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{{#set:Date=1919}}Le 21 mars 1919, la République des conseils de Hongrie était proclamée. Le 1er août, après 133 jours, ce chapitre héroïque de l’histoire de la classe ouvrière hongroise s’achevait avec l’entrée de l’armée blanche roumaine dans Budapest. Une victoire du prolétariat hongrois aurait signifié la fin de l’isolement de la République ouvrière de Russie.
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[[File:Bela.Kun.Revolution.1919.jpg|right|358x240px]]{{#set:Date=1919}}Le 21 mars 1919, la République des conseils de Hongrie était proclamée. Le 1er août, après 133 jours, ce chapitre héroïque de l’histoire de la classe ouvrière hongroise s’achevait avec l’entrée de l’armée blanche roumaine dans Budapest. Une victoire du prolétariat hongrois aurait signifié la fin de l’isolement de la République ouvrière de Russie.
    
La brève expérience de la République des conseils de Bavière, du 7 avril au 1er mai 1919, indiquait que la vague de la révolution s’étendait vers l’ouest, d’une façon qui semblait à l’époque inéluctable. Si l’État ouvrier hongrois avait réussi à se maintenir à peine quelques mois de plus, les flammes de la révolution auraient embrasé Vienne et Berlin, où la classe ouvrière était déjà dans un état de fermentation révolutionnaire.
 
La brève expérience de la République des conseils de Bavière, du 7 avril au 1er mai 1919, indiquait que la vague de la révolution s’étendait vers l’ouest, d’une façon qui semblait à l’époque inéluctable. Si l’État ouvrier hongrois avait réussi à se maintenir à peine quelques mois de plus, les flammes de la révolution auraient embrasé Vienne et Berlin, où la classe ouvrière était déjà dans un état de fermentation révolutionnaire.
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La situation explosive des campagnes hongroises à la fin du XIXe siècle est parfaitement illustrée par un rapport officiel de la puissante association des propriétaires terriens, l’OMGE, écrit en 1894 :
 
La situation explosive des campagnes hongroises à la fin du XIXe siècle est parfaitement illustrée par un rapport officiel de la puissante association des propriétaires terriens, l’OMGE, écrit en 1894 :
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<blockquote>«&nbsp;''La population de la grande plaine se divise entre régisseurs, paysans riches et prolétaires agraires, chaque catégorie vivant isolée des autres, et se haïssant mutuellement. Les régisseurs voient les districts agricoles hongrois comme des colonies, et considèrent leur travail comme un service colonial. Tandis que les paysans riches vivent dans un conservatisme routinier et invariable, les travailleurs se rappellent les grandes révolutions de l’histoire et regardent l’avenir sans aucun espoir. Malgré cela, leurs ambitions révolutionnaires sont toujours vivaces.''&nbsp;»</blockquote>
«&nbsp;''La population de la grande plaine se divise entre régisseurs, paysans riches et prolétaires agraires, chaque catégorie vivant isolée des autres, et se haïssant mutuellement. Les régisseurs voient les districts agricoles hongrois comme des colonies, et considèrent leur travail comme un service colonial. Tandis que les paysans riches vivent dans un conservatisme routinier et invariable, les travailleurs se rappellent les grandes révolutions de l’histoire et regardent l’avenir sans aucun espoir. Malgré cela, leurs ambitions révolutionnaires sont toujours vivaces.''&nbsp;»
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Les bureaucrates qui écrivirent ce rapport ne se trompaient pas. Une vague de grève des laboureurs submergea le pays dans les premières années du siècle, menant souvent à de véritables batailles rangées avec la police. Ces grèves culminèrent en 1905 lorsque 10.000 travailleurs domaniaux firent grève, puis en 1906 avec un mouvement de grève qui mobilisa 100.000 «&nbsp;laboureurs libres&nbsp;» et qui ne fut brisée que par la mobilisation forcée de tous les grévistes dans l’armée. Le seul moyen d’échapper à cette effroyable misère était l’émigration. Entre 1891 et 1914, près de deux millions de Hongrois – 80&nbsp;% d’entre eux étant des paysans pauvres – quittèrent le pays, s’entassant comme du bétail dans des bateaux pour les États-Unis.
 
