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[[File:PotemkineEisenstein.jpg|right|306x379px|PotemkineEisenstein.jpg]]Le '''défaitisme révolutionnaire''' est une tactique prônée par [[Lénine|Lénine]] pendant la [[Première_guerre_mondiale|Première guerre mondiale]], et qui a toujours fait l'objet de débats importants parmi les [[Communistes_révolutionnaires|communistes révolutionnaires]].
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[[File:PotemkineEisenstein.jpg|right|306x379px|PotemkineEisenstein.jpg]]Le '''défaitisme révolutionnaire''' est une politique prônée par [[Lénine|Lénine]] pendant la [[Première_guerre_mondiale|Première guerre mondiale]], et qui a toujours fait l'objet de débats importants parmi les [[Communistes_révolutionnaires|communistes révolutionnaires]].
    
== Historique ==
 
== Historique ==
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Adoptée en pleine "[[Troisième_periode|troisième periode]]", cette resolution omettait de préciser ce que serait la politique des communistes dans un conflit impérialiste où l'URSS serait alliée a un des camps. Ce qui s'est passé à partir de la signature du Pacte-germano-soviétique et pendant la [[Seconde_guerre_mondiale|Seconde guerre mondiale]]. Les [[Staliniens|staliniens]] allaient alors décider qu'une guerre dans laquelle l'URSS luttait pour son existence n'etait pas une guerre imperialiste et appela en consequence les travailleurs des pays alliés a l'[[URSS|URSS]] à l'union sacrée avec leurs bourgeoisies afin de defendre la « patrie socialiste ».
 
Adoptée en pleine "[[Troisième_periode|troisième periode]]", cette resolution omettait de préciser ce que serait la politique des communistes dans un conflit impérialiste où l'URSS serait alliée a un des camps. Ce qui s'est passé à partir de la signature du Pacte-germano-soviétique et pendant la [[Seconde_guerre_mondiale|Seconde guerre mondiale]]. Les [[Staliniens|staliniens]] allaient alors décider qu'une guerre dans laquelle l'URSS luttait pour son existence n'etait pas une guerre imperialiste et appela en consequence les travailleurs des pays alliés a l'[[URSS|URSS]] à l'union sacrée avec leurs bourgeoisies afin de defendre la « patrie socialiste ».
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=== Héritage trotskiste et nouveaux débats ===
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== Héritage trotskiste et nouveaux débats ==
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Dans la mesure où il estimait tout à fait secondaires ses divergences passées avec Lénine, Trotsky choisit de ne pas répondre à la provocation et de ne pas se laisser entraîner sur le terrain choisi par ses adversaires. Non seulement il refusa la polémique sur le défaitisme, mais il reprit à son compte la formule en l'employant dans un sens assez différent de celui de Lénine, dans le sens de défaite par la révolution, d'équivalent à la formule « transformation de la guerre impérialiste en guerre civile » sans jamais retenir le sens plus précis que Lénine lui avait donné entre 1914 et 1916 de «souhaiter» et de «contribuer» aux revers militaires de sa propre bourgeoisie. Il précisera d'ailleurs :
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=== Nuances entre Trotsky et Lénine ===
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Dans la mesure où il estimait tout à fait secondaires ses divergences passées avec Lénine, [[Trotsky|Trotsky]] choisit de ne pas répondre à la provocation et de ne pas se laisser entraîner sur le terrain choisi par ses adversaires. Non seulement il refusa la polémique sur le défaitisme, mais il reprit à son compte la formule en l'employant dans un sens assez différent de celui de Lénine, dans le sens de défaite par la révolution, d'équivalent à la formule ''« transformation de la guerre impérialiste en guerre civile »'' sans jamais retenir le sens plus précis que Lénine lui avait donné entre 1914 et 1916 de «souhaiter» et de «contribuer» aux revers militaires de sa propre bourgeoisie. Il précisera d'ailleurs :
 
<blockquote>''«&nbsp;La formule de Lénine selon laquelle «la défaite est le moindre mal» ne signifie pas que la défaite d'un pays donné est un moindre mal que celle du pays ennemi, mais qu'une défaite militaire résultant du développement du mouvement révolutionnaire est infiniment plus bénéfique pour le prolétariat et le peuple tout entier qu'une victoire militaire assurée par la «paix civile»&nbsp;»''<ref name="TKguerreIV">Trotsky, [https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1934/06/34061000.htm La guerre et la IVe Internationale], 10 juin 1934</ref><br/></blockquote>
 
