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Le premier contact direct avec Lénine est assez difficile car il ne parvient pas à le convaincre que Malinovski, chef de la fraction bolchevique des députés à la Douma, est en fait un policier qui espionne le parti, mais il sait vite se faire reconnaître comme un économiste marxiste et un critique compétent, publié régulièrement dans les journaux sociaux-démocrates. En 1913, c’est lui que Lénine sollicite pour aider un Géorgien de passage à Vienne, [[Joseph_Staline|Joseph Staline]], afin de rédiger un article sur ''Le Marxisme et la question nationale''. Dans les premières années de la guerre mondiale des controverses multiples opposent Boukharine à Lénine. D’abord au cours de la conférence de Berne (où les bolcheviks débattent de la « transformation de la guerre impérialiste en guerre civile ») lorsque Boukharine pose à sa manière des questions politiques particulières (Quelle alliance tactique avec la petite bourgeoisie ? Qui peut-on rassembler dans une nouvelle internationale ? Etc.). La querelle s’envenime ensuite principalement sur l’importance de la question nationale (Boukharine, comme [[Karl_Radek|Karl Radek]] ou [[Rosa_Luxemburg|Rosa Luxemburg]], ne voit aucune raison de soutenir le droit des nations à l’autodétermination quand la révolution mondiale est à l’ordre du jour) et sur la conception marxiste de l’État, car Boukharine, en travaillant sur l’État impérialiste, a redécouvert la nécessité révolutionnaire de « briser » l’État pour réussir la révolution. Lénine ne le rejoindra qu’en préparant son livre sur ''L’État et la Révolution'', à la veille de la révolution d’Octobre. En attendant le « vieux » chef des bolcheviks condamne « l’économisme » et le « semi anarchisme » du jeune « ''Nota Bene'' ». La dispute est vive, mais elle n’empêche pas Lénine d’apprécier un essai comme ''L’Économie mondiale et l’impérialisme'' (achevé en 1916) pour lequel il écrit une préface et qu’il utilise dans son propre travail sur ''[[L’Impérialisme,_stade_suprême_du_capitalisme|L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme]]''.
 
Le premier contact direct avec Lénine est assez difficile car il ne parvient pas à le convaincre que Malinovski, chef de la fraction bolchevique des députés à la Douma, est en fait un policier qui espionne le parti, mais il sait vite se faire reconnaître comme un économiste marxiste et un critique compétent, publié régulièrement dans les journaux sociaux-démocrates. En 1913, c’est lui que Lénine sollicite pour aider un Géorgien de passage à Vienne, [[Joseph_Staline|Joseph Staline]], afin de rédiger un article sur ''Le Marxisme et la question nationale''. Dans les premières années de la guerre mondiale des controverses multiples opposent Boukharine à Lénine. D’abord au cours de la conférence de Berne (où les bolcheviks débattent de la « transformation de la guerre impérialiste en guerre civile ») lorsque Boukharine pose à sa manière des questions politiques particulières (Quelle alliance tactique avec la petite bourgeoisie ? Qui peut-on rassembler dans une nouvelle internationale ? Etc.). La querelle s’envenime ensuite principalement sur l’importance de la question nationale (Boukharine, comme [[Karl_Radek|Karl Radek]] ou [[Rosa_Luxemburg|Rosa Luxemburg]], ne voit aucune raison de soutenir le droit des nations à l’autodétermination quand la révolution mondiale est à l’ordre du jour) et sur la conception marxiste de l’État, car Boukharine, en travaillant sur l’État impérialiste, a redécouvert la nécessité révolutionnaire de « briser » l’État pour réussir la révolution. Lénine ne le rejoindra qu’en préparant son livre sur ''L’État et la Révolution'', à la veille de la révolution d’Octobre. En attendant le « vieux » chef des bolcheviks condamne « l’économisme » et le « semi anarchisme » du jeune « ''Nota Bene'' ». La dispute est vive, mais elle n’empêche pas Lénine d’apprécier un essai comme ''L’Économie mondiale et l’impérialisme'' (achevé en 1916) pour lequel il écrit une préface et qu’il utilise dans son propre travail sur ''[[L’Impérialisme,_stade_suprême_du_capitalisme|L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme]]''.
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À cette époque d’exil, d’errance et de difficultés incessantes, Boukharine est une figure typique de l’extrême-gauche européenne, internationaliste et anti-étatiste, très indépendant intellectuellement, ouvert aux idées nouvelles chez les marxistes (par exemple celles des austro-marxistes) ou chez les sociologues ([[Max_Weber|Max Weber]], [[Alexandre_Bogdanov|Alexandre Bogdanov]]) et toujours prêt à confronter ses opinions à celles de ses camarades exilés. Ses relations avec [[Trotsky|Trotsky]], qui est l’autre référence révolutionnaire de la gauche social-démocrate russe, ne sont pas plus faciles que celles qu’il a avec Lénine. Lorsqu’ils se rencontrent à New York en janvier 1917, Boukharine accueille chaleureusement Trotsky et sa famille. Il lui propose aussitôt de visiter une bibliothèque publique américaine qu’il trouve extraordinaire car elle reste ouverte tard le soir et ils éditent ensemble le journal ''[[Novy_Mir|Novy Mir]]''. Mais ils s’affrontent en même temps sur la question de la participation des sociaux-démocrates russes au parti socialiste américain<ref>[[Pierre Broué]], ''Trotsky'', Fayard, 1988, p.163.</ref>.
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À cette époque d’exil, d’errance et de difficultés incessantes, Boukharine est une figure typique de l’extrême-gauche européenne, internationaliste et anti-étatiste, très indépendant intellectuellement, ouvert aux idées nouvelles chez les marxistes (par exemple celles des austro-marxistes) ou chez les sociologues ([[Max_Weber|Max Weber]], [[Alexandre_Bogdanov|Alexandre Bogdanov]]) et toujours prêt à confronter ses opinions à celles de ses camarades exilés. Ses relations avec [[Trotski|Trotski]], qui est l’autre référence révolutionnaire de la gauche social-démocrate russe, ne sont pas plus faciles que celles qu’il a avec Lénine. Lorsqu’ils se rencontrent à New York en janvier 1917, Boukharine accueille chaleureusement Trotski et sa famille. Il lui propose aussitôt de visiter une bibliothèque publique américaine qu’il trouve extraordinaire car elle reste ouverte tard le soir et ils éditent ensemble le journal ''[[Novy_Mir|Novy Mir]]''. Mais ils s’affrontent en même temps sur la question de la participation des sociaux-démocrates russes au parti socialiste américain<ref>[[Pierre Broué]], ''Trotski'', Fayard, 1988, p.163.</ref>.
    
=== De la révolution de Février 1917 à 1923 ===
 
=== De la révolution de Février 1917 à 1923 ===
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Certains historiens du communisme pensent que ces textes écrits à l’époque du [[Communisme_de_guerre|communisme de guerre]] reflètent nécessairement les illusions de cette période (illusion d’un passage direct au socialisme puisque l’État, pour les besoins de la guerre, tend à organiser la production et la répartition&nbsp;; illusion de la mise en place d’une planification par l’État rendant inutile l’échange et la monnaie&nbsp;; jusqu’à l’illusion d’un début de dépérissement de l’État, alors qu’il est seulement profondément désorganisé). Mais la réflexion de Boukharine sur la «&nbsp;transition&nbsp;» développe seulement l’idée que la crise révolutionnaire est, économiquement, la «&nbsp;désagrégation&nbsp;» des structures et de l’organisation du capitalisme d’État et que la révolution prolétarienne a pour tâche de reconstruire et recombiner tous ces éléments sous la direction d’un État socialiste. L’illusion propre à Boukharine, à ce moment de guerre civile d’une violence extrême, est qu’il s’imagine que l’État de la «&nbsp;[[Dictature_du_prolétariat|dictature du prolétariat]]&nbsp;» peut rapidement «&nbsp; organiser «&nbsp; l’ensemble de l’économie à peu près comme cela s’est fait en Allemagne pendant la guerre, sous la direction de l’armée.
 
