Parlementarisme révolutionnaire

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Le parlementarisme révolutionnaire est une politique d'utilisation des parlements bourgeois pour l'agitation communiste révolutionnaire. Elle était déjà informellement pratiquée aux débuts du mouvement ouvrier, puis réaffirmée par l'Internationale communiste.

🔍 Voir : Parlementarisme.

1 Historique[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Origines du parlementarisme socialiste[modifier | modifier le wikicode]

Parallèlement à la mise en place et à la généralisation de la démocratie bourgeoise au 19e siècle, le mouvement ouvrier socialiste s'est organisé, d'abord en syndicats puis en partis. Ayant des intérêts radicalement en opposition à l'ordre capitaliste, ce mouvement a dès l'origine eu une forte tendance subversive et a tendu à être réprimé partout. Néanmoins, par sa force, il a réussi à arracher ses droits de s'exprimer et de lutter. La question du parlementarisme (participer ou non aux parlements faits par et pour la bourgeoisie) s'est alors posée.

Au temps de la Première internationale, les socialistes entraient des les parlements pour faire de l'agitation. Puis, avec le renforcement des partis social-démocrates (époque de la), les groupes parlementaires sont devenus de plus en plus collaborateurs et conciliants avec les partis bourgeois, acceptant le fonctionnement stabilisé des parlements et remisant le "programme maximum" à toujours plus loin. L'opportunisme gangrenait cette aristocratie ouvrière dont les intérêts devenaient contraires à ceux de la majorité des prolétaires. La cohésion de la IIe internationale, officiellement marxiste, a néanmoins tenu un certain temps dans cette position, la direction centriste conciliant les ailes réformiste et révolutionnaire.

En 1899, alors que la pression à l'opportunisme se faisait sentir dans les rangs socialistes, leurs principales organisations réaffirmaient :

« Parti d’opposition nous sommes, et parti d’opposition nous devons rester, n’envoyant des nôtres dans les Parlements et autres assemblées électives qu’a l’état d’ennemis, pour combattre la classe ennemie et ses diverses représentations politiques. »[1]

1.2 La trahison ouverte[modifier | modifier le wikicode]

Déjà certains socialistes de l'aile parlementaire comme Alexandre Millerand (1899) avaient trahi en intégrant des gouvernements bourgeois. Mais la majorité des socialistes (la SFIO en France, l'Internationale en général) le condamnait. Mais la direction de la social-démocratie n'était plus révolutionnaire, et elle n'empêcha pas l'opportunisme d'avancer. Celui-ci explosa au grand jour au déclenchement de la Première guerre mondiale. Alors que la ligne officielle était l'appel à la grève pour empêcher la guerre, presque toutes les sections de l'Internationale ouvrière se rangèrent derrière leur bourgeoisie, votant les crédits de guerre, et entrant parfois au gouvernement, comme la SFIO en France.

Partant de ce terrible constat, quelques militants révolutionnaires commencèrent à se regrouper. D'abord laborieusement et complètement à contre-courant, ce rassemblement déboucha sur la Troisième internationale (Internationale communiste) autour des bolchéviks victorieux en Russie. Les nouveaux partis en rupture avec la social-démocratie, que l'on appellera "communistes", vont remettre en cause les vieux schémas, et notamment la routine parlementaire.

2 Le parlementarisme révolutionnaire[modifier | modifier le wikicode]

Lors de son IIe congrès, l'Internationale communiste élabore sur la question du parlementarisme. Elle part pour cela, comme il se doit, d'une analyse de la période.

2.1 Nouvelle période[modifier | modifier le wikicode]

L'IC analyse qu'à l'époque impérialiste, les parlements bourgeois ne jouent plus de rôle progressiste, et ne sont plus que source de corruption.

« L'attitude de la III° Internationale envers le parlementarisme n'est pas déterminée par une nouvelle doctrine, mais par la modification du rôle du parlementarisme même. A l'époque précédente, le Parlement, instrument du capitalisme en voie de développement, a, dans un certain sens, travaillé pour le progrès historique. Dans les conditions actuelles, caractérisées par le déchaînement de l'impérialisme, le Parlement est devenu un instrument de mensonge, de fraude, de violences, de destruction, d'actes de brigandage, œuvres de l'impérialisme ; les réformes parlementaires, dépourvues d'esprit de suite et de stabilité et conçues sans plan d'ensemble, ont perdu toute importance pratique pour les masses laborieuses. »

