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=== Le congrès de Bruxelles (1868) ===
 
=== Le congrès de Bruxelles (1868) ===
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Le 3<sup>ème</sup> congrès qui se déroule du 6 au 13 septembre 1868 à Bruxelles, réunit des délégués venus de Belgique, de France, du Royaume-Uni, d’Allemagne, d’Italie, de Suisse, d’Espagne. Le congrès marque la prédominance des idées syndicalistes et collectivistes. L’AIT y déclare qu’elle «&nbsp;''n’est fille ni d’une secte, ni d’une théorie. Elle est le produit spontané du mouvement prolétaire''&nbsp;» (texte écrit par Karl Marx).
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Le 3<sup>ème</sup> congrès qui se déroule du 6 au 13 septembre 1868 à Bruxelles, réunit des délégués venus de Belgique, de France, du Royaume-Uni, d’Allemagne, d’Italie, de Suisse, d’Espagne. Le congrès marque la prédominance des idées syndicalistes et collectivistes. L’AIT y déclare qu’elle «&nbsp;''n’est fille ni d’une secte, ni d’une théorie. Elle est le produit spontané du mouvement prolétaire''&nbsp;» (texte écrit par Karl Marx). Il est à noter que Bakounine partagera cette idée que l’Internationale ''«&nbsp;est sortie non de la tête ou de la volonté d’un ou de quelques individus, mais du sein même du prolétariat&nbsp;»''.
    
Le congrès approuve par ailleurs la ligne de Marx concernant la ''Ligue de la paix et de la liberté''&nbsp;: ne pas s'y affilier, tout en soutenant toute action anti-militariste.
 
Le congrès approuve par ailleurs la ligne de Marx concernant la ''Ligue de la paix et de la liberté''&nbsp;: ne pas s'y affilier, tout en soutenant toute action anti-militariste.
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Il faut cependant remarquer que dans la même lettre, Bakounine écrit à propos de Marx&nbsp;:
 
Il faut cependant remarquer que dans la même lettre, Bakounine écrit à propos de Marx&nbsp;:
 
<blockquote>«&nbsp;Nous ne saurions méconnaître, moi du moins, les immenses services rendus par lui à la cause du socialisme, qu’il sert avec intelligence, énergie et sincérité depuis près de vingt cinq ans, en quoi il nous a indubitablement tous surpassés.&nbsp;»</blockquote>  
 
<blockquote>«&nbsp;Nous ne saurions méconnaître, moi du moins, les immenses services rendus par lui à la cause du socialisme, qu’il sert avec intelligence, énergie et sincérité depuis près de vingt cinq ans, en quoi il nous a indubitablement tous surpassés.&nbsp;»</blockquote>  
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Mais ce conflit dans l'AIT n'est pas qu'une querelle de personnes, même si la différence de tempérament entre Marx et Bakounine a joué un rôle. Il s'agit d'une lutte politique entre deux courants, qui se cristallisera sur deux principales questions&nbsp;: la question de l'organisation ([[Fédéralisme|fédéralisme]] ou [[Centralisme|centralisme]]), et la question de la politique (prendre part à la vie politique légale et utiliser les institutions bourgeoises ou s'en tenir à la lutte économique).
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=== Le congrès de Bâle (1869) ===
 
=== Le congrès de Bâle (1869) ===
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Le 4<sup>ème</sup> congrès de Bâle (6-12 septembre 1869) réunit 75 délégués&nbsp;: 6 Anglais (les six membres du Conseil général&nbsp;: Applegarth, Eccarius, Cowell Stepney, Lessner, Lucraft, et Jung), 26 Français (parmi lesquels Dereure, Landrin, Chemale, Murat, Aubry, Tolain, A. Richard, Palix, Varlin, et Bakounine), 5 Belges (dont Hins, Brismée, et De Paepe), 2 Autrichiens (Neumayer et Oberwinder), 10 Allemands (dont Becker, Liebknecht, Rittinghausen, et Hess), 22 Suisses (dont Burkly, Greulich, Fritz Robert, Guillaume, Schwitzguébel et Perret), un Italien (Caporusso), 2 Espagnols (Farga-Pellicer et Sentinon) et un États-unien (Cameron). Jung a été élu président du congrès.
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Le 4<sup>e</sup> congrès de Bâle (6-12 septembre 1869) réunit 75 délégués&nbsp;: 6 Anglais (les six membres du Conseil général&nbsp;: Applegarth, Eccarius, Cowell Stepney, Lessner, Lucraft, et Jung), 26 Français (parmi lesquels Dereure, Landrin, Chemale, Murat, Aubry, Tolain, A. Richard, Palix, Varlin, et Bakounine), 5 Belges (dont Hins, Brismée, et De Paepe), 2 Autrichiens (Neumayer et Oberwinder), 10 Allemands (dont Becker, Liebknecht, Rittinghausen, et Hess), 22 Suisses (dont Burkly, Greulich, Fritz Robert, Guillaume, Schwitzguébel et Perret), un Italien (Caporusso), 2 Espagnols (Farga-Pellicer et Sentinon) et un États-unien (Cameron). Jung a été élu président du congrès.
    