Les bureaucrates qui écrivirent ce rapport ne se trompaient pas. Une vague de grève des laboureurs submergea le pays dans les premières années du siècle, menant souvent à de véritables batailles rangées avec la police. Ces grèves culminèrent en 1905 lorsque 10.000 travailleurs domaniaux firent grève, puis en 1906 avec un mouvement de grève qui mobilisa 100.000 «&nbsp;laboureurs libres&nbsp;» et qui ne fut brisée que par la mobilisation forcée de tous les grévistes dans l’armée. Le seul moyen d’échapper à cette effroyable misère était l’émigration. Entre 1891 et 1914, près de deux millions de Hongrois – 80&nbsp;% d’entre eux étant des paysans pauvres – quittèrent le pays, s’entassant comme du bétail dans des bateaux pour les États-Unis.
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La profondeur de la poussée révolutionnaire se révèle dans la participation des franges les moins éduquées et les plus inertes parmi les opprimés. Parmi celles-ci se trouvent les ouvrières, dont le rôle héroïque dans ce mouvement est démontré par une circulaire secrète du Ministère de la Guerre, datée du 3 mai 1918&nbsp;:
 
La profondeur de la poussée révolutionnaire se révèle dans la participation des franges les moins éduquées et les plus inertes parmi les opprimés. Parmi celles-ci se trouvent les ouvrières, dont le rôle héroïque dans ce mouvement est démontré par une circulaire secrète du Ministère de la Guerre, datée du 3 mai 1918&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;''Les ouvrières ne se contentaient pas de désorganiser les usines en interrompant la production, elles allaient jusqu’à faire des discours incendiaires et participaient aux démonstrations, marchant dans les premiers rangs, portant leurs bébés dans leurs bras et se comportant de façon insultante envers les représentants de la loi.''&nbsp;»</blockquote>
«&nbsp;''Les ouvrières ne se contentaient pas de désorganiser les usines en interrompant la production, elles allaient jusqu’à faire des discours incendiaires et participaient aux démonstrations, marchant dans les premiers rangs, portant leurs bébés dans leurs bras et se comportant de façon insultante envers les représentants de la loi.''&nbsp;»
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Le 20 juin 1918, une nouvelle grève éclata après que des ouvriers aient été abattus. Des «&nbsp;soviets&nbsp;», ou conseils ouvriers, furent formés afin de combattre pour les revendications ouvrières&nbsp;: la paix, le suffrage universel, et le passage du pouvoir aux soviets. La grève s’étendit rapidement de Budapest aux autres centres industriels. À nouveau le mouvement fut stoppé par les dirigeants sociaux-démocrates au bout de 10 jours.
 
Le 20 juin 1918, une nouvelle grève éclata après que des ouvriers aient été abattus. Des «&nbsp;soviets&nbsp;», ou conseils ouvriers, furent formés afin de combattre pour les revendications ouvrières&nbsp;: la paix, le suffrage universel, et le passage du pouvoir aux soviets. La grève s’étendit rapidement de Budapest aux autres centres industriels. À nouveau le mouvement fut stoppé par les dirigeants sociaux-démocrates au bout de 10 jours.
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Dans une tentative de pacifier les masses, le gouvernement Karolyi mit sur pied un projet de réforme agraire qui prévoyait de distribuer aux ouvriers agricoles les domaines excédant 500 acres, les propriétaires devant être indemnisés par le gouvernement.
 