Certains historiens du communisme pensent que ces textes écrits à l’époque du [[Communisme_de_guerre|communisme de guerre]] reflètent nécessairement les illusions de cette période (illusion d’un passage direct au socialisme puisque l’État, pour les besoins de la guerre, tend à organiser la production et la répartition&nbsp;; illusion de la mise en place d’une planification par l’État rendant inutile l’échange et la monnaie&nbsp;; jusqu’à l’illusion d’un début de dépérissement de l’État, alors qu’il est seulement profondément désorganisé). Mais la réflexion de Boukharine sur la «&nbsp;transition&nbsp;» développe seulement l’idée que la crise révolutionnaire est, économiquement, la «&nbsp;désagrégation&nbsp;» des structures et de l’organisation du capitalisme d’État et que la révolution prolétarienne a pour tâche de reconstruire et recombiner tous ces éléments sous la direction d’un État socialiste. L’illusion propre à Boukharine, à ce moment de guerre civile d’une violence extrême, est qu’il s’imagine que l’État de la «&nbsp;[[Dictature_du_prolétariat|dictature du prolétariat]]&nbsp;» peut rapidement «&nbsp; organiser «&nbsp; l’ensemble de l’économie à peu près comme cela s’est fait en Allemagne pendant la guerre, sous la direction de l’armée.
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Au début de 1921, lorsque la guerre civile s’est conclue par la victoire nette des bolcheviks, la crise politique et sociale que connaissent la Russie soviétique et le PC(b)R remet tout en question. Boukharine, qui traverse cette crise en mécontentant tout le monde parce qu’il cherche à jouer le rôle de «&nbsp;tampon&nbsp;» entre Lénine et Trotsky sur la «&nbsp;question syndicale&nbsp;», est très vite un des partisans les plus convaincus de la «&nbsp;[[Nouvelle_politique_économique|nouvelle politique économique]]&nbsp;» (la NEP) lancée par Lénine. Alors que beaucoup d’anciens «&nbsp;communistes de gauche&nbsp;» et de «&nbsp;vieux bolcheviks&nbsp;» ne reconnaissent plus le socialisme qu’ils avaient imaginé, Boukharine, dès 1921, donne son explication de ce qui s’est passé&nbsp;: l’État socialiste n’a pas pu maintenir une organisation rationnelle non marchande de l’économie reprenant les éléments donnés par le capitalisme d’État. L’État socialiste russe est encore incapable d’organiser intégralement l’ensemble de l’économie. Mais il reste vrai que la transition passe par des «&nbsp;formes socialistes qui sont dans un certain sens le prolongement, sous une forme différente, des formes capitalistes qui l’ont précédé&nbsp;»<ref>''Cf''. ''La correspondance Internationale'', 4 janvier 1923, supplément donnant le compte-rendu du {{IVe}} Congrès de l'IC. Rapport de Boukharine sur le Programme. La formule choisie par Boukharine exprime assez bien la dimension réformiste de sa pensée : il parle de </ref> . Pour aller au socialisme, le pouvoir soviétique doit partir d’un niveau d’organisation inférieur à celui qu’atteignait déjà le capitalisme d’État. Les formes capitalistes qui sont l’objet d’une «&nbsp;destruction-reconstruction&nbsp;» sont celles de la petite production marchande (dans l’agriculture) et de la concurrence monopoliste (dans la grande industrie et la finance). Par une ruse dont l’histoire a le secret on ira au socialisme par le marché, car les grandes unités économiques, dont l’État socialiste a le contrôle, sont plus rationnelles et plus efficaces, elles finiront donc par absorber les petites unités marchandes urbaines et rurales.
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Au début de 1921, lorsque la guerre civile s’est conclue par la victoire nette des bolcheviks, la crise politique et sociale que connaissent la Russie soviétique et le PC(b)R remet tout en question. Boukharine, qui traverse cette crise en mécontentant tout le monde parce qu’il cherche à jouer le rôle de «&nbsp;tampon&nbsp;» entre Lénine et Trotski sur la «&nbsp;question syndicale&nbsp;», est très vite un des partisans les plus convaincus de la «&nbsp;[[Nouvelle_politique_économique|nouvelle politique économique]]&nbsp;» (la NEP) lancée par Lénine. Alors que beaucoup d’anciens «&nbsp;communistes de gauche&nbsp;» et de «&nbsp;vieux bolcheviks&nbsp;» ne reconnaissent plus le socialisme qu’ils avaient imaginé, Boukharine, dès 1921, donne son explication de ce qui s’est passé&nbsp;: l’État socialiste n’a pas pu maintenir une organisation rationnelle non marchande de l’économie reprenant les éléments donnés par le capitalisme d’État. L’État socialiste russe est encore incapable d’organiser intégralement l’ensemble de l’économie. Mais il reste vrai que la transition passe par des «&nbsp;formes socialistes qui sont dans un certain sens le prolongement, sous une forme différente, des formes capitalistes qui l’ont précédé&nbsp;»<ref>''Cf''. ''La correspondance Internationale'', 4 janvier 1923, supplément donnant le compte-rendu du {{IVe}} Congrès de l'IC. Rapport de Boukharine sur le Programme. La formule choisie par Boukharine exprime assez bien la dimension réformiste de sa pensée : il parle de </ref> . Pour aller au socialisme, le pouvoir soviétique doit partir d’un niveau d’organisation inférieur à celui qu’atteignait déjà le capitalisme d’État. Les formes capitalistes qui sont l’objet d’une «&nbsp;destruction-reconstruction&nbsp;» sont celles de la petite production marchande (dans l’agriculture) et de la concurrence monopoliste (dans la grande industrie et la finance). Par une ruse dont l’histoire a le secret on ira au socialisme par le marché, car les grandes unités économiques, dont l’État socialiste a le contrôle, sont plus rationnelles et plus efficaces, elles finiront donc par absorber les petites unités marchandes urbaines et rurales.
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La NEP s’oppose certainement au «&nbsp;communisme de guerre&nbsp;» et aux «&nbsp;folies&nbsp;» (mot de Lénine et de Boukharine) qui ont pu être faites à cette époque héroïque, mais elle ne contredit pas le raisonnement théorique de Boukharine. Le passage de Boukharine de la «&nbsp;gauche&nbsp;» à la «&nbsp;droite&nbsp;» du parti signifie avant tout qu’il prend conscience des conséquences du niveau réel de développement de l’économie soviétique. Dans un contexte d’échec de l’expansion internationale de la révolution, il constate, avec Lénine et Trotsky, que l’État soviétique est, pour une période indéterminée, le seul bastion conquis par la «&nbsp;révolution mondiale&nbsp;». Pour le renforcer et passer dans la mesure du possible à la «&nbsp;phase constructive&nbsp;» de la révolution, il faut être très réaliste et ne compter que sur les faibles moyens disponibles. Lénine, dans cette période de la NEP, jusqu’à l’attaque cérébrale qui le rendra muet en mars 1923, est ouvertement porteur d’un discours «&nbsp;réformiste&nbsp;» et «&nbsp;gradualiste&nbsp;» (dans le cadre d’un État tenu exclusivement par le parti du prolétariat) qui servira de modèle à Boukharine pendant toute la suite de sa carrière.
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La NEP s’oppose certainement au «&nbsp;communisme de guerre&nbsp;» et aux «&nbsp;folies&nbsp;» (mot de Lénine et de Boukharine) qui ont pu être faites à cette époque héroïque, mais elle ne contredit pas le raisonnement théorique de Boukharine. Le passage de Boukharine de la «&nbsp;gauche&nbsp;» à la «&nbsp;droite&nbsp;» du parti signifie avant tout qu’il prend conscience des conséquences du niveau réel de développement de l’économie soviétique. Dans un contexte d’échec de l’expansion internationale de la révolution, il constate, avec Lénine et Trotski, que l’État soviétique est, pour une période indéterminée, le seul bastion conquis par la «&nbsp;révolution mondiale&nbsp;». Pour le renforcer et passer dans la mesure du possible à la «&nbsp;phase constructive&nbsp;» de la révolution, il faut être très réaliste et ne compter que sur les faibles moyens disponibles. Lénine, dans cette période de la NEP, jusqu’à l’attaque cérébrale qui le rendra muet en mars 1923, est ouvertement porteur d’un discours «&nbsp;réformiste&nbsp;» et «&nbsp;gradualiste&nbsp;» (dans le cadre d’un État tenu exclusivement par le parti du prolétariat) qui servira de modèle à Boukharine pendant toute la suite de sa carrière.
    
