourgeoisie&nbsp;:
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Pour Marx, il faut différencier les [[Syndicats|syndicats]], pour lesquels la centralisation n'est pas souhaitable, et le parti, qui doit être suffisamment centralisé pour vaincre la bourgeoisie (en lien avec sa notion de [[Dictature_du_prolétariat|dictature du prolétariat]])&nbsp;:
 
<blockquote>«&nbsp;Tous les socialistes entendent par anarchie ceci&nbsp;: le but du mouvement prolétaire, l’abolition des classes, une fois atteint, le pouvoir de l’État qui sert à maintenir la grande majorité productrice sous le joug d’une minorité exploitante peu nombreuse, disparaît et les fonctions gouvernementales se transforment en de simples fonctions administratives. L’Alliance prend la chose au rebours. Elle proclame l’Anarchie dans les rangs prolétaires comme le moyen le plus infaillible de briser la puissante concentration des forces sociales et politiques entre les mains des exploiteurs. Sous ce prétexte, elle demande à l’Internationale, au moment où le vieux monde cherche à l’écraser, de remplacer son organisation par l’Anarchie.&nbsp;»<ref>[https://www.marxists.org/francais/marx/works/1872/03/scissions.htm ''Les Prétendues scissions dans l'Internationale''], texte adopté par le conseil général, essentiellement rédigé par Karl Marx. Publié à Genève, 1872</ref></blockquote>  
 
<blockquote>«&nbsp;Tous les socialistes entendent par anarchie ceci&nbsp;: le but du mouvement prolétaire, l’abolition des classes, une fois atteint, le pouvoir de l’État qui sert à maintenir la grande majorité productrice sous le joug d’une minorité exploitante peu nombreuse, disparaît et les fonctions gouvernementales se transforment en de simples fonctions administratives. L’Alliance prend la chose au rebours. Elle proclame l’Anarchie dans les rangs prolétaires comme le moyen le plus infaillible de briser la puissante concentration des forces sociales et politiques entre les mains des exploiteurs. Sous ce prétexte, elle demande à l’Internationale, au moment où le vieux monde cherche à l’écraser, de remplacer son organisation par l’Anarchie.&nbsp;»<ref>[https://www.marxists.org/francais/marx/works/1872/03/scissions.htm ''Les Prétendues scissions dans l'Internationale''], texte adopté par le conseil général, essentiellement rédigé par Karl Marx. Publié à Genève, 1872</ref></blockquote>  
 
Certains [[Anarchistes|anarchistes]] ont défendu par la suite que le marxisme conduisait à la notion d'[[Avant-garde|avant-garde]] [[Léniniste|léniniste]] et que le léninisme conduisait au [[Stalinisme|stalinisme]]. D'autres marxistes<ref>Et le situationniste Guy Debord dans ''La Société du Spectacle''</ref> répondent généralement que l'avant-garde est une réalité de fait dans tout mouvement politique, et que la méthode de Bakounine centrée sur l'insurrection encouragée par des [[Sociétés_secrètes|sociétés secrètes]] ne permet pas l'émancipation des travailleur-se-s.
 
Certains [[Anarchistes|anarchistes]] ont défendu par la suite que le marxisme conduisait à la notion d'[[Avant-garde|avant-garde]] [[Léniniste|léniniste]] et que le léninisme conduisait au [[Stalinisme|stalinisme]]. D'autres marxistes<ref>Et le situationniste Guy Debord dans ''La Société du Spectacle''</ref> répondent généralement que l'avant-garde est une réalité de fait dans tout mouvement politique, et que la méthode de Bakounine centrée sur l'insurrection encouragée par des [[Sociétés_secrètes|sociétés secrètes]] ne permet pas l'émancipation des travailleur-se-s.
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Par ailleurs, dans la conception de Bakounine, tout est centré sur une seule organisation peu centralisée, alors que pour Marx, il faut différencier l'Internationale et les [[Syndicats|syndicats]], pour lequel la centralisation n'est pas souhaitable. En cela, Bakounine inaugure une tradition [[anarcho-syndicaliste|anarcho-syndicaliste]]. On doit toutefois souligner une faiblesse non assumée et non théorisée : malgré cette organisation de masse unique officielle, Bakounine jugeait nécessaire de maintenir une organisation informelle de leaders politiques, comme plus tard la [[Fédération_Anarchiste_Ibérique|FAI]] le fera dans la [[Confédération_nationale_du_travail_(Espagne)|CNT]].
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Toutefois, Bakounine se reposait aussi sur sa société secrète centralisée, la [[Fraternité_internationale|Fraternité internationale]], sans l'assumer publiquement.
 