Dans une tentative de pacifier les masses, le gouvernement Karolyi mit sur pied un projet de réforme agraire qui prévoyait de distribuer aux ouvriers agricoles les domaines excédant 500 acres, les propriétaires devant être indemnisés par le gouvernement.
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Karolyi, lui-même propriétaire terrien, distribua son domaine aux paysans. Mais son exemple ne fut pas suivi par le reste de sa classe. Comme les autres mesures de son gouvernement, la réforme agraire resta sur le papier. De la même façon que pour la question agraire, la démocratie bourgeoise hongroise n’avait aucune solution à proposer pour celle des nationalités opprimées. Comme Karolyi lui-même s’en plaignit plus tard&nbsp;:  
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Karolyi, lui-même propriétaire terrien, distribua son domaine aux paysans. Mais son exemple ne fut pas suivi par le reste de sa classe. Comme les autres mesures de son gouvernement, la réforme agraire resta sur le papier. De la même façon que pour la question agraire, la démocratie bourgeoise hongroise n’avait aucune solution à proposer pour celle des nationalités opprimées. Comme Karolyi lui-même s’en plaignit plus tard&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;''La situation avait alors radicalement changé, et ce qui aurait été vu comme une offre extrêmement libérale apparaissait alors comme anachronique. Les minorités d’hier se voyaient avec raison comme les vainqueurs de demain, et se refusaient à envisager toute solution au sein de la Couronne de Saint-Étienne, dont le simple nom était pour eux une offense.''&nbsp;»</blockquote>
«&nbsp;''La situation avait alors radicalement changé, et ce qui aurait été vu comme une offre extrêmement libérale apparaissait alors comme anachronique. Les minorités d’hier se voyaient avec raison comme les vainqueurs de demain, et se refusaient à envisager toute solution au sein de la Couronne de Saint-Étienne, dont le simple nom était pour eux une offense.''&nbsp;»
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«&nbsp;Trop peu et trop tard&nbsp;» serait une parfaite épitaphe pour l’infortunée démocratie bourgeoise de Hongrie, qui arriva au pouvoir alors que l’histoire avait déjà placé à l’ordre du jour la révolution prolétarienne comme seule solution pour résoudre les problèmes auxquels la bourgeoisie était incapable de s’attaquer. Et au mécontentement croissant à l’intérieur du pays s’ajoutait maintenant une nouvelle menace depuis l’extérieur.
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«&nbsp;Trop peu et trop tard&nbsp;» serait une parfaite épitaphe pour l’infortunée démocratie bourgeoise de Hongrie, qui arriva au pouvoir alors que l’histoire avait déjà placé à l’ordre du jour la révolution prolétarienne comme seule solution pour résoudre les problèmes auxquels la bourgeoisie était incapable de s’attaquer. Et au mécontentement croissant à l’intérieur du pays s’ajoutait maintenant une nouvelle menace depuis l’extérieur.  
      
== La chute de Karolyi ==
 
== La chute de Karolyi ==
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Comme Lénine le fit remarquer&nbsp;:
 
Comme Lénine le fit remarquer&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;''La bourgeoisie hongroise accepta de renoncer volontairement au pouvoir, et reconnut que le seul qui put guider la nation dans un moment de crise était le pouvoir soviétique.''&nbsp;» (''Œuvres'', vol. 29, p. 270 [édition Anglaise])</blockquote>
«&nbsp;''La bourgeoisie hongroise accepta de renoncer volontairement au pouvoir, et reconnut que le seul qui put guider la nation dans un moment de crise était le pouvoir soviétique.''&nbsp;» (''Œuvres'', vol. 29, p. 270 [édition Anglaise])
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La cause immédiate de la chute du gouvernement Karolyi fut l’ultimatum du 20 mars 1919 présenté par les alliés au régime de Karolyi demandant que la Hongrie accepte une nouvelle ligne de démarcation. Au moment de l’Armistice, quelques mois plus tôt, la Hongrie avait déjà accepté une humiliante perte de territoires. Maintenant, les Alliés pillards rassemblés à Paris demandaient l’abandon de territoires occupés par près de deux millions de hongrois.
 
La cause immédiate de la chute du gouvernement Karolyi fut l’ultimatum du 20 mars 1919 présenté par les alliés au régime de Karolyi demandant que la Hongrie accepte une nouvelle ligne de démarcation. Au moment de l’Armistice, quelques mois plus tôt, la Hongrie avait déjà accepté une humiliante perte de territoires. Maintenant, les Alliés pillards rassemblés à Paris demandaient l’abandon de territoires occupés par près de deux millions de hongrois.
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Malgré le manque d’informations, et distance géographique le séparant des événements de Hongrie, Lénine sentit immédiatement le danger de la manœuvre&nbsp;:
 
