L'État et la révolution

De Wikirouge
Aller à la navigation Aller à la recherche
L'État et la révolution.jpg

L'État et la Révolution : la doctrine marxiste de l'État et les tâches du prolétariat dans la révolution est l’œuvre le plus élémentaire de Lénine. Cette œuvre est une réaffirmation des concepts scientifiques du socialisme, et plus précisément sur la nature de l’État. Le révolutionnaire russe aborde la question de l'appareil d’État, et à son sommet, le gouvernement; sous la dictature du prolétariat (thème peu détaillé par Marx et Engels).

1 Contexte[modifier | modifier le wikicode]

Lénine est arrivé à Petrograd le 3 avril, après la révolution de février 1917. Il se lance immédiatement dans la critique du soutien qu'apportent tous les social-démocrates (y compris les bolchéviks) au gouvernement provisoire. Il insiste dès ses Thèses d'avril sur la forme nouvelle des soviets et la situation de dualité de pouvoir à laquelle « personne autrefois ne songeait, ni ne pouvait songer ». Il soutient qu'après les soviets, l'institution d'une république parlementaire serait « un retour en arrière », et qu'il fallait un « Etat-Commune », c'est-à-dire un type d'État « dont la Commune de Paris a été la préfiguration ».

Mais après la répression qui suit les journées de juillet, il se réfugie en Finlande en août-septembre 1917. C'est là qu'il met à profit ce temps pour clarifier la question théorique de l'Etat. Le livre n'avait pas pour but de servir à une propagande immédiate : il n'était pas prêt, il n'avait pas le temps de le publier. Lénine l'écrivit avant tout pour forger sa conviction intime, et pour l'avenir, car il donnait beaucoup d'importance à la transmission des idées. Il avait recueilli la documentation pour son livre quand il était encore émigré, pendant la guerre. En juillet, avant de l'avoir rédigé, il écrit à Kamenev :

« Entre nous, si on me zigouille, je vous prie de publier mon cahier Le Marxisme sur l'État (resté en panne à Stockholm). La chemise bleue est brochée. Toutes les citations sont colligées, de Marx et d'Engels, ainsi que de Kautsky contre Pannekoek. Il y a un bon nombre de remarques et d'observations à mettre en forme. Je pense qu'en huit jours de travail l'on peut publier. J'estime que c'est important, car Plékhanov et Kautsky n'ont pas été seuls à embrouiller. Une condition : tout cela absolument entre nous. »[1]

Il se met à la rédaction quand il reçoit sa "chemise bleue" de Stockholm.

La rédaction du livre fut interrompue par les événements d'octobre 1917. Il écrit en postface :

« La présente brochure a été rédigée en août et en septembre 1917. J'avais déjà arrêté le plan du chapitre suivant, le VIIe : "L'expérience des révolutions russes de 1905 et 1917". Mais, en dehors du titre, je n'ai pas eu le temps d'écrire une seule ligne de ca chapitre, "empêché" que je fus par la crise politique qui a marqué la veille de la Révolution d'Octobre 1917. On ne peut que se réjouir d'un tel "empêchement". Mais le second fascicule de cette brochure (consacrée à L'expérience des révolutions russes de 1905 et 1917 ) devra sans doute être remise à beaucoup plus tard; il est plus agréable et plus utile de faire l'"expérience d'une révolution" que d'écrire à son sujet. »

Lénine souhaite réaffirmer la nécessité du renversement révolutionnaire de l'État bourgeois, présente chez Marx et abandonnée par les réformistes et les centristes de la IIe Internationale. Avec cet ouvrage, il définit clairement cet aspect du marxisme révolutionnaire, et en quoi il diffère du réformisme (qui veut obtenir pacifiquement la majorité au Parlement) et de l'anarchisme (qui croit pouvoir abolir l'État soudainement).

2 Contenu[modifier | modifier le wikicode]

Dans cette œuvre, Lénine résume le processus révolutionnaire historique à partir des travaux de Marx et d'Engels. Lénine rappelle le fait indéniable, un acquis du socialisme scientifique, que seule une révolution est capable de retirer le pouvoir politique aux classes possédantes - c'est-à-dire la bourgeoisie. Puis de lui retirer le pouvoir économique en lui confisquant les moyens de production.

Lénine identifie la révolution socialiste, après et en plus de la dictature du prolétariat, à deux phases : la phase inférieure - le socialisme, c'est-à-dire la collectivisation des grands moyens de production et l'introduction d'une planification économique avec une domination du prolétariat sur les anciennes classes possédantes par le biais de son État au service des classes exploitées, radicalement différent et infiniment plus démocratique que tous les anciens États. Cependant, dans cette phase socialiste, l’État ne serait plus un État à part entier mais un demi-État. Il est encore nécessaire d'user de cet appareil d'État né après l'insurrection pour empêcher les contre-révolutionnaires de s’opposer à la transformation de la société mais aussi pour la transformation elle-même (expropriation de la bourgeoisie, introduction de la planification, etc...). Les éventuels « excès » commis par certaines personnes seront réprimés par le peuple, qui exercera la répression en lieu et place de l'ancien appareil d'État.

La seconde phase, la phase supérieure, le communisme intégral, correspond à la disparation totale des classes sociales, et, à la disparition complète de l’État. Les grands choix politiques seront faits par la société, au sein d'organes démocratiques non séparés d'elle.