À partir de votes sur des motions ou amendements présentés par ces divers «&nbsp;courants&nbsp;», on peut établir le «&nbsp;rapport de force&nbsp;» comme suit&nbsp;:
 
À partir de votes sur des motions ou amendements présentés par ces divers «&nbsp;courants&nbsp;», on peut établir le «&nbsp;rapport de force&nbsp;» comme suit&nbsp;:
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*6&nbsp;% maintiennent leurs convictions mutuellistes (proudhoniens).  
 
*6&nbsp;% maintiennent leurs convictions mutuellistes (proudhoniens).  
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Les deux premières sensibilités se retrouvent sur le principe du collectivisme, notamment sur une proposition ayant trait à la socialisation du sol. Le socialiste belge De Paepe joue un rôle décisif en faisant basculer la délégation belge, auparavant mutuelliste, du côté collectiviste.
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Les deux premières sensibilités se retrouvent sur le principe du [[Collectivisme|collectivisme]], notamment sur une proposition ayant trait à la socialisation du sol. Le socialiste belge [[César_De_Paepe|De Paepe]] joue un rôle décisif en faisant basculer la délégation belge, auparavant mutuelliste, du côté collectiviste. Enfin, et à l'unanimité, le congrès décide d'organiser les travailleurs dans des sociétés de résistance (syndicats).
    
Mais les marxistes et les bakounistes se séparent sur la question de l'[[Héritage|héritage]]&nbsp;:
 
Mais les marxistes et les bakounistes se séparent sur la question de l'[[Héritage|héritage]]&nbsp;:
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*Pour Marx, il fallait défendre des mesures pratiques comme l'établissement d'impôts sur la succession et la limitation du droit de tester. L'héritage disparaîtrait avec le capitalisme, car il en est une conséquence et pas une cause.<ref>Voir à ce propos la Communication confidentielle, qui qualifie la proposition adoptée à Bâle de « vieillerie saint-simonienne », et les exposés de Marx sur le droit d’héritage au Conseil général en juillet 1869.</ref>  
 
*Pour Marx, il fallait défendre des mesures pratiques comme l'établissement d'impôts sur la succession et la limitation du droit de tester. L'héritage disparaîtrait avec le capitalisme, car il en est une conséquence et pas une cause.<ref>Voir à ce propos la Communication confidentielle, qui qualifie la proposition adoptée à Bâle de « vieillerie saint-simonienne », et les exposés de Marx sur le droit d’héritage au Conseil général en juillet 1869.</ref>  
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Enfin, et à l'unanimité, le congrès décide d'organiser les travailleurs dans des sociétés de résistance (syndicats).
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Cette mise en minorité surprend Marx et lui fait dire que le bakouninisme représente une menace.
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=== Scission dans la section suisse (1870) ===
    
En avril 1870, lors du congrès régional de la fédération romande, va se produire une scission&nbsp;: les délégués suisses vont se diviser sur l'attitude à adopter à l'égard des gouvernements et des partis politiques. Quelques phrases extraites des deux résolutions divergentes expriment bien cette opposition qui, de locale, allait gagner tout le mouvement. Pour les bakouninistes,
 
En avril 1870, lors du congrès régional de la fédération romande, va se produire une scission&nbsp;: les délégués suisses vont se diviser sur l'attitude à adopter à l'égard des gouvernements et des partis politiques. Quelques phrases extraites des deux résolutions divergentes expriment bien cette opposition qui, de locale, allait gagner tout le mouvement. Pour les bakouninistes,
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Le Conseil Général de Londres va tenter d'éviter l'affrontement, et rappelle aux bakouninistes que les statuts de l’AIT considèrent l'action politique comme un moyen d'émancipation. Mais, rapidement, ce conflit va déborder les frontières suisses. Les «bakouninistes», désormais appelés «&nbsp;jurassiens&nbsp;», vont rencontrer d'actives sympathies en France, en Espagne et en Belgique. Des tentatives de conciliation au sein des sections romandes, puis à la conférence de Londres en 1871, vont échouer. Le Conseil Général de Londres enjoint alors aux jurassiens de se fondre dans la fédération agréée de Genève. Au nom du principe statutaire d’[[Autonomie|Autonomie]], les jurassiens s'obstinent, et refusent qu’il y ait une seule section suisse de l’Internationale.
 