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<blockquote>«&nbsp;Mais si nous sommes des anarchistes, demanderez-vous, de quel droit voulons-nous agir sur le peuple et par quels moyens le ferons-nous&nbsp;? Rejetant toute autorité, à l’aide de quel pouvoir ou plutôt de quelle force dirigerons-nous la révolution populaire&nbsp;? ''Au moyen d’une force invisible qui n’aura aucun caractère public et qui ne s’imposera à personne; au moyen de la dictature collective de notre organisation qui sera d’autant plus puissante qu’elle restera invisible, non déclarée et sera privée de tout droit et rôle officiels''&nbsp;»</blockquote>
=== Lutte des classes ===
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La conception de Bakounine inaugure une tradition [[Anarcho-syndicaliste|anarcho-syndicaliste]], y compris dans sa combinaison d'un syndicat large et d'un groupe de leaders politiques que l'on retrouvera avec la [[Fédération_Anarchiste_Ibérique|FAI]] dans la [[Confédération_nationale_du_travail_(Espagne)|CNT]].
 
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Les marxistes attribuent au prolétariat le rôle de seule [[Classe_révolutionnaire|classe révolutionnaire]], même s'ils considèrent que la paysannerie peut être entraînée dans un mouvement révolutionnaire si le prolétariat offre une perspective différente de celle de la bourgeoisie. Bakounine était moins tranché. Il disait que seule l'union entre les mondes rural et industriel est riche de potentialités révolutionnaires, et que la paysannerie était source de révolte anti-étatique, et pouvait trouver sa complémentarité dans l'esprit de [[Discipline|discipline]] des ouvriers.
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Lors de sa demande collective d’adhésion à l’AIT, l'Alliance comprenait dans son programme ''«&nbsp;l’égalisation des classes et des individus&nbsp;»''. Marx critique cette formule en disant qu'il ne s’agit pas d’égaliser les classes, mais de les supprimer. Dans sa lettre à Marx du 22 décembre 1868, Bakounine lui donne raison et explique cette confusion de vocabulaire par la nécessité d’avoir à convaincre l’auditoire bourgeois de la Ligue de la Paix et de la Liberté.
      
=== L'abstentionnisme politique et électoral ===
 
=== L'abstentionnisme politique et électoral ===
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La conférence de Londres de septembre 1871 confirme la position de Marx sur la question politique, en renvoyant à l'Adresse inaugurale de l'AIT qui disait ''«&nbsp;la conquête du pouvoir politique est devenue le premier devoir de la classe ouvrière&nbsp;»''<ref>[http://www.marxists.org/francais/ait/1864/09/18640928.htm Adresse inaugurale de l'AIT], écrite entre le 21 et le 27 octobre 1864.</ref>. La légitimité de cette conférence sera aussitôt attaquée par les jurassiens. Cette question était cependant peu claire, et l''’Adresse,'' presque inconnue en France, n’avait jamais été discutée par un congrès.
 