Il dirige l'[[École_internationale_Lénine|École internationale Lénine]].
 
Il dirige l'[[École_internationale_Lénine|École internationale Lénine]].
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=== La lutte pour le pouvoir (1924-1927) ===
 
=== La lutte pour le pouvoir (1924-1927) ===
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Après la mort de Lénine, en janvier 1924, Boukharine devient membre titulaire du Bureau politique. Dans la lutte pour le pouvoir entre Trotsky, [[Grigori_Zinoviev|Zinoviev]], [[Lev_Kamenev|Kamenev]] et Staline, Boukharine se rallie à Staline qui se place au centre du Parti et soutient la poursuite de la NEP contre l’opposition trotskiste qui voudrait l’infléchir «&nbsp;à gauche&nbsp;» en accélérant l’industrialisation, en luttant plus énergiquement contre les paysans riches (les «&nbsp;koulaks&nbsp;») et en développant un mouvement d’agitation révolutionnaire mondial. Dans ce débat, c’est Boukharine qui met en forme les arguments de la thèse du «&nbsp;socialisme dans un seul pays&nbsp;» avancée par Staline en 1924. En fait Boukharine dit seulement que le processus de transition peut se poursuivre en l’absence d’une révolution dans les pays européens plus développés que l’URSS (à condition de maintenir le cap de la NEP et de préserver l’alliance avec la paysannerie), mais l’opposition se souvient que les bolcheviks ont toujours dit que la révolution ne réussirait qu’en devenant mondiale et elle pense que cette théorie nouvelle revient à dire que la révolution n’a plus besoin d’être encouragée dans les pays capitalistes puisque la Russie peut et va réaliser le socialisme avec ses seules forces. Complètement imperméable à ces critiques, Staline se glorifiera jusqu’au bout de sa «&nbsp;théorie&nbsp;» du «&nbsp;socialisme dans un seul pays&nbsp;», mais, après le tournant de la collectivisation, elle lui donnera un contenu complètement opposé aux idées de Boukharine.
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Après la mort de Lénine, en janvier 1924, Boukharine devient membre titulaire du Bureau politique. Dans la lutte pour le pouvoir entre Trotski, [[Grigori_Zinoviev|Zinoviev]], [[Lev_Kamenev|Kamenev]] et Staline, Boukharine se rallie à Staline qui se place au centre du Parti et soutient la poursuite de la NEP contre l’opposition trotskiste qui voudrait l’infléchir «&nbsp;à gauche&nbsp;» en accélérant l’industrialisation, en luttant plus énergiquement contre les paysans riches (les «&nbsp;koulaks&nbsp;») et en développant un mouvement d’agitation révolutionnaire mondial. Dans ce débat, c’est Boukharine qui met en forme les arguments de la thèse du «&nbsp;socialisme dans un seul pays&nbsp;» avancée par Staline en 1924. En fait Boukharine dit seulement que le processus de transition peut se poursuivre en l’absence d’une révolution dans les pays européens plus développés que l’URSS (à condition de maintenir le cap de la NEP et de préserver l’alliance avec la paysannerie), mais l’opposition se souvient que les bolcheviks ont toujours dit que la révolution ne réussirait qu’en devenant mondiale et elle pense que cette théorie nouvelle revient à dire que la révolution n’a plus besoin d’être encouragée dans les pays capitalistes puisque la Russie peut et va réaliser le socialisme avec ses seules forces. Complètement imperméable à ces critiques, Staline se glorifiera jusqu’au bout de sa «&nbsp;théorie&nbsp;» du «&nbsp;socialisme dans un seul pays&nbsp;», mais, après le tournant de la collectivisation, elle lui donnera un contenu complètement opposé aux idées de Boukharine.
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Dans la lutte pour le pouvoir, Staline est assez habile pour écarter ses rivaux les uns après les autres. Trotsky, la personnalité la plus forte de l’opposition de gauche, est défait le premier, avec l’aide de Zinoviev et Kamenev. Puis Staline utilise Boukharine pour éliminer Zinoviev et Kamenev de la direction du parti. Pendant presque deux ans (1926-1928) Boukharine semble ainsi accéder au plus haut niveau du pouvoir. Il est ''de facto'' le chef de file de l’aile droite du parti qui occupe de solides positions. La «&nbsp;droite&nbsp;» est à la tête du gouvernement ([[Alexei_Rykov|Alexei Rykov]]), des syndicats ([[Mikhaïl_Tomsky|Mikhaïl Tomsky]]), de la presse et de l’Internationale communiste (Nicolaï Boukharine). Les dirigeants de la droite sont populaires, et, après le 15<sup>ème</sup> congrès du Parti communiste, en décembre 1927, ils ont en apparence la majorité au Bureau politique, là où tout se décide. Après être allés jusqu’au bout des affrontements avec l’opposition en l’excluant du Parti et en exilant Trotsky et son groupe, les chefs de la droite découvrent alors que Staline a déjà décidé de renverser l’orientation de sa politique. Pour surmonter la pénurie de céréales, le Secrétaire Général du Parti demande des mesures de réquisition «&nbsp;extraordinaires&nbsp;» et amorce un tournant vers une politique d’industrialisation rapide et de collectivisation accélérée dans l’agriculture. Se serait-il soudain converti aux idées politiques de la gauche qu’il vient d’éliminer&nbsp;? Boukharine et ses amis ne refusent pas d’envisager une croissance plus rapide et plus planifiée des investissements (le premier plan quinquennal est en préparation), mais ils redoutent les «&nbsp;méthodes administratives&nbsp;» et ils préfèrent une approche plus modérée offrant aux paysans l’opportunité de s’enrichir et de consommer, donc respectant des proportions équilibrées entre les grands secteurs de l’économie. Boukharine dénonce depuis longtemps l’idée de prélever un «&nbsp;tribut&nbsp;» sur les paysans en faveur de l’industrie comme une forme d’«&nbsp;exploitation militaro-féodale&nbsp;» inadmissible. Boukharine pendant toute l’année 1928 tente d’organiser la résistance à Staline aux réunions du Bureau politique, aux sessions plénières du Comité central et au Congrès de l’Internationale. Sur ce terrain, il n’est pas de taille pour l’emporter.
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Dans la lutte pour le pouvoir, Staline est assez habile pour écarter ses rivaux les uns après les autres. Trotski, la personnalité la plus forte de l’opposition de gauche, est défait le premier, avec l’aide de Zinoviev et Kamenev. Puis Staline utilise Boukharine pour éliminer Zinoviev et Kamenev de la direction du parti. Pendant presque deux ans (1926-1928) Boukharine semble ainsi accéder au plus haut niveau du pouvoir. Il est ''de facto'' le chef de file de l’aile droite du parti qui occupe de solides positions. La «&nbsp;droite&nbsp;» est à la tête du gouvernement ([[Alexei_Rykov|Alexei Rykov]]), des syndicats ([[Mikhaïl_Tomsky|Mikhaïl Tomsky]]), de la presse et de l’Internationale communiste (Nicolaï Boukharine). Les dirigeants de la droite sont populaires, et, après le 15<sup>ème</sup> congrès du Parti communiste, en décembre 1927, ils ont en apparence la majorité au Bureau politique, là où tout se décide. Après être allés jusqu’au bout des affrontements avec l’opposition en l’excluant du Parti et en exilant Trotski et son groupe, les chefs de la droite découvrent alors que Staline a déjà décidé de renverser l’orientation de sa politique. Pour surmonter la pénurie de céréales, le Secrétaire Général du Parti demande des mesures de réquisition «&nbsp;extraordinaires&nbsp;» et amorce un tournant vers une politique d’industrialisation rapide et de collectivisation accélérée dans l’agriculture. Se serait-il soudain converti aux idées politiques de la gauche qu’il vient d’éliminer&nbsp;? Boukharine et ses amis ne refusent pas d’envisager une croissance plus rapide et plus planifiée des investissements (le premier plan quinquennal est en préparation), mais ils redoutent les «&nbsp;méthodes administratives&nbsp;» et ils préfèrent une approche plus modérée offrant aux paysans l’opportunité de s’enrichir et de consommer, donc respectant des proportions équilibrées entre les grands secteurs de l’économie. Boukharine dénonce depuis longtemps l’idée de prélever un «&nbsp;tribut&nbsp;» sur les paysans en faveur de l’industrie comme une forme d’«&nbsp;exploitation militaro-féodale&nbsp;» inadmissible. Boukharine pendant toute l’année 1928 tente d’organiser la résistance à Staline aux réunions du Bureau politique, aux sessions plénières du Comité central et au Congrès de l’Internationale. Sur ce terrain, il n’est pas de taille pour l’emporter.
    