Le Conseil Général de Londres va tenter d'éviter l'affrontement, et rappelle aux bakouninistes que les statuts de l’AIT considèrent l'action politique comme un moyen d'émancipation. Mais, rapidement, ce conflit va déborder les frontières suisses. Les «bakouninistes», désormais appelés «&nbsp;jurassiens&nbsp;», vont rencontrer d'actives sympathies en France, en Espagne et en Belgique. Des tentatives de conciliation au sein des sections romandes, puis à la conférence de Londres en 1871, vont échouer. Le Conseil Général de Londres enjoint alors aux jurassiens de se fondre dans la fédération agréée de Genève. Au nom du principe statutaire d’[[Autonomie|Autonomie]], les jurassiens s'obstinent, et refusent qu’il y ait une seule section suisse de l’Internationale.
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Dès le 6 septembre 1871, les jurassiens se mettent en marge de l'AIT en adoptant de nouveaux statuts, et en contestant le conseil général qu’ils qualifient de «&nbsp;hiérarchique et autoritaire&nbsp;». Marx et ses partisans sont alors persuadés que le but de Bakounine est de parvenir à relocaliser à Genève le Conseil général. Bakounine dément, et soutient seulement la réduction des pouvoirs du Conseil général. A l'inverse, le Conseil général dénoncera l'inefficacité du modèle d'organisation des anarchistes&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;Tous les socialistes entendent par anarchie ceci&nbsp;: le but du mouvement prolétaire, l’abolition des classes, une fois atteint, le pouvoir de l’État qui sert à maintenir la grande majorité productrice sous le joug d’une minorité exploitante peu nombreuse, disparaît et les fonctions gouvernementales se transforment en de simples fonctions administratives. L’Alliance prend la chose au rebours. Elle proclame l’Anarchie dans les rangs prolétaires comme le moyen le plus infaillible de briser la puissante concentration des forces sociales et politiques entre les mains des exploiteurs. Sous ce prétexte, elle demande à l’Internationale, au moment où le vieux monde cherche à l’écraser, de remplacer son organisation par l’Anarchie.&nbsp;»<ref>[https://www.marxists.org/francais/marx/works/1872/03/scissions.htm ''Les Prétendues scissions dans l'Internationale''], texte adopté par le conseil général, essentiellement rédigé par Karl Marx. Publié à Genève, 1872</ref></blockquote>
 
=== La Commune de Paris (1871) ===
 
=== La Commune de Paris (1871) ===
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Au lendemain de la Commune, Bakounine fait encore cause commune avec Marx contre les attaques de [[Mazzini|Mazzini]].
 
Au lendemain de la Commune, Bakounine fait encore cause commune avec Marx contre les attaques de [[Mazzini|Mazzini]].
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A défaut de congrès, une conférence de Londres se tient en septembre 1871. Celle-ci confirme la position de Marx sur la question politique, en renvoyant à l'Adresse inaugurale de l'AIT qui disait ''«&nbsp;la conquête du pouvoir politique est devenue le premier devoir de la classe ouvrière&nbsp;»''<ref name="Adresse" />. La légitimité de cette conférence sera aussitôt attaquée. Lorsqu’elles sont connues, en octobre 1871, les décisions prises à Londres provoquent une série de dénonciations de fédérations entières de l’Internationale (Jura, Belgique, Italie, Espagne), auxquelles Bakounine prend part sans pour autant en être l’inspirateur.
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=== La Conférence de Londres (1871) ===
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A défaut de congrès, une conférence de Londres se tient en septembre 1871. Celle-ci confirme la position de Marx sur la question politique, en renvoyant à l'Adresse inaugurale de l'AIT qui disait ''«&nbsp;la conquête du pouvoir politique est devenue le premier devoir de la classe ouvrière&nbsp;»''<ref name="Adresse" />. La légitimité de cette conférence sera aussitôt attaquée. Lorsqu’elles sont connues, en octobre 1871, les décisions prises à Londres provoquent une série de dénonciations de fédérations de l’Internationale (Jura, Belgique, Italie, Espagne), auxquelles Bakounine prend part sans pour autant en être l’inspirateur.
    
