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[[Fichier:Isaac Le Chapelier, législateur de biribi.jpg|vignette|371x371px|[[w:Isaac Le Chapelier|Isaac Le Chapelier]] caricaturé en tant que « législateur de [[w:Biribi (jeu)|biribi]] »]]
La '''loi Le Chapelier''', promulguée pendant la [[Révolution_française|Révolution_française]] le 14 juin 1791, est une loi proscrivant les organisations ouvrières, notamment les [[Corporation_(Ancien_Régime)|corporations]] des métiers, mais également les rassemblements paysans et ouvriers ainsi que le [[Compagnonnage|compagnonnage]].
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La '''loi Le Chapelier''', promulguée pendant la [[Révolution française]] le 14 juin 1791, est une loi proscrivant les organisations ouvrières, notamment les [[Corporation_(Ancien_Régime)|corporations]] des métiers, mais également les rassemblements paysans et ouvriers ainsi que le [[compagnonnage]].
    
Cette loi suit de très près le décret d'Allarde des 2 et 17 mars 1791, tant dans ses objectifs que par leur proximité historique. Elle interdit de fait les grèves et la constitution des syndicats au cours du siècle suivant, mais aussi certaines formes d'entreprises non lucratives comme les mutuelles. [[Marx|Marx]] l'a décrite comme un « coup d’État des bourgeois ».
 
Cette loi suit de très près le décret d'Allarde des 2 et 17 mars 1791, tant dans ses objectifs que par leur proximité historique. Elle interdit de fait les grèves et la constitution des syndicats au cours du siècle suivant, mais aussi certaines formes d'entreprises non lucratives comme les mutuelles. [[Marx|Marx]] l'a décrite comme un « coup d’État des bourgeois ».
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=== Origines ===
 
=== Origines ===
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Connue sous le nom de l'avocat au parlement de Bretagne, puis député patriote aux [[États_généraux_de_1789|États généraux]], [[Isaac_Le_Chapelier|Isaac Le Chapelier]], cette loi proscrit le régime général d'exercice collectif des métiers ouvriers (les [[Corporations|corporations]]), avec toutes les réglementations sociales particulières, et par conséquent le régime de dérogation des [[Manufacture|manufactures]] privilégiées<ref> Les règlements des métiers limitant le nombre de compagnons et d'apprentis que pouvait engager chaque maître, il fallait obtenir des lettres patentes de dérogation pour établir une manufacture, c'est-à-dire un nouveau règlement adapté à la production en grand. Mais dans le faubourg Saint-Antoine, qui bénéficiait depuis 1657 d'un privilège royal permettant de travailler sans lettres de maîtrise ni contrôle des jurés parisiens, s'étaient établies des manufactures sans privilèges qui bénéficiaient d'une extra-territorialité par rapport aux communautés de métier de Paris. Espace de concentration ouvrière, c'est dans ce faubourg qu'a lieu l'un des premiers épisodes de la [[Révolution française]], l'[[affaire Réveillon]], en avril [[1789]].</ref><sup>,</sup><ref>Alain Thillay, ''Le Faubourg Saint-Antoine et ses « faux ouvriers. La Liberté du travail à Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles »'', Paris, Éditions Champ Vallon, 2002, 400 pages, p. 94 {{ISBN|2876733382}}</ref> et d'une façon générale tous les marchés paysans<ref>La vente des produits agricoles, de la viande, du poisson, se faisait en nom collectif dans des halles, sortes de coopératives publiques fonctionnant comme des bourses.</ref>.
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Connue sous le nom de l'avocat au parlement de Bretagne, puis député patriote aux [[États_généraux_de_1789|États généraux]], [[w:Isaac Le Chapelier|Isaac Le Chapelier]], cette loi proscrit le régime général d'exercice collectif des métiers ouvriers (les [[Corporations|corporations]]), avec toutes les réglementations sociales particulières, et par conséquent le régime de dérogation des [[Manufacture|manufactures]] privilégiées<ref> Les règlements des métiers limitant le nombre de compagnons et d'apprentis que pouvait engager chaque maître, il fallait obtenir des lettres patentes de dérogation pour établir une manufacture, c'est-à-dire un nouveau règlement adapté à la production en grand. Mais dans le faubourg Saint-Antoine, qui bénéficiait depuis 1657 d'un privilège royal permettant de travailler sans lettres de maîtrise ni contrôle des jurés parisiens, s'étaient établies des manufactures sans privilèges qui bénéficiaient d'une extra-territorialité par rapport aux communautés de métier de Paris. Espace de concentration ouvrière, c'est dans ce faubourg qu'a lieu l'un des premiers épisodes de la [[Révolution française]], l'[[affaire Réveillon]], en avril 1789.</ref><sup>,</sup><ref>Alain Thillay, ''Le Faubourg Saint-Antoine et ses « faux ouvriers. La Liberté du travail à Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles »'', Paris, Éditions Champ Vallon, 2002, 400 pages, p. 94 {{ISBN|2876733382}}</ref> et d'une façon générale tous les marchés paysans<ref>La vente des produits agricoles, de la viande, du poisson, se faisait en nom collectif dans des halles, sortes de coopératives publiques fonctionnant comme des bourses.</ref>.
    
