Révolution ukrainienne (1917-1921)

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L'Armée rouge à Kiev en 1919

L'Ukraine connaît un profond mouvement social et national entre 1917 et 1921.

Le pays était le plus grand de ceux qui appartenaient à l'empire russe après la Russie, et ses aspirations nationales (autonomie, indépendance...) était naissantes. De par le jeu des grandes puissances de la guerre de 1914 (Triple-Entente, Empires centraux) et des pays voisins (Pologne), autant que par la composition hétérogène du pays (Ukrainiens, dont certains plus ou moins russifiés, Russes, Juifs...), le pays illustre la complexité de la question nationale dans l'empire russe. Enfin les masses paysannes, outre la question nationale, avaient un profond désir de réforme agraire. C'est bien évidemment la révolution russe de 1917 qui a été l'étincelle de ces mouvements, même si ceux-ci se sont ensuite autonomisés. La guerre et la guerre civile ont fait rage en Ukraine : la capitale Kiev change dix fois de mains entre décembre 1917 et juin 1920.

1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]

Considéré par beaucoup – y compris à un moment par Marx et Engels – comme un « peuple sans histoire »[1], le peuple ukrainien a pourtant commencé assez tôt à se constituer comme nation, notamment avec le soulèvement cosaque de 1648 contre l’État polonais, sa noblesse et son clergé.

Au début du 20e siècle, la partie occidentale d’Ukraine, la Galicie, appartenait à l’empire austro-hongrois. Les deux revendications centrales du mouvement national renaissant étaient l’indépendance et l’unité (samostiinist’ i sobornist’) de l’Ukraine. Les masses, qui s'éveillaient à la politique, désiraient une réforme agraire et l’indépendance. L'Ukraine était une des zones les plus développées de l'empire russe. Mais les circonstances historiques de ce développement ont fait que seulement 43 % du prolétariat était de nationalité ukrainienne – le reste étant russe, russifié et juif. Les Ukrainiens constituaient moins d’un tiers de la population urbaine.

Le POSDR (bolchéviks comme menchéviks) était principalement implanté dans ce prolétariat non ukrainien, et coupé du sentiment national. Les bolchéviks n’employaient que le russe dans leur presse, et n'avaient pas de centre de direction sur place. Le Parti ouvrier social-démocrate ukrainien (USDRP), de nature plus petite-bourgeoise mais mieux implanté chez les Ukrainiens, oscillait entre lutte de classe et revendications nationales. Simon Petlioura, futur leader nationaliste, était issu de l'USDRP.

Dans son programme, la majorité du POSDR soutenait le droit à l'indépendance de l'Ukraine, comme découlant du droit à l'autodétermination des peuples en général. En juin 1914, Lénine écrivait : « L’Ukraine par exemple est-elle appelée à constituer un État indépendant ? Cela dépend de mille facteurs imprévisibles. Et sans nous perdre en vaines conjectures, nous nous en tenons fermement à ce qui est incontestable : le droit de l’Ukraine à constituer un tel Etat. Nous respectons ce droit ; nous ne soutenons pas les privilèges du Grand-Russe par rapport aux Ukrainiens ; nous éduquons les masses dans l’esprit de la reconnaissance de ce droit, dans l’esprit de la répudiation des privilèges d’État de quelque nation que ce soit ».[2]

En octobre 1914, il avait même des accents séparatistes : « Ce que fut l’Irlande pour l’Angleterre, l’Ukraine l’est devenu pour la Russie : exploitée à l’extrême, sans rien recevoir en retour. Ainsi, autant les intérêts du prolétariat international en général que ceux du prolétariat russe en particulier, exigent que l’Ukraine reconquière son indépendance étatique qui seule lui permettra d’atteindre le développement culturel indispensable au prolétariat. Malheureusement, certains de nos camarades sont devenus des patriotes impériaux russes. Nous autres, moscovites, sommes esclaves non seulement parce nous nous laissons opprimer, mais nous aidons aussi par notre passivité à ce que d’autres soient opprimés, ce qui n’est nullement dans notre intérêt »[3]

Cependant il est clair que les social-démocrates russes étaient influencés par le chauvinisme grand-russe.

Le populisme socialiste-révolutionnaire, en voie de se nationaliser et de s’autonomiser vis-à-vis de son équivalent russe, représentait une autre force politique active au sein des masses ukrainiennes. Les différents groupes SR commencent à militer autour de 1905, principalement sous la direction de Mykola Kovalevsky. Ils avaient des relais dans la Société paysanne pan-ukrainienne (Spilka). Le Parti ukrainien des socialistes-révolutionnaires (UPSR) fut créé en avril 1917. L'une des figures les plus importantes fut Mykhaïlo Hrouchevsky qui y adhéra en 1917.

Il faut par ailleurs noter qu'un fort antisémitisme était présent dans les masses ukrainiennes, et que celui-ci a dégénéré en de nombreux pogroms tout au long de cette période d'éruptions populaires.

2 Historique[modifier | modifier le wikicode]

2.1 La révolution de février 1917[modifier | modifier le wikicode]

A la suite de la révolution de février 1917, la Rada (conseil) centrale d'Ukraine est constituée le 4 mars 1917. Elle est dominée par une coalition de socialistes conciliateurs (USDRP, UPSR, menchéviks...) qui revendique seulement une autonomie dans le cadre d'une Russie démocratique. Ils attendent beaucoup du gouvernement de Petrograd. L'USDRIP est alors le premier parti d'Ukraine. Son dirigeant, Volodymyr Vynnytchenko, fut à la tête du Secrétariat général d'Ukraine, qui est proclamé devant la Rada le 26 juin.