<blockquote>''«&nbsp;La formule de Lénine selon laquelle «la défaite est le moindre mal» ne signifie pas que la défaite d'un pays donné est un moindre mal que celle du pays ennemi, mais qu'une défaite militaire résultant du développement du mouvement révolutionnaire est infiniment plus bénéfique pour le prolétariat et le peuple tout entier qu'une victoire militaire assurée par la «paix civile»&nbsp;»''<ref name="TKguerreIV">Trotsky, [https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1934/06/34061000.htm La guerre et la IVe Internationale], 10 juin 1934</ref><br/></blockquote>
Pendant les années 1930, avec la nouvelle marche à la guerre, la question de défaitisme redevient un sujet de débats parmi les trotskistes. D'autant plus que s'y ajoute la question de l'attitude à avoir dans une guerre mondiale dans laquelle serait entraînée l'URSS.
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=== Le camp du fascisme et le camp de la démocratie&nbsp;? ===
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Fallait-il soutenir le "camp des démocraties" (Etats-Unis, Angleterre, France) face au "camp [[Fasciste|fasciste]]" (Allemagne, Italie, Japon)&nbsp;? Lorsque cette position est défendue par le groupe palestinien Haor, Trotsky la qualifie de ''«&nbsp;pas dangereux vers le social-patriotisme&nbsp;»''.
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Trotsky réaffirmait qu'aucun de ces camps impérialistes ne pouvait être soutenu, reprenant la même logique que celle de la Première guerre mondiale. Dans les thèses de 1934, il disait que la guerre serait de même nature que celle de 1914 (partage impérialiste du monde) et qu'il y aurait comme en 1914 des régimes réactionnaires dans les deux camps, et que cette différence devenait secondaire dans un contexte de guerre impérialiste&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;Naturellement il existe une difference de confort entre les différents wagons du train. Mais, quand le train plonge clans un abime, la distinction entre la démocratie décadente et le fascisme meurtrier disparaît devant l'effondrement de l' ensemble du systeme capitaliste&nbsp;»<ref>Trotsky, [https://marxists.anu.edu.au/francais/trotsky/oeuvres/1940/05/lt19400523ad.htm Manifeste d'alarme de la IV° Internationale], 26 mai 1940</ref><br/></blockquote>
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Par ailleurs, tout en critiquant le pacifisme bourgeois comme illusoire, il estimait que ''«&nbsp;le ''mot d'ordre de paix''n'est nullement en contradiction avec la formule stratégique du défaitisme […] quand il émane des quartiers ouvriers et des tranchées où il se mêle à celui de la fraternisation entre soldats des armées ennemies, unissant les opprimés contre les oppresseurs.&nbsp;»''<ref name="TKguerre14">_</ref>
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Alors au contact de ses partisans aux États-Unis, il combattait le pacifisme bourgeois et l’union sacrée «&nbsp;contre le fascisme&nbsp;», tout en partant de ces sentiments&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;Il est, bien sûr, important d'expliquer aux ouvriers avancés que le véritable combat contre le fascisme est la révolution socialiste. Mais il est plus urgent, plus impératif, d'expliquer aux millions d'ouvriers américains que la défense de leur “&nbsp;démocratie&nbsp;” ne peut être confiée à un maréchal Pétain américain&nbsp;»''<ref>Trotsky, [http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1940/08/lt19400813.htm ''Combattre le pacifisme''], 13 août 1940</ref><br/></blockquote><blockquote>
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''«&nbsp;Je crois qu'il nous faut aussi examiner le mot d'ordre suivant lequel nous ne sommes évidemment pas opposés à une guerre contre des agresseurs, mais qu'elle doit être menée par une armée d'ouvriers et de fermiers, sous le contrôle de syndicats, sous un gouvernement d'ouvriers et de fermiers.&nbsp;»''<ref>Trotsky, [https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1938/03/ldt19380322.htm ''Discussion sur la lutte contre la guerre et l'amendement Ludlow''], 22 mars 1938</ref>
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Par ailleurs, dans la [[Guerre_civile_espagnole|guerre_civile_espagnole]], Trotsky ne renvoyait pas dos-à-dos le camp républicain et le camp fasciste. Il était pour que les communistes du monde entier fassent leur possible pour aider militairement le camp républicain, et pour saboter les renforts destinés au camp fasciste. Y avait-il une contradiction entre cette position de parti-pris et la neutralité dans un cas de guerre mondiale&nbsp;? Trotsky argumentait de la façon suivante&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;On peut nous objecter ceci&nbsp;: pendant une guerre entre deux Etats bourgeois, le prolétariat, quel que soit, dans son pays, le régime politique, doit adopter la position selon laquelle «la défaite de notre propre gouvernement est le moindre mal&nbsp;». Cette règle n'est-elle pas également applicable à une guerre civile dans laquelle s'affrontent deux gouvemements bourgeois&nbsp;? Elle ne l'est pas. Dans une guerre entre deux Etats bourgeois, l'objectif en jeu est une conquête imperialiste, non la lutte entre democratie et fascisme. Dans la guerre civile espagnole, la question est&nbsp;: démocratie ou fascisme.&nbsp;»''<ref>Trotsky, Contre le « défaitisme » en Espagne, 14 septembre 1937</ref><br/></blockquote>
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=== Le camp de l'URSS&nbsp;? ===
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Pour les trotskistes, une nouvelle difficulté s'ajoutait à la situation&nbsp;: la présence de l'[[URSS|URSS]], considérée comme un [[Etat_ouvrier_dégénéré|Etat ouvrier dégénéré]], dirigé par une bureaucratie contre-révolutionnaire mais progressiste malgré elle. [[Trotsky|Trotsky]] défendait une ligne de [[Défense_de_l'URSS|défense inconditionnelle de l'URSS]] face aux puissances capitalistes.
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Si deux blocs impérialistes se forment et entrent en guerre, et que l'URSS se retrouve dans l'un des deux camps, quel impact cela doit-il avoir&nbsp;? Comment concilier défaitisme révolutionnaire et défense de l'URSS&nbsp;?
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Dans une première version de&nbsp;''La guerre et la IVe Internationale'', Trotsky écrivait&nbsp;:
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Pour Trotsky, il fallait maintenir la ligne de défaitisme révolutionnaire, dans un sens général de refus de l'[[Union_sacrée|Union sacrée]] avec sa bourgeoisie, même si elle est alliée momentanément avec l'URSS, mais il fallait néanmoins adapter la tactique, en favorisant de fait la victoire du camp militaire dans lequel se trouverait l'URSS.
<blockquote>«&nbsp;Le défaitisme n'est pas un quelconque mot d'ordre pratique autour duquel on peut mobiliser les masses pendant la guerre. La défaite de sa propre armée nationale peut être un but dans un cas unique&nbsp;: quand il s'agit d'une armée capitaliste combattant contre un Etat ouvrier ou marchant sur une révolution qui se développe. Mais quand il s'agit d'une lutte entre deux pays capitalistes, le prolétariat d'aucun des deux ne peut se fixer pour «&nbsp;tâche&nbsp;» la défaite de sa propre armée nationale&nbsp;»<br/></blockquote>
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Dans une première version de&nbsp;''La guerre et la IVe Internationale'', Trotsky écrivait&nbsp;:<blockquote>«&nbsp;Le défaitisme n'est pas un quelconque mot d'ordre pratique autour duquel on peut mobiliser les masses pendant la guerre. La défaite de sa propre armée nationale peut être un but dans un cas unique&nbsp;: quand il s'agit d'une armée capitaliste combattant contre un Etat ouvrier ou marchant sur une révolution qui se développe. Mais quand il s'agit d'une lutte entre deux pays capitalistes, le prolétariat d'aucun des deux ne peut se fixer pour «&nbsp;tâche&nbsp;» la défaite de sa propre armée nationale&nbsp;»<br/></blockquote>
 