=== La chute du pouvoir (1928-1929) ===
 
=== La chute du pouvoir (1928-1929) ===
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Face à un secrétaire général dont il a renforcé le pouvoir en l’aidant contre les oppositions de gauche, Boukharine est assez facilement mis en difficulté et finalement écarté de tous ses postes dans la direction du Parti. La nouveauté est que plus rien ne se passe au grand jour. Boukharine est d’abord affaibli par la trahison de deux membres du Bureau politique ([[Mikhaïl_Kalinine|Mikhaïl Kalinine]] et [[Kliment_Vorochilov|Kliment Vorochilov]]) qui lâchent la majorité de droite lorsqu’il est question de censurer les «&nbsp;excès&nbsp;» commis par [[Joseph_Staline|Staline]]<ref>Voir [[Stephen Cohen]], Nicolas Boukharine, la vie d’un bolchevik, édition française, Maspéro, Bibliothèque socialiste, 1979, p. 343. Stephen Cohen cite le mémorandum de Kamenev relatant sa rencontre avec Boukharine le 11 juillet 1928.</ref>. Au ''plenum'' du Comité central de juillet, puis au Congrès de l’IC, en août, les chefs de la droite constatent que là aussi ils ont perdu la majorité dans la direction et que les staliniens les harcèlent de plus en plus ouvertement. Boukharine et ses amis cependant se laissent berner par Staline qui, n’ayant pas encore de programme bien défini, accepte des compromis successifs apparemment favorables à la droite. Publiquement, la droite joue le jeu de l’unité presque jusqu’à la fin de 1928, alors que pendant ce temps Staline et ses partisans utilisent leur contrôle de la machine du parti pour remplacer les soutiens de Boukharine dans leurs bastions de Moscou, des syndicats et de la Comintern.
 