Une délégation du gouvernement provisoire de Petrograd dirigée par Kerensky arrive aussitôt en Ukraine pour fixer des limites à ce nouveau gouvernement autonome. Les dirigeants menchéviks et SR au gouvernement provisoire (pourtant sensiblement de la même composition sociale que la Rada), s'alignaient sur les intérêts de la bourgeoisie russe. D'autant plus qu'économiquement, l'Ukraine était précieuse pour son blé, pour le charbon du Donetz et le minerai de Krivol-Rog. A ce titre les bourgeois trouvaient beaucoup plus intolérables les velléités d'indépendance de l'Ukraine que celle de la Finlande par exemple.

Les bolchéviks craignaient aussi l'impact d'une séparation, mais pour Lénine la meilleure ligne était de maintenir le droit à l'auto-détermination, tant par principe que tactiquement : « Si les Ukrainiens voient que nous avons une république des soviets, ils ne se sépareront pas ; mais si nous avons une république de Milioukov, ils se sépareront. » (avril 1917)

2.2 Tensions sur l'autonomie et la terre[modifier | modifier le wikicode]

Simon Petlioura

La Rada confie dès 1917 au « socialiste » et nationaliste Petlioura la constitution d'une armée nationale. Celui-ci organise un congrès des troupes de l'Ukraine, que Kerenski (leader du gouvernement provisoire de Petrograd) tente d'interdire en juin. Devant la détermination des Ukrainiens, Kérenski légalisa le congrès avec retard, en envoyant un télégramme pompeux que les congressistes écoutèrent avec des rires peu respectueux. On établit une convention le 3 juillet. Mais après l'écrasement des journées de juillet, Kerenski tente de revenir dessus. Le 5 août, la Rada, par une majorité écrasante, dénonce le gouvernement provisoire, « pénétré des tendances impérialistes de la bourgeoisie russe ». Le ton monte entre le leader ukrainien Vynnytchenko et Kerenski, pourtant très proches sur le plan politique.

C'est pourquoi l'influence bolchévique a peu à peu gagné du terrain, en mettant en avant le partage des terres et le droit à l'autodétermination. Mais le parti bolchevik restait, en quantité comme en qualité, faible, se détachait lentement des mencheviks. Même dans l’Ukraine orientale, industrielle, la conférence régionale des soviets, au milieu d’octobre, donnait encore une petite majorité aux conciliateurs. En ville, le propriétaire terrien, le capitaliste, l’avocat, le journaliste sont grand-russien, polonais, juif... à la campagne presque tout le monde est ukrainien. Les social-démocrates russes (dirigés par Piatakov) et juifs (Bund, Poale Zion) firent front pour lutter contre les revendications nationales.

Luxemburg avançait que le nationalisme ukrainien n'était avant 1917 que « l'amusement » d’une poignée d’intellectuels petits-bourgeois, et reprochait aux bolchéviks de l'avoir attisé par leurs mots d'ordre. Trotski répondait : « La paysannerie de l’Ukraine n’avait pas formulé dans le passé de revendications nationales pour cette raison qu’en général elle ne s’était pas élevée jusqu’à la politique. (...) L’éveil politique de la paysannerie ne pouvait cependant avoir lieu autrement qu’avec le retour au langage natal et toutes les conséquences qui en découlaient, par rapport à l’école, aux tribunaux, aux administrations autonomes. S’opposer à cela, c’eût été une tentative pour faire rentrer la paysannerie dans le néant. »

En juillet 1917 se déroula le premier Congrès des travailleurs ukrainiens. L'USDRP constate cependant vite qu'elle n'a pas le soutien des masses, en raison de son attitude conciliatrice envers Petrograd et envers les classes dominantes, qui se traduit en particulier par sa position timide sur la socialisation de la terre. Sur ce plan, le Parti ukrainien des socialistes-révolutionnaires (UPSR) gagne rapidement du terrain, parmi les paysans et les soldats.

2.3 Octobre et l'indépendance ukrainienne[modifier | modifier le wikicode]

Néanmoins, les dirigeants socialistes ukrainiens sont tellement hostiles aux bolchéviks, qu'ils passent aussitôt de l'autonomisme à l'indépendantisme lorsque les bolchéviks prennent le pouvoir en Russie. Aussitôt après la révolution d'Octobre, le 7 novembre, la Rada proclame une République démocratique ukrainienne immédiatement reconnue par la France et le Royaume-Uni, qui envoient à Kiev des représentants.

Les bolcheviks réagissent et déclarent hors la loi les représentants de la Rada. Ils installent en même temps à Kharkov un gouvernement de la République socialiste soviétique ukrainienne. En réponse, le pouvoir ukrainien installé à Kiev confirme l’indépendance complète du pays. Début 1918, les troupes rouges de Mouraviev marchent sur Kiev qui, défendue par Petlioura, subit 12 jours de bombardement avant de tomber, le 9 février, aux mains des bolcheviks.

A ce moment-là, une parti de la gauche de l'USDRP, autour de Yevhen Neronoych, rejoint les bolchéviks.

2.4 Brest-Litovsk, hetmanat et Directoire[modifier | modifier le wikicode]

En mars 1918, les bolchéviks sont contraints de signer le traité de Brest-Litovsk, qui livre l’Ukraine aux occupants allemands. Ceux-ci permettent le retour du gouvernement à Kiev, mais à ce moment le pays plonge dans le chaos. De nombreux groupes armés s'affrontent et pillent villes et villages : corps francs allemands, troupes russes débandées, anarchistes de Nestor Makhno, différentes factions ukrainiennes (pro-alliées, pro-allemandes ou pro-bolchéviques)...

