Différences entre les versions de « Science »

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[[Lénine|Lénine]] reconnaissait un caractère objectif à la science, s'appuyant par exemple sur le "[[Matérialisme|matérialisme]] inconscient" de l'immense majorité des physiciens dans leur méthode de recherche quotidienne. Par contre, il affirmait que les considérations générales sur la théorie des connaissances (la [[Gnoséologie|''gnoséologie'']]) sont totalement imprégnées d'idéologie, et se divisent selon le grand clivage [[Idéalisme|idéalisme]] / [[Matérialisme|matérialisme]]. Il avait aussi cette vision par rapport à l'[[Économie|économie]] :
 
[[Lénine|Lénine]] reconnaissait un caractère objectif à la science, s'appuyant par exemple sur le "[[Matérialisme|matérialisme]] inconscient" de l'immense majorité des physiciens dans leur méthode de recherche quotidienne. Par contre, il affirmait que les considérations générales sur la théorie des connaissances (la [[Gnoséologie|''gnoséologie'']]) sont totalement imprégnées d'idéologie, et se divisent selon le grand clivage [[Idéalisme|idéalisme]] / [[Matérialisme|matérialisme]]. Il avait aussi cette vision par rapport à l'[[Économie|économie]] :
 
<blockquote>''«&nbsp;Pas un mot d'aucun de ces professeurs, capables d'écrire des ouvrages de très grande valeur dans les domaines spéciaux de la chimie, de l'histoire, de la physique, ne peut être cru quand il s'agit de philosophie. Pourquoi&nbsp;? Pour la raison même qui fait que l'on ne peut croire un mot d'aucun des professeurs d'économie politique, capables d'écrire des ouvrages de très grande valeur dans le domaine des recherches spéciales, au sujet des faits réels, dès qu'il est question de la théorie générale de l'économie politique. Car cette dernière est, tout autant que la gnoséologie, dans la société contemporaine, une science de parti. Les professeurs d'économie politique ne sont, de façon générale, que de savants commis de la classe capitaliste&nbsp;; les professeurs de philosophie ne sont que de savants commis des théologiens.&nbsp;»<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1908/09/vil19080900aq.htm Matérialisme et empiriocriticisme]'', 1908</ref>''</blockquote>  
 
<blockquote>''«&nbsp;Pas un mot d'aucun de ces professeurs, capables d'écrire des ouvrages de très grande valeur dans les domaines spéciaux de la chimie, de l'histoire, de la physique, ne peut être cru quand il s'agit de philosophie. Pourquoi&nbsp;? Pour la raison même qui fait que l'on ne peut croire un mot d'aucun des professeurs d'économie politique, capables d'écrire des ouvrages de très grande valeur dans le domaine des recherches spéciales, au sujet des faits réels, dès qu'il est question de la théorie générale de l'économie politique. Car cette dernière est, tout autant que la gnoséologie, dans la société contemporaine, une science de parti. Les professeurs d'économie politique ne sont, de façon générale, que de savants commis de la classe capitaliste&nbsp;; les professeurs de philosophie ne sont que de savants commis des théologiens.&nbsp;»<ref>Lénine, ''[https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1908/09/vil19080900aq.htm Matérialisme et empiriocriticisme]'', 1908</ref>''</blockquote>  
[[Trotsky|Trotsky]] partageait cette idée que les siences naturelles parviennent à plus d'objectivité tandis que les sciences humaines sont chargées d'idéologie (même s'il n'y a pas de ''«&nbsp;mur infranchissable&nbsp;»'') :
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[[Trotsky|Trotsky]] partageait cette idée que les siences naturelles parviennent à plus d'objectivité tandis que les sciences humaines sont chargées d'idéologie (même s'il n'y a pas de ''«&nbsp;mur infranchissable&nbsp;»'')&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;Tandis que le socialisme manifeste une grande confiance envers les sciences consacrées à l'étude directe de la nature, il doit appliquer une non moins grande méfiance critique aux sciences et pseudosciences étroitement liées à la structure de la société humaine, à son organisation économique, à l'Etat, au droit, à la morale, etc. D'ailleurs, ces deux sphères ne sont pas séparées par un mur infranchissable. Mais c'est un fait incontestable que l'héritage est de plus de valeur dans ces sciences qui ne concernent pas la société humaine mais la matière, dans les sciences naturelles.&nbsp;&nbsp;»''<ref>Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1925/09/lt19250917.htm Mendeleïev et le marxisme]'', 17 septembre 1925</ref></blockquote>
''« Tandis que le socialisme manifeste une grande confiance envers les sciences consacrées à l'étude directe de la nature, il doit appliquer une non moins grande méfiance critique aux sciences et pseudosciences étroitement liées à la structure de la société humaine, à son organisation économique, à l'Etat, au droit, à la morale, etc. D'ailleurs, ces deux sphères ne sont pas séparées par un mur infranchissable. Mais c'est un fait incontestable que l'héritage est de plus de valeur dans ces sciences qui ne concernent pas la société humaine mais la matière, dans les sciences naturelles.&nbsp; »''<ref>Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1925/09/lt19250917.htm Mendeleïev et le marxisme]'', 17 septembre 1925</ref>
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Ce courant, qui se veut critique de toutes les [[Idéologies|idéologies]], est globalement marqué à gauche. Certains militants [[Marxistes|marxistes]] critiquent le fait que ce relativisme gagne une certaine influence dans l'[[Extrême_gauche|extrême-gauche]].<ref>Hubert Krivine, [http://npa2009.org/content/la-science-n%E2%80%99est-pas-un-%C2%AB%E2%80%89discours%E2%80%89%C2%BB-comme-un-autre ''La science n’est pas un « discours » comme un autre''], 2013</ref>
  