Face à un secrétaire général dont il a renforcé le pouvoir en l’aidant contre les oppositions de gauche, Boukharine est assez facilement mis en difficulté et finalement écarté de tous ses postes dans la direction du Parti. La nouveauté est que plus rien ne se passe au grand jour. Boukharine est d’abord affaibli par la trahison de deux membres du Bureau politique ([[Mikhaïl_Kalinine|Mikhaïl Kalinine]] et [[Kliment_Vorochilov|Kliment Vorochilov]]) qui lâchent la majorité de droite lorsqu’il est question de censurer les «&nbsp;excès&nbsp;» commis par [[Joseph_Staline|Staline]]<ref>Voir [[Stephen Cohen]], Nicolas Boukharine, la vie d’un bolchevik, édition française, Maspéro, Bibliothèque socialiste, 1979, p. 343. Stephen Cohen cite le mémorandum de Kamenev relatant sa rencontre avec Boukharine le 11 juillet 1928.</ref>. Au ''plenum'' du Comité central de juillet, puis au Congrès de l’IC, en août, les chefs de la droite constatent que là aussi ils ont perdu la majorité dans la direction et que les staliniens les harcèlent de plus en plus ouvertement. Boukharine et ses amis cependant se laissent berner par Staline qui, n’ayant pas encore de programme bien défini, accepte des compromis successifs apparemment favorables à la droite. Publiquement, la droite joue le jeu de l’unité presque jusqu’à la fin de 1928, alors que pendant ce temps Staline et ses partisans utilisent leur contrôle de la machine du parti pour remplacer les soutiens de Boukharine dans leurs bastions de Moscou, des syndicats et de la Comintern.
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Effaré par la tournure des événements<ref>S. Cohen ''op. cit.'', p. 343</ref>, Boukharine essaie d’obtenir le soutien ou la neutralité de ses anciens adversaires. Il prend des contacts avec le groupe Zinoviev-Kamenev et cherche à joindre Trotsky. Une rencontre discrète avec Kamenev, à son domicile, le 11 juillet 1928, est particulièrement importante. Kamenev prend la mesure de l’inquiétude de son visiteur et de la peur que lui inspire Staline, ce «&nbsp;Genghis Khan&nbsp;» qui «&nbsp;ne craint pas de trancher les gorges&nbsp;» et qui «&nbsp;conduit le pays à la famine et à la ruine&nbsp;». Boukharine hésite encore à rendre la discorde publique et il donne à Kamenev l’impression d’être «&nbsp;un homme qui se sait condamné&nbsp;». Boukharine ne tire aucun avantage de ces démarches interdites par la discipline du parti. Les trotskistes exilés en Sibérie n’envisagent pas de rallier le camp de Staline, mais ils excluent catégoriquement de se joindre à Boukharine. Ils font cependant circuler le mémorandum établi par Kamenev dans le ''Bulletin de l’opposition'', si bien qu’il est publié à Paris, en janvier 1929, par un journal menchevik. Cette révélation d’une activité fractionnelle du chef de la droite arrive alors que Boukharine s’est enfin décidé à intervenir sur le fond du débat (sans nommer son adversaire réel) en publiant quelques articles et elle donne à Staline une occasion de l’accuser pour un motif disciplinaire. Le débat final, très vif, est tranché en avril par un ''Plenum'' du Comité central, mais dans le secret le plus complet. Les textes des vaincus ne seront pas publiés. Les décisions prises sont même cachées à la 16<sup>ème</sup> Conférence du Parti, réunie fin avril. Staline lancera d’abord ses «&nbsp;brigades théoriques&nbsp;» dans une campagne virulente contre la «&nbsp;déviation de droite&nbsp;» pour annoncer petit à petit son exclusion des syndicats, de l’Internationale, de la presse, etc. Le 17 novembre 1929, Boukharine est enfin démis officiellement du Bureau politique.
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Effaré par la tournure des événements<ref>S. Cohen ''op. cit.'', p. 343</ref>, Boukharine essaie d’obtenir le soutien ou la neutralité de ses anciens adversaires. Il prend des contacts avec le groupe Zinoviev-Kamenev et cherche à joindre Trotski. Une rencontre discrète avec Kamenev, à son domicile, le 11 juillet 1928, est particulièrement importante. Kamenev prend la mesure de l’inquiétude de son visiteur et de la peur que lui inspire Staline, ce «&nbsp;Genghis Khan&nbsp;» qui «&nbsp;ne craint pas de trancher les gorges&nbsp;» et qui «&nbsp;conduit le pays à la famine et à la ruine&nbsp;». Boukharine hésite encore à rendre la discorde publique et il donne à Kamenev l’impression d’être «&nbsp;un homme qui se sait condamné&nbsp;». Boukharine ne tire aucun avantage de ces démarches interdites par la discipline du parti. Les trotskistes exilés en Sibérie n’envisagent pas de rallier le camp de Staline, mais ils excluent catégoriquement de se joindre à Boukharine. Ils font cependant circuler le mémorandum établi par Kamenev dans le ''Bulletin de l’opposition'', si bien qu’il est publié à Paris, en janvier 1929, par un journal menchevik. Cette révélation d’une activité fractionnelle du chef de la droite arrive alors que Boukharine s’est enfin décidé à intervenir sur le fond du débat (sans nommer son adversaire réel) en publiant quelques articles et elle donne à Staline une occasion de l’accuser pour un motif disciplinaire. Le débat final, très vif, est tranché en avril par un ''Plenum'' du Comité central, mais dans le secret le plus complet. Les textes des vaincus ne seront pas publiés. Les décisions prises sont même cachées à la 16<sup>ème</sup> Conférence du Parti, réunie fin avril. Staline lancera d’abord ses «&nbsp;brigades théoriques&nbsp;» dans une campagne virulente contre la «&nbsp;déviation de droite&nbsp;» pour annoncer petit à petit son exclusion des syndicats, de l’Internationale, de la presse, etc. Le 17 novembre 1929, Boukharine est enfin démis officiellement du Bureau politique.
    
Boukharine, qui ne peut rien dire publiquement pour se défendre, est contraint de signer avec Rykov et Tomsky une déclaration de soumission datée du 25 novembre 1929. Un an plus tard il signera une nouvelle déclaration personnelle<ref>Robert Service, ''Stalin : A Biography'' rapporte que Staline faisait enregistrer les conversations privées de Boukharine et qu’il ne croyait pas à la sincérité de ses déclarations de repentir, ni à celle des lettres personnelles appelant au pardon et à la réhabilitation qu’il avait reçu de lui.</ref> . La «&nbsp;droite&nbsp;» est ainsi éliminée, aussi bien dans le Parti communiste d’Union Soviétique que dans l’Internationale. Les partisans de Boukharine (l’Américain Lovestone, les Allemands Brandler et Thalheimer, etc.) sont exclus ou quittent le Comintern. Ils tentent un moment de former une alliance internationale, une Opposition Communiste Internationale (les trotskistes de l’Opposition de Gauche la désigneront toujours comme l’Opposition de Droite).
 
Boukharine, qui ne peut rien dire publiquement pour se défendre, est contraint de signer avec Rykov et Tomsky une déclaration de soumission datée du 25 novembre 1929. Un an plus tard il signera une nouvelle déclaration personnelle<ref>Robert Service, ''Stalin : A Biography'' rapporte que Staline faisait enregistrer les conversations privées de Boukharine et qu’il ne croyait pas à la sincérité de ses déclarations de repentir, ni à celle des lettres personnelles appelant au pardon et à la réhabilitation qu’il avait reçu de lui.</ref> . La «&nbsp;droite&nbsp;» est ainsi éliminée, aussi bien dans le Parti communiste d’Union Soviétique que dans l’Internationale. Les partisans de Boukharine (l’Américain Lovestone, les Allemands Brandler et Thalheimer, etc.) sont exclus ou quittent le Comintern. Ils tentent un moment de former une alliance internationale, une Opposition Communiste Internationale (les trotskistes de l’Opposition de Gauche la désigneront toujours comme l’Opposition de Droite).
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L’absurdité des accusations et l’invraisemblance des aveux de tous ces vieux révolutionnaires n’empêchent pas cette opération de réussir jusqu’à un certain point. Pour quelques communistes et anciens communistes américains ou européens ([[Bertram_Wolfe|Bertram Wolfe]], [[Jay_Lovestone|Jay Lovestone]], [[Arthur_Koestler|Arthur Koestler]], [[Heinrich_Brandler|Heinrich Brandler]] ou [[Charles_Rappoport|Charles Rappoport]]) le procès de Boukharine provoque leur rupture définitive avec le communisme et même, pour les trois premiers, leur conversion à un anti-communisme fervent. Une petite partie des observateurs de la presse comprend aussitôt que tout ici est mensonge, mais sur les masses soviétiques et sur une bonne part de l’opinion publique dans le reste du monde, le spectacle mis en scène atteint son but&nbsp;: anéantir les accusés et les faire sortir de l’histoire comme des criminels qu’il faut oublier pour toujours. La clé de la réussite relative de cette imposture est que l’accusation est portée par les accusés eux-mêmes. Et Boukharine s’est prêté à cette mise en scène.
 