Le 29 avril, Mikhaïlo Hrouchevsky est réélu président, mais un coup d’État conservateur (soutenu par des cosaques et des militaires, et par les Allemands) proclame Pavlo Skoropadsky hetman[4] d'Ukraine. Cette période sera brève, parce que le régime est très impopulaire et doit faire face aux troupes fidèles au Directoire, mais aussi à celles de Makhno (à partir de septembre 1918), aux armées blanches soutenues par les Anglais et les Français... De plus, l'Allemagne en pleine révolution (novembre 1918) doit retirer ses troupes.

En novembre 1918, le Directoire renverse l'hetmanat. Vynnytchenko puis Petlioura seront alors les présidents du Directoire de la République populaire ukrainienne (jusqu’en octobre 1920).

Au même moment, l’Autriche-Hongrie se disloque, suscitant un essor du nationalisme ukrainien à l'Est et un espoir d'unification. Un gouvernement ukrainien prit le pouvoir le 1er novembre 1918 en Galicie ; il en fut de même en Ruthénie subcarpathique le 19 novembre 1918. En Bukovine, un gouvernement ukrainien proclama également sa souveraineté le 6 novembre 1918, sans toutefois parvenir à contrôler ce territoire où les Moldaves étaient majoritaires, et dont le Conseil national proclama le rattachement à la Roumanie le 28 novembre 1918.

En dépit de la guerre polono-ukrainienne en Galicie, cette République populaire d'Ukraine occidentale se maintint à l'est du territoire. Le 1er décembre 1918, ses représentants concluent un accord avec le Directoire de la République populaire ukrainienne, qui débouche sur une proclamation d'unification le 22 janvier 1919. (Mais l'union ne fut pas pleinement établie : les organismes gouvernementaux de la RPUO continuèrent de fonctionner séparément.)

Ukraine-janvier-1919.jpg

Mais la question nationale ne fait pas tout, et en raison notamment des revendications paysannes insatisfaites, les masses perdent rapidement confiance dans Petlioura, qui devient un dictateur militaire. L’extrême gauche des SR ukrainiens, dite borotbiste, de plus en plus pro-communiste, affirme son influence idéologique parmi les masses.[BO 1]

Durant l’année 1919, l’Ukraine fut secouée par de multiples pogroms contre les Juifs.

2.5 Divisions chez les bolchéviks[modifier | modifier le wikicode]

Ce n'est qu'au moment où Brest-Litovsk acte que l'Ukraine est séparée de la Russie que les bolchéviks d'Ukraine s'organisent localement en parti. Réunis pour cela à la conférence de Taganrog (avril 1918), ils sont divisés en plusieurs tendances :

  • A droite, les « katerynoslaviens » (de la ville de Ekaterinoslav, aujourd'hui Dnipro) avec Kviring.
  • A gauche, les « kiéviens » avec Piatakov.
  • Mais aussi les « poltaviens », ou, si on veut, les « nationaux », avec Skrypnyk et Chakhraï, renforcés par l’adhésion du groupe de Neronoych venu de l'USDRP.

La droite, s’appuyant sur le prolétariat industriel russe, exige alors la formation d’un « PC(b) russe en Ukraine ». Les « poltaviens » et les « kiéviens » veulent pour leur part un parti bolchevique entièrement indépendant. Une partie des « poltaviens » vise, de cette manière, à résoudre de manière radicale la question nationale au travers de la fondation d’une Ukraine soviétique indépendante. Chakhraï, le plus radical, demande même que le parti s’appelle « PC(b) ukrainien ». Les « kiéviens » sont pour un parti (et peut être même un État) indépendant tout en niant l’existence de la question nationale et en considérant le droit des nations à l’autodétermination comme un mot d’ordre opportuniste. Avec Piatakov ils représentent, sur le plan théorique, la plus extrême « tendance de l’économisme impérialiste ». Toutefois, en même temps, ils appartiennent au « communisme de gauche » boukharinien, hostile à Brest-Litovsk et au centralisme léniniste. Pour s’affirmer, en Ukraine, en opposition à Lénine, ils ont besoin d’un parti indépendant. Par ailleurs, ils considèrent qu’en Ukraine on a besoin d’une stratégie particulière, tournée vers les masses paysannes et ancrée dans leur potentiel insurrectionnel. C’est pour ces raisons que les « kiéviens » s’allient avec les « poltaviens ».

C’est la position de Skrypnyk qui s’impose. En refusant la démarche de Kviring d’un côtém et de Chakhraï de l’autre, la conférence proclame le « PC(b) d’Ukraine » en tant que section ukrainienne de l’Internationale communiste, indépendante du PC(b) russe.