Dans son exposé des motifs introductif devant l'Assemblée Nationale<ref name="BAN">Bulletin de l'Assemblée Nationale du 14 juin 1791</ref>, Le Chapelier décrit pour s'en alarmer un mouvement pré-syndical où, les ouvriers, coalisés en assemblées ''"qui se propagent dans le Royaume",'' cherchent à imposer ce que nous appellerions aujourd'hui des [[Conventions_collectives|conventions collectives]], et à constituer des mutuelles de solidarité. Il condamne avec vivacité l'attitude de la municipalité de Paris qui laisse se développer ces pratiques. Son discours ne laisse aucun doute sur la cible véritable de sa loi&nbsp;: l'associationnisme ouvrier. Cependant il la justifie par des considérations de philosophie politiques libérales.
 
Dans son exposé des motifs introductif devant l'Assemblée Nationale<ref name="BAN">Bulletin de l'Assemblée Nationale du 14 juin 1791</ref>, Le Chapelier décrit pour s'en alarmer un mouvement pré-syndical où, les ouvriers, coalisés en assemblées ''"qui se propagent dans le Royaume",'' cherchent à imposer ce que nous appellerions aujourd'hui des [[Conventions_collectives|conventions collectives]], et à constituer des mutuelles de solidarité. Il condamne avec vivacité l'attitude de la municipalité de Paris qui laisse se développer ces pratiques. Son discours ne laisse aucun doute sur la cible véritable de sa loi&nbsp;: l'associationnisme ouvrier. Cependant il la justifie par des considérations de philosophie politiques libérales.
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Rejetant les [[Corps_intermédiaires|corps intermédiaires]] chers à [[Montesquieu|Montesquieu]], et dans l'esprit de la [[Nuit_du_4_août|nuit du 4 août 1789]], son discours (ce n'est pas un "Préambule" ni un "exposé des motifs", attachés à la loi&nbsp;: il n'y en a pas) affirme&nbsp;: ''«&nbsp;Il doit sans doute être permis à tous les citoyens de s'assembler&nbsp;; mais il ne doit pas être permis aux citoyens de certaines professions de s'assembler pour leurs prétendus intérêts communs; il n'y a plus de corporation dans l'Etat&nbsp;; il n'y a plus que l'intérêt particulier de chaque individu, et l'intérêt général. Il n'est permis à personne d'inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation.&nbsp;»'' La loi s'inspire du ''[[Du_contrat_social|Contrat social]]'' de [[Jean-Jacques_Rousseau|Jean-Jacques Rousseau]], dont Le Chapelier reprend des passages entiers dans son exposé<ref>[http://books.google.fr/books?id=zWezTD_dTEIC&pg=PT138&lpg=PT138&dq=Chapelier+contrat+social+%22Ce+que+la+France+doit+aux+francs-ma%C3%A7ons%22&source=bl&ots=4cUJTUH4F7&sig=uxUytRwZBY_7171SdJMXYg_f9Jg&hl=fr&sa=X&ei=0T0PU6fCKqr20gWQ8YHgAw&ved=0CC4Q6AEwAA#v=onepage&q=Chapelier%20contrat%20social%20%22Ce%20que%20la%20France%20doit%20aux%20francs-ma%C3%A7ons%22&f=false Laurent Kupferman, Emmanuel Pierrat, ''Ce que la France doit aux francs-maçons'', Éditions Générales First, 2012]</ref>.
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Rejetant les [[Corps_intermédiaires|corps intermédiaires]] chers à [[w:Montesquieu|Montesquieu]], et dans l'esprit de la [[Nuit_du_4_août|nuit du 4 août 1789]], son discours (ce n'est pas un "Préambule" ni un "exposé des motifs", attachés à la loi&nbsp;: il n'y en a pas) affirme&nbsp;: ''«&nbsp;Il doit sans doute être permis à tous les citoyens de s'assembler&nbsp;; mais il ne doit pas être permis aux citoyens de certaines professions de s'assembler pour leurs prétendus intérêts communs; il n'y a plus de corporation dans l'Etat&nbsp;; il n'y a plus que l'intérêt particulier de chaque individu, et l'intérêt général. Il n'est permis à personne d'inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation.&nbsp;»'' La loi s'inspire du ''[[Du_contrat_social|Contrat social]]'' de [[Jean-Jacques_Rousseau|Jean-Jacques Rousseau]], dont Le Chapelier reprend des passages entiers dans son exposé<ref>[http://books.google.fr/books?id=zWezTD_dTEIC&pg=PT138&lpg=PT138&dq=Chapelier+contrat+social+%22Ce+que+la+France+doit+aux+francs-ma%C3%A7ons%22&source=bl&ots=4cUJTUH4F7&sig=uxUytRwZBY_7171SdJMXYg_f9Jg&hl=fr&sa=X&ei=0T0PU6fCKqr20gWQ8YHgAw&ved=0CC4Q6AEwAA#v=onepage&q=Chapelier%20contrat%20social%20%22Ce%20que%20la%20France%20doit%20aux%20francs-ma%C3%A7ons%22&f=false Laurent Kupferman, Emmanuel Pierrat, ''Ce que la France doit aux francs-maçons'', Éditions Générales First, 2012]</ref>.
    