=== La scission au congrès de La Haye (1872) ===
 
=== La scission au congrès de La Haye (1872) ===
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Dès le 6 septembre 1871, les jurassiens se mettent en marge de l'AIT en adoptant de nouveaux statuts, et en contestant le conseil général qu’ils qualifient de «&nbsp;hiérarchique et autoritaire&nbsp;». Marx et ses partisans sont alors persuadés que le but de Bakounine est de parvenir à relocaliser à Genève le Conseil général. Bakounine dément, et soutient seulement la réduction des pouvoirs du Conseil général.
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La scission aura lieu début septembre 1872 lors du 8<sup>e</sup> congrès, à La Haye. Les modalités d'organisation du congrès elles-mêmes font partie de la controverse. <span class="reference-text">En effet, les règlements administratifs de l'Internationale, qui permettaient à chaque section d'envoyer au congrès un délégué avec voix délibérative, donnaient ''de facto'' une sur-représentation aux sections les plus proches géographiquement, compte tenu des difficultés économiques que la plupart des sections éprouvaient à envoyer un délégué. Pour ces raisons, [[Paul_Lafargue|Paul Lafargue]] avait dans un premier temps suggéré à Engels d'organiser le congrès en Angleterre&nbsp;: </span>''«&nbsp;les Bakounistes y seraient coulés avant de paraître&nbsp;»<ref>Lettre de Paul Lafargue à Engels du 17 mai 1872</ref>''<span class="reference-text">Genève avait ensuite été envisagé. Lorsque le Conseil général choisit finalement La Haye, Henri Perret écrit à Jung (7 juillet 1872)&nbsp;: </span>''«&nbsp;Si le Congrès avait eu lieu à Genève, vous aviez trente délégués, rien que de Genève, parfaitement assurés, plus les autres groupes de la Fédération romande&nbsp;; les Allemands auraient eu un bon nombre de délégués [...] nous étions sûrs d'une belle majorité&nbsp;»''
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Dans ''Les Prétendues scissions dans l'Internationale'', le conseil général dénonce les méthodes des «&nbsp;jurassiens&nbsp;», membres de l’Alliance démocratique sociale&nbsp;:
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<span class="reference-text">Le choix de La Haye (séance du Conseil général du 18 juin 1872) au détriment de Genève rendait la présence de Bakounine pratiquement impossible, l'accès de la France et de l'Allemagne lui étant interdit. La décision du Conseil général entraîna, outre la décision des italiens de ne pas se rendre au congrès, une protestation (le 15 juillet) du Comité fédéral jurassien qui jugeait le lieu "extrêmement excentrique".</span> Les jurassiens donnent mandat impératif à [[James_Guillaume|James Guillaume]] et [[Adhémar_Schwitzguebel|Adhémar Schwitzguebel]] pour présenter leur motion «&nbsp;anti-autoritaire&nbsp;» au congrès officiel et se retirer en cas de vote négatif.
<blockquote>«&nbsp;Tous les socialistes entendent par anarchie ceci&nbsp;: le but du mouvement prolétaire, l’abolition des classes, une fois atteint, le pouvoir de l’État qui sert à maintenir la grande majorité productrice sous le joug d’une minorité exploitante peu nombreuse, disparaît et les fonctions gouvernementales se transforment en de simples fonctions administratives. L’Alliance prend la chose au rebours. Elle proclame l’Anarchie dans les rangs prolétaires comme le moyen le plus infaillible de briser la puissante concentration des forces sociales et politiques entre les mains des exploiteurs. Sous ce prétexte, elle demande à l’Internationale, au moment où le vieux monde cherche à l’écraser, de remplacer son organisation par l’Anarchie.&nbsp;» (''Les Prétendues scissions dans l'Internationale'', texte adopté par le conseil général, essentiellement rédigé par Karl Marx. Publié à Genève, 1872).</blockquote>
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La scission aura lieu début septembre 1872 lors du 8<sup>e</sup> congrès, à La Haye. Le lieu du congrès suscite déjà des oppositions (nombre de fédérations pensaient qu'il se tiendrait en Suisse). Les jurassiens mandatent impérativement [[James_Guillaume|James Guillaume]] et [[Adhémar_Schwitzguebel|Adhémar Schwitzguebel]] pour présenter leur motion «&nbsp;anti-autoritaire&nbsp;» au congrès officiel et se retirer en cas de vote négatif. Le congrès regroupe 65 délégués d'une dizaine de pays. Du fait du maintien officieux de leur structure internationale autonome (l’Alliance démocratique sociale), Bakounine et Guillaume sont exclus. Le conseil général est transféré à New York. Des militants et des fédérations se solidarisent avec les exclus et quittent alors l'AIT. Les "marxistes" étaient majoritaires dans les pays où il était possible de participer à la vie politique et de réaliser des améliorations des conditions de vie des travailleurs, tandis que l'anarchisme était majoritaire dans les pays où les interdictions étaient plus fortes.
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Après l’affaiblissement dû à la répression qui suit l’échec de La Commune, cette scission sera fatale à la Première Internationale, qui va s'éteindre progressivement.
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Le congrès regroupe 65 délégués d'une dizaine de pays, et les marxistes y sont majoritaires.&nbsp;Les marxistes étaient majoritaires dans les pays où il était possible de participer à la vie politique et de réaliser des améliorations des conditions de vie des travailleurs, tandis que l'[[Anarchisme|anarchisme]] était majoritaire dans les pays où les interdictions étaient plus fortes. Bakounine et Guillaume sont exclus, en raison de leur structure internationale officieuse, et sur la base du dossier constitué par Marx compromettant Bakounine. Le conseil général est transféré à New York. Des militants et des fédérations se solidarisent avec les exclus et quittent alors l'AIT.
    