Skrypnyk, ami personnel de Lénine, cherchait à tenir compte au mieux des rapports de force. A la tête du premier gouvernement bolchevique en Ukraine, il a vécu des expériences très amères : le comportement chauvin de Mouraviev, le commandant de l’Armée rouge qui s’est emparé de Kiev, le refus de reconnaître son gouvernement et le sabotage de son travail par un autre commandant, Antonov-Ovseenko, pour qui l’existence d’un tel gouvernement était le produit de fantaisies sur une nationalité ukrainienne. En outre, Skrypnyk a été obligé de se battre avec acharnement pour l’unité de l’Ukraine contre les bolcheviques russes qui, dans plusieurs régions, proclamaient des républiques soviétiques en morcelant le pays. L’incorporation de la Galicie à l’Ukraine soviétique ne les intéressait pas non plus. C’est avec la droite katerynoslavienne que l’affrontement fut le plus grave. Elle a formé une république soviétique dans une région minière et industrielle, Donetsk-Kryvyi Rih, incluant le Donbass, en vue de l’intégrer à la Russie. Cette république, proclamaient ses dirigeants, est celle d’un prolétariat russe « qui ne veut pas entendre parler d’une quelconque Ukraine et n’a rien de commun avec elle ». Cette tentative de sécession pouvait compter sur des appuis à Moscou, comme l'illustre un télégramme envoyé en avril 1918 par Staline, alors commissaire du peuple aux nationalités, au gouvernement Skrypnyk : « Vous avez assez joué au gouvernement et à la république. Il est temps d’abandonner ce jeu ; en voilà assez. » Skrypnyk répond que son gouvernement « fait dépendre ses actions non de l’attitude de tel ou tel commissaire de la Fédération russe, mais de la volonté des masses laborieuses d’Ukraine (...) Des déclarations comme celle du commissaire Staline voudraient détruire le régime des soviets en Ukraine (...) Elles sont une collusion directe avec les ennemis des classes laborieuses ukrainiennes. »[5]

Le premier congrès du PC(b) d’Ukraine (juillet 1918) eut lieu à Moscou, sous la pression grand-russe. Aux yeux de la direction du PC(b) russe, Lénine également, les décisions de Taganrog étaient une déviation nationaliste. Considéré comme responsable de la déviation, Skrypnyk fut éliminé de la direction du parti.

Dans cette situation, Chakhraï, le plus intransigeant parmi les « poltaviens », passa à une dissidence ouverte. Dans deux livres au contenu incendiaire, écrits avec son camarade juif ukrainien Serhiy Mazlakh, ils lancent les fondements du communisme indépendantiste ukrainien. Pour eux, la révolution nationale ukrainienne est un fait d’une énorme importance pour la révolution mondiale, et le mot d’ordre de l’indépendance est crucial pour assurer sa transcroissance en révolution ouvrière et paysanne, et pour établir une unité véritable et sincère avec le prolétariat russe. Dans le cas contraire, ce sera le désastre.[6]

2.6 Guerre et guerre civile[modifier | modifier le wikicode]

Début 1919, après le retrait des Allemands, l'Ukraine est déchirée par la lutte entre différentes forces armées :

Au cours de cet affrontement généralisé, les Français et les Britanniques, qui soutiennent les Blancs occupent Odessa, Sébastopol et d’autres ports, mais l’intervention tourne court à cause du manque de moyens engagés, des mutineries de la mer Noire et de l’hostilité de la population exaspérée par les réquisitions (mars-avril 1919).

Maintenant que la révolution allemande a rendu caduque la paix de Brest-Litovsk, et jugeant que la colère des masses paysannes les aidera, l'Armée rouge lance l'offensive vers Kiev. Par ailleurs, une des motivations forte des bolchéviks, c'est de faire la jonction avec la révolution hongroise, et à travers elle se rapprocher de l'Europe occidentale, l'extension de la révolution aux pays capitalistes avancés étant l'espoir principal.

Vers la fin de 1919 et la première moitié de 1920, les Bolcheviks finissent par l’emporter, et chassent le Directoire. La république socialiste soviétique d’Ukraine est proclamée le 10 mars 1919 comme gouvernement autonome, au 3e congrès des soviets d’Ukraine réuni du 6 au 10 mars à Kharkov. Kiev ne sera prise par les bolchéviks qu'en août 1920, et Kharkov (en zone davantage russifiée) restera capitale jusqu'en 1934.

À la faveur de la progression de l'Armée rouge, les bolchéviks proclament, au nom de la république soviétique d'Ukraine, une république socialiste soviétique en Galicie (de juillet à septembre 1920). Mais le traité de Riga (1921) rattachera la Galicie à la Pologne. La petite Ukraine transcarpatique, jadis hongroise et brièvement indépendante en novembre 1918, vota son rattachement à la Tchécoslovaquie et quant à la Bucovine, sa minorité ukrainienne se résigna à son rattachement à la Roumanie.

2.7 La République socialiste soviétique d'Ukraine[modifier | modifier le wikicode]

C'est Piatakov qui prend la tête de ce second gouvernement bolchévique, avant d’être rapidement révoqué par Moscou, et remplacé par Khristian Rakovski.

Venant des Balkans, où la question nationale est particulièrement complexe, Rakovski se présente à Moscou comme compétent sur l'Ukraine, et Lénine le pense comme tel. Dans les Izvestia, il soutient que les différences ethniques entre Ukrainiens et Russes sont insignifiantes, que le sentiment national ukrainien est insignifiant par rapport à leur conscience de classe, et qu'il n'est qu'une invention des partisans de Petlioura pour se hisser au pouvoir.[7]

Pour certains marxistes, une grave erreur a été faite à ce moment-là, en tournant le dos au sentiment national :

« La prise de la conscience de classe par les masses d’un peuple opprimé passe nécessairement par la prise de conscience nationale. En s’aliénant et même en réprimant les éléments porteurs de cette conscience, on se condamne à recruter aux appareils administratifs des petits-bourgeois russes, en général réactionnaires, toujours disponibles pour servir tout pouvoir moscovite. En ce qui concerne l’armée, dans une situation pareille, on ne peut que recruter parmi les éléments dotés d’un niveau de conscience élémentaire, voire déclassée »[8]

Dans un premier temps, le pouvoir bolchévik essaie d'intégrer aussi bien l'anarchiste Makhno (que la presse centrale encense comme un chef révolutionnaire naturel de la paysannerie pauvre révoltée[9]) que l'aventurier sans principe Grigoriev (promu par Antonov-Ovseenko au rang de commandant d’une vaste région).