Malgré le manque d’informations, et distance géographique le séparant des événements de Hongrie, Lénine sentit immédiatement le danger de la manœuvre&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;''La première communication que nous avons reçue à ce sujet [l’unification – NDA] nous a donnée quelques raisons de craindre que, les soi-disant socialistes, sociaux-traîtres, ont peut-être prévu de manipuler les communistes, profitant que ces derniers se trouvaient en prison.''&nbsp;» (''Œuvres'', Vol. 29 P.242)</blockquote>
«&nbsp;''La première communication que nous avons reçue à ce sujet [l’unification – NDA] nous a donnée quelques raisons de craindre que, les soi-disant socialistes, sociaux-traîtres, ont peut-être prévu de manipuler les communistes, profitant que ces derniers se trouvaient en prison.''&nbsp;» (''Œuvres'', Vol. 29 P.242)
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Dans un télégramme radio à Béla Kun, Lénine exprima ainsi ses doutes sur la pertinence d’une unification&nbsp;:
 
Dans un télégramme radio à Béla Kun, Lénine exprima ainsi ses doutes sur la pertinence d’une unification&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;''Veuillez nous informer des garanties concrètes que vous avez sur le fait que le nouveau gouvernement sera réellement communiste, et pas simplement socialiste, ce qui signifierait un gouvernement de sociaux-traîtres&nbsp;? Les communistes sont-ils majoritaires dans le gouvernement&nbsp;? Quand se tiendra le congrès des soviets&nbsp;? En quoi consiste réellement la reconnaissance par les socialistes de la dictature du prolétariat&nbsp;?<br/>Il ne fait aucun doute que la simple application en détail de nos tactiques russes dans les conditions particulières de la révolution hongroise serait une erreur. Je dois vous prévenir contre ces erreurs, mais je voudrais savoir en quoi consistent vos garanties.''&nbsp;» (''Œuvres'', édition russe, Vol. 29 P.203)</blockquote>
«&nbsp;''Veuillez nous informer des garanties concrètes que vous avez sur le fait que le nouveau gouvernement sera réellement communiste, et pas simplement socialiste, ce qui signifierait un gouvernement de sociaux-traîtres&nbsp;? Les communistes sont-ils majoritaires dans le gouvernement&nbsp;? Quand se tiendra le congrès des soviets&nbsp;? En quoi consiste réellement la reconnaissance par les socialistes de la dictature du prolétariat&nbsp;?<br/>Il ne fait aucun doute que la simple application en détail de nos tactiques russes dans les conditions particulières de la révolution hongroise serait une erreur. Je dois vous prévenir contre ces erreurs, mais je voudrais savoir en quoi consistent vos garanties.''&nbsp;» (''Œuvres'', édition russe, Vol. 29 P.203)
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</blockquote>
   
Béla Kun répondit aux questions de Lénine de façon rassurante, mais Lénine n’était pas convaincu pour autant. Lors du premier congrès de l’Internationale Communiste qui se tint peu de temps après la révolution hongroise, il avertit le communiste hongrois Laszlo Rudas&nbsp;:
 
Béla Kun répondit aux questions de Lénine de façon rassurante, mais Lénine n’était pas convaincu pour autant. Lors du premier congrès de l’Internationale Communiste qui se tint peu de temps après la révolution hongroise, il avertit le communiste hongrois Laszlo Rudas&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;''Je considère cette unification comme dangereuse. Il aurait été préférable de former un bloc dans lequel chaque parti aurait préservé son indépendance. De cette façon, les communistes seraient apparus auprès des masses comme un parti indépendant. Ils auraient pu augmenter leurs forces jour après jour, et au cas où, si les sociaux-démocrates n’avaient pas rempli leurs devoirs révolutionnaires, les choses auraient pu aboutir à la rupture.''&nbsp;» (''Szabad Nep'', 21 janvier 1919)<br/></blockquote>
«&nbsp;''Je considère cette unification comme dangereuse. Il aurait été préférable de former un bloc dans lequel chaque parti aurait préservé son indépendance. De cette façon, les communistes seraient apparus auprès des masses comme un parti indépendant. Ils auraient pu augmenter leurs forces jour après jour, et au cas où, si les sociaux-démocrates n’avaient pas rempli leurs devoirs révolutionnaires, les choses auraient pu aboutir à la rupture.''&nbsp;» (''Szabad Nep'', 21 janvier 1949)
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Les avertissements de Lénine aux communistes hongrois n’avaient rien de commun avec une intransigeance sectaire et stérile. En fait, Lénine défendait l’idée d’une unification, à condition qu’elle soit correctement menée sur un programme clairement révolutionnaire et à l’exclusion de tous les vieux dirigeants de droite. L’erreur n’était pas dans la recherche de l’unification avec les sociaux-démocrates, mais dans le mélange confus des drapeaux et des programmes.
 