Cela souleva un débat, notamment avec [[Alfonso_Leonetti|Leonetti]] et [[Erwin_Ackerknecht|Bauer]], qui considéraient que Trotsky affaiblissait trop le "défaitisme révolutionnaire" au nom de la défense de l'URSS.
 
Cela souleva un débat, notamment avec [[Alfonso_Leonetti|Leonetti]] et [[Erwin_Ackerknecht|Bauer]], qui considéraient que Trotsky affaiblissait trop le "défaitisme révolutionnaire" au nom de la défense de l'URSS.
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Trotsky pensait en effet qu'il était nécessaire d'infléchir la tactique en raison de l'URSS, et que ''«&nbsp;la formule défaitiste de Lenine de 1914-1916 n'avait encore rien à voir avec la guerre entre Etats capitalistes et Etat ouvrier et n'introduisait pas les déductions qui en découlent&nbsp;»''<ref>Lettre de Trotsky au Secrétariat international, Archives de Harvard, 5 janvier 1934</ref> Il préconisait la ligne suivante&nbsp;:
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Trotsky répondait que ''«&nbsp;la formule défaitiste de Lenine de 1914-1916 n'avait encore rien à voir avec la guerre entre Etats capitalistes et Etat ouvrier et n'introduisait pas les déductions qui en découlent&nbsp;»''<ref>Lettre de Trotsky au Secrétariat international, Archives de Harvard, 5 janvier 1934</ref> Il préconisait la ligne suivante&nbsp;:
 
<blockquote>''«&nbsp;Le prolétariat d'un pays capitaliste qui se trouve l'allié de l'U.R.S.S. doit conserver pleinement et complètement son irréductible hostilité au gouvernement impérialiste de son propre pays. En ce sens, sa politique ne sera pas différente de celle d'un prolétariat dans un pays qui combat l'U.R.S.S. Seulement, dans la nature des actions pratiques, il peut apparaître, en fonction des conditions concrètes de la guerre, des différences considérables. Par exemple, il serait absurde et criminel, en cas de guerre entre l'U.R.S.S. et le Japon, que le prolétariat américain sabote l'envoi de munitions américaines à l'U.R.S.S. Mais le prolétariat d'un pays combattant l'U.R.S.S. devrait absolument recourir à de telles actions&nbsp;: grèves, sabotages, etc.&nbsp;»''<ref name="TKguerreIV">_</ref><br/></blockquote>
 
<blockquote>''«&nbsp;Le prolétariat d'un pays capitaliste qui se trouve l'allié de l'U.R.S.S. doit conserver pleinement et complètement son irréductible hostilité au gouvernement impérialiste de son propre pays. En ce sens, sa politique ne sera pas différente de celle d'un prolétariat dans un pays qui combat l'U.R.S.S. Seulement, dans la nature des actions pratiques, il peut apparaître, en fonction des conditions concrètes de la guerre, des différences considérables. Par exemple, il serait absurde et criminel, en cas de guerre entre l'U.R.S.S. et le Japon, que le prolétariat américain sabote l'envoi de munitions américaines à l'U.R.S.S. Mais le prolétariat d'un pays combattant l'U.R.S.S. devrait absolument recourir à de telles actions&nbsp;: grèves, sabotages, etc.&nbsp;»''<ref name="TKguerreIV">_</ref><br/></blockquote>
Il développe encore ce type d'exemples plus tard, dans une interview où il répond à la question "Que feriez-vous pour défendre l’URSS dans une guerre, où la France serait l’allié de l’URSS&nbsp;?"&nbsp;:
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Il développe encore ce type d'exemples plus tard, dans une interview où il répond à la question ''«&nbsp;Que feriez-vous pour défendre l’URSS dans une guerre, où la France serait l’allié de l’URSS&nbsp;?&nbsp;»''&nbsp;:
 
<blockquote>''«&nbsp;en France je resterais en opposition au gouvernement et développerais cette opposition systématiquement. En Allemagne et au Japon je ferai tout ce que je pourrais pour saboter la machine de guerre. Ce sont deux choses différentes. En Allemagne et au Japon, j’appliquerais des méthodes militaires tant que je serais capable de lutter, je contrarierais le fonctionnement de la machine militaire du Japon, je lui porterais des coups, je la désorganiserais, en Allemagne comme au Japon. En France il s’agit de l’opposition politique à la bourgeoisie, et de la préparation à la révolution prolétarienne. Les deux sont des méthodes révolutionnaires. Mais en Allemagne et au Japon mon but c’est la désorganisation de tout l’appareil. En France mon but c’est la révolution prolétarienne...'''&nbsp;»'''''<b><ref>Rudolf Klement, [https://www.marxists.org/francais/4int/prewar/1937/klement.htm Les tâches du prolétariat pendant la guerre], 1937</ref></b><br/></blockquote>
 