Au niveau agricole, les bolchéviks appliquent une politique calquée sur celle de la « commune » (Mir) russe, qui selon certains « ne fait qu’aliéner la paysannerie moyenne ainsi que la jeter dans les bras de la paysannerie riche et la rendre hostile au gouvernement Rakovski tout en isolant et divisant la paysannerie pauvre. »[8]

La démocratie soviétique semble également avoir été très limitée, alors que le mot d'ordre « tout le pouvoir aux soviets » était extrêmement populaire. « L’existence des soviets n’est autorisée que dans quelques grandes villes, mais même là leur rôle n’est que strictement consultatif. »[8]

Les bolchéviks ont procédé à une russification linguistique et réprimé comme nationalistes ceux qui mettaient en avant la langue et la culture ukrainienne. Après coup, Skrypnyk établira une liste d’environ 200 ordonnances interdisant l’utilisation de la langue ukrainienne émises sous le gouvernement Rakovski par « divers pseudo spécialistes, bureaucrates soviétiques, pseudo communistes »[10]. Dans une lettre à Lénine, les communistes-borotbistes caractériseront la politique de ce gouvernement comme celle « d’expansion d’un impérialisme rouge (nationalisme russe) » donnant l’impression que « le pouvoir soviétique en Ukraine était tombé dans les mains des Cent-Noirs expérimentés en train de préparer une contre-révolution »[BO 2].

2.8 Réactions anti-russes[modifier | modifier le wikicode]

En mai 1919, sentant le vent tourner, et par ailleurs sur le point d'être arrêté par la Tchéka pour ses pogroms antisémites, Grigoriev lance un appel à la révolte contre le pouvoir « de la Commune, de la Tchéka et des commissaires » envoyés de Moscou, « cette terre où on a crucifié Jésus Christ ». Malgré l'absence de tout principe de Grigoriev, ce sera le signal d’une vague insurrectionnelle contre le gouvernement Rakovski. Conscient de l’état d’esprit des masses, il les exhorte à établir partout et par en bas le pouvoir des soviets, de réunir les délégués en congrès national afin d’élire un nouveau gouvernement (quelques mois plus tard, pour ses pogroms antisémites, Grigoriev sera abattu par la makhnovchtchina). Même l’extrême gauche social-démocrate, procommuniste, prend les armes contre le « gouvernement russe d’occupation ». Des pans entiers de l’Armée rouge désertent pour se joindre à l’insurrection. Les troupes d’élite des « Cosaques rouges » se décomposent politiquement, tentées par le banditisme, les pillages et les pogroms.[11]

Ces soulèvements favorisent l'avancée de l’armée blanche de Dénikine tout en isolant la révolution hongroise. De Budapest, Bela Kun, désespéré, réclame un changement radical de la politique bolchevique en Ukraine. Du front ukrainien de l’Armée rouge, son commandant, Antonov-Ovseenko, fait de même. Parmi les bolcheviques ukrainiens, le courant « fédéraliste », proche de fait des thèses de Chakhraï et du borotbisme, passe à une activité fractionnelle. Les borotbistes, toujours alliés aux bolcheviques mais méfiants et jaloux de leur autonomie se constituent en Parti communiste ukrainien pour réclamer leur reconnaissance en tant que section nationale du Komintern. Largement influent parmi la paysannerie pauvre et le prolétariat de nationalité ukrainienne dans les campagnes et les villes, ce parti aspire à l’indépendance de l’Ukraine soviétique. Il envisage même la possibilité d’engager, à ce sujet, un affrontement armé avec le parti frère bolchevique, mais pas avant la victoire de la révolution sur Dénikine et sur l’ensemble des fronts de la guerre civile et de l’intervention impérialiste.

2.9 Rectification de la ligne bolchévique[modifier | modifier le wikicode]

La direction bolchévique reprend alors en main la situation, en opérant un tournant. Trotski, chef de l'Armée rouge, prend alors une initiative politique importante. Le 30 novembre 1919, dans son ordre aux troupes rouges qui entrent en Ukraine, il proclame :

« L’Ukraine est la terre des ouvriers et des paysans travailleurs ukrainiens. Ce sont seulement eux qui ont le droit de gouverner et de diriger en Ukraine et y édifier une vie nouvelle (...). Soyez bien conscients que votre tâche n’est pas de soumettre l’Ukraine mais de la libérer. Une fois les bandes de Dénikine battues jusqu’à la dernière, le peuple travailleur de l’Ukraine libérée décidera lui-même de ses rapports avec la Russie soviétique. Nous sommes convaincus que le peuple travailleur ukrainien se prononcera pour l’union fraternelle la plus étroite avec nous (...). Vive l’Ukraine soviétique libre et indépendante ! »

Après deux ans de guerre civile en Ukraine, c’est la première initiative du pouvoir bolchevique destinée à appeler, dans les rangs de la révolution prolétarienne, les forces sociales et politiques, ouvrières et paysannes, de la révolution nationale ukrainienne. L’objectif est aussi de contrecarrer la dynamique de plus en plus centrifuge du communisme ukrainien.

Lénine demande au comité central du PC(b) russe le vote d’une résolution qui « fait un devoir à tous les membres du parti de contribuer par tous les moyens à lever tous les obstacles qui s’opposent au libre développement de la langue et de la culture ukrainiennes (...) opprimées durant des siècles par le tsarisme russe et les classes exploiteuses ».