Les avertissements de Lénine aux communistes hongrois n’avaient rien de commun avec une intransigeance sectaire et stérile. En fait, Lénine défendait l’idée d’une unification, à condition qu’elle soit correctement menée sur un programme clairement révolutionnaire et à l’exclusion de tous les vieux dirigeants de droite. L’erreur n’était pas dans la recherche de l’unification avec les sociaux-démocrates, mais dans le mélange confus des drapeaux et des programmes.
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Béla Kun et ses compagnons portaient sur la question paysanne un regard «&nbsp;économique&nbsp;», au sens le plus étroit du terme. Ils n’avaient pas compris la nature dialectique des relations entre le prolétariat et la paysannerie. Ils regardaient avec méfiance la politique de distribution de la terre aux paysans mise en place par les bolcheviques russes&nbsp;; celle-ci, à court terme, renforçait le développement de la petite propriété au sein du village, mais elle réussit à galvaniser les masses de paysans pauvres en les rassemblant autour de la bannière de la révolution socialiste. Après la défaite de la révolution, Béla Kun écrivit&nbsp;:
 
Béla Kun et ses compagnons portaient sur la question paysanne un regard «&nbsp;économique&nbsp;», au sens le plus étroit du terme. Ils n’avaient pas compris la nature dialectique des relations entre le prolétariat et la paysannerie. Ils regardaient avec méfiance la politique de distribution de la terre aux paysans mise en place par les bolcheviques russes&nbsp;; celle-ci, à court terme, renforçait le développement de la petite propriété au sein du village, mais elle réussit à galvaniser les masses de paysans pauvres en les rassemblant autour de la bannière de la révolution socialiste. Après la défaite de la révolution, Béla Kun écrivit&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;''Tibor [Szamuely] et moi croyions alors que notre politique agraire était plus intelligente que celle des bolcheviques, car au lieu de partager les grands domaines entre les paysans, nous les avions fait passer à la production socialiste en nous appuyant sur les ouvriers agricoles sans les transformer en ennemis du prolétariat, ce qui serait arrivé si nous les avions fait accéder au statut de propriétaires terriens.''&nbsp;»</blockquote>
«&nbsp;''Tibor [Szamuely] et moi croyions alors que notre politique agraire était plus intelligente que celle des bolcheviques, car au lieu de partager les grands domaines entre les paysans, nous les avions fait passer à la production socialiste en nous appuyant sur les ouvriers agricoles sans les transformer en ennemis du prolétariat, ce qui serait arrivé si nous les avions fait accéder au statut de propriétaires terriens.''&nbsp;»
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L’impatience des dirigeants du PC hongrois les conduisit à exagérer et à idéaliser les éléments de «&nbsp;conscience socialiste&nbsp;» au sein de la paysannerie hongroise, comme les Narodniks russes l’avaient fait au siècle précédent. Tibor Szamuely retransmit ces illusions, au cours d’un meeting qui se tint en Russie en mai 1919, dans un discours qui fut reproduit dans les ''Izvestia'' du 5 mai&nbsp;:
 
L’impatience des dirigeants du PC hongrois les conduisit à exagérer et à idéaliser les éléments de «&nbsp;conscience socialiste&nbsp;» au sein de la paysannerie hongroise, comme les Narodniks russes l’avaient fait au siècle précédent. Tibor Szamuely retransmit ces illusions, au cours d’un meeting qui se tint en Russie en mai 1919, dans un discours qui fut reproduit dans les ''Izvestia'' du 5 mai&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;''L’idée d’organiser des communes rencontre la plus grande sympathie. Il n’y a pas de groupes au sein de la paysannerie hongroise qui pourrait s’y opposer.''&nbsp;»</blockquote>
«&nbsp;''L’idée d’organiser des communes rencontre la plus grande sympathie. Il n’y a pas de groupes au sein de la paysannerie hongroise qui pourrait s’y opposer.''&nbsp;»
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== «&nbsp;Le socialisme maintenant&nbsp;!&nbsp;» ==
 