<blockquote>''«&nbsp;en France je resterais en opposition au gouvernement et développerais cette opposition systématiquement. En Allemagne et au Japon je ferai tout ce que je pourrais pour saboter la machine de guerre. Ce sont deux choses différentes. En Allemagne et au Japon, j’appliquerais des méthodes militaires tant que je serais capable de lutter, je contrarierais le fonctionnement de la machine militaire du Japon, je lui porterais des coups, je la désorganiserais, en Allemagne comme au Japon. En France il s’agit de l’opposition politique à la bourgeoisie, et de la préparation à la révolution prolétarienne. Les deux sont des méthodes révolutionnaires. Mais en Allemagne et au Japon mon but c’est la désorganisation de tout l’appareil. En France mon but c’est la révolution prolétarienne...'''&nbsp;»'''''<b><ref>Rudolf Klement, [https://www.marxists.org/francais/4int/prewar/1937/klement.htm Les tâches du prolétariat pendant la guerre], 1937</ref></b><br/></blockquote>
 
Cette déclaration de Trotsky entraine une vigoureuse critique du dirigeant du PSR belge [[Georges_Vereeken|Georges Vereeken]], qui l'accuse de revenir à une forme indirecte d'Union sacrée<ref>Georges Vereeken, ''La Guepeou dans le mouvement trotskyste'', 1975</ref>. C'est ensuite la ligne de la "[[Défense_de_l'URSS|défense de l'URSS]]" (et de [[Nature_de_l'Etat_russe|sa nature]]) qui cristallisera de plus en plus les débats de cette époque. [[Rudolf_Klement|Rudolf Klement]] répond et revient sur les différents cas de figure qui pourraient se présenter dans la guerre à venir.
 