Des mesures seront prises, annonce la résolution, pour qu’à l’avenir tous les employés des institutions soviétiques en Ukraine sachent s’exprimer dans la langue nationale. Dans une lettre manifeste aux ouvriers et paysans d’Ukraine, il reconnaît :

« Nous, les communistes grand-russes, (...) avons des divergences avec les communistes bolcheviques ukrainiens et les borotbistes qui portent sur l’indépendance de l’Ukraine, les formes de son alliance avec la Russie et, d’une façon plus générale, sur la question nationale (...). Il est inadmissible que la division se fasse pour de telles questions. Elles seront réglées au congrès des soviets d’Ukraine. »[12]

Il déclare qu’on peut être militant du parti bolchevique et partisan de l’indépendance complète de l’Ukraine. C’est une réponse à une des questions clés posées un an plus tôt par Chakhraï, exclu entretemps du parti avant son assassinat par les troupes blanches. Par ailleurs, Lénine affirme : « Les borotbistes se distinguent entre autres des bolcheviques en ce qu’ils sont pour l’indépendance absolue de l’Ukraine. Les bolcheviques ne voient là (...) aucun obstacle à une collaboration prolétarienne bien comprise » L’effet est spectaculaire et d’une portée stratégique. Les forces insurrectionnelles des masses ukrainiennes contribuent à l’écrasement de Dénikine. En mars 1920, le congrès du PC borotbiste décide la dissolution du parti et l’adhésion de ses militants au parti bolchevique. La position de la direction borotbiste est la suivante : unissons-nous organiquement avec les bolcheviques pour contribuer à l’extension internationale de la révolution prolétarienne ; c’est dans le cadre de la révolution mondiale que les conditions pour l’indépendance de l’Ukraine soviétique seront beaucoup plus favorables que dans celui d’une révolution panrusse. Avec un grand soulagement, Lénine déclare :

« Grâce à la juste politique du comité central, admirablement appliquée par le camarade Rakovski, nous avons vu, au lieu d’un soulèvement des borotbistes devenu à peu près inévitable, les meilleurs éléments borotbistes adhérer à notre parti, sous notre contrôle. (...) Cette victoire vaut une paire de bonnes batailles »[13]

Mais le PC d'Ukraine reste une organisation régionale du PC(b) russe, sans droit d’être une section du Komintern.

2.10 Guerre avec la Pologne et élan de chauvinisme russe[modifier | modifier le wikicode]

Un événement majeur survient juste après, en avril 1920 : l’invasion de l’Ukraine par l’armée bourgeoise polonaise accompagnée par les troupes ukrainiennes sous le commandement de Petlioura et, en conséquence, l’éclatement de la guerre soviéto-polonaise. Cette fois, le chauvinisme grand-russe des masses se déchaîne avec une ampleur et une agressivité échappant à tout contrôle bolchevique.

« Pour les éléments conservateurs de la Russie, c’était une guerre contre l’ennemi héréditaire, dont on ne pouvait supporter qu’il réapparût sous la forme de nation indépendante, une guerre authentiquement russe, même si elle était menée par des internationalistes bolcheviques. Pour les orthodoxes du rite grec, c’était une lutte contre un peuple dont la fidélité au catholicisme romain était incorrigible, une croisade chrétienne, même si elle était menée par des communistes athées. »[14]

Ce qui animait les larges masses, c’était la défense de la Russie « une et indivisible », ouvertement encouragée. Les Izvestia publiaient un poème réactionnaire à la gloire de « l’État moscovite » :

« Comme jadis le Tsar Ivan Kalita rassemblait les pays russes l’un après l’autre (...) tous les patois et tous les pays, toute la terre multinationale, se réuniront dans une foi nouvelle » afin de « rendre leur puissance et leur richesse au palace du Kremlin »[15]

Au même moment l’ancien commandant en chef de l’armée tsariste lance un appel à « Défendre la Mère Patrie Russe », et beaucoup d’officiers blancs se ralliaient à l’armée rouge. Cela provoque un raidissement à l'égard des Ukrainiens, sommés de se comporter en Russes. Vynnytchenko, qui avait rejoint les communistes et qui se trouvait à Moscou, note amèrement dans son journal :

« L’orientation vers le patriotisme d’une Russie une et indivisible exclut toute concession aux Ukrainiens (...). Dans une situation où on va à Canossa devant les Gardes blancs (...) il ne peut y avoir, évidement, d’orientation vers la fédération, l’autodétermination et d’autres choix semblables désagréables pour la Russie une et indivisible ».

Tchitchérine, commissaire aux affaires étrangères, suggérait à nouveau la possibilité d’annexion directe à la Russie de la région ukrainienne de Donbass. Dans les campagnes ukrainiennes, des fonctionnaires soviétiques demandaient aux paysans : « Quelle langue, russe ou petliouriste, voulez-vous qu’on enseigne dans les écoles ? Quels internationalistes êtes-vous, si vous ne parlez pas russe ! ».

Skrypnyk écrivait en juillet 1920 : « Notre tragédie en Ukraine consiste justement dans le fait que pour gagner la paysannerie et le prolétariat rural, une population de nationalité ukrainienne, nous devrions faire appel au soutien et aux forces d’une classe ouvrière russe ou russifiée réagissant avec répugnance même à la plus petite expression de la langue et de la culture ukrainienne. »[10]

Les communistes borotbistes, devenus bolcheviques, poursuivaient leur combat. Un de leurs dirigeants, Blakytny, écrivit alors :