== «&nbsp;Le socialisme maintenant&nbsp;!&nbsp;» ==
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La position des dirigeants sociaux-démocrates sur cette question n’était pas meilleure, mais pire que celle de Béla Kun. ''Nepszava'', le journal du parti unifié, contrôlé par les sociaux-démocrates, écrivait le 6 juin 1919&nbsp;:
 
La position des dirigeants sociaux-démocrates sur cette question n’était pas meilleure, mais pire que celle de Béla Kun. ''Nepszava'', le journal du parti unifié, contrôlé par les sociaux-démocrates, écrivait le 6 juin 1919&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;''Nous pouvons nous réjouir de la solution donnée au problème agraire… Nous pouvons régler la question grâce à une circonstance favorable. [!] Dans notre pays, la production socialiste dans l’agriculture n’est pas une utopie. Une bonne part des terres cultivées est déjà passée à la production collective.''&nbsp;»</blockquote>
«&nbsp;''Nous pouvons nous réjouir de la solution donnée au problème agraire… Nous pouvons régler la question grâce à une circonstance favorable. [!] Dans notre pays, la production socialiste dans l’agriculture n’est pas une utopie. Une bonne part des terres cultivées est déjà passée à la production collective.''&nbsp;»
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En fait, ces bureaucrates conservateurs étaient terrifiés par toute forme d’initiative venant des masses. Pour eux, les idées avancées par Marx et Engels, puis mises en pratique par les bolcheviques, d’une «&nbsp;seconde édition de la Guerre des Paysans&nbsp;» comme auxiliaire de la révolution prolétarienne, étaient une hérésie. Se cachant derrière les dirigeants communistes, ils soutinrent la collectivisation, certes pas par enthousiasme révolutionnaire, mais pour éviter tout «&nbsp;désordre&nbsp;» dans les villages.
 
En fait, ces bureaucrates conservateurs étaient terrifiés par toute forme d’initiative venant des masses. Pour eux, les idées avancées par Marx et Engels, puis mises en pratique par les bolcheviques, d’une «&nbsp;seconde édition de la Guerre des Paysans&nbsp;» comme auxiliaire de la révolution prolétarienne, étaient une hérésie. Se cachant derrière les dirigeants communistes, ils soutinrent la collectivisation, certes pas par enthousiasme révolutionnaire, mais pour éviter tout «&nbsp;désordre&nbsp;» dans les villages.
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Beaucoup de temps était gaspillé en parades, discours et célébrations. Alors que les forces de la réaction s’organisaient aux frontières ainsi qu’à l’intérieur du pays, les ministres se consacraient à mille et un projets culturels. Lénine se sentit obligé de se plaindre à Laszlo Rudas de la légèreté des dirigeants communistes hongrois&nbsp;:
 
Beaucoup de temps était gaspillé en parades, discours et célébrations. Alors que les forces de la réaction s’organisaient aux frontières ainsi qu’à l’intérieur du pays, les ministres se consacraient à mille et un projets culturels. Lénine se sentit obligé de se plaindre à Laszlo Rudas de la légèreté des dirigeants communistes hongrois&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;''Quelle sorte de dictature [du prolétariat] avez-vous, qui socialise les théâtres et les compagnies de musique&nbsp;? Pensez-vous vraiment que ce soit la tache la plus importante du moment&nbsp;?''&nbsp;» (''Szabad Nep'', 21 janvier 1919)<br/></blockquote>
«&nbsp;''Quelle sorte de dictature [du prolétariat] avez-vous, qui socialise les théâtres et les compagnies de musique&nbsp;? Pensez-vous vraiment que ce soit la tache la plus importante du moment&nbsp;?''&nbsp;» (''Szabad Nep'', 21 janvier 1949)
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La république soviétique hongroise, ayant conquis le pouvoir avec tant de facilité, se retrouvait maintenant en position de faiblesse pour résister à l’assaut de la réaction. Le gouvernement en lui-même se composait de 13 membres, sur lesquels seulement quatre étaient communistes. Ils imitèrent toutes les formes extérieures de la révolution russe (alors même que Lénine le leur avait déconseillé), y compris la création d’une inspection paysanne, et jusqu’à la nomination de Lénine «&nbsp;Président honoraire&nbsp;» du Soviet de Budapest&nbsp;! Par contre, l’Armée Rouge, établie par décret le 30 mars, n’était en fait que l’ancienne armée sous un nouveau nom, placée sous le contrôle du social-démocrate Pogany et dirigée par des officiers de l’ancien régime. La plupart des commissaires attachés à l’armée étaient des sociaux-démocrates, y compris le commissaire en chef, Moor.
 
