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===Historiographie ultérieure===
 
===Historiographie ultérieure===
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Le développement de l’historiographie universitaire dès la fin du XIX<sup>e</sup> siècle a produit une masse énorme d’études sous toutes les coutures des «&nbsp;révolutions bourgeoises&nbsp;», et en général de la transition de l’Ancien Régime, depuis le Moyen Age, jusqu’à la société capitaliste et aux «&nbsp;démocraties modernes&nbsp;» qui caractérisent les pays capitalistes, ou plus précisément les pays impérialistes d’Europe occidentale, d’Amérique du Nord, du Japon.
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Le développement de l’historiographie universitaire dès la fin du 19<sup>e</sup> siècle a produit une masse énorme d’études sous toutes les coutures des «&nbsp;révolutions bourgeoises&nbsp;», et en général de la transition de l’Ancien Régime, depuis le Moyen Age, jusqu’à la société capitaliste et aux «&nbsp;démocraties modernes&nbsp;» qui caractérisent les pays capitalistes, ou plus précisément les pays impérialistes d’Europe occidentale, d’Amérique du Nord, du Japon.
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Au sein de cette nouvelle historiographie universitaire l’interprétation marxiste des révolutions bourgeoises peut s’enorgueillir depuis la Deuxième Guerre mondiale de plusieurs apports scientifiques imposants, ceux de [[Georges_Lefèbvre|Georges Lefèbvre]], [[Albert_Soboul|Albert Soboul]], [[George_Rudé|George Rudé]] dans l’étude de la révolution française, ceux de [[Christopher_Hill|Christopher Hill]] ou [[Brian_Manning|Brian Manning]] dans l’étude de la révolution anglaise.
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Au sein de cette nouvelle historiographie universitaire l’interprétation marxiste des révolutions bourgeoises peut s’enorgueillir depuis la [[Deuxième Guerre mondiale]] de plusieurs apports scientifiques imposants, ceux de [[w:Georges Lefèbvre|Georges Lefèbvre]], [[w:Albert Soboul|Albert Soboul]], [[wen:George Rudé|George Rudé]] dans l’étude de la révolution française, ceux de [[w:Christopher Hill (historien)|Christopher Hill]] ou [[wen:Brian Manning (historian)|Brian Manning]] dans l’étude de la révolution anglaise.
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Même au sein de la pensée dominante, un certain nombre d'auteurs ont été influencés par la notion marxiste de révolution bourgeoise. Une des tendances a été de nier le caractère bourgeois, pour globalement parler de révolutions anti-monarchistes, ayant abouti à des sociétés "démocratiques".
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Même au sein de la pensée dominante, un certain nombre d'auteurs ont été influencés par la notion marxiste de révolution bourgeoise. Une des tendances a été de nier le caractère bourgeois, pour globalement parler de révolutions anti-monarchistes, ayant abouti à des sociétés "démocratiques". Une autre tendance, celle de l'histoire de la longue durée, a été de minimiser l'importance d'un événement ponctuel comme une révolution (cf. plus bas).
 
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Une autre tendance a été de considérer que les événements (guerres, révoltes...) n'ont pas d'importance, toute l'évolution historique se faisant graduellement. L’histoire sociale de la longue durée, elle-même issue de l’histoire des faits économiques, de l’histoire de la vie quotidienne, des relations sociales de la masse des habitants, des mentalités, a corrigé à juste titre l’histoire faite de saints et de martyrs, de rois, de reines, de généraux, de présidents, d’assassinats et de grandes batailles, qu’on enseignait il n’y a pas si longtemps. Mais jetant le bébé avec l’eau du bain, l’histoire sociale de la longue durée a paru délégitimer toute histoire politique, et en particulier toute histoire des révolutions. Quelle importance ont ces crises brèves durant cinq, dix, vingt ans, en regard des longues permanences matérielles&nbsp;? Or une bonne compréhension historique rend nécessaire un mariage équilibré de l’histoire sociale de la longue durée et de l’histoire politique. C’est ici le lieu de rappeler qu’une œuvre aussi fondatrice de l’École des Annales, le Philippe II et la Franche-Comté de Lucien Febvre, paru en 1912, n’est pas seulement une étude de la vie économique, sociale et morale de la Franche-Comté au 16<sup>e</sup> siècle. C’est aussi une étude de l’impact de la révolution des Pays-Bas dans une province qui leur était rattachée, et la description des luttes politiques qui en quelques années y ont modernisé les institutions de l’absolutisme.
      