=== La dislocation de l’AIT ===
 
=== La dislocation de l’AIT ===
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Une Internationale dite «&nbsp;anti-autoritaire&nbsp;» va naître. La [[Fédération_jurassienne|Fédération jurassienne]] sera le point de regroupement des fédérations hostiles au conseil général. C'est autour d'elle que va mûrir l'idéologie [[Anarchiste|anarchiste]] qui se revendique alors du nom de «&nbsp;collectivisme révolutionnaire&nbsp;», se voulant le promoteur d'un système économique autogéré en dehors de toute autorité, de toute centralisation, de tout état. La constitution de cette nouvelle internationale a lieu à Saint-Imier le 15 septembre 1872. Y sont représentées les fédérations espagnoles, italiennes et jurassiennes, plusieurs sections françaises et deux sections d'Amérique. Le [[Congrès_de_Saint-Imier|Congrès de Saint-Imier]] se donne comme objectif «&nbsp;la destruction de tout pouvoir politique par la grève révolutionnaire&nbsp;».
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Après l’affaiblissement dû à la répression qui suit l’échec de La Commune, cette scission sera fatale à la Première Internationale, qui va s'éteindre progressivement.
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Une Internationale dite «&nbsp;anti-autoritaire&nbsp;» va naître. La [[Fédération_jurassienne|Fédération jurassienne]] sera le point de regroupement des fédérations hostiles au conseil général. C'est autour d'elle que va mûrir l'idéologie [[Anarchiste|anarchiste]] qui se revendique alors du nom de «&nbsp;collectivisme révolutionnaire&nbsp;», se voulant le promoteur d'un système économique autogéré en dehors de toute autorité, de toute centralisation, de tout état. La constitution de cette nouvelle internationale a lieu à Saint-Imier le 15 septembre 1872. Y sont représentées les fédérations espagnoles, italiennes et jurassiennes, plusieurs sections françaises et deux sections d'Amérique. Le [[Congrès_de_Saint-Imier|Congrès de Saint-Imier]] se donne comme objectif ''«&nbsp;la destruction de tout pouvoir politique par la grève révolutionnaire&nbsp;»''.
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L'Internationale «&nbsp;officielle&nbsp;» dénonce cette scission. Le conseil général convoque un congrès général le 8 septembre 1873, à Genève. Les trente délégués qui y assistent ne représentent presque qu'eux-mêmes. «&nbsp;Le fiasco du congrès de Genève était inévitable…. Les événements et l’inévitable évolution et involution des choses pourvoiront d’eux-mêmes à une résurrection de l’Internationale&nbsp;» (lettre de Marx à Friedrich Sorge du 27 septembre 1873 - Marx était lui-même absent à ce congrès, comme à quasiment tous les congrès de l’AIT). «&nbsp;La vieille internationale est complètement finie et a cessé d'exister&nbsp;» (lettre d'Engels à Sorge du 12 septembre 1873). Le 15 juillet 1876, le congrès réunit à Philadelphie décide l'auto-dissolution de l’Internationale.
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L'Internationale «&nbsp;officielle&nbsp;» dénonce cette scission. Le conseil général convoque un congrès général le 8 septembre 1873, à Genève. Les trente délégués qui y assistent ne représentent presque qu'eux-mêmes. «&nbsp;Le fiasco du congrès de Genève était inévitable... Les événements et l’inévitable évolution et involution des choses pourvoiront d’eux-mêmes à une résurrection de l’Internationale&nbsp;» (lettre de Marx à Friedrich Sorge du 27 septembre 1873 - Marx était lui-même absent à ce congrès, comme à quasiment tous les congrès de l’AIT). «&nbsp;La vieille internationale est complètement finie et a cessé d'exister&nbsp;» (lettre d'Engels à Sorge du 12 septembre 1873). Le 15 juillet 1876, le congrès réunit à Philadelphie décide l'auto-dissolution de l’Internationale.
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Le 27 avril 1873 est convoqué à Neuchâtel un «&nbsp;VIème congrès de l'A.I.T.&nbsp;», auquel assistent des délégués représentant les fédérations d'Angleterre, de Belgique, de Hollande, de Suisse, d'Espagne, d'Italie et de France. Le congrès se prononce pour l'abolition complète de tout conseil général et, ''a contrario'', pour l'autonomie des fédérations. Pour compléter la structure organisationnelle de l'association, il est décidé qu'en dehors des congrès, les tâches de coordination seront confiées au bureau d'une fédération.
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Le 27 avril 1873 est convoqué à Neuchâtel un «&nbsp;9<sup>e</sup> congrès de l'AIT&nbsp;», auquel assistent des délégués représentant les fédérations d'Angleterre, de Belgique, de Hollande, de Suisse, d'Espagne, d'Italie et de France. Le congrès se prononce pour l'abolition complète de tout conseil général et, ''a contrario'', pour l'autonomie des fédérations. Pour compléter la structure organisationnelle de l'association, il est décidé qu'en dehors des congrès, les tâches de coordination seront confiées au bureau d'une fédération.
    