« En se fondant sur les liens ethniques de la majorité du prolétariat urbain d’Ukraine avec le prolétariat, le semi-prolétariat et la petite-bourgeoisie de Russie et en tirant argument de la faiblesse du prolétariat industriel en Ukraine, une tendance que nous appelons colonisatrice revendique la construction du système économique dans le cadre intégré de la République russe, celui de l’ancien empire restauré auquel appartient l’Ukraine. Cette tendance poursuit la subordination totale du PC(b) d’Ukraine au parti russe et vise plus généralement à la dilution de toutes les jeunes forces prolétariennes des nations sans histoire dans la section nationale russe du Komintern. (...) En Ukraine, la force dirigeante naturelle de cette tendance est un secteur du prolétariat urbain et industriel qui n’a pas assimilé la réalité ukrainienne. Mais, au-delà et avant tout, ce qui constitue sa force, c’est la masse de la petite bourgeoisie urbaine russifiée qui a toujours été le soutien principal de la domination de la bourgeoisie russe en Ukraine. (...) La politique colonisatrice de grande puissance qui domine aujourd’hui en Ukraine est profondément préjudiciable à la révolution communiste. En ignorant les aspirations nationales, naturelles et légitimes, des masses laborieuses ukrainiennes hier opprimées, elle est entièrement réactionnaire et contre-révolutionnaire en tant qu’expression d’un vieux, mais toujours vivant, chauvinisme impérialiste grand-russe »[16]

Entre-temps, l’extrême gauche social-démocrate formait un nouveau Parti communiste ukrainien (dit « oukapiste »), pour continuer à revendiquer l’indépendance nationale et pour accueillir en son sein les éléments du borotbisme qui refusaient l’adhésion au bolchevisme. Issu de la tradition théorique de la social-démocratie allemande, ce nouveau parti était sur ce terrain beaucoup plus fort que le borotbisme, d’origine populiste, où on maîtrisait mieux l’art de la poésie que la science de l’économie politique. Mais il était moins lié aux masses[BO 3]. Masses qui, par ailleurs, étaient de plus en plus épuisées par cette révolution. Les oukapistes analysaient ainsi la situation, du point de vue de la nation et de la classe :

« Le fait que des dirigeants de la révolution prolétarienne en Ukraine s’appuient sur les couches supérieures, russes et russifiées, du prolétariat du pays et ignorent la dynamique de la révolution ukrainienne, ne leur permet pas de se défaire du préjugé de la Russie une et indivisible qui inonde toute la Russie soviétique. Une telle attitude conduit à la crise de la révolution ukrainienne, coupe le pouvoir soviétique des masses, aggrave la lutte nationale, pousse une masse considérable de travailleurs dans les bras de la petite bourgeoisie nationaliste ukrainienne et freine la différenciation entre le prolétariat et la petite bourgeoisie. »[BO 4]

Ils reprenaient même ouvertement la notion de révolution permanente :

« Le prolétariat international a pour tâche d’attirer à la révolution communiste et à la construction d’une nouvelle société non seulement les pays capitalistes avancés mais aussi les peuples retardés des pays coloniaux en profitant des révolutions nationales de ces derniers. Pour accomplir cette tâche, il faut qu’il y participe et joue le rôle dirigeant dans la perspective de la révolution permanente. Il faut qu’il empêche la bourgeoisie d’arrêter les révolutions nationales au niveau de la réalisation du mot d’ordre de libération nationale ; qu’il poursuive la lutte jusqu’à la prise du pouvoir et à l’instauration de la dictature du prolétariat ; et qu’il conduise jusqu’au bout la révolution démocratique bourgeoise en constituant des États nationaux destinés à rejoindre le réseau international de l’union émergente des Républiques soviétiques. » Ceux-ci doivent s’appuyer « sur les forces du prolétariat national et sur les masses laborieuses du pays ainsi que sur l’aide mutuelle de tous les détachements de la révolution mondiale »

Après avoir réussi à repousser les troupes polonaises hors d'Ukraine, l'Armée rouge tente de poursuivre jusqu'à Varsovie, suite à la décision de la direction bolchévique, dont Lénine. Or, cela se termine en échec, les Polonais repoussant les Russes et se radicalisant dans l'antibolchévisme. Résultat, les bolchéviks doivent céder plus d’un cinquième du territoire ukrainien à la Pologne.

La promesse faite par la direction bolchevique lors de l’offensive contre Dénikine, de convoquer un congrès constituant des soviets d’Ukraine censé se prononcer sur l'indépendance ou non, n’a jamais été réalisée.

3 L'Ukraine soviétique[modifier | modifier le wikicode]

C’est après des combats acharnés menés à la fin de sa vie par Lénine ainsi que par des bolcheviques comme Skrypnyk et Rakovski, par d’anciens borotbistes comme Blakytny et Oleksandr Choumsky et par beaucoup de dirigeants communistes des diverses nationalités opprimées par l’ancien empire russe, que le 12e congrès du PC(b)R, en 1923, reconnaîtra formellement l’existence, dans ce parti et dans le pouvoir soviétique, d’une « tendance vers le chauvinisme impérialiste russe » extrêmement dangereuse. Cette victoire, même si elle sera très partielle et fragile, ouvrira devant les masses ukrainiennes la possibilité d’accomplir certaines tâches de la révolution nationale et de connaître, pendant les années 1920, une renaissance nationale sans précédent.