En Angleterre, une polémique au sujet de l'interprétation de la révolution anglaise a cours depuis longtemps.&nbsp;En France, une polémique analogue se développe à propos de la révolution française depuis un peu plus récemment.
 
En Angleterre, une polémique au sujet de l'interprétation de la révolution anglaise a cours depuis longtemps.&nbsp;En France, une polémique analogue se développe à propos de la révolution française depuis un peu plus récemment.
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Parmi les critiques revenant le plus souvent dans les ouvrages de ces dernières années, on peut citer&nbsp;:
 
Parmi les critiques revenant le plus souvent dans les ouvrages de ces dernières années, on peut citer&nbsp;:
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1) Le capitalisme s’est développé graduellement au sein de la société d’Ancien Régime et a progressivement éliminé le féodalisme proprement dit&nbsp;; mais ni la révolution anglaise de 1640-1660, ni la révolution française de 1789-1815 n’ont eu de lien de causalité direct avec cette évolution graduelle.
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1) Le capitalisme s’est développé graduellement au sein de la société d’[[Ancien Régime]] et a progressivement éliminé le [[féodalisme]] proprement dit&nbsp;; mais ni la [[Première révolution anglaise|révolution anglaise de 1640-1660]], ni la [[Révolution française|révolution française de 1789-1815]] n’ont eu de lien de causalité direct avec cette évolution graduelle.
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2) Les institutions de la démocratie «&nbsp;bourgeoise&nbsp;» ont été obtenues, respectivement concédées, au travers de luttes politiques, et non sociales, par pièces et morceaux, en Angleterre à partir de la réforme parlementaire de 1832 et en France à partir de la Charte du 4 juin 1814 et surtout des trois journées de la «&nbsp;révolution&nbsp;» de juillet 1830.
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2) Les institutions de la démocratie «&nbsp;bourgeoise&nbsp;» ont été obtenues, respectivement concédées, au travers de luttes politiques, et non sociales, par pièces et morceaux, en Angleterre à partir de la [[w:Reform Act 1832|réforme parlementaire de 1832]] et en France à partir de la Charte du 4 juin 1814 et surtout des trois journées de la «&nbsp;révolution&nbsp;» de juillet 1830.
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3) Les révolutions anglaise de 1640-1660 et française de 1789-1815 furent des explosions confuses provoquées par des causes fortuites, différentes dans les deux cas. Dans ces explosions tous les acteurs improvisèrent tant bien que mal, plutôt mal que bien. Les marxistes réunissent, sous le concept de «&nbsp;révolution bourgeoise&nbsp;» des événements totalement dissemblables. Ils manipulent la vérité historique pour les faire entrer dans la même camisole de force conceptuelle.
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3) Les révolutions anglaise de 1640-1660 et française de 1789-1815 furent des explosions confuses provoquées par des causes fortuites, différentes dans les deux cas. Dans ces explosions tous les acteurs improvisèrent tant bien que mal, plutôt mal que bien. Les marxistes réunissent, sous le concept de «&nbsp;révolution bourgeoise&nbsp;» des événements totalement dissemblables.
    
4) Les projets de transformations démocratiques radicaux que ces révolutions virent expérimenter, loin d’être l’expression de besoins nécessaires de couches ou classes montantes, furent l’expression de l’idéal commun, strictement politique, de partis réunissant des personnes d’origines sociales les plus diverses.
 