Cette déclaration de Trotsky entraine une vigoureuse critique du dirigeant du PSR belge [[Georges_Vereeken|Georges Vereeken]], qui l'accuse de revenir à une forme indirecte d'Union sacrée<ref>Georges Vereeken, ''La Guepeou dans le mouvement trotskyste'', 1975</ref>. C'est ensuite la ligne de la "[[Défense_de_l'URSS|défense de l'URSS]]" (et de [[Nature_de_l'Etat_russe|sa nature]]) qui cristallisera de plus en plus les débats de cette époque. [[Rudolf_Klement|Rudolf Klement]] répond et revient sur les différents cas de figure qui pourraient se présenter dans la guerre à venir.
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A l'occasion de débats sur la [[Guerre_d'Espagne|guerre d'Espagne]], Trotsky fait la précision suivante&nbsp;:
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=== Guerre entre pays impérialistes et dominés ===
<blockquote>''«&nbsp;On peut nous objecter ceci&nbsp;: pendant une guerre entre deux Etats bourgeois, le prolétariat, quel que soit, dans son pays, le régime politique, doit adopter la position selon laquelle «la défaite de notre propre gouvernement est le moindre mal&nbsp;». Cette règle n'est-elle pas également applicable à une guerre civile dans laquelle s'affrontent deux gouvemements bourgeois&nbsp;? Elle ne l'est pas. Dans une guerre entre deux Etats bourgeois, l'objectif en jeu est une conquête imperialiste, non la lutte entre democratie et fascisme. Dans la guerre civile espagnole, la question est&nbsp;: démocratie ou fascisme.&nbsp;»''<ref>Trotsky, Contre le « défaitisme » en Espagne, 14 septembre 1937</ref><br/></blockquote>
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Et Trotsky réaffirmait qu'il ne fallait pas soutenir les pays impérialistes "démocratiques" face aux pays impérialistes "fascistes". Lorsque cette position est défendue par le groupe palestinien Haor, il la qualifie de ''«&nbsp;pas dangereux vers le social-patriotisme&nbsp;»''. Dans les thèses de 1934, il disait que la guerre serait de même nature que celle de 1914 (partage impérialiste du monde) et qu'il y aurait comme en 1914 des régimes réactionnaires dans les deux camps.
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Lénine avait déja affirmé dès 1915 qu'il fallait soutenir les guerres de libération nationale menées par des [http://wikirouge.net/Pays_dominés pays dominés]&nbsp;:  
<blockquote>«&nbsp;Naturellement il existe une difference de confort entre les différents wagons du train. Mais, quand le train plonge clans un abime, la distinction entre la démocratie décadente et le fascisme meurtrier disparaît devant l'effondrement de l' ensemble du systeme capitaliste&nbsp;»<ref>Trotsky, [https://marxists.anu.edu.au/francais/trotsky/oeuvres/1940/05/lt19400523ad.htm Manifeste d'alarme de la IV° Internationale], 26 mai 1940</ref><br/></blockquote>
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Par ailleurs, tout en critiquant le pacifisme bourgeois comme illusoire, il estimait que ''«&nbsp;le ''mot d'ordre de paix''n'est nullement en contradiction avec la formule stratégique du défaitisme [] quand il émane des quartiers ouvriers et des tranchées où il se mêle à celui de la fraternisation entre soldats des armées ennemies, unissant les opprimés contre les oppresseurs.&nbsp;»''<ref name="TKguerre14">_</ref>
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''«&nbsp;Si demain le Maroc déclarait la guerre à la France, l’Inde à l’Angleterre, la Perse ou la Chine à la Russie, etc., […] tout socialiste appellerait de ses vœux la victoire des États opprimés, dépendants, lésés dans leurs droits, sur les "grandes" puissances oppressives, esclavagistes, spoliatrices.&nbsp;»''
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Cela implique concrètement :
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*un défaitisme révolutionnaire pour les communistes du pays impérialistes : la défaite d'une bourgeoisie impérialiste l'affaiblit aussi dans ses rapports avec la classe ouvrière de la métropole, et favorise la lutte révolutionnaire
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*un défensisme révolutionnaire pour les communistes du pays dominé : faire un front politico-militaire avec les forces anti-impérialistes, tout en conservant l'indépendance politique et les objectifs communistes, utiliser la situation créée par la lutte de libération nationale pour la pousser jusqu'à une lutte révolutionnaire communiste, devant ensuite s'étendre au monde entier ([[révolution_permanente|révolution permanente]])