Devant la Conférence du PC ukrainien en 1923, Trotski (qui par ailleurs était né dans une famille juive d'Ukraine) reconnaissait que la question n'avait pas été résolue, mais il disait :

« Mais si le paysan ukrainien se voit et sent que le Parti Communiste et le pouvoir des Soviets l'abordent avec bonne volonté, le comprennent et lui disent : «Nous te donnons tout ce que nous pouvons te donner, nous voulons t'aider à monter, nous voulons t'aider à accéder dans ta propre langue maternelle aux bienfaits de la culture. Toutes les administrations de l'Etat, la Poste et les Chemins de Fer doivent parler la langue, parce tu es chez toi, dans ton Etat» — le paysan comprendra.  »[17]

Mais cette victoire n’empêchera la dégénérescence de la révolution russe et une contre-révolution bureaucratique et chauvine qui, pendant les années 1930, s’accompagnera en Ukraine d’un véritable holocauste national : la mort de millions de paysans à la suite d’une famine provoquée par la politique stalinienne de pillage du pays, l’extermination physique de la quasi-totalité de l’intelligentsia nationale et la destruction par la terreur policière des appareils du parti bolchevique et de l’État de la République soviétique d’Ukraine. Le suicide, en 1933, de Skrypnyk, qui tentait de concilier la poursuite de la révolution nationale avec l’allégeance au stalinisme, sonnera le glas de cette révolution pour toute une période historique.

Bien plus tard, en 1939, Trotski met en avant le mot d'ordre d'indépendance de l'Ukraine en 1939 contre l'URSS, bien qu'il considère cette dernière comme un État ouvrier.[18] 

4 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

4.1 Sur les borotbistes et les oukapistes[modifier | modifier le wikicode]

  1. Ivan V Majstrenko, Borotʹbism. A chapter in the history of Ukrainian Communism, Research Program on the USSR, New York 1954 (ou Soviet and post-Soviet politics and society, Vol. 61, Stuttgart Ibidem-Verl. 2007)
  2. F. Silycky, « Lenin i borot’bisty », Novyi Journal n°118, 1975, pp. 230-231.
  3. J. E. Mace, Communism and the Dilemmas of National Liberation : National Communism in Soviet Ukraine, 1918-1933, Harvard University Press, Cambridge, 1983.
  4. Le mémorandum du PC ukrainien adressé au 2e congrès de l’Internationale communiste (été 1920), in Oukraiins’ka souspilno-politychna doumka v 20 stolitti : Dokumenty i materialy, vol. 1, Soutchasnist’, New York 1938, p. 456.

4.2 Sur l'implantation bolchévique en Ukraine[modifier | modifier le wikicode]

Etude classique mais anticommuniste :

  • J. Borys, The Sovietization of Ukraine 1917-1923, CIUS, Edmonton 1980. Voir aussi T. Hunczak, The Ukraine 1917-1921 : A Study in Revolution, Harvard University Press, Cambridge 1977

Etudes classiques soviétiques :

  • M. Ravitch-Tcherkassky, Istoriia kommounistitcheskoï partii (b-ov) Oukraiiny, Gosoudarstvennoe Izdatelsovo Oukrainy, Kharkiv 1923
  • M. Popov, Narys istorii Komounistytchnoii partiii (bilchovykiv) Oukraiiny, Proletarii, Kharkiv 1929.

4.3 Autres notes[modifier | modifier le wikicode]

  1. Roman Rosdolsky, Friedrich Engels et le problème des peuples « sans histoire » - Les Ukrainiens (Ruthènes), 1948
  2. Lénine, Du droit des nations à disposer d'elles-mêmes, juin 1914
  3. Ce discours ne se trouve pas dans les Œuvres complètes de Lénine. Il a été rapporté par la presse de l’époque. Voir R. Serbyn, « Lénine et la question ukrainienne en 1914 : le discours séparatiste » de Zurich », Pluriel-Débat n° 25, 1981.
  4. Hetman, ou ataman, était un titre de dirigeant répandu tant dans la Pologne féodale que chez les Cosaques.
  5. R. Medvedev, Le Stalinisme : origine, histoire, conséquences, Seuil, Paris 1972, pp. 63-64
  6. V. Skorovstansky (V. Chakhraï), Revolioutsiia na Oukraiine, Bor’ba, Saratov 1919 ; S. Mazlakh, V. Chakhraï, Do chvyli, Prolog, New York 1967. Pour la traduction en anglais du second livre voir S. Mazlakh, V. Chakhraï, On the Current Situation in the Ukraine, University of Michigan Press, Ann Arbor, 1970.
  7. Kh. Rakovski, « Beznadezhnoe delo : O petliouroskoï avantioure », Izvestiia n°2 (554), 1919, voir également F. Conte, Christian Rakovski (1873-1941) : Essai de bibliographie politique, vol. 1, Université Lille III, Lille 1975, pp. 287-292
  8. 8,0 8,1 et 8,2 Zbigniew Marcin Kowalewski, L’indépendance de l’Ukraine : préhistoire d’un mot d’ordre de Trotski, Inprecor N° 611, janvier 2015
  9. A. Sergeev, « Makhno », Izvestiia n°76 (627), 1919
  10. 10,0 et 10,1 M. Skrypnyk, « Statti i promovy z natsionalnoho pytannia », Soutchasnist’, München 1974
  11. A.E. Adams, Bolsheviks in the Ukraine : The Second Campaign, 1918-1919, Yale University Press, New Haven-London, 1963, ainsi que J.M. Bojcun, op. cit. p. 438-472.
  12. Lénine, Lettre aux ouvriers et aux paysans d'Ukraine à l'occasion des victoires remportées sur Dénikine, 4 janvier 1920
  13. Lénine, Discours au 9e congrès du PC(b)R, 30 mars 1920
  14. I. Deutscher, Trotski : Le prophète armé, vol. 2, UGE, Paris 1979, p. 336
  15. M. Kozyrev, « Bylina o derzhavnoï Moskve », Izvestiia n°185, 1920
  16. Cité par Popov, 1929
  17. Trotski, Discours prononcé devant la Conférence du PC ukrainien, 5 avril 1923
  18. Léon Trotski, L’indépendance de l’Ukraine et les brouillons sectaires, 30 juillet 1939