4) Les projets de transformations démocratiques radicaux que ces révolutions virent expérimenter, loin d’être l’expression de besoins nécessaires de couches ou classes montantes, furent l’expression de l’idéal commun, strictement politique, de partis réunissant des personnes d’origines sociales les plus diverses.
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5) Loin d’être anti-féodale ou anti-absolutiste, et encore moins révolutionnaire, la bourgeoisie d’Ancien Régime était profondément intégrée à la société d’Ancien Régime, par l’achat de terres, qui plus est de seigneuries, l’anoblissement, les offices petits et grands dans la bureaucratie royale, le financement des emprunts royaux, la ferme des impôts. Loin d’être accoucheuses du capitalisme moderne, ces révolutions virent, tant en Angleterre qu’en France, les bourgeois les plus modernes, fort peu nombreux d’ailleurs, banquiers et grands industriels, se ranger aux côtés des royalistes contre la révolution.
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5) Loin d’être anti-féodale ou anti-absolutiste, et encore moins révolutionnaire, la bourgeoisie d’Ancien Régime était profondément intégrée à la société d’[[Ancien Régime]], par l’achat de terres, qui plus est de seigneuries, l’anoblissement, les offices petits et grands dans la bureaucratie royale, le financement des emprunts royaux, la ferme des impôts. Loin d’être accoucheuses du capitalisme moderne, ces révolutions virent, tant en Angleterre qu’en France, les bourgeois les plus modernes, fort peu nombreux d’ailleurs, banquiers et grands industriels, se ranger aux côtés des royalistes contre la révolution.
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6) Loin de prendre la tête de la nation opprimée, la bourgeoisie s’est vue confrontée violemment à des soulèvements paysans et plébéiens, souvent dirigés plus contre elle que contre la noblesse, et qu’elle réprima cruellement. Loin de vouloir réaliser une réforme agraire favorable aux paysans, elle possédait trop de terres, et en particulier de seigneuries, pour ne pas redouter les revendications anti-féodales de la paysannerie. Les soulèvements paysans furent autonomes et non sous une direction bourgeoise&nbsp;; et aussi souvent dirigés contre le marchand, le banquier ou le grand entrepreneur agricole capitaliste que contre le seigneur ou le collecteur d’impôt royal.
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6) Loin de prendre la tête de la nation opprimée, la bourgeoisie s’est vue confrontée violemment à des soulèvements [[paysans]] et [[plébéiens]], souvent dirigés plus contre elle que contre la [[noblesse]], et qu’elle réprima cruellement. Loin de vouloir réaliser une [[réforme agraire]] favorable aux paysans, elle possédait trop de terres, et en particulier de seigneuries, pour ne pas redouter les revendications anti-féodales de la paysannerie. Les soulèvements paysans furent autonomes et non sous une direction bourgeoise&nbsp;; et aussi souvent dirigés contre le [[marchand]], le [[banquier]] ou le grand [[entrepreneur]] agricole capitaliste que contre le seigneur ou le collecteur d’impôt royal.
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7) Loin de se battre pour des innovations allant dans le sens du libre marché capitaliste, les soulèvements paysans et plébéiens ont mené des luttes défensives pour préserver des institutions du passé minées par le progrès du capitalisme&nbsp;: les communes de villages, les corporations de métiers, par exemple. Les marxistes ont plus d’une fois assimilé les plébéiens urbains d’Ancien Régime, par exemple les sans-culottes, à des prolétaires au sens moderne, à une classe ouvrière, alors que c’était des petits propriétaires, artisans, boutiquiers, aux propriétés parfois loin d’être négligeables.
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7) Loin de se battre pour des innovations allant dans le sens du [[libre marché]] capitaliste, les soulèvements paysans et plébéiens ont mené des luttes défensives pour préserver des institutions du passé minées par le progrès du capitalisme&nbsp;: les communes de villages, les [[corporations]] de métiers, par exemple. Les marxistes ont plus d’une fois assimilé les plébéiens urbains d’Ancien Régime, par exemple les sans-culottes, à des prolétaires au sens moderne, à une classe ouvrière, alors que c’était des petits propriétaires, artisans, boutiquiers, aux propriétés parfois loin d’être négligeables.
    