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C'est en quelque sorte un prolongement militaire du [[front_unique_anti-impérialiste|front unique anti-impérialiste]].
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Pour Trotsky, ce principe reste systématiquement valable, et découle du combat anti-impérialiste. Les autres facteurs (quel est le premier pays qui a attaqué, quel type de régime est à la tête du pays dominé ou du pays impérialiste...) ne doivent pas entrer en ligne de compte pour lui. Il insistait là dessus, par exemple à l'occasion du soutien à l'Ethiopie agressée par l'Italie de Mussolini :
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<blockquote>''«&nbsp;Bien entendu, nous sommes pour la défaite de l’Italie et pour la victoire de l’Éthiopie, et nous devons donc faire tout notre possible pour empêcher, par tous les moyens en notre pouvoir, que d’autres puissances impérialistes soutiennent l’impérialisme italien et en même temps faciliter du mieux que nous pouvons la livraison d’armes, etc. à l’Éthiopie. Néanmoins, nous devons faire valoir que cette lutte n’est pas dirigée contre le'' fascisme,''mais contre'' l’impérialisme.''Quand c’est de guerre qu’il s’agit, il n’est pas question pour nous de savoir qui est "le meilleur", du Négus [le monarque éthiopien] ou de Mussolini, mais d’un rapport de forces et du combat d’une nation sous-développée pour sa défense contre l’impérialisme.&nbsp;»'' <ref>[http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1935/07/lt19350717.htm Le conflit italo-éthiopien »], 17 juillet 1935</ref><br/></blockquote>
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Il peut paraître plus intuitif que l'on peut "plus facilement" s'allier à un régime démocratique bourgeois qu'à un régime autoritaire. Mais ce n'est pas du tout sur ce critère que se base le front unique anti-impérialiste. L'enjeu prioritaire est de lutter contre le renforcement des impérialistes&nbsp;: leur victoire signifie le renforcement d'une puissante bourgeoisie (donc y compris face aux prolétaires des pays impérialistes), et au contraire leur défaite donne de l'espoir à tous les peuples opprimés.
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<blockquote>''«&nbsp;Si Mussolini l’emporte, cela signifiera le renforcement du fascisme, la consolidation de l’impérialisme et le découragement des peuples coloniaux en Afrique et ailleurs. La victoire du Négus, en revanche, constituerait un coup terrible pour l’impérialisme dans son ensemble et donnerait un élan puissant aux forces rebelles des peuples opprimés. Il faut vraiment être complètement aveugle pour ne pas le voir.&nbsp;»'' <ref>[http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1936/04/lt19360422.htm À propos des dictateurs des hauteurs d’Oslo], 22 avril 1936</ref></blockquote>
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Par ailleurs, il ne faut avoir aucune illusion sur les prétextes démocratiques qu'utilisent les gouvernements impérialistes&nbsp;: dans la réalité ils ne veulent pas des droits démocratiques dans les pays qu'ils dominent, car cela n'a que pour résultat de menacer leurs intérêts.
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<blockquote>''«&nbsp;il règne aujourd’hui au Brésil un régime semi-fasciste qu’aucun révolutionnaire ne peut considérer sans haine. Supposons cependant que, demain, l’Angleterre entre dans un conflit militaire avec le Brésil. Je vous le demande&nbsp;: de quel côté sera la classe ouvrière&nbsp;? Je répondrai pour ma part que, dans ce cas, je serait du côté du Brésil "fasciste contre l’Angleterre "démocratique". Pourquoi&nbsp;? Parce que, dans le conflit qui les opposerait, ce n’est pas de démocratie ou de fascisme qu’il s’agirait. Si l’Angleterre gagnait, elle installerait à Rio de Janeiro un autre fasciste, en enchaînerait doublement le Brésil. Si au contraire le Brésil l’emportait, cela pourrait donner un élan considérable à la conscience démocratique et nationale de ce pays et conduire au renversement de la dictature de Vargas. La défaite de l’Angleterre porterait en même temps un coup à l’impérialisme britannique et donnerait un élan au mouvement révolutionnaire du prolétariat anglais. Réellement, il faut n’avoir rien dans la tête pour réduire les antagonismes mondiaux et les conflits militaires à la lutte contre fascisme et démocratie. Il faut apprendre à distinguer sous tous leurs masques, les exploiteurs, les esclavagistes et les voleurs&nbsp;!&nbsp;»<ref>Trotsky, [http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1938/09/lt19380923.htm La lutte anti-impérialiste], 23 septembre 1938</ref>''</blockquote>
 