Par ailleurs, les parlements sont devenus un outil de la bourgeoisie pour faire croire en sa démocratie :

« Le parlementarisme de gouvernement est devenu la forme « démocratique » de la domination de la bourgeoisie, à laquelle il faut, à un moment donné de son développement, une fiction de représentation populaire exprimant en apparence la « volonté du peuple » et non celle des classes, mais constituant en réalité, aux mains du Capital régnant, un instrument de coercition et d'oppression. »

2.2 Contre le parlementarisme de collaboration et réformiste[modifier | modifier le wikicode]

L'IC ne bascule pas vers un « antiparlementarisme de principe » (comme celui des anarchistes), mais face aux politiciens social-démocrates verreux, elle rappelle qu'il faut détruire le parlementarisme avec l'État bourgeois, et exprime sa proximité avec les syndicalistes révolutionnaires, les anarcho-syndicalistes et les conseillistes.

« Le vieux parlementarisme d'adaptation est remplacé par un parlementarisme nouveau, qui est l'un des moyens de détruire le parlementarisme en général. Mais les traditions écœurantes de l'ancienne tactique parlementaire rapprochent certains éléments révolutionnaire des antiparlementaires par principe (les I.W.W., les syndicalistes révolutionnaires, le Parti ouvrier communiste d'Allemagne). »

Les communistes rappellent qu'un parlement est un organe de l'Etat, donc qu'il est incompatible avec la société sans classe à venir. Ils affirment également que les parlements ne peuvent pas non plus servir à la période transitoire du gouvernement des travailleurs, puisque c'est précisément une période où la classe travailleuse révolutionnaire ne "parlemente" plus, mais liquide la dictature de la classe dominante. Le parlement n'est donc pas un organe qu'il serait possible de "conquérir" comme nombre de social-démocrates le prétendaient.

« Le communisme se refuse donc à voir dans le parlementarisme une des formes de la société future ; il se refuse à y voir la forme de la dictature de classe du prolétariat ; il nie la possibilité de la conquête durable des Parlements ; il se donne pour but l'abolition du parlementarisme. Il ne peut dès lors être question de l'utilisation des institutions gouvernementales bourgeoises qu'en vue de leur destruction. C'est dans ce sens et uniquement dans ce sens que la question peut être posée. »

2.3 Une lutte secondaire[modifier | modifier le wikicode]

La question de la participation ou non au parlement doit d'ailleurs être secondaire pour un parti révolutionnaire :

« Il est indispensable d'avoir constamment en vue le caractère relativement secondaire de cette question. Le centre de gravité étant dans la lutte extraparlementaire pour le pouvoir politique, il va de soi que la question générale de la dictature du prolétariat et de la lutte des masses pour cette dictature ne peut se comparer à la question particulière de l'utilisation du parlementarisme.
C'est pourquoi l'Internationale communiste affirme de la façon la plus catégorique qu'elle considère comme une faute grave envers le mouvement ouvrier toute scission ou tentative de scission provoquée au sein du Parti communiste par cette question et uniquement par cette question. »

Les éventuels sièges des communistes aux parlements sont des « positions légales » dont il faut « faire des points d'appui secondaires de [l']action révolutionnaire » et qu'il faut  « subordonner au plan de la campagne principale, c'est-à-dire à la lutte des masses ».

2.4 Une tribune propagandiste[modifier | modifier le wikicode]

En dehors des périodes révolutionnaires, la masse des travailleurs et des paysans entretient des illusions sur les institutions. C'est pourquoi l'IC est favorable à la participation aux campagnes électorales.

Les communistes doivent « user de la tribune parlementaire à des fins d'agitation révolutionnaire, à dénoncer les manœuvres de l'adversaire, à grouper autour de certaines idées les masses. [...] La campagne électorale elle-même doit être menée, non dans le sens de l'obtention du maximum de mandats parlementaires, mais dans celui de la mobilisation des masses sous les mots d'ordre de la révolution prolétarienne. » Cela implique de rompre avec les pratiques électoralistes et d'appliquer un centralisme démocratique pour brider l'opportunisme :