8) Loin de se faire contre la noblesse «&nbsp;féodale&nbsp;», ces révolutions ont vu des nobles nombreux participer aux soulèvements et partisans de solutions les plus révolutionnaires. Cela montre bien que ce qui est déterminant, ce ne sont pas les «&nbsp;intérêts de classe&nbsp;», mais la séduction d’idées politiques nouvelles.
 
8) Loin de se faire contre la noblesse «&nbsp;féodale&nbsp;», ces révolutions ont vu des nobles nombreux participer aux soulèvements et partisans de solutions les plus révolutionnaires. Cela montre bien que ce qui est déterminant, ce ne sont pas les «&nbsp;intérêts de classe&nbsp;», mais la séduction d’idées politiques nouvelles.
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Mais c’est justement ce réformisme de la bourgeoisie au départ, si timide fût-il, qui fait la différence entre une révolution bourgeoise, et une simple insurrection plébéienne, vite matée dans le sang, comme l’Ancien Régime en connut souvent. Toutes ces révolutions voient à leur déclenchement une mobilisation paysanne ou plébéienne réussir à ébranler l’État [[Absolutiste|absolutiste]] par le fait qu’elle trouve un relais dans ce réformisme bourgeois (ou/et un réformisme nobiliaire&nbsp;!) prêt un moment, dans une certaine mesure, à jouer la carte populaire pour arracher des concessions au roi.
 
Mais c’est justement ce réformisme de la bourgeoisie au départ, si timide fût-il, qui fait la différence entre une révolution bourgeoise, et une simple insurrection plébéienne, vite matée dans le sang, comme l’Ancien Régime en connut souvent. Toutes ces révolutions voient à leur déclenchement une mobilisation paysanne ou plébéienne réussir à ébranler l’État [[Absolutiste|absolutiste]] par le fait qu’elle trouve un relais dans ce réformisme bourgeois (ou/et un réformisme nobiliaire&nbsp;!) prêt un moment, dans une certaine mesure, à jouer la carte populaire pour arracher des concessions au roi.
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Cette question fut utilisée politiquement de différentes façons. Des réformistes ont minimisé l'aspect [[Révolution_populaire|populaire]], se contentant du schéma selon lequel c'est la bourgeoisie qui dirige la révolution bourgeoise, pour mieux justifier un [[Suivisme|suivisme]] de la bourgeoisie dans leur politique immédiate. Ce fut le cas de [[Plékhanov|Plékhanov]], vieux marxiste devenu réactionnaire, qui accusait les [[Bolchéviks|bolchéviks]] de vouloir ''«&nbsp;une révolution bourgeoise sans bourgeoisie&nbsp;»''. [[Lénine|Lénine]]<ref name="DeuxTact" /> et [[Trotski|Trotski]]<ref>Trotski, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1917/08/caractere.htm Le caractère de la révolution russe]'', 22 août 1917</ref> insistaient sur le fait que justement, la bourgeoisie n'était pas [[Classe_révolutionnaire|révolutionnaire]], même pour les tâches démocratiques. Les [[bolchéviks|bolchéviks]] défendirent de 1905 à 1917 l'idée de [[dictature_démocratique_des_ouvriers_et_des_paysans]], tandis que [[Trotski]] parlait de [[révolution_permanente]].
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Cette question fut utilisée politiquement de différentes façons. Des réformistes ont minimisé l'aspect [[Révolution_populaire|populaire]], se contentant du schéma selon lequel c'est la bourgeoisie qui dirige la révolution bourgeoise, pour mieux justifier un [[Suivisme|suivisme]] de la bourgeoisie dans leur politique immédiate. Ce fut le cas de [[Plékhanov|Plékhanov]], vieux marxiste devenu réactionnaire, qui accusait les [[Bolchéviks|bolchéviks]] de vouloir ''«&nbsp;une révolution bourgeoise sans bourgeoisie&nbsp;»''. [[Lénine|Lénine]]<ref name="DeuxTact" /> et [[Trotski|Trotski]]<ref>Trotski, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1917/08/caractere.htm Le caractère de la révolution russe]'', 22 août 1917</ref> insistaient sur le fait que justement, la bourgeoisie n'était pas [[Classe_révolutionnaire|révolutionnaire]], même pour les tâches démocratiques. Les [[bolchéviks|bolchéviks]] défendirent de 1905 à 1917 l'idée de [[dictature démocratique des ouvriers et des paysans]], tandis que [[Trotski]] parlait de [[révolution permanente]].
    