C'est au moment où il voyait ses idées triompher que Bakounine décida de se retirer&nbsp;:
 
C'est au moment où il voyait ses idées triompher que Bakounine décida de se retirer&nbsp;:
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Un «&nbsp;8<sup>e</sup> congrès de l'Internationale&nbsp;» se réunit à Bruxelles du 7 au 12 septembre 1874. On en retiendra que l'Italie, disant suivre en cela les recommandations de Bakounine, décide de se préparer à passer aux actes. À l'opposé, sous l'influence de la section belge, un rapprochement est estimé utile avec les partis démocratiques et [[Socialiste|socialistes]]. Ce débat va se clarifier peu à peu durant les trois années suivantes. Il aboutira de fait à la dislocation de cette nouvelle Internationale.
 
Un «&nbsp;8<sup>e</sup> congrès de l'Internationale&nbsp;» se réunit à Bruxelles du 7 au 12 septembre 1874. On en retiendra que l'Italie, disant suivre en cela les recommandations de Bakounine, décide de se préparer à passer aux actes. À l'opposé, sous l'influence de la section belge, un rapprochement est estimé utile avec les partis démocratiques et [[Socialiste|socialistes]]. Ce débat va se clarifier peu à peu durant les trois années suivantes. Il aboutira de fait à la dislocation de cette nouvelle Internationale.
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C'est ainsi que durant le «VIIIème congrès&nbsp;» (26/27 octobre 1876 à Berne), César De Paepe et la section belge font admettre le projet de convocation d'un congrès socialiste auquel assisteraient des représentants des organisations [[Communiste|communistes]]. Les italiens, quant à eux, ont décidé de passer à l'action en utilisant la tactique du «&nbsp;fait insurrectionnel&nbsp;». Ce sera l'épopée du Bénévent en avril 1877 et son échec&nbsp;: une trentaine d'anarchistes armés occupent deux villages, en brûlent les archives et «&nbsp;décrètent&nbsp;» la révolution. Une semaine plus tard, les insurgés, transis et affamés seront capturés sans offrir de résistance. Mais cet échec ne fut pas sans lendemain. Au mois de juin de la même année, Costa et Paul Brousse définissent et expliquent ce que sera la «&nbsp;[[Propagande_par_le_fait|Propagande par le fait]]&nbsp;». Le courant [[Anarcho-syndicaliste|anarcho-syndicaliste]] était alors trop faible pour mettre en avant ses théories d'actions auto-gestionnaires ou communalistes.
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C'est ainsi que durant le «&nbsp;8<sup>e</sup> congrès&nbsp;» (26/27 octobre 1876 à Berne), César De Paepe et la section belge font admettre le projet de convocation d'un congrès socialiste auquel assisteraient des représentants des organisations [[Communiste|communistes]]. Les italiens, quant à eux, ont décidé de passer à l'action en utilisant la tactique du «&nbsp;fait insurrectionnel&nbsp;». Ce sera l'épopée du Bénévent en avril 1877 et son échec&nbsp;: une trentaine d'anarchistes armés occupent deux villages, en brûlent les archives et «&nbsp;décrètent&nbsp;» la révolution. Une semaine plus tard, les insurgés, transis et affamés seront capturés sans offrir de résistance. Mais cet échec ne fut pas sans lendemain. Au mois de juin de la même année, Costa et [[Paul_Brousse|Paul Brousse]] définissent et expliquent ce que sera la «&nbsp;[[Propagande_par_le_fait|Propagande par le fait]]&nbsp;». Le courant [[Anarcho-syndicaliste|anarcho-syndicaliste]] était alors trop faible pour mettre en avant ses théories d'actions auto-gestionnaires ou communalistes.
    