La république soviétique hongroise, ayant conquis le pouvoir avec tant de facilité, se retrouvait maintenant en position de faiblesse pour résister à l’assaut de la réaction. Le gouvernement en lui-même se composait de 13 membres, sur lesquels seulement quatre étaient communistes. Ils imitèrent toutes les formes extérieures de la révolution russe (alors même que Lénine le leur avait déconseillé), y compris la création d’une inspection paysanne, et jusqu’à la nomination de Lénine «&nbsp;Président honoraire&nbsp;» du Soviet de Budapest&nbsp;! Par contre, l’Armée Rouge, établie par décret le 30 mars, n’était en fait que l’ancienne armée sous un nouveau nom, placée sous le contrôle du social-démocrate Pogany et dirigée par des officiers de l’ancien régime. La plupart des commissaires attachés à l’armée étaient des sociaux-démocrates, y compris le commissaire en chef, Moor.
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Il y a des moments psychologiquement décisifs dans l’histoire d’une révolution, comme dans une grève. L’abandon sans combats de positions durement conquises eut un effet désastreux sur l’Armée Rouge. L’infortunée République soviétique slovaque fut abandonnée aux mains de ses ennemis. Le moral des ouvriers et des paysans reçut un coup terrible. Lénine avait prévenu du danger des illusions sur la «&nbsp;bonne foi&nbsp;» des Alliés, et la révolution hongroise était tombée dans le piège la tête en avant. Comme Béla Kun l’admit plus tard&nbsp;:
 
Il y a des moments psychologiquement décisifs dans l’histoire d’une révolution, comme dans une grève. L’abandon sans combats de positions durement conquises eut un effet désastreux sur l’Armée Rouge. L’infortunée République soviétique slovaque fut abandonnée aux mains de ses ennemis. Le moral des ouvriers et des paysans reçut un coup terrible. Lénine avait prévenu du danger des illusions sur la «&nbsp;bonne foi&nbsp;» des Alliés, et la révolution hongroise était tombée dans le piège la tête en avant. Comme Béla Kun l’admit plus tard&nbsp;:
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<blockquote>«&nbsp;''Nous ne répondîmes pas aux manœuvres de Clémenceau par des contres-manœuvres. Nous ne nous efforçâmes pas de gagner du temps en faisant traîner les négociations. Nous n’avons même pas essayé de leur demander des négociations, mais avons fait tout ce qu’ils nous demandaient, sans garanties de leur part, et sans prendre en compte la possibilité d’une désintégration de l’armée dans le cas d’une retraite.''&nbsp;»</blockquote>
«&nbsp;''Nous ne répondîmes pas aux manœuvres de Clémenceau par des contres-manœuvres. Nous ne nous efforçâmes pas de gagner du temps en faisant traîner les négociations. Nous n’avons même pas essayé de leur demander des négociations, mais avons fait tout ce qu’ils nous demandaient, sans garanties de leur part, et sans prendre en compte la possibilité d’une désintégration de l’armée dans le cas d’une retraite.''&nbsp;»
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== Le règne de la terreur ==
 
== Le règne de la terreur ==
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Alan Woods, ''[http://www.lariposte.com/La-Republique-sovietique-hongroise.html La République soviétique hongroise de 1919 - La révolution oubliée]'', 12 novembre 1979
 
Alan Woods, ''[http://www.lariposte.com/La-Republique-sovietique-hongroise.html La République soviétique hongroise de 1919 - La révolution oubliée]'', 12 novembre 1979
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