===Problèmes de la révolution anglaise===
 
===Problèmes de la révolution anglaise===
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L'étude de cette révolution est reconnu comme complexe, étant donné qu'elle a en apparence échoué (rétablissement de la monarchie) et qu'elle nous apparaît obscurcie par son manteau religieux. L’œuvre approfondie de l'historien marxiste [[Christopher_Hill|Christopher Hill]] représente un exemple remarquable de science marxiste.
 
L'étude de cette révolution est reconnu comme complexe, étant donné qu'elle a en apparence échoué (rétablissement de la monarchie) et qu'elle nous apparaît obscurcie par son manteau religieux. L’œuvre approfondie de l'historien marxiste [[Christopher_Hill|Christopher Hill]] représente un exemple remarquable de science marxiste.
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[[Edouard_Bernstein|Edouard Bernstein]] décrivait [[Oliver_Cromwell|Cromwell]] comme le leader conscient de la bourgeoisie, interprétation qui ne résiste pas à la critique, mais que Trotski reprend en 1925 dans ''Où va l’Angleterre&nbsp;?''.
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[[Edouard_Bernstein|Edouard Bernstein]] décrivait [[Oliver_Cromwell|Cromwell]] comme le leader conscient de la bourgeoisie, interprétation qui ne résiste pas à la critique, mais que [[Léon Trotski|Trotski]] reprend en 1925 dans ''Où va l’Angleterre&nbsp;?''.
    
===Nature de la terreur jacobine===
 
===Nature de la terreur jacobine===
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[[Marx|Marx]] et [[Engels|Engels]] ont toujours hésité entre une analyse de 1793-1794 comme la dictature du parti le plus conscient et le plus révolutionnaire de la bourgeoisie, les jacobins robespierristes exploitant l’élan sans-culottes, ''«&nbsp;la révolution bourgeoise avec des méthodes plébéiennes&nbsp;»''<span>​</span><ref>K. Marx, ''[https://www.marxists.org/francais/marx/works/1848/12/km18481210.htm La bourgeoisie et la contre-révolution]'', La Nouvelle Gazette Rhénane n° 165, 10 décembre 1848</ref><span>​</span>, ou comme un débordement de la bourgeoisie par les plébéiens dirigés par des intellectuels d’origine bourgeoise ou noble, minoritaires et non représentatifs de la bourgeoisie.
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[[Marx|Marx]] et [[Engels|Engels]] ont toujours hésité entre une analyse de 1793-1794 comme la dictature du parti le plus conscient et le plus révolutionnaire de la bourgeoisie, les [[jacobins]] robespierristes exploitant l’élan [[sans-culotte]], ''«&nbsp;la révolution bourgeoise avec des méthodes plébéiennes&nbsp;»''<span>​</span><ref>K. Marx, ''[https://www.marxists.org/francais/marx/works/1848/12/km18481210.htm La bourgeoisie et la contre-révolution]'', La Nouvelle Gazette Rhénane n° 165, 10 décembre 1848</ref><span>​</span>, ou comme un débordement de la bourgeoisie par les plébéiens dirigés par des intellectuels d’origine bourgeoise ou noble, minoritaires et non représentatifs de la bourgeoisie.
    
===Question agraire===
 
===Question agraire===
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En France, la révolution a morcelé la grande propriété aristocratique pour donner naissance à un océan de petits paysans propriétaires qui a subsisté jusqu’au milieu du 20<sup>e</sup> siècle. En Angleterre, les paysans ont été expulsés massivement après la révolution, assurant la survie jusqu’à nos jours de la grande propriété aristocratique, mais transformée par l’affermage systématique, dès la fin du 17<sup>e</sup> siècle, à des entrepreneurs agricoles capitalistes.
 