La conférence de Londres de septembre 1871 confirme la position de Marx sur la question politique, en renvoyant à l'Adresse inaugurale de l'AIT qui disait ''«&nbsp;la conquête du pouvoir politique est devenue le premier devoir de la classe ouvrière&nbsp;»''<ref>[http://www.marxists.org/francais/ait/1864/09/18640928.htm Adresse inaugurale de l'AIT], écrite entre le 21 et le 27 octobre 1864.</ref>. La légitimité de cette conférence sera aussitôt attaquée par les jurassiens. Cette question était cependant peu claire, et l''’Adresse,'' presque inconnue en France, n’avait jamais été discutée par un congrès.
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Bakounine se défendait d'être indifférent à la politique. Par exemple, il avait combattu l'attitude de certains de ses partisans dans la fédération romande, qui soutenaient que les questions politiques et religieuses étaient étrangères à l’association, afin de mieux permettre l’entrée en son sein d’anciens membres du parti radical suisse (parti bourgeois).<ref>Voir la série d’articles intitulée ''Politique de l’Internationale'' qu'il écrit en 1869 dans ''L’Égalité'' de Genève</ref> La ''Protestation de l’Alliance,'' en juin 1871 écrira ''«&nbsp;nous ne faisons pas abstraction de la politique, puisque nous voulons positivement la tuer&nbsp;»''. Un an plus tard, Bakounine lancera aux marxistes&nbsp;: ''«&nbsp;Entre votre politique et la nôtre, il y a, en effet, un abîme. La vôtre est une politique positive, la nôtre est toute négative.&nbsp;»''
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Bakounine se défendait d'être indifférent à la politique. Par exemple, il avait combattu l'attitude de certains de ses partisans dans la fédération romande, qui soutenaient que les questions politiques et religieuses étaient étrangères à l’association, afin de mieux permettre l’entrée en son sein d’anciens membres du parti radical suisse (parti bourgeois).<ref>Voir la série d’articles intitulée ''Politique de l’Internationale'' qu'il écrit en 1869 dans ''L’Égalité'' de Genève</ref> La ''Protestation de l’Alliance,'' en juin 1871 écrira ''«&nbsp;nous ne faisons pas abstraction de la politique, puisque nous voulons positivement la tuer&nbsp;»''. Un an plus tard, Bakounine lancera aux marxistes&nbsp;: ''«&nbsp;Entre votre politique et la nôtre, il y a, en effet, un abîme. La vôtre est une politique positive, la nôtre est toute négative.&nbsp;»'' Suite à son exclusion (juin 1872), Bakounine affirme explicitement que sa tendance ''«&nbsp;repousse toute action politique qui n’aurait point pour but immédiat et direct le triomphe des travailleurs contre le capital&nbsp;»''.<ref>Bakounine, ''L’Écrit contre Marx'', 1872</ref>
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Suite à son exclusion (juin 1872), Bakounine affirme explicitement que sa tendance ''«&nbsp;repousse toute action politique qui n’aurait point pour but immédiat et direct le triomphe des travailleurs contre le capital&nbsp;»''.<ref>Bakounine, ''L’Écrit contre Marx'', 1872</ref>
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Bakounine considérait que le [[Suffrage_universel|suffrage universel]] reproduit une domination lorsqu'il est utilisé au niveau national, et précisait y compris que le mandat impératif n'apportait aucune solution. Seuls les votes au niveau de l'[[Autogestion|autogestion]] locale étaient acceptables&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;le suffrage universel, non organisé par différentes et libres associations ouvrières, mais exercé par l’agrégation mécanique des millions d’individus qui forment la totalité d’une nation, est un moyen excellent pour opprimer et ruiner le peuple au nom même et sous le prétexte d’une soi-disant volonté populaire.&nbsp;»</blockquote>  
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Une seule tâche s’impose au peuple qui veut s’émanciper, et «&nbsp;ce n’est point de réformer le Gouvernement, l’Église, et l’État, mais de les abolir&nbsp;», ce qui aboutit à «&nbsp;l’anarchie au point de vue politique ou gouvernemental&nbsp;», mais à «&nbsp;l’organisation de l’ordre […] au point de vue économique et social&nbsp;».
    
=== Opposition à l'État ===
 
=== Opposition à l'État ===
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*[https://fr.wikisource.org/w/index.php?title=Polémique_au_sujet_des_prétendues_scissions_de_l’Internationale_»&action=edit&redlink=1 Polémique au sujet des prétendues scissions de l’Internationale],1872  
 
*[https://fr.wikisource.org/w/index.php?title=Polémique_au_sujet_des_prétendues_scissions_de_l’Internationale_»&action=edit&redlink=1 Polémique au sujet des prétendues scissions de l’Internationale],1872  
 
**Voir aussi Marx-Engels, [https://www.marxists.org/francais/marx/works/1872/03/scissions.htm ''Les prétendues scissions dans l'Internationale'']  
 
**Voir aussi Marx-Engels, [https://www.marxists.org/francais/marx/works/1872/03/scissions.htm ''Les prétendues scissions dans l'Internationale'']  
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*[[François-Xavier_Coquin|François-Xavier Coquin]], ''Réflexions en marge d'une "confession"&nbsp;: La confession de Bakounine (1851)'', Revue Historique, 1988/2, p. 493-520 in ''Combats pour l'histoire Russe'', L'âge d'homme, 2011, p. 147-176  
 
*[[François-Xavier_Coquin|François-Xavier Coquin]], ''Réflexions en marge d'une "confession"&nbsp;: La confession de Bakounine (1851)'', Revue Historique, 1988/2, p. 493-520 in ''Combats pour l'histoire Russe'', L'âge d'homme, 2011, p. 147-176  
 
*[[Normand_Baillargeon|Normand Baillargeon]], ''L'ordre moins le pouvoir. Histoire et actualité de l'anarchisme'', Agone, 2001 & 2008, Lux Éditeur 2004.  
 