L’absurdité des accusations et l’invraisemblance des aveux de tous ces vieux révolutionnaires n’empêchent pas cette opération de réussir jusqu’à un certain point. Pour quelques communistes et anciens communistes américains ou européens ([[Bertram_Wolfe|Bertram Wolfe]], [[Jay_Lovestone|Jay Lovestone]], [[Arthur_Koestler|Arthur Koestler]], [[Heinrich_Brandler|Heinrich Brandler]] ou [[Charles_Rappoport|Charles Rappoport]]) le procès de Boukharine provoque leur rupture définitive avec le communisme et même, pour les trois premiers, leur conversion à un anti-communisme fervent. Une petite partie des observateurs de la presse comprend aussitôt que tout ici est mensonge, mais sur les masses soviétiques et sur une bonne part de l’opinion publique dans le reste du monde, le spectacle mis en scène atteint son but&nbsp;: anéantir les accusés et les faire sortir de l’histoire comme des criminels qu’il faut oublier pour toujours. La clé de la réussite relative de cette imposture est que l’accusation est portée par les accusés eux-mêmes. Et Boukharine s’est prêté à cette mise en scène.
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[[Anastase_Mikoyan|Anastase Mikoyan]] et [[Molotov|Molotov]] ont affirmé, longtemps après, que Boukharine n’avait jamais été torturé. Les documents disponibles sur son séjour en prison ne donnent pas d’indication de torture allant au-delà de conditions d’enfermement extrêmement dures. Mais Boukharine se plaint de souffrir d’hallucinations et il craint évidemment tout ce qui peut menacer ses proches. Il résiste trois mois aux enquêteurs, puis, à partir de juin 1937, il rédige avec eux, en plusieurs étapes, des aveux qu’il s’efforce encore de limiter mais qu’il promet de ne pas retirer publiquement<ref>Cf. la lettre de Boukharine à Staline du 10 décembre 1937, dans la revue ''Communisme'', n°61, 2000, p. 32-36. Cette promesse faite à Staline est tenue et le sort fait à [[N. Krestinski]] au début du procès montre ce qu’il en coûte de tenter de dire la vérité. Krestinski se déclare non coupable le premier jour, mais il avoue tout le lendemain après avoir été torturé.</ref> . Cependant, comme il présente lui-même sa défense, il a une «&nbsp;tactique&nbsp;» (qui met en rage le procureur [[Vychinski|Vychinski]])&nbsp;: il reconnaît la «&nbsp;somme totale de ses crimes&nbsp;» et sa responsabilité pour tout ce qui est imputé au «&nbsp;bloc des droitiers et des trotskistes&nbsp;», mais il nie avoir eu connaissance de la plupart des «&nbsp;crimes&nbsp;» particuliers. Il refuse aussi d’avouer à l’audience sa participation à de prétendus complots contre Lénine, et d’autres affaires d’espionnage, qui n’étaient pas inscrites dans l’instruction. De ce fait, il donne aux observateurs quelques exemples de l’incohérence de l’ensemble du procès<ref>L’ambassadeur britannique, le vicomte Chilston, note à l’intention du vicomte Hallifax, son ministre (rapport n°141, Moscou, 21 mars 1938) que Boukharine a « réussi à démolir, ou plutôt montré qu’il pouvait très facilement démolir toute l’affaire ». Tous les observateurs ne sont pas aussi perspicaces.</ref> . Boukharine, consciemment, laisse des indices pour ceux qui voudraient la vérité, et, pour ceux qui n’auraient pas encore compris, il dit, tout à la fin de sa dernière déclaration, que pour aboutir à leur condamnation par le tribunal, «&nbsp;les aveux des accusés ne sont pas obligatoires. L’aveu des accusés est un principe juridique moyenâgeux&nbsp;»<ref>''Le procès du « bloc des droitiers et des trotskistes » antisoviétiques'', reproduction en ''fac simile'' de l’édition soviétique de 1938, réédité par les Éditions d’Aujourd’hui, 1983, p. 826.</ref> . Le procès qui s’achève étant entièrement basé sur un tissage d’aveux et de dénonciations de repentis, il repose donc sur peu de chose, mais ces aveux, dit-il, sont importants car ils signifient ce que Boukharine appelle&nbsp;: «&nbsp;la défaite intérieure des forces de la contre-révolution&nbsp;». Cela sonne bien comme une déclaration de renoncement, d’autant plus forte qu’il ajoute&nbsp;: «&nbsp;il faut être Trotsky pour ne pas désarmer&nbsp;», et qu’il le dénonce immédiatement – c’est la seule dénonciation apparente de ce dernier discours – comme «&nbsp;le principal moteur du mouvement&nbsp;», celui qui a été à la source des «&nbsp;positions les plus violentes&nbsp;». Il fait lors de ce procès des déclarations contradictoires.
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[[Anastase_Mikoyan|Anastase Mikoyan]] et [[Molotov|Molotov]] ont affirmé, longtemps après, que Boukharine n’avait jamais été torturé. Les documents disponibles sur son séjour en prison ne donnent pas d’indication de torture allant au-delà de conditions d’enfermement extrêmement dures. Mais Boukharine se plaint de souffrir d’hallucinations et il craint évidemment tout ce qui peut menacer ses proches. Il résiste trois mois aux enquêteurs, puis, à partir de juin 1937, il rédige avec eux, en plusieurs étapes, des aveux qu’il s’efforce encore de limiter mais qu’il promet de ne pas retirer publiquement<ref>Cf. la lettre de Boukharine à Staline du 10 décembre 1937, dans la revue ''Communisme'', n°61, 2000, p. 32-36. Cette promesse faite à Staline est tenue et le sort fait à [[N. Krestinski]] au début du procès montre ce qu’il en coûte de tenter de dire la vérité. Krestinski se déclare non coupable le premier jour, mais il avoue tout le lendemain après avoir été torturé.</ref> . Cependant, comme il présente lui-même sa défense, il a une «&nbsp;tactique&nbsp;» (qui met en rage le procureur [[Vychinski|Vychinski]])&nbsp;: il reconnaît la «&nbsp;somme totale de ses crimes&nbsp;» et sa responsabilité pour tout ce qui est imputé au «&nbsp;bloc des droitiers et des trotskistes&nbsp;», mais il nie avoir eu connaissance de la plupart des «&nbsp;crimes&nbsp;» particuliers. Il refuse aussi d’avouer à l’audience sa participation à de prétendus complots contre Lénine, et d’autres affaires d’espionnage, qui n’étaient pas inscrites dans l’instruction. De ce fait, il donne aux observateurs quelques exemples de l’incohérence de l’ensemble du procès<ref>L’ambassadeur britannique, le vicomte Chilston, note à l’intention du vicomte Hallifax, son ministre (rapport n°141, Moscou, 21 mars 1938) que Boukharine a « réussi à démolir, ou plutôt montré qu’il pouvait très facilement démolir toute l’affaire ». Tous les observateurs ne sont pas aussi perspicaces.</ref> . Boukharine, consciemment, laisse des indices pour ceux qui voudraient la vérité, et, pour ceux qui n’auraient pas encore compris, il dit, tout à la fin de sa dernière déclaration, que pour aboutir à leur condamnation par le tribunal, «&nbsp;les aveux des accusés ne sont pas obligatoires. L’aveu des accusés est un principe juridique moyenâgeux&nbsp;»<ref>''Le procès du « bloc des droitiers et des trotskistes » antisoviétiques'', reproduction en ''fac simile'' de l’édition soviétique de 1938, réédité par les Éditions d’Aujourd’hui, 1983, p. 826.</ref> . Le procès qui s’achève étant entièrement basé sur un tissage d’aveux et de dénonciations de repentis, il repose donc sur peu de chose, mais ces aveux, dit-il, sont importants car ils signifient ce que Boukharine appelle&nbsp;: «&nbsp;la défaite intérieure des forces de la contre-révolution&nbsp;». Cela sonne bien comme une déclaration de renoncement, d’autant plus forte qu’il ajoute&nbsp;: «&nbsp;il faut être Trotski pour ne pas désarmer&nbsp;», et qu’il le dénonce immédiatement – c’est la seule dénonciation apparente de ce dernier discours – comme «&nbsp;le principal moteur du mouvement&nbsp;», celui qui a été à la source des «&nbsp;positions les plus violentes&nbsp;». Il fait lors de ce procès des déclarations contradictoires.
    