Lénine rappelle aussi que Marx et Engels ont écrit, dans la préface à l'édition allemande de 1872 du Manifeste communiste, que le programme du manifeste est « aujourd'hui vieilli sur certains points ». Ils précisaient : « La Commune, notamment, a démontré que la "classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre la machine de l'État toute prête et de la faire fonctionner pour son propre compte" ».

Lénine dénonce le fait que « cette correction essentielle qui a été dénaturée par les opportunistes », qui l'ont utilisée pour défendre « l'idée d'une évolution lente, par opposition à la prise du pouvoir » (notamment par rapport aux blanquistes, aux anarchistes...). Lénine souligne que « c'est exactement le contraire » : Marx pensait qu'il fallait « briser » la machine de l'Etat, par opposition à ceux qui seraient tentés de l'adopter telle qu'elle. Lénine cite à l'appui la lettre de Marx à Kugelmann du 12 avril 1871 :

« Dans le dernier chapitre de mon 18-Brumaire, je remarque, comme tu le verras si tu le relis, que la prochaine tentative de la révolution en France devra consister non plus à faire passer la machine bureaucratique et militaire en d'autres mains, comme ce fut le cas jusqu'ici, mais à la briser. C'est la condition première de toute révolution véritablement populaire sur le continent. C'est aussi ce qu'ont tenté nos héroïques camarades de Paris. »

Lénine ajoute ensuite deux remarques sur ce passage important. D'abord, il remarque que Marx limitait cette conclusion au Continent (par opposition à l'Angleterre), et ajoute :

« Cela se concevait en 1871, quand l'Angleterre était encore un modèle du pays purement capitaliste, mais sans militarisme et, dans une large mesure, sans bureaucratie. Aussi Marx faisait-il une exception pour l'Angleterre, où la révolution et même la révolution populaire paraissait possible, et l'était en effet sans destruction préalable de la "machine d'État toute prête". Aujourd'hui, en 1917, à l'époque de la première grande guerre impérialiste, cette restriction de Marx ne joue plus. L'Angleterre comme l'Amérique, les plus grands et les derniers représentants de la "liberté" anglo-saxonne dans le monde entier (absence de militarisme et de bureaucratisme), ont glissé entièrement dans le marais européen. »

Deuxièmement, Lénine relève que les mots sont importants quand Marx affirme que cette destruction est « la condition première de toute révolution véritablement populaire ». Son interprétation est que « révolution populaire » n'est pas ici un synonyme de révolution socialiste, mais qu'il renvoie au fait que le peuple soit massivement impliqué dans la révolution (qu'elle soit socialiste comme ici, ou bourgeoise). A titre d'exemple, Lénine distingue les révolutions bourgeoises au Portugal ou en Turquie, qui n'étaient pas populaires, et la tentative de révolution russe de 1905, qui fut réellement populaire.

« En 1871, le prolétariat ne formait la majorité du peuple dans aucun pays du continent européen. La révolution ne pouvait être "populaire" et entraîner véritablement la majorité dans le mouvement qu'en englobant et le prolétariat et la paysannerie. Le "peuple" était justement formé de ces deux classes. Celles-ci sont unies par le fait que la "machine bureaucratique et militaire de l'Etat" les opprime, les écrase, les exploite. Briser cette machine, la démolir , tel est véritablement l'intérêt du "peuple", de sa majorité, des ouvriers et de la majorité des paysans; telle est la "condition première" de la libre alliance des paysans pauvres et des prolétaires; et sans cette alliance, pas de démocratie solide, pas de transformation socialiste possible. »

Dans ces développements, on peut voir la transition chez Lénine de la ligne antérieure des bolchéviks (la « dictature démocratique des ouvriers et des paysans ») vers l'idée de révolution permanente, déjà amorcée à partir des Thèses d'avril.

3 Réflexions similaires[modifier | modifier le wikicode]

3.1 Pannekoek précurseur[modifier | modifier le wikicode]

Dans un article de 1912, L'action de masse et la révolution, Anton Pannekoek définissait la position de Karl Kautsky (alors reconnu comme le grand théoricien de l'Internationale) comme un "radicalisme passif", comme une "théorie de l'attente inactive". Il disait « Kautsky ne veut pas voir le processus de la révolution ». Lénine reconnaîtra sa clairvoyance dans L'État et la Révolution.[2]

3.2 L'apport de Boukharine[modifier | modifier le wikicode]

Au cours de ses travaux sur l'impérialisme (1915-1916), Boukharine se penche sur la nature de l’État impérialiste, et redécouvre avant Lénine la nécessité révolutionnaire de « briser » l’État bourgeois pour réussir la révolution. Pour Boukharine, « la social-démocratie doit souligner avec force son hostilité, de principe, au pouvoir d’Etat ». Il est cependant conscient de la nécessité d'un État ouvrier temporaire :

« Dans la montée de la lutte révolutionnaire, le prolétariat détruit l’organisation étatique de la bourgeoisie, reprend son ossature matérielle et crée sa propre organisation temporaire du pouvoir d’Etat. Ayant repoussé toutes les contre-attaques de la réaction et dégagé la voie du développement libre de l’humanité socialiste, le prolétariat en dernière analyse, abolit sa propre dictature aussi bien, une fois pour toutes, qu’un tuteur de bois… »[3]

Dans un premier temps, le leader des bolcheviks polémique contre « l’économisme » et le « semi anarchisme » du jeune Boukharine.[4]

Lénine ne le rejoindra qu’en préparant son livre sur L’État et la Révolution, à la veille de la révolution d’Octobre.

4 Notes et références[modifier | modifier le wikicode]