Problème de la transformation

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Le problème de la transformation des valeurs en prix est un débat théorique concernant la théorie de la valeur de Karl Marx.

1 Le problème de la transformation[modifier | modifier le wikicode]

Si la valeur d’une marchandise “est” bien la quantité de travail social qu’elle contient comment passe-t-on des valeurs aux prix ? Pour calculer concrètement un profit, il faut se baser sur les prix (prix de vente des marchandises, coûts de productions). Or, quel est le lien entre valeur et prix ?

Pour Marx, « les rapports réels de l'échange quotidien et les grandeurs des valeurs ne peuvent être immédiatement identiques. »[1] Dans le livre I du Capital, Marx n'aborde que la valeur, dans un schéma général abstrait, dans laquelle elle coïncide avec le prix. C'était pour Marx un grand mérite du livre « d'avoir analysé la survaleur indépendamment de ses formes particulières, le profit, l'intérêt, la rente foncière, etc. Ce sera démontré surtout au deuxième volume. »[2]

Commencer par le cas le plus abstrait était assumé comme une démarche scientifiquement nécessaire : « Si l'on voulait donc commencer par « expliquer » tous les phénomènes qui en apparence contredisent la loi, il faudrait pouvoir fournir la science avant la science. »[1]

Il s’attelle à cette question dans le Livre III.

« La différence quantitative qui existe en réalité dans chaque industrie entre le profit et la plus-value (et non plus seulement entre leurs taux) finit par dissimuler complètement la nature et l'origine du profit, non seulement au capitaliste qui a un intérêt à s'y tromper, mais aussi à l'ouvrier. La transformation de la valeur en coût de production cache la base de la détermination de la valeur. (...) Le capitaliste individuel (ou même l'ensemble des capitalistes dans chaque secteur de la production particulier), dont l'horizon est borné, pense avec raison que son profit ne provient pas seulement du travail exploité par lui ou dans sa branche d'industrie. Dans quelle mesure ce profit est issu de l'exploitation globale du travail par le capital total, c'est-à-dire par tous ses confrères capitalistes, tout ce rapport est pour lui un mystère complet ; d'autant plus complet que même les économistes, ces théoriciens bourgeois, se sont abstenus jusqu'à présent de le révéler. »[3]

Il écrit également :

« Je démontre que c'est précisément parce que la valeur de la marchandise est déterminée par le temps de travail que le prix moyen des marchandises ne peut jamais être égal à sa valeur. (...) Une seule exception : quand le taux de profit individuel dans un secteur particulier de la production, c'est-à-dire le profit déterminé par la survaleur produite dans ce secteur, est égal au taux de profit moyen du capital total. »[4]

2 Historique du débat[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Critique de Julius Faucher[modifier | modifier le wikicode]

Du vivant de Marx, certaines critiques portaient déjà sur la notion de valeur. Ainsi Julius Faucher écrivait que la valeur dans le Capital était mal définie.[1]

2.2 L'interprétation de Bortkiewicz[modifier | modifier le wikicode]

En 1906-1907, Ladislaus von Bortkiewicz annonçait avoir trouvé une incohérence dans l'explication de Marx de la transformation des valeurs des matières premières en prix de production (c'est à dire en prix qui permettent aux entreprises d'obtenir un taux moyen de retour sur leurs investissements en capital). Bortkiewicz remit profondément en question la théorie de Marx selon laquelle les prix et les bénéfices sont déterminés, dans l'ensemble, par la production de valeur et de survaleur : le "taux de profit en prix" n'est plus égal à au "taux de profit en valeur", et la somme des prix diverge de la somme des valeurs.

2.3 Piero Sraffa et les néo-ricardiens[modifier | modifier le wikicode]

L’économiste italien Piero Sraffa, ancien compagnon de route du PCI et ami de Gramsci (mais aussi de Keynes et de Wittgenstein) a proposé une démonstration mathématisée du classique problème ouvrier : les salaires varient en raison inverse des profits.

Aux États-Unis, ce résultat est devenu central parmi les économistes marxistes, qui l'appellent le « théorème marxien fondamental ». Cette démonstration permet d'affirmer que le surplus de la production réalisée par les travailleurs est la source principale du profit des entreprises, tout en se passant de la théorie de la valeur de Marx. Si en effet là réside le cœur de l’économie politique marxienne, alors, il n’y a aucun problème à renoncer, comme l’ont fait Paul Baran et Paul Sweezy, à la baisse tendancielle du taux de profit comme mécanisme d’explication des crises.