L’étude des documents qui ont petit à petit revu le jour (message verbal transmis par sa femme, manuscrits, lettres, bouts de papier, etc.) ne réduit pas l’impression d’ambivalence que donne le comportement de Boukharine. Elle dessine les traits d’un homme qui a peur et qui souffre (moins pour lui-même que pour ses proches). Il a un sentiment de culpabilité qui affleure toujours et qui ne s’atténue que lorsqu’il exprime sa foi dans l’idéal du socialisme. Pendant les trois premiers mois à la Loubianka, il résiste aux enquêteurs en même temps qu’il écrit ''recto verso'', sans aucune rature, seize ''folios'' constituant les douze chapitres d’un livre, ''Le Socialisme et sa culture''. Ce livre, qui n’a été lu que par Staline jusqu’en 1992, semble être une tentative pour influencer le développement du socialisme soviétique (par le truchement de son chef) en direction d’une utopie où se réaliseraient quelques-unes des espérances des socialistes. Boukharine écrira ensuite quarante chapitres d’''Arabesques philosophiques'', où il fait le tour de la philosophie pour prouver enfin à Lénine qu’il a étudié la dialectique. Boukharine s’apaise plus lorsqu’il écrit des poèmes (il y en a 173) et un roman autobiographique, ''Vremena'' (''Comment tout a commencé'') qui restera inachevé. Il envoie une lettre à Staline le 10 décembre 1937. Cette lettre contient des idées incohérentes sur ce qu’il ferait s’il vivait et des aveux sur ce qu’il regrette vraiment (la rencontre avec Kamenev en 1928) ou sur sa préférence pour une exécution par une injection de morphine. Le message qu’il a fait apprendre par cœur à Anna, en février 1937, est une adresse ''A la génération future des dirigeants du parti''. Il y dit avec beaucoup de lucidité ce qu’est «&nbsp;la machine infernale&nbsp;» qui le tue et il rejette toutes les accusations dont on l’accable, mais le message, destiné à une génération qui devra «&nbsp;dénouer l’incroyable écheveau de crimes&nbsp;» qui «&nbsp;étouffe le Parti&nbsp;», ne donne aucune indication politique particulière &nbsp;: son auteur, «&nbsp;depuis sept ans&nbsp;», n’avait «&nbsp;plus l’ombre d’un désaccord avec le Parti&nbsp;» et il ne présente qu’une seule requête &nbsp;: la réhabilitation de sa mémoire et sa réintégration posthume dans le Parti. «&nbsp;Ne me jugez pas plus sévèrement que Vladimir Ilitch ne l’a fait&nbsp;», voilà une phrase qui exprime de quelle manière Boukharine reste jusqu’au bout en quelque sorte enfermé dans l’expérience humaine de la révolution qu’il a faite «&nbsp;avec&nbsp;» et «&nbsp;contre&nbsp;» Lénine.
 
L’étude des documents qui ont petit à petit revu le jour (message verbal transmis par sa femme, manuscrits, lettres, bouts de papier, etc.) ne réduit pas l’impression d’ambivalence que donne le comportement de Boukharine. Elle dessine les traits d’un homme qui a peur et qui souffre (moins pour lui-même que pour ses proches). Il a un sentiment de culpabilité qui affleure toujours et qui ne s’atténue que lorsqu’il exprime sa foi dans l’idéal du socialisme. Pendant les trois premiers mois à la Loubianka, il résiste aux enquêteurs en même temps qu’il écrit ''recto verso'', sans aucune rature, seize ''folios'' constituant les douze chapitres d’un livre, ''Le Socialisme et sa culture''. Ce livre, qui n’a été lu que par Staline jusqu’en 1992, semble être une tentative pour influencer le développement du socialisme soviétique (par le truchement de son chef) en direction d’une utopie où se réaliseraient quelques-unes des espérances des socialistes. Boukharine écrira ensuite quarante chapitres d’''Arabesques philosophiques'', où il fait le tour de la philosophie pour prouver enfin à Lénine qu’il a étudié la dialectique. Boukharine s’apaise plus lorsqu’il écrit des poèmes (il y en a 173) et un roman autobiographique, ''Vremena'' (''Comment tout a commencé'') qui restera inachevé. Il envoie une lettre à Staline le 10 décembre 1937. Cette lettre contient des idées incohérentes sur ce qu’il ferait s’il vivait et des aveux sur ce qu’il regrette vraiment (la rencontre avec Kamenev en 1928) ou sur sa préférence pour une exécution par une injection de morphine. Le message qu’il a fait apprendre par cœur à Anna, en février 1937, est une adresse ''A la génération future des dirigeants du parti''. Il y dit avec beaucoup de lucidité ce qu’est «&nbsp;la machine infernale&nbsp;» qui le tue et il rejette toutes les accusations dont on l’accable, mais le message, destiné à une génération qui devra «&nbsp;dénouer l’incroyable écheveau de crimes&nbsp;» qui «&nbsp;étouffe le Parti&nbsp;», ne donne aucune indication politique particulière &nbsp;: son auteur, «&nbsp;depuis sept ans&nbsp;», n’avait «&nbsp;plus l’ombre d’un désaccord avec le Parti&nbsp;» et il ne présente qu’une seule requête &nbsp;: la réhabilitation de sa mémoire et sa réintégration posthume dans le Parti. «&nbsp;Ne me jugez pas plus sévèrement que Vladimir Ilitch ne l’a fait&nbsp;», voilà une phrase qui exprime de quelle manière Boukharine reste jusqu’au bout en quelque sorte enfermé dans l’expérience humaine de la révolution qu’il a faite «&nbsp;avec&nbsp;» et «&nbsp;contre&nbsp;» Lénine.
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== La stature politique et l’œuvre ==
 