*[[Normand_Baillargeon|Normand Baillargeon]], ''L'ordre moins le pouvoir. Histoire et actualité de l'anarchisme'', Agone, 2001 & 2008, Lux Éditeur 2004.  
*[[Léo_Campion|Léo Campion]], ''Le Drapeau noir, l'Équerre et le Compas&nbsp;: les Maillons libertaires de la Chaîne d'Union'', Éditions Alternative libertaire, 1996, <small>[http://libertaire.pagesperso-orange.fr/drapeau%20_noir.html lire en ligne]</small>, <small>[http://libertaire.pagesperso-orange.fr/drapeau_noir_equerre_compas.pdf pdf]</small>.
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*Léo Campion, [http://libertaire.pagesperso-orange.fr/drapeau%20_noir.html ''Le Drapeau noir, l'Équerre et le Compas&nbsp;: les Maillons libertaires de la Chaîne d'Union''], Éditions Alternative libertaire, 1996  
 
*{{Ouvrage|prénom1=Réné|nom1=Berthier|lien auteur1=René Berthier (libertaire)|titre=Bakounine politique|sous-titre=révolution et contre-révolution en Europe centrale|lieu=Paris|éditeur=Monde libertaire|lien éditeur=Éditions du Monde libertaire|année=1991|pages totales=240|ISBN=  
 
*{{Ouvrage|prénom1=Réné|nom1=Berthier|lien auteur1=René Berthier (libertaire)|titre=Bakounine politique|sous-titre=révolution et contre-révolution en Europe centrale|lieu=Paris|éditeur=Monde libertaire|lien éditeur=Éditions du Monde libertaire|année=1991|pages totales=240|ISBN=  
 
2-903013-19-5}}.  
 
2-903013-19-5}}.  
*Robert Graham, ''Anarchism&nbsp;: A Documentary History of Libertarian Ideas'', ''From Anarchy to Anarchism (300 CE to 1939)'', volume I, Black Rose Books, 2005, <small>[https://libcom.org/files/Graham%20R%20(Ed.)%20-%20Anarchism%20-%20A%20Documentary%20History%20of%20Libertarian%20Ideas%20Volume%20One%20-%20From%20Anarchy%20to%20Anarchism%20(300%20CE%20to%201939).pdf texte intégral]</small>.
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*Robert Graham, [https://libcom.org/files/Graham%20R%20(Ed.)%20-%20Anarchism%20-%20A%20Documentary%20History%20of%20Libertarian%20Ideas%20Volume%20One%20-%20From%20Anarchy%20to%20Anarchism%20(300%20CE%20to%201939).pdf ''Anarchism&nbsp;: A Documentary History of Libertarian Ideas'', ''From Anarchy to Anarchism (300 CE to 1939)''], volume I, Black Rose Books, 2005
 
*James Guillaume, ''L'Internationale. Documents et souvenirs'', 2 volumes, Éditions Gérard Lebovici, 1985.  
 
*James Guillaume, ''L'Internationale. Documents et souvenirs'', 2 volumes, Éditions Gérard Lebovici, 1985.  
    
=== À l'occasion du bicentenaire de la naissance ===
 
=== À l'occasion du bicentenaire de la naissance ===
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*[[Arthur_Lehning|Arthur Lehning]], ''Bakounine et les autres&nbsp;: esquisses et portraits'', Les Nuits rouges, 2013.  
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*Arthur Lehning, ''Bakounine et les autres&nbsp;: esquisses et portraits'', Les Nuits rouges, 2013.  
*[[René_Berthier_(libertaire)|René Berthier]], ''Bakounine&nbsp;: L’Héritage 1899-1914'', Cercle d’Études libertaires Gaston Leval, janvier 2014, [http://monde-nouveau.net/spip.php?article530 texte intégral].
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*René Berthier, [http://monde-nouveau.net/spip.php?article530 ''Bakounine&nbsp;: L’Héritage 1899-1914''], Cercle d’Études libertaires Gaston Leval, janvier 2014  
*[[René_Berthier_(libertaire)|René Berthier]], ''Bakounine et la Réforme protestante'' suivi de ''La référence à [[Jan_Hus|Jan Hus]] chez Bakounine'', Cercle d’Études libertaires Gaston Leval, janvier 2014, [http://monde-nouveau.net/spip.php?article531 texte intégral].
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*René Berthier, [http://monde-nouveau.net/spip.php?article531 ''Bakounine et la Réforme protestante'' suivi de ''La référence à Jan Hus chez Bakounine''], Cercle d’Études libertaires Gaston Leval, janvier 2014  
 