  • « La direction du parti peut écarter un membre de la candidature s'il estime qu'il ne défendra pas correctement les idées communistes »
  • « Les partis communistes doivent renoncer à la vieille habitude social-démocrate de faire exclusivement élire des parlementaires « expérimentés », et surtout des avocats. De règle, les candidats seront pris parmi les ouvriers »
  • « Les partis communistes doivent repousser avec un mépris impitoyable les arrivistes qui viennent à eux, à seule fin d'entrer au Parlement.  »
  • « Sur toutes les questions politiques importantes, le groupe parlementaire est tenu de demander les directives préalables du Comité central. »
  • « Les députés communistes doivent tenir au Parlement un langage intelligible à l'ouvrier, au paysan, à la blanchisseuse, au pâtre, de façon que le Parti puisse éditer leurs discours en tracts et les répandre dans les coins les plus reculés du pays. »
  • « Les députés communistes sont tenus d'utiliser la tribune parlementaire pour démasquer non seulement la bourgeoisie et sa valetaille officielle, mais aussi les social-patriotes, les réformistes, les politiciens équivoques du centre »

2.5 Savoir quitter et boycotter les parlements[modifier | modifier le wikicode]

Les communistes, s'ils n'ont pas pour "principe" de boycotter les parlements, doivent savoir le faire quand la conscience de classe est mûre et se cristallise dans des organes du nouveau pouvoir révolutionnaire (soviets...). Quitter tous les organes de l'État bourgeois devient alors une nécessité pour signifier clairement que l'ordre ancien doit être mis à bas, et que les travailleurs ne doivent plus compter que sur leur propre pouvoir.

3 Exemples[modifier | modifier le wikicode]

3.1 Karl Liebknecht au Reichstag[modifier | modifier le wikicode]

KarlLiebknecht.jpg

Karl Liebknecht, proche de Rosa Luxemburg, était député au parlement allemand (Reichstag) pour le parti social-démocrate allemand (SPD) à partir de 1912.

Le 4 août 1914, il est opposé au vote des crédits de guerre mais s'incline au nom de la discipline de parti, comme 14 autres députés qui étaient contre sur les 92 présents. Mais quasiment aussitôt, il est convaincu de son erreur, d'autant plus quand il voit à quel point de nombreux militants sont radicalement opposés à l'attitude des dirigeants social-démocrates :

"A Stuttgart, on me reproche pour la première fois de ne pas avoir fait suffisamment preuve de décision [...]. Ces mots m'ont bouleversé et réjoui. Vos critiques sont absolument justifiées [...j'aurais dû] crier mon 'Non!' en plein Reichstag [...] J'ai commis une faute grave [...] Il ne me reste qu'à vous promettre que je mènerai à l'avenir une lutte sans compromis contre la guerre wilhelminienne et les socialistes de Sa Majesté."

Le 2 décembre 1914, il vote seul contre les crédits et prononce un discours. Il devient le symbole de la lutte contre la guerre et l'union sacrée. L'année suivante il entraîne dans le refus le député Otto Rühle, puis plus tard une vingtaine de députés socialistes.

3.2 Les bolchéviks à la Douma, puis au Pré-parlement[modifier | modifier le wikicode]

Les bolchéviks réussirent à faire une utilisation révolutionnaire d'un parlement aux droits très limités, la Douma d'État de l'Empire russe.

Les social-démocrates russes étaient divisés en deux principales fractions, qui en sont progressivement venues à recouper le clivage entre réformistes et révolutionnaires. Ce clivage s'est manifesté sur plusieurs plans.

Sur la question de la participation ou du boycott :

  • Les menchéviks avaient tendance à vouloir participer aux élections quoi qu'il arrive.
  • Les bolchéviks considéraient le parlementarisme comme une forme inférieure de lutte par rapport à la « lutte directe des masses »[2], et donc appelaient au boycott dès qu'ils estimaient que les masses étaient prêtes à une insurrection.

Sur la question des rapports aux autres forces politiques (dans un contexte où la perspective était une révolution démocratique) :

Sur la question du rôle des députés :

  • Les menchéviks penchaient pour un rôle dirigeant du groupe de députés sur le parti ;
  • Les bolchéviks tenaient à un contrôle ferme des députés par le comité central[3][4], et à mettre les députés au service de la construction des luttes et du parti (dans le contexte du tsarisme, du parti clandestin).[5]

Sur la question du type de députés mis en avant :

  • Les menchéviks assumaient de n'avoir que des intellectuels et cherchaient les meilleurs orateurs ;
  • Les bolchéviks mirent en avant dès qu'ils purent des ouvriers comme députés.