Ce sont surtout les "marxistes néoricardiens" qui en font leur base théorique. L'un d'eux, Gary Mongiovi, entend rapprocher Marx de ses « racines ricardiennes ».

2.4 L'interprétation TSSI[modifier | modifier le wikicode]

Dans les années 1980, un nouveau courant commence à émerger et élabore sa réponse aux néo-ricardiens. Leur école prendra le nom d'interprétation temporelle mono-système (temporal single-system interpretation, TSSI).

En 1988, les partisans de la TSSI ont annoncé avoir réfuté la preuve d'incohérence de Bortkiewicz. Dans l'interprétation TSSI, le "problème de la transformation" disparaît, et le total des prix est égal au total des valeurs. Ils considèrent qu’il n’y a qu’un unique système et que Marx n’a pas remplacé les valeurs par les prix : quantités de travail et prix monétaires sont deux expressions de la même chose.

Andrew Kliman, l'un des principaux partisans du TSSI, donne l'exemple suivant :

« Pour vous en convaincre, considérez seulement un des artifices argumentatifs favoris des théoriciens simultanéistes, en particulier néoricardiens- la « modélisation du champ de maïs ». Le maïs (remplacé par des « céréales » dans les publications étsauniennes) est produit en utilisant uniquement du maïs de même variété, semé sous forme de grains, et le travail des ouvriers agricoles. Les théoriciens simultanéistes imposent la clause qu’un boisseau de grains plantés au début de l’année vaut exactement autant qu’un boisseau de grain récolté à la fin de l’année. Si la valeur d’un boisseau de grains de maïs est de 5 dollars, alors la valeur d’un boisseau de mais produit doit être aussi de 5 dollars, peu importe le travail que cela acoûté aux ouvriers de le produire. Ils ont peut-être dû se tuer à l’ouvrage un millier d’heures, ou seulement dix heures- ou ne pas travailler du tout. Cela ne fait aucune différence ; la valeur unitaire du maïs produit ne peut monter au-dessus ni descendre en-dessous du prix des grains semés. Il n’y a donc aucune façon signifiante d’affirmer que la valeur du maïs dépende de la quantité de travail nécessaire pour le produire. »[5]

Les théoriciens “simultanéistes”, en prêtant à Marx leur présupposé que la valeur des moyens de travail et celle des produits du travail étaient déterminées en même temps (simultanément), ont introduit dans son œuvre la séparation entre le système des valeurs/quantités de travail et le système des prix, c’est-à-dire le fameux problèmes de la transformation.

Une interprétation "mono-système" mais non temporelle suffit à lever le problème de la transformation, mais engendre d'autres incohérences, notamment contredisent la baisse tendancielle du taux de profit. Avec une conception temporelle de la détermination des prix et des valeurs, la théorie présente une cohérence globale.

Pour les partisans de la TSSI, les néoricardiens ont une lecture "physicaliste", en ce sens qu’ils pensent l’exploitation comme l’appropriation du surplus « physique » du travail, au lieu de raisonner en termes de valeur.

2.5 Les critiques de la TSSI[modifier | modifier le wikicode]

Depuis son élaboration, aucun critique n'a contredit avec succès la TSSI. Mais de nombreux économistes marxistes refusent encore de l'accepter.

Un seul, David Laibman, a abordé cette question dans une publication. Il reconnaît que les théoriciens TSSI ont montré que "l'équilibre de la reproduction" peut avoir lieu lorsque les prix d'entrée et de sortie diffèrent, ce qui est précisément ce que Bortkiewicz avait affirmé impossible.

3 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

https://socio13.wordpress.com/2012/04/04/le-spectre-qui-hante-leconomie-marxiste-13-par-andrew-kliman/

  1. 1,0 1,1 et 1,2 Lettre de Marx à Kugelmann, 11 juillet 1868
  2. Lettre de Marx à Engels, 24 août 1867
  3. Karl Marx, Le Capital, Livre III, Ch. 9 : Formation d’un taux général (moyen) du profit et transformation de la valeur des marchandises en coût de production
  4. Karl Marx, Théories sur la plus-value, Werke, vol. XXVI, t. 2, p. 28
  5. Andrew Kliman, Reclaiming Marx’s Capital. A refutation of the myth of inconsistency, Lexington Books, 2007, p.78