== Le cas des occupations militaires ==
 
== Le cas des occupations militaires ==
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Les occupations militaires entre puissances impérialistes créent des situations a priori différentes. Entre 1871 et 1918, Lénine et la social-démocratie n’hésitaient pas à lutter contre l’occupation allemande de l’Alsace-Lorraine. Par la suite, les communistes ont dénoncé le [[Traité_de_Versailles|traité de Versailles]] puis l’occupation de la Ruhr par la France (1923-1925), mais avec beaucoup plus de tensions&nbsp;: si la majorité mettait en avant la fraternisation avec les soldats et la lutte simultanée contre la bourgeoisie allemande, d’autres comme [[Karl_Radek|Karl Radek]] ont comparé l’Allemagne à une nation opprimée.
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Les occupations militaires entre puissances impérialistes créent des situations a priori différentes.
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Entre 1871 et 1918, Lénine et la social-démocratie n’hésitaient pas à lutter contre l’occupation allemande de l’Alsace-Lorraine. Par la suite, les communistes ont dénoncé le [[Traité_de_Versailles|traité de Versailles]] puis l’occupation de la Ruhr par la France (1923-1925), mais avec beaucoup plus de tensions&nbsp;: si la majorité mettait en avant la fraternisation avec les soldats et la lutte simultanée contre la bourgeoisie allemande, d’autres comme [[Karl_Radek|Karl Radek]] ont comparé l’Allemagne à une nation opprimée.
    
L'occupation de la Sarre par la France jusqu’en 1935 a créé une situation encore plus compliquée. Jusqu'en août 1933, le [[Parti_communiste_allemand|Parti communiste allemand]] défendait le mot d'ordre du rattachement de la Sarre à l'Allemagne où les nazis étaient pourtant au pouvoir depuis janvier.
 