À l'inverse, la minorité anarchiste politiquement pure et dure, s'affirmait. Elle avait pour elle la caution des derniers messages de Bakounine qu'elle interprétait souvent étroitement&nbsp;; elle s'appuyait aussi sur l'attrait qu'exerçaient alors en Europe, les pratiques violentes des [[Nihilisme|nihilistes]] russes. Ces divergences sur la stratégie à adopter vont aboutir à des prises de positions extrêmes. Lorsque les fédérations belges, hollandaises et anglaises s'accordent pour revenir à une conception plus politique, plus légaliste de l'action, [[Kropotkine|Kropotkine]] affirme qu'il est nécessaire de promouvoir «&nbsp;la révolte permanente par la parole, par l'écrit, par le poignard, le fusil, la dynamite...&nbsp;» (Le Révolté N°22).
 
À l'inverse, la minorité anarchiste politiquement pure et dure, s'affirmait. Elle avait pour elle la caution des derniers messages de Bakounine qu'elle interprétait souvent étroitement&nbsp;; elle s'appuyait aussi sur l'attrait qu'exerçaient alors en Europe, les pratiques violentes des [[Nihilisme|nihilistes]] russes. Ces divergences sur la stratégie à adopter vont aboutir à des prises de positions extrêmes. Lorsque les fédérations belges, hollandaises et anglaises s'accordent pour revenir à une conception plus politique, plus légaliste de l'action, [[Kropotkine|Kropotkine]] affirme qu'il est nécessaire de promouvoir «&nbsp;la révolte permanente par la parole, par l'écrit, par le poignard, le fusil, la dynamite...&nbsp;» (Le Révolté N°22).
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Le «&nbsp;IXème congrès&nbsp;» tenu à Verviers en 1877, regroupe en fait onze délégations acquises aux nouvelles idées radicales. Les représentants des fédérations d'Italie, de France, d'Allemagne, de Suisse, d'Égypte et de Grèce ne vont s'entendre que pour s'opposer négativement à la tendance qui avait prôné le rapprochement vis-à-vis des partis&nbsp;: «&nbsp;Tous les partis forment une masse réactionnaire... il s'agit de les combattre tous&nbsp;». L'entente était donc impossible avec les trente cinq délégués «&nbsp;marxistes&nbsp;» et socialistes qui se réunissent quelques jours après à Gand lors du congrès socialiste universel. Les délégués du congrès de Verviers y sont minoritaires. Ils voient la fédération belge et les sections flamandes quitter leur internationale, considérée comme annexée par les anarchistes, pour se rallier au marxisme. «&nbsp;Le congrès de Gand a eu au moins cela de bon que Guillaume et compagnie ont été totalement abandonnés par leurs anciens alliés&nbsp;». (lettre de Marx à Sorge 27.09.1877).
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Le «&nbsp;9<sup>e</sup> congrès&nbsp;» tenu à Verviers en 1877, regroupe en fait onze délégations acquises aux nouvelles idées radicales. Les représentants des fédérations d'Italie, de France, d'Allemagne, de Suisse, d'Égypte et de Grèce ne vont s'entendre que pour s'opposer négativement à la tendance qui avait prôné le rapprochement vis-à-vis des partis&nbsp;: «&nbsp;Tous les partis forment une masse réactionnaire... il s'agit de les combattre tous&nbsp;». L'entente était donc impossible avec les trente cinq délégués «&nbsp;marxistes&nbsp;» et socialistes qui se réunissent quelques jours après à Gand lors du congrès socialiste universel. Les délégués du congrès de Verviers y sont minoritaires. Ils voient la fédération belge et les sections flamandes quitter leur internationale, considérée comme annexée par les anarchistes, pour se rallier au marxisme. «&nbsp;Le congrès de Gand a eu au moins cela de bon que Guillaume et compagnie ont été totalement abandonnés par leurs anciens alliés&nbsp;». (lettre de Marx à Sorge 27.09.1877).
    
