Monnaie

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La monnaie (ou l'argent) est une marchandise particulière qui sert de vecteur à l'échange marchand. Elle existe depuis longtemps car elle a été nécessaire, sous une forme ou sous une autre, pour faciliter la distribution de la production. L'image "canonique" que l'on retient, c'est celle de ses supports célèbres que sont l'or et l'argent.

1 Fonctions sociales de l'argent

L'argent a plusieurs fonctions :

  1. étalon de l'échange de marchandises, représentant des marchandises (et donc objet des contrats)
  2. moyen d'échange (via l'échange de monnaie matérielle ou écriture sur un compte informatique)
  3. marchandise universelle et représentant de la richesse, donc vecteur d'accumulation

2 Historique

2.1 Formation de la monnaie

La valeur d’échange d’une marchandise est constituée par le temps de travail social matérialisé en elle (loi de la valeur). Théoriquement, il serait donc possible de définir au cas par cas le "troc juste" entre deux marchandises. C'est ce que faisaient approximativement les premières tribus humaines lorsqu'elles échangeaient leurs différentes productions.

Mais en pratique, plus ces échanges se sont multipliés la production accru, plus il devenait nécessaire de les faciliter. Certaines marchandises ont reçu la fonction "d'équivalent général" (les "haches celtiques", puis le cuivre, l’argent, l’or...). Ce que Marx synthétise sous la forme :

« L'argent est un cristal qui se forme spontanément dans les échanges par lesquels les divers produits du travail sont en fait égalisés entre eux et, par cela même, transformés en marchandises. »[1]

Par définition, la valeur d'usage de la monnaie est donc justement d'être la valeur d’échange universelle, et le support matériel de cet échange (fonctions 1. et 2.). Ou plutôt le signe de la valeur ; cette symbolique prendra toute son ampleur avec le papier-monnaie et le crédit. On est donc passé du troc M-M’ (de marchandise à marchandise) à un échange simple : M-A-M’ (avec un intermédiaire, l'argent).

2.2 Les meilleurs supports de la monnaie

Dans ses formes originelles, l'argent s'incarnait dans des objets de la vie quotidienne. C'est une conséquence de sa "cristallisation" à partir de la vie sociale concrète des hommes. Néanmoins dans ce domaine comme dans les autres, les innovations "progressistes" ont été retenues par l'histoire. Et en premier lieux, l'utilisation de supports impérissables (à l'échelle humaine) a remplacé celle des denrées usuelles : du sel ou autres peaux, on est passé universellement à la monnaie métallique. Parmi les métaux, une autre sélection a ensuite été faite : les métaux précieux (or, argent...) ont remplacé les métaux utilisables dans des productions courantes comme les outils et les armes (cuivre, fer...).

Par la suite et encore aujourd'hui, la monnaie a continué à évoluer vers davantage de dématérialisation. La dématérialisation permet de fixer des conventions plus arbitraires et plus pratiques. Mais elle a nécessité que l'économie de marché s'étende et se consolide, et que des Etats soient capables d'assurer la crédibilité de leur monnaie sur l'ensemble de leur territoire (au delà des particularismes) et dans la durée. Cela a commencé notamment avec les billets (papier-monnaie), qui dans un premier temps n'étaient conçus que comme des titres permettant de désigner une valeur correspondante de pièces. L'Etat (via sa banque centrale) devait donc assurer la convertibilité en or (système de l'étalon or, ou du double étalon or - argent).

Mais ce système étalon-or a posé de nombreux problèmes techniques aux gouvernements bourgeois, en particulier lorsque le taux officiel qu'ils voulaient fixer (ou maintenir) arbitrairement a fortement divergé du taux réel.

Marx faisait le commentaire suivant en 1859 :

« La convertibilité en or et en argent mesure donc en pratique la valeur de tout papier-monnaie qui tire sa dénomination de l'or ou de l'argent, et peu importe que les billets soient ou non convertibles légalement. Une valeur nominale ne représente que l'ombre courant après le corps : la convertibilité (échangeabilité) de l'un en l'autre doit démontrer dans les faits qu'ils se recouvrent. Il y a dépréciation, si la valeur réelle descend en dessous de la valeur nominale. Il y a convertibilité si les deux vont de pair et s'échangent mutuellement. La convertibilité se constate non pas aux guichets de la Banque, mais dans l'échange quotidien des billets contre le métal, dont ils portent la dénomination. En fait, la convertibilité des billets est déjà menacée lorsqu'on ne prétend plus la confirmer par l'échange quotidien dans toutes les parties du pays, mais par des manipulations importantes dans les fonds de la Banque. »[2]