*Frank Mintz, René Berthier, Maurizio Antonioli, Gaetano Manfredonia, Jean-Christophe Angaut, Philippe Pelletier, Philippe Corcuff, ''Actualité de Bakounine 1814-2014'', Éditions du Monde libertaire, 2014, {{ISBN|9782915514568}}, <small>[http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-corcuff/280514/actualite-libertaire-de-bakounine extraits en ligne]</small>.  
 
*Frank Mintz, René Berthier, Maurizio Antonioli, Gaetano Manfredonia, Jean-Christophe Angaut, Philippe Pelletier, Philippe Corcuff, ''Actualité de Bakounine 1814-2014'', Éditions du Monde libertaire, 2014, {{ISBN|9782915514568}}, <small>[http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-corcuff/280514/actualite-libertaire-de-bakounine extraits en ligne]</small>.  
*[[Maurizio_Antonioli|Maurizio Antonioli]], ''Bakounine&nbsp;: entre syndicalisme révolutionnaire et anarchisme'', Éditions Noir et rouge, 2014.  
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*Maurizio Antonioli, ''Bakounine&nbsp;: entre syndicalisme révolutionnaire et anarchisme'', Éditions Noir et rouge, 2014.  
    
=== Articles ===
 
=== Articles ===
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*Jean-Christophe Angaut, ''Le Catéchisme révolutionnaire ou le premier anarchisme de Bakounine'', Triangle, CNRS, Lyon, 2013, [http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/87/60/55/PDF/CatA_RA_v.pdf texte intégral].
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*Jean-Christophe Angaut, [http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/87/60/55/PDF/CatA_RA_v.pdf ''Le Catéchisme révolutionnaire ou le premier anarchisme de Bakounine''], CNRS, Lyon, 2013  
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*Jean-Christophe Angaut, [http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=AMX_041_0112 ''Le conflit Marx-Bakounine dans l’internationale&nbsp;: une confrontation des pratiques politiques''], 2007
    
=== Notices ===
 
=== Notices ===
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*Encyclopédie Larousse&nbsp;: [http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Mikhaïl_Aleksandrovitch_Bakounine/98809 Mikhaïl Aleksandrovitch Bakounine].  
 
*Encyclopédie Larousse&nbsp;: [http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Mikhaïl_Aleksandrovitch_Bakounine/98809 Mikhaïl Aleksandrovitch Bakounine].  
 
*Encyclopædia Britannica&nbsp;: [http://global.britannica.com/EBchecked/topic/49654/Mikhail-Aleksandrovich-Bakunin Mikhail Aleksandrovich Bakunin].  
 
*Encyclopædia Britannica&nbsp;: [http://global.britannica.com/EBchecked/topic/49654/Mikhail-Aleksandrovich-Bakunin Mikhail Aleksandrovich Bakunin].  
*«&nbsp;[http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F28358.php <span title="Mikhaïl Bakounine en français">Mikhaïl Bakounine</span>]&nbsp;» dans le ''Dictionnaire historique de la Suisse'' en ligne, version du <time class="nowrap" datetime="2009-03-26">26 mars 2009</time>  
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*«&nbsp;[http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F28358.php <span title="Mikhaïl Bakounine en français">Mikhaïl Bakounine</span>]&nbsp;» dans le ''Dictionnaire historique de la Suisse'' en ligne, version du <time datetime="2009-03-26" class="nowrap">26 mars 2009</time>  
    
== Notes et références ==
 
== Notes et références ==
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Jean-Christophe Angaut, [http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=AMX_041_0112 ''Le conflit Marx-Bakounine dans l’internationale&nbsp;: une confrontation des pratiques politiques''], 2007
    
<references />
 
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[[Category:Russie / URSS]] [[Category:Anarchistes]]
 
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