Les militants anarchistes les plus actifs se tournent vers un type d'actions individuelles, la [[Propagande_par_le_fait|Propagande par le fait]], qui va les couper du [[Mouvement_ouvrier|mouvement ouvrier]]. La [[Fédération_jurassienne|Fédération jurassienne]], encore la plus active, estime même inutile de préparer le congrès prévu en 1878.
 
Les militants anarchistes les plus actifs se tournent vers un type d'actions individuelles, la [[Propagande_par_le_fait|Propagande par le fait]], qui va les couper du [[Mouvement_ouvrier|mouvement ouvrier]]. La [[Fédération_jurassienne|Fédération jurassienne]], encore la plus active, estime même inutile de préparer le congrès prévu en 1878.
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[[Trotsky|Trotsky]] écrira en 1914 à propos de l'AIT&nbsp;:
 
[[Trotsky|Trotsky]] écrira en 1914 à propos de l'AIT&nbsp;:
 
<blockquote>«&nbsp;De même que le Manifeste était une anticipation, de même que la 1ère Internationale était venue trop tôt pour son temps, c'est-à-dire pour pouvoir unir les travailleurs de tous les pays, de même la Commune était un épisode prématuré de la dictature du prolétariat.&nbsp;»<ref>Trotsky, [https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1914/10/lt19141031a.htm ''La guerre et l'Internationale''], 31 octobre 1914</ref></blockquote>  
 
<blockquote>«&nbsp;De même que le Manifeste était une anticipation, de même que la 1ère Internationale était venue trop tôt pour son temps, c'est-à-dire pour pouvoir unir les travailleurs de tous les pays, de même la Commune était un épisode prématuré de la dictature du prolétariat.&nbsp;»<ref>Trotsky, [https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1914/10/lt19141031a.htm ''La guerre et l'Internationale''], 31 octobre 1914</ref></blockquote>  
Une des caractéristiques notables de l'AIT était sa base programmatique très large. Elle regroupait des courants très divers, principalement socialistes mais sans que l'adhésion à une doctrine précise soit mentionnée dans ses statuts. [[Bakounine|Bakounine]] défendait la logique non sectaire qu'avaient eu ses fondateurs (dont [[Marx|Marx]]) :
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Une des caractéristiques notables de l'AIT était sa base programmatique très large. Elle regroupait des courants très divers, principalement socialistes mais sans que l'adhésion à une doctrine précise soit mentionnée dans ses statuts. [[Bakounine|Bakounine]] défendait la logique non sectaire qu'avaient eu ses fondateurs (dont [[Marx|Marx]])&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;S’ils avaient arboré le drapeau d’un système politique ou antireligieux, loin d’unir les ouvriers de l’Europe, ils les auraient encore plus divisés […]. D’ailleurs, il existe encore une trop grande différence entre les degrés de développement industriel, politique, intellectuel et moral des masses ouvrières dans les différents pays, pour qu’il soit possible de les unir aujourd’hui par un seul et même programme politique et antireligieux. Poser un tel programme comme celui de l’Internationale, en faire une condition absolue d’entrée dans cette Association, ce serait vouloir organiser une secte, non une association universelle, ce serait tuer l’Internationale.&nbsp;» <ref>Voir la série d’articles intitulée ''Politique de l’Internationale'' qu'il écrit en 1869 dans ''L’Égalité'' de Genève</ref></blockquote>  
«&nbsp;S’ils avaient arboré le drapeau d’un système politique ou antireligieux, loin d’unir les ouvriers de l’Europe, ils les auraient encore plus divisés […]. D’ailleurs, il existe encore une trop grande différence entre les degrés de développement industriel, politique, intellectuel et moral des masses ouvrières dans les différents pays, pour qu’il soit possible de les unir aujourd’hui par un seul et même programme politique et antireligieux. Poser un tel programme comme celui de l’Internationale, en faire une condition absolue d’entrée dans cette Association, ce serait vouloir organiser une secte, non une association universelle, ce serait tuer l’Internationale.&nbsp;» <ref>Voir la série d’articles intitulée ''Politique de l’Internationale'' qu'il écrit en 1869 dans ''L’Égalité'' de Genève</ref>
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Une autre caractéristique notable était que l'AIT était d'emblée internationale (malgré sa taille très modeste), alors que les II<sup>e</sup> et III<sup>e</sup> internationales seront plutôt des regroupements de partis nationaux existants.
 
Une autre caractéristique notable était que l'AIT était d'emblée internationale (malgré sa taille très modeste), alors que les II<sup>e</sup> et III<sup>e</sup> internationales seront plutôt des regroupements de partis nationaux existants.
  

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