L'occupation de la Sarre par la France jusqu’en 1935 a créé une situation encore plus compliquée. Jusqu'en août 1933, le [[Parti_communiste_allemand|Parti communiste allemand]] défendait le mot d'ordre du rattachement de la Sarre à l'Allemagne où les nazis étaient pourtant au pouvoir depuis janvier.
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Alors au contact de ses partisans aux États-Unis, il combattait le pacifisme bourgeois et l’union sacrée «&nbsp;contre le fascisme&nbsp;», tout en partant de ces sentiments&nbsp;:<blockquote>''«&nbsp;Il est, bien sûr, important d'expliquer aux ouvriers avancés que le véritable combat contre le fascisme est la révolution socialiste. Mais il est plus urgent, plus impératif, d'expliquer aux millions d'ouvriers américains que la défense de leur “&nbsp;démocratie&nbsp;” ne peut être confiée à un maréchal Pétain américain&nbsp;»''<ref>Trotsky, [http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1940/08/lt19400813.htm ''Combattre le pacifisme''], 13 août 1940</ref></blockquote><blockquote>''«&nbsp;Je crois qu'il nous faut aussi examiner le mot d'ordre suivant lequel nous ne sommes évidemment pas opposés à une guerre contre des agresseurs, mais qu'elle doit être menée par une armée d'ouvriers et de fermiers, sous le contrôle de syndicats, sous un gouvernement d'ouvriers et de fermiers.&nbsp;»''<ref>Trotsky, [https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1938/03/ldt19380322.htm ''Discussion sur la lutte contre la guerre et l'amendement Ludlow''], 22 mars 1938</ref><br/></blockquote>
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L'occupation allemande pendant la [[Seconde_guerre_mondiale|Seconde guerre mondiale]] a soulevé aussi de nombreuses divergences entre [[Communistes_révolutionnaires|communistes révolutionnaires]] sur l'attitude à avoir par rapport à la [[Résistance_(France)|Résistance]].
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L'occupation allemande pendant la [[Seconde_guerre_mondiale|Seconde guerre mondiale]] a soulevé aussi de nombreuses divergences entre [[Communistes_révolutionnaires|communistes révolutionnaires]] sur l'attitude à avoir par rapport à la [[Résistance_(France)|Résistance]].
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Même si Trotsky disait que la France sous les bottes allemandes était ''«&nbsp;en train de devenir une nation opprimée&nbsp;»''<ref>Trotsky, [http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1940/06/lt19400630.htm ''Notre cap ne change pas''], 30 juin 1940</ref>, il refusait de s’adresser à De Gaulle, comme le faisait [[Marceau_Pivert|Marceau Pivert]]&nbsp;
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Même si Trotsky disait que la France sous les bottes allemandes était ''«&nbsp;en train de devenir une nation opprimée&nbsp;»''<ref>Trotsky, [http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1940/06/lt19400630.htm ''Notre cap ne change pas''], 30 juin 1940</ref>, il refusait de s’adresser à De Gaulle, comme le faisait [[Marceau_Pivert|Marceau Pivert]]. Alors au contact de ses partisans aux États-Unis, il combattait le pacifisme bourgeois et l’union sacrée «&nbsp;contre le fascisme&nbsp;», tout en partant de ces sentiments&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;Il est, bien sûr, important d'expliquer aux ouvriers avancés que le véritable combat contre le fascisme est la révolution socialiste. Mais il est plus urgent, plus impératif, d'expliquer aux millions d'ouvriers américains que la défense de leur “&nbsp;démocratie&nbsp;” ne peut être confiée à un maréchal Pétain américain&nbsp;»''<ref>Trotsky, [http://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1940/08/lt19400813.htm ''Combattre le pacifisme''], 13 août 1940</ref></blockquote><blockquote>''«&nbsp;Je crois qu'il nous faut aussi examiner le mot d'ordre suivant lequel nous ne sommes évidemment pas opposés à une guerre contre des agresseurs, mais qu'elle doit être menée par une armée d'ouvriers et de fermiers, sous le contrôle de syndicats, sous un gouvernement d'ouvriers et de fermiers.&nbsp;»''<ref>Trotsky, [https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1938/03/ldt19380322.htm ''Discussion sur la lutte contre la guerre et l'amendement Ludlow''], 22 mars 1938</ref></blockquote>
   
== Notes et sources ==
 
== Notes et sources ==
  

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