Le débat qui suit est très bref. Sans contester le fond, l'avocat clermontois [[Jean-François_Gaultier_de_Biauzat|Jean-François Gaultier de Biauzat]] (alors de la gauche de l'Assemblée) tente d'abord, en vain, de reporter le vote au lendemain. Puis il lance le seul débat qui semble intéresser cette assemblée de robins&nbsp;: sur la nécessité ou non de condamner explicitement les "procureurs du Chatelet" qui cherchent, par les mêmes méthodes associatives, à maintenir leur monopole dans les enchères sur saisies, contre ''"les autres avoués n'ayant pas fait partie de leur corporation"''&nbsp;!
 
Le débat qui suit est très bref. Sans contester le fond, l'avocat clermontois [[Jean-François_Gaultier_de_Biauzat|Jean-François Gaultier de Biauzat]] (alors de la gauche de l'Assemblée) tente d'abord, en vain, de reporter le vote au lendemain. Puis il lance le seul débat qui semble intéresser cette assemblée de robins&nbsp;: sur la nécessité ou non de condamner explicitement les "procureurs du Chatelet" qui cherchent, par les mêmes méthodes associatives, à maintenir leur monopole dans les enchères sur saisies, contre ''"les autres avoués n'ayant pas fait partie de leur corporation"''&nbsp;!
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Le rapporteur de la loi Chapelier, que Camille Desmoulins qualifie de «&nbsp;misérable ergoteur&nbsp;», veut bien avouer que le salaire de la journée de travail devrait être un peu plus considérable qu'il l'est à présent... car dans une nation libre, les salaires doivent être assez considérables pour que celui qui les reçoit, soit ''hors de cette dépendance absolue'' que produit la privation des besoins de première nécessité, ''et qui est presque celle de l'esclavage''. Néanmoins il est, d'après lui, «&nbsp;instant de prévenir le progrès de ce désordre&nbsp;», à savoir «&nbsp;les coalitions que formeraient les ouvriers pour faire augmenter... le prix de la journée de travail&nbsp;», et pour mitiger celle dépendance absolue qui est presque celle de l'esclavage. Il faut absolument le réprimer, et pourquoi&nbsp;? Parce que les ouvriers portent ainsi atteinte à la liberté «&nbsp;des entrepreneurs de travaux, les ci-devant maîtres&nbsp;», et qu'en empiétant sur le despotisme de ces ci-devant maîtres de corporation - on ne l'aurait jamais deviné - ils cherchent à recréer les corporations anéanties «&nbsp;par la révolution&nbsp;».<ref>Karl Marx, ''[https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-28.htm Le Capital - Livre premier, VIII° section, Chapitre XXVIII]'', 1867</ref>
 
Le rapporteur de la loi Chapelier, que Camille Desmoulins qualifie de «&nbsp;misérable ergoteur&nbsp;», veut bien avouer que le salaire de la journée de travail devrait être un peu plus considérable qu'il l'est à présent... car dans une nation libre, les salaires doivent être assez considérables pour que celui qui les reçoit, soit ''hors de cette dépendance absolue'' que produit la privation des besoins de première nécessité, ''et qui est presque celle de l'esclavage''. Néanmoins il est, d'après lui, «&nbsp;instant de prévenir le progrès de ce désordre&nbsp;», à savoir «&nbsp;les coalitions que formeraient les ouvriers pour faire augmenter... le prix de la journée de travail&nbsp;», et pour mitiger celle dépendance absolue qui est presque celle de l'esclavage. Il faut absolument le réprimer, et pourquoi&nbsp;? Parce que les ouvriers portent ainsi atteinte à la liberté «&nbsp;des entrepreneurs de travaux, les ci-devant maîtres&nbsp;», et qu'en empiétant sur le despotisme de ces ci-devant maîtres de corporation - on ne l'aurait jamais deviné - ils cherchent à recréer les corporations anéanties «&nbsp;par la révolution&nbsp;».<ref>Karl Marx, ''[https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-28.htm Le Capital - Livre premier, VIII° section, Chapitre XXVIII]'', 1867</ref>
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Pour [[Jean_Jaurès|Jean Jaurès]], la loi Le Chapelier est une «&nbsp;erreur terrible&nbsp;».
 
Pour [[Jean_Jaurès|Jean Jaurès]], la loi Le Chapelier est une «&nbsp;erreur terrible&nbsp;».
  

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