2.3 L'effet dissolvant de l'argent

L'économie des sociétés pré-capitalistes n'avait par définition pas le capital-argent comme fondement. Basées sur l'agriculture, elles comprenaient une part plus ou moins grande d'artisanat et de commerce entre les différentes peuples, mais qui ne permettaient que la circulation de la production existante. Dans ces conditions, il pouvait arriver fréquemment que l'argent ait un effet néfaste sur ces sociétés. En mettant la main sur de fortes quantités de monnaie, un individu et même un peuple peut s'approprier une partie de la richesse de ses voisins, mais cela n'a aucun effet stimulant sur l'économie. Au contraire, en injectant une somme de numéraire totalement décorrélée aux capacités de production, cela a un effet fortement désorganisateur, "dissolvant" dans les mots de Marx :

« A Rome et en Grèce, etc. l'argent apparut tout d'abord ingénuement et sous une forme peu développée dans ses deux premières fonctions d'étalon et de moyen de circulation. Mais lorsque le commerce s'y développa ou, comme chez les Romains, que les conquêtes firent entrer des flots d'argent, bref, subitement, à un niveau donné du développement économique, l'argent apparut nécessairement sous sa [fonction d'accumulation], et sous une forme d'autant plus élaborée que l'ancienne communauté était ébranlée. Mais, comme nous l'avons vu, pour agir sur la production, l'argent, dans sa troisième fonction, ne doit pas seulement être la condition préalable de la circulation, mais encore son résultat, et qui plus est, en tant que condition préalable, il doit en être un élément immanent et doit être posé par elle. Chez les Romains par exemple, où l'argent provenait du pillage du monde entier, ce n'est pas le cas. De la simple notion de l'argent, il ressort qu'il ne peut constituer un élément développé de la production que si le travail salarié existe déjà ; mais alors, loin de dissoudre la forme sociale, et la condition de son développement et un rouage du développement de toutes les forces productives, matérielles aussi bien qu'intellectuelles. »[2]

Marx établit une analogie entre les antiques et un individu non capitaliste, donc n'étant pas a priori dans un rapport d'auto-accumulation de l'argent, qui serait lui aussi fortement "dissolu" par une grande quantité d'argent (un prolétaire gagnant au loto par exemple) :

« Aujourd'hui encore, un individu peut entrer par hasard en possession d'une somme considérable d'argent, et celle-ci peut agir de manière aussi dissolvante sur lui que sur les anciennes communautés. »

2.4 Le capital-argent

Un seuil qualitatif a été franchi lorsque la bourgeoisie a été capable d'entretenir un processus d'accumulation d'argent à partir de l'argent : via l'investissement dans le capital constant et la force de travail, une plus-value est dégagée, qui permet au cycle de se poursuivre.

Avec le développement du capitalisme, la "troisième fonction" de l'argent s'est développée au plus haut point. Et l'on peut noter que l'argent qui est accumulé comme représentant universel de la richesse (comme capital-argent), est précisément en contradiction avec sa fonction de moyen d'échange. Du besoin primitif d'éviter les marchandises "trop utiles" comme le sel, nous sommes revenus à un stade de contradictions accrues, qui sont celles du capitalisme : la monnaie est plus que jamais une valeur d'usage nécessaire, mais le mode de production actuel tend toujours à en priver le prolétariat.

3 Le fétichisme

Le rapport d’échange entre les marchandises qui était en fait le rapport des temps de travail mis à les fabriquer (donc du rapport social) commence à disparaître derrière la monnaie. On ne dit plus : j’échange deux tabourets contre une chaise (en marquant ainsi un rapport social), mais on dit : une chaise vaut tant. Comme si c’était par magie que tant de pièces de monnaie exprimaient la valeur d’une marchandise. La monnaie devient donc un premier moment d’occultation des rapports réels entre les hommes.

En tant que "marchandise universelle", la monnaie est la meilleure illustration du fétichisme social.

4 Critiques de l'argent

La société bourgeoise engendre des situations sociales absurdes, qui peuvent paraître le fruit d'autres conséquences du capitalisme plutôt que de ses fondements. Par exemple, "l'argent" a été vu par beaucoup comme une malédiction, un vice, voire une véritable manifestation du diable ! Plus prosaïquement et plus "laïquement", beaucoup pensent sincèrement que c'est "l'argent" qui engendre les inégalités, la misère, etc... La plupart du temps donc, les critiques de l'argent sont posées d'un point de vue idéaliste.