== La stature politique et l’œuvre ==
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De Boukharine, les acteurs politiques qui l’ont connu ont dit beaucoup de choses négatives ou faussement positives&nbsp;: il manque de «&nbsp;fermeté intérieure&nbsp;» ([[Georg_Lukács|Lukacs]]), il est une «&nbsp;cire molle&nbsp;» (Kamenev), il n’est que le «&nbsp;médium&nbsp;» de l’autorité d’un maître (Trotsky). Il a été qualifié de «&nbsp;brave&nbsp;», incapable de «&nbsp;mettre du venin dans ses attaques&nbsp;» (Lénine). Il incarnerait ce que Stephen Cohen propose d’appeler le «&nbsp;bon bolchevik&nbsp;». Ce n’est pas vraiment un compliment. Pourtant tout le monde l’aime, Staline le premier, et tout le monde a reconnu au moins une fois qu’il est le meilleur théoricien du Parti.
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De Boukharine, les acteurs politiques qui l’ont connu ont dit beaucoup de choses négatives ou faussement positives&nbsp;: il manque de «&nbsp;fermeté intérieure&nbsp;» ([[Georg_Lukács|Lukacs]]), il est une «&nbsp;cire molle&nbsp;» (Kamenev), il n’est que le «&nbsp;médium&nbsp;» de l’autorité d’un maître (Trotski). Il a été qualifié de «&nbsp;brave&nbsp;», incapable de «&nbsp;mettre du venin dans ses attaques&nbsp;» (Lénine). Il incarnerait ce que Stephen Cohen propose d’appeler le «&nbsp;bon bolchevik&nbsp;». Ce n’est pas vraiment un compliment. Pourtant tout le monde l’aime, Staline le premier, et tout le monde a reconnu au moins une fois qu’il est le meilleur théoricien du Parti.
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Selon le «&nbsp;testament&nbsp;» de Lénine du 24 décembre 1922, Boukharine est «&nbsp;un théoricien des plus marquants et de très haute valeur&nbsp;», mais «&nbsp;ses vues théoriques ne peuvent qu’avec la plus grande réserve être tenues pour pleinement marxistes&nbsp;». Il y a «&nbsp;quelque chose de scolastique&nbsp;» chez lui, car «&nbsp;il n’a jamais étudié et, je le présume, il n’a jamais compris entièrement la dialectique&nbsp;»<ref>Lénine, ''Œuvres'', t. 36, p. 607.</ref> . Ces propositions n’ont de sens que s’il n’y a ''aucun'' «&nbsp;bon&nbsp;» théoricien dans le Parti. Lénine le pense peut-être, car aucun de ses «&nbsp;héritiers&nbsp;» désignés dans le «&nbsp;testament&nbsp;» n’est épargné. Ils ont tous un défaut majeur et, au fond, il les récuse tous. Le sens de ce fameux «&nbsp;testament&nbsp;», que tout le monde citait et qui n’était jamais publié, est plutôt d’intervenir au point de départ de la compétition entre les héritiers en chargeant chacun de son handicap. Faut-il accorder de l’importance au fait que Lénine n’évoque pas du tout le défaut «&nbsp;politique&nbsp;» majeur du benjamin du Bureau politique&nbsp;? Il ne dit rien des «&nbsp;erreurs&nbsp;» qui l’ont précipité dans l’opposition en 1918, alors qu’il assomme Zinoviev et Kamenev pour leur attitude à la veille d’octobre 1917 et qu’il reproche allusivement à Trotsky les débats de 1921, au moment où éclate la crise de l’après-guerre civile (Staline, lui, a de très graves défauts de caractère).
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Selon le «&nbsp;testament&nbsp;» de Lénine du 24 décembre 1922, Boukharine est «&nbsp;un théoricien des plus marquants et de très haute valeur&nbsp;», mais «&nbsp;ses vues théoriques ne peuvent qu’avec la plus grande réserve être tenues pour pleinement marxistes&nbsp;». Il y a «&nbsp;quelque chose de scolastique&nbsp;» chez lui, car «&nbsp;il n’a jamais étudié et, je le présume, il n’a jamais compris entièrement la dialectique&nbsp;»<ref>Lénine, ''Œuvres'', t. 36, p. 607.</ref> . Ces propositions n’ont de sens que s’il n’y a ''aucun'' «&nbsp;bon&nbsp;» théoricien dans le Parti. Lénine le pense peut-être, car aucun de ses «&nbsp;héritiers&nbsp;» désignés dans le «&nbsp;testament&nbsp;» n’est épargné. Ils ont tous un défaut majeur et, au fond, il les récuse tous. Le sens de ce fameux «&nbsp;testament&nbsp;», que tout le monde citait et qui n’était jamais publié, est plutôt d’intervenir au point de départ de la compétition entre les héritiers en chargeant chacun de son handicap. Faut-il accorder de l’importance au fait que Lénine n’évoque pas du tout le défaut «&nbsp;politique&nbsp;» majeur du benjamin du Bureau politique&nbsp;? Il ne dit rien des «&nbsp;erreurs&nbsp;» qui l’ont précipité dans l’opposition en 1918, alors qu’il assomme Zinoviev et Kamenev pour leur attitude à la veille d’octobre 1917 et qu’il reproche allusivement à Trotski les débats de 1921, au moment où éclate la crise de l’après-guerre civile (Staline, lui, a de très graves défauts de caractère).
    
Peut-être Lénine ne voyait-il en Boukharine qu’un théoricien et peut-être pensait-il que son rayonnement dans le Parti, dont il était «&nbsp;légitimement&nbsp;» le «&nbsp;favori&nbsp;», ne tenait qu’à cette qualité particulière qui avait pu s’épanouir dans le «&nbsp;travail idéologique&nbsp;» de la presse et de l’édition. «&nbsp;Le théoricien de très haute valeur&nbsp;» du parti était certainement un «&nbsp;spécialiste&nbsp;» des idées, mais aussi un chef de file politique qui avait une image politique auprès de ses pairs et rivaux. Cette image était plutôt paradoxale. La principale qualité politique que lui trouve son ami non boukhariniste le plus fidèle, Sergo Ordjonikidzé, est, dit-il, un «&nbsp;trait de caractère admirable&nbsp;»&nbsp;: il a «&nbsp;le courage, non seulement d’exprimer ses idées mais aussi de reconnaître publiquement ses erreurs, lorsqu’il en prend conscience&nbsp;». «&nbsp;Cette magnifique qualité&nbsp;», si «&nbsp;nos&nbsp;» dirigeants la possédaient, rendrait plus facile la résolution des litiges, déclare ainsi Sergo devant le 14<sup>ème</sup> Congrès du Parti, en 1925<ref>Anna Larina Boukharina, ''Boukharine ma passion, op. cit.'', p. 346.</ref> . Boukharine lui-même a dit à un ami qu’il avait été, dans sa jeunesse, le pire des «&nbsp;organisateurs&nbsp;» du Parti. Il n’était certainement pas un grand stratège et ses fausses manœuvres ont été multiples.
 
Peut-être Lénine ne voyait-il en Boukharine qu’un théoricien et peut-être pensait-il que son rayonnement dans le Parti, dont il était «&nbsp;légitimement&nbsp;» le «&nbsp;favori&nbsp;», ne tenait qu’à cette qualité particulière qui avait pu s’épanouir dans le «&nbsp;travail idéologique&nbsp;» de la presse et de l’édition. «&nbsp;Le théoricien de très haute valeur&nbsp;» du parti était certainement un «&nbsp;spécialiste&nbsp;» des idées, mais aussi un chef de file politique qui avait une image politique auprès de ses pairs et rivaux. Cette image était plutôt paradoxale. La principale qualité politique que lui trouve son ami non boukhariniste le plus fidèle, Sergo Ordjonikidzé, est, dit-il, un «&nbsp;trait de caractère admirable&nbsp;»&nbsp;: il a «&nbsp;le courage, non seulement d’exprimer ses idées mais aussi de reconnaître publiquement ses erreurs, lorsqu’il en prend conscience&nbsp;». «&nbsp;Cette magnifique qualité&nbsp;», si «&nbsp;nos&nbsp;» dirigeants la possédaient, rendrait plus facile la résolution des litiges, déclare ainsi Sergo devant le 14<sup>ème</sup> Congrès du Parti, en 1925<ref>Anna Larina Boukharina, ''Boukharine ma passion, op. cit.'', p. 346.</ref> . Boukharine lui-même a dit à un ami qu’il avait été, dans sa jeunesse, le pire des «&nbsp;organisateurs&nbsp;» du Parti. Il n’était certainement pas un grand stratège et ses fausses manœuvres ont été multiples.

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