En France, la révolution a morcelé la grande propriété aristocratique pour donner naissance à un océan de petits paysans propriétaires qui a subsisté jusqu’au milieu du 20<sup>e</sup> siècle. En Angleterre, les paysans ont été expulsés massivement après la révolution, assurant la survie jusqu’à nos jours de la grande propriété aristocratique, mais transformée par l’affermage systématique, dès la fin du 17<sup>e</sup> siècle, à des entrepreneurs agricoles capitalistes.
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Dans la révolution anglaise de 1640-1660, les paysans ont été battus, dans la révolution française de 1789-1815 les paysans ont été victorieux. Les univers agraires anglais et français en ont été projetés durablement, jusqu’à nos jours, sur deux voies divergentes avec toutes leurs conséquences sur les mentalités et le développement économique du pays&nbsp;: d’un côté l’univers de la petite propriété paysanne française, d’une petite paysannerie propriétaire nombreuse en France jusqu’à ces dernières années. De l’autre côté, l’univers de la grande propriété foncière anglaise, à la fois aristocratique et entrepreneuriale qui marque de ses traits la campagne anglaise aujourd’hui.
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Dans la [[Première révolution anglaise|révolution anglaise de 1640-1660]], les paysans ont été battus, dans la [[Révolution française|révolution française de 1789-1815]] les paysans ont été victorieux. Les univers agraires anglais et français en ont été projetés durablement, jusqu’à nos jours, sur deux voies divergentes avec toutes leurs conséquences sur les mentalités et le développement économique du pays&nbsp;: d’un côté l’univers de la petite propriété paysanne française, d’une petite paysannerie propriétaire nombreuse en France jusqu’à ces dernières années. De l’autre côté, l’univers de la grande [[propriété foncière]] anglaise, à la fois aristocratique et entrepreneuriale qui marque de ses traits la campagne anglaise aujourd’hui.
    