Les critiques de l’argent sont nombreuses depuis l’antiquité (Aristote dans l’Éthique à Nicomaque).

4.1 Critiques religieuses

La plupart des religions contiennent des appels à ne pas se perdre dans le monde matériel et à privilégier la "spiritualité", en vue d'une meilleure place dans un arrière-monde. Par exemple le christiannisme primitif, qui s'est beaucoup appuyé sur les pauvres, developpait parfois de vives critiques contre les "riches avares". Les grands monothéismes n'ont bien sûr jamais repoussé l'argent en soi, mais en revanche ils ont souvent condamné le crédit et l'usure.

4.2 Réformes de la monnaie

Certains courants politiques prônent ou ont prôné des réformes du système monétaire, en vue de l'adapter aux besoins réels de leur classe ou de corriger ce qu'ils perçoivent comme des dysfonctionnements. C'est notamment le cas des calvinistes, qui ont libéré un tabou qui était devenu une entrave en acceptant le prêt avec intérêt.

Parmi les utopistes socialistes, on peut citer les proudhoniens comme Alfred Darimon[3] qui prétendaient corriger les dégâts sociaux causés par le capitalisme en instaurant notamment une "monnaie-temps de travail" (bons du travail).

Par la suite, l'utilisation capitaliste de l'argent s'est stabilisée, mais différentes politiques monétaires ont commencé à être élaborées, souvent au sein de conceptions économistes plus générales.

4.3 Abolition de l'argent

Le thème de "l'abolition de l'argent" est lui aussi un cas extrême de revendication chimérique si on le conçoit comme solution en soi aux maux de la société capitaliste, et non comme une conséquence du dépassement révolutionnaire de cette dernière.

« Il est impossible d'abolir l'argent tant que la valeur d'échange reste la forme sociale des produits. Il est nécessaire de s'en rendre compte, si l'on veut éviter d'affronter des tâches impossibles, et si l'on veut bien connaître les limites dans lesquelles les rapports de productions et les conditions sociales correspondantes peuvent être transformées en réformant la monnaie et la circulation. »[2]

On retrouve cette idée généreuse et utopique d'abolir l'argent d'un seul coup chez Babeuf.

En revanche on retrouve l'idée d'une nécessaire période de transition chez divers courants socialistes révolutionnaires, comme chez Emile Pouget, un des fondateurs du syndicalisme révolutionnaire, qui écrivait dans un écrit d'anticipation :

« Le vieil homme ne put, d’emblée, faire litière de ses préjugés et des vestiges du passé persistèrent. Tandis que certains produits de première nécessité étaient mis, sans restriction, à la disposition de tous, d’autres continuèrent à s’échanger suivant le mode ancien. La notion de valeur persista et la monnaie conserva en partie sa fonction transactionnelle, avec cette restriction qu’elle fut limitée aux échanges. L’or avait perdu sa puissance de « capital » et ses détenteurs n’avaient plus possibilité de le faire fructifier.  » [4]

5 Vocabulaire

5.1 Étymologie de "monnaie"

Le terme monnaie vient du verbe latin monere, qui signifie « avertir ». En effet la monnaie romaine fut d'abord frappée dans un atelier monétaire voisin du temple de Junon Moneta, — Junon « qui avertit » — sur le Capitole. Ce temple avait reçu ce surnom suite à l'épisode des oies du Capitole.

5.2 Monnaie / Argent

Argent et monnaie passent pour des synonymes dans la langue française, tandis que dans la plupart des autres langues, ils sont confondus et il n'existe qu'un seul mot (money, geld, dinero...). Pourtant, on peut sentir dans les façons différentes que nous avons d'employer ces termes, qu'ils recouvrent une nuance importante.

La monnaie réfère plutôt au support matériel de l'argent, qui est un rapport social. L'argent est donc chargé des divers jugements idéologiques que les hommes peuvent porter (argent mal acquis, argent sale, argent gagné à la sueur de son front...), tandis que la monnaie ne récupère que la fonction neutre de support matériel.

6 Notes et sources

  1. Le Capital - Livre premier, Karl Marx, 1867
  2. 2,0 2,1 et 2,2 Karl Marx, Contribution à la critique de l'économie politique (Grundrisse), 1859
  3. De la réforme des banques, Alfred Darimon, 1856
  4. Émile Pouget, Que nous réserve la révolution de demain ?, in Touche à tout, n°6 à n°8, juin-août 1909