Lénine écrivait qu'il fallait :

« travailler avec ensemble dans ce domaine, afin que chaque député social-démocrate se rende réellement compte que le parti est derrière lui, qu’il souffre de ses erreurs et se montre soucieux de le remettre dans le bon chemin, afin que chaque responsable participe à l’activité d’ensemble du parti à la Douma, tire un enseignement de la critique marxiste concrète du travail du groupe, sente qu’il est de son devoir de l’aider, fasse en sorte que l’activité particulière du groupe soit subordonnée à l’ensemble du travail de propagande et d’agitation du parti. »[3]

Afin de lutter contre le « crétinisme parlementaire » et pour expliquer clairement que la Douma devait être utilisée comme une tribune de propagande dirigée vers le monde extérieur, et rien d’autre, Lénine formulait un ensemble de règles de comportement claires à l’usage des députés bolcheviks.

Pour que les projets de loi présentés par la fraction social-démocrate à la Douma atteignent leurs objectifs, les conditions suivantes sont nécessaires :

les projets de lois doivent proposer sous une forme extrêmement claire et précise chaque revendication du programme minimum du parti social-démocrate ou chacune de celles qui découlent nécessairement de ce programme ;

les projets de lois ne doivent en aucun cas s’embarrasser d’une profusion de subtilités juridiques ; ils doivent fournir les bases essentielles des lois proposées et non des textes de lois élaborés de façon détaillée ;

les projets de loi ne doivent pas isoler exagérément les différents domaines de la réforme sociale et des transformations démocratiques, comme cela pourrait paraître nécessaire d’un point de vue étroitement juridique, administratif ou « purement parlementaire » ; au contraire, en poursuivant les buts de propagande et d’agitation social-démocrates, les projets de lois doivent permettre à la classe ouvrière de se faire une idée plus précise du lien nécessaire entre les réformes dans les usines (et les réformes sociales en général) et les transformations politiques démocratiques sans lesquelles toutes les « réformes » de l’autocratisme de Stolypine seraient immanquablement condamnées à subir une adultération « zoubatovienne » et à demeurer lettre morte. Il va de soi que cette démonstration du lien entre les réformes économiques et la politique doit être faite non en incluant dans tous les projets de lois la totalité des revendications d’une démocratie conséquente, mais en proposant des institutions démocratiques, et plus spécialement démocratiques-prolétariennes, correspondant à chaque réforme, dont on soulignera dans la note explicative du projet de loi qu’elles seraient irréalisables en l’absence de transformations politiques radicales.[6]

Quand la guerre éclate, malgré quelques déclarations qui montrent une influence de l'union sacrée, les députés social-démocrates russes résistent au chauvinisme et sont déportés par les autorités.

De même pendant la Révolution de 1917, ils surent maintenir le centre de gravité sur les Soviets, tout en participant aux embryons de parlementarisme (comme la  Conférence démocratique) tant que la ligne « tout le pouvoir aux soviets » n'était pas hégémonique. Mais dès qu'ils purent (malgré des débats internes très forts et des hésitations), ils quittèrent le pré-parlement, ce qui annonçait l'insurrection d'Octobre.

Les députés bolcheviks à la Douma étaient profondément impliqués dans l’assistance aux luttes ouvrières (levée de fonds, interpellations...). Les bolchéviks organisaient des démonstrations en appelant à des grèves les jours où les points qu'ils avaient mis à l'ordre du jour étaient examinés. A la veille de la guerre mondiale, la connexion entre les députés et les quartiers ouvriers étaient très forte. Ainsi Badaïev écrira :

« Il n’y avait pas une seule usine, pas un seul atelier, même dans les plus petites entreprises, avec lequel je ne fusse pas connecté d’une manière ou d’une autre. »[7]

3.3 Communistes bulgares[modifier | modifier le wikicode]

3.4 Zeth Höglund[modifier | modifier le wikicode]

4 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

Le Parti communiste et le parlementarisme, IIe congrès de l'I.C., 1920

  1. Le ministère Waldeck-Millerand-Galliffet (1899), Parti ouvrier français, Parti socialiste révolutionnaire, Alliance communiste révolutionnaire
  2. Lenin, The Faction of Supporters of Otzovism and God-Building, Proletary No. 47-48, September 11 (24), 1909
  3. 3,0 et 3,1 Lenin, On the Road, Sotsial-Demokrat, No. 2, January 28 (February 10), 1909
  4. Lenin, Two Letters, Proletary, No. 39, November 13 (26), 1908
  5. Lénine, Œuvres, vol.36, p. 398.
  6. Lenin, Explanatory Note on the Draft of the Main Grounds of the Bill on the Eight-Hour Working Day, autumn of 1909
  7. A. Badaev, Большевики в государственной Думе, Leningrad, 1930