===Crises et histoire sur longue période===
 
===Crises et histoire sur longue période===
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L’histoire sociale de la longue durée, elle-même issue de l’histoire des faits économiques, de l’histoire de la vie quotidienne, des relations sociales de la masse des habitants, des mentalités, a corrigé à juste titre l’histoire faite de saints et de martyrs, de rois, de reines, de généraux, de présidents, d’assassinats et de grandes batailles, qu’on enseignait il n’y a pas si longtemps. Mais jetant le bébé avec l’eau du bain, l’histoire sociale de la longue durée a paru délégitimer toute histoire politique, et en particulier toute histoire des révolutions. Quelle importance ont ces crises brèves durant cinq, dix, vingt ans, en regard des longues permanences matérielles&nbsp;? Or une bonne compréhension historique rend nécessaire un mariage équilibré de l’histoire sociale de la longue durée et de l’histoire politique. C’est ici le lieu de rappeler qu’une œuvre aussi fondatrice de l’École des Annales, le Philippe II et la Franche-Comté de Lucien Febvre, paru en 1912, n’est pas seulement une étude de la vie économique, sociale et morale de la Franche-Comté au 16<sup>e</sup> siècle. C’est aussi une étude de l’impact de la révolution des Pays-Bas dans une province qui leur était rattachée, et la description des luttes politiques qui en quelques années y ont modernisé les institutions de l’absolutisme.
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L’histoire sociale de la longue durée, elle-même issue de l’histoire des faits économiques, de l’histoire de la vie quotidienne, des relations sociales de la masse des habitants, des mentalités, a corrigé à juste titre l’histoire faite de saints et de martyrs, de rois, de reines, de généraux, de présidents, d’assassinats et de grandes batailles, qu’on enseignait il n’y a pas si longtemps. Mais jetant le bébé avec l’eau du bain, l’histoire sociale de la longue durée a paru délégitimer toute histoire politique, et en particulier toute histoire des révolutions. Quelle importance ont ces crises brèves durant cinq, dix, vingt ans, en regard des longues permanences matérielles&nbsp;? Or une bonne compréhension historique rend nécessaire un mariage équilibré de l’histoire sociale de la longue durée et de l’histoire politique. C’est ici le lieu de rappeler qu’une œuvre aussi fondatrice de l’[[École des Annales]], le ''Philippe II et la Franche-Comté'' de [[w:Lucien Febvre|Lucien Febvre]], paru en 1912, n’est pas seulement une étude de la vie économique, sociale et morale de la Franche-Comté au 16<sup>e</sup> siècle. C’est aussi une étude de l’impact de la [[révolution des Pays-Bas]] dans une province qui leur était rattachée, et la description des luttes politiques qui en quelques années y ont modernisé les institutions de l’[[absolutisme]].
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Les longues permanences ou les lentes évolutions de la vie matérielle et morale d’une société pèsent lourd et paraissent diluer dans leurs inerties les conflits d’intérêts, les luttes de classes ou de couches sociales, les polémiques de partis, qui les traversent pourtant. Mais la dilution n’est qu’apparente. Des tensions s’accumulent, lentement, dans un système qui résistant au changement s’en trouve peu modifié de prime abord&nbsp;; mais l’élasticité du corps social a une limite, et cette limite atteinte, le système se bloque, un point de rupture est atteint&nbsp;: les luttes sociales s’amplifient en un brusque paroxysme qui voit toute l’organisation même de la société débattue et remise en question dans la lutte de partis opposés&nbsp;: c’est une révolution. Certes elle n’échappe pas aux grandes pesanteurs matérielles et morales, et tout n’est pas possible. Mais pendant un bref moment de quelques années se joue une lutte pour le pouvoir dont l’issue n’est pas prédéterminée. Un petit nombre d’issues différentes est possible&nbsp;; il y aura des gagnants et des perdants qui ne sont pas fixés d’avance.
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Les longues permanences ou les lentes évolutions de la vie matérielle et morale d’une société pèsent lourd et paraissent diluer dans leurs inerties les conflits d’intérêts, les [[luttes de classes]] ou de couches sociales, les polémiques de [[Partis politiques|partis]], qui les traversent pourtant. Mais la dilution n’est qu’apparente. Des tensions s’accumulent, lentement, dans un système qui résistant au changement s’en trouve peu modifié de prime abord&nbsp;; mais l’élasticité du corps social a une limite, et cette limite atteinte, le système se bloque, un point de rupture est atteint&nbsp;: les luttes sociales s’amplifient en un brusque paroxysme qui voit toute l’organisation même de la société débattue et remise en question dans la lutte de partis opposés&nbsp;: c’est une révolution. Certes elle n’échappe pas aux grandes pesanteurs matérielles et morales, et tout n’est pas possible. Mais pendant un bref moment de quelques années se joue une lutte pour le pouvoir dont l’issue n’est pas prédéterminée. Un petit nombre d’issues différentes est possible&nbsp;; il y aura des gagnants et des perdants qui ne sont pas fixés d’avance.
    
Pendant ce bref moment, l’intensité de la mobilisation des foules, leur perception plus ou moins bonne d’un objectif plus ou moins intelligemment formulé, le courage collectif ou individuel, quelques régiments de plus, de meilleurs canons, un ou deux dirigeants plus habiles, le renfort d’un allié, un subterfuge, peuvent faire toute la différence, Et l’issue de la lutte de créer ensuite de nouvelles réalités matérielles ou morales qui dureront et pèseront dans la durée à leur tour, des institutions, des mentalités qui mêleront leurs permanences et leurs pesanteurs à d’autres plus anciennes.
 
Pendant ce bref moment, l’intensité de la mobilisation des foules, leur perception plus ou moins bonne d’un objectif plus ou moins intelligemment formulé, le courage collectif ou individuel, quelques régiments de plus, de meilleurs canons, un ou deux dirigeants plus habiles, le renfort d’un allié, un subterfuge, peuvent faire toute la différence, Et l’issue de la lutte de créer ensuite de nouvelles réalités matérielles ou morales qui dureront et pèseront dans la durée à leur tour, des institutions, des mentalités qui mêleront leurs permanences et leurs pesanteurs à d’autres plus anciennes.

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