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<blockquote>''«&nbsp;Comme les autres hommes, les savants sont pénétrés de ce vieux mépris de la femme, reste ancestral des âges où la force musculaire était tout&nbsp;; il n’est donc pas étonnant qu’ils aient lu son infériorité dans l’anatomie, la physiologie et la psychologie. &nbsp;»''<ref>Madeleine Pelletier, [http://www.marievictoirelouis.net/index.php?id=254&auteurid=251 ''La prétendue infériorité psychophysiologique des femmes''], La Revue socialiste, janvier 1908 </ref></blockquote>
 
 
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« Dans notre pays, le parti travailliste est la seule organisation politique à inclure la promotion de la recherche dans son programme officiel. » <ref>J.B.S. Haldane, ''Dédale ou la science de l’avenir'', 1923</ref>
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=== Lénine et les marxistes russes ===
 
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Version du 5 février 2017 à 15:44

SovietScience.jpg

La science (latin scientia, « connaissance ») est l'ensemble des connaissances considérées comme vraies et les théories pour les expliquer.

1 Résultats et méthode scientifique

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Max Adler a beaucoup écrit sur la question de la causalité dans la science sociale dans ses études sur Marx.

2 Science et capitalisme

Historiquement, l'affirmation politique de la bourgeoisie en Europe a eu tendance à aller de pair avec l'affirmation de la science vis-à-vis de la religion. Galilée avait osé affirmer, contre l'Eglise, qu'il pouvait voir grâce à sa lunette que la Terre tourne autour du Soleil. Ce genre de découverte nécessitait de l’audace, une certaine curiosité et surtout disposer de la lunette inventée par les Hollandais. Les conditions sociales de ces découvertes sont clairement les productions d’une société à un certain moment.

Le capitalisme porte les connaissances scientifiques à un niveau sans précédant dans l'histoire, mais maintient l'immense majorité des humains dans l'ignorance. Ce qui fait dire à Marx que dans ce système, la « lumière limpide de la science [brille] sur le fond ténébreux de l’ignorance ».[1]

Le capitalisme influence la recherche scientifique de nombreuses façons :

  • les sujets de recherche sont favorisés selon le profit dont on peut en tirer. Dans la recherche privée, cet effet est direct : les laboratoires de recherche et développement des grands groupes industriels sont orientés vers des recherches qui peuvent déboucher sur des marchandises répondant à un marché solvable ;
  • même si l'on peut trouver quelques crédits pour la recherche fondamentale dans la recherche publique, celle-ci n'est pas déconnectée du capitalisme. L'Etat est au service de l'intérêt à plus long terme des capitalistes de son pays, en finançant des recherches qui a priori ne sont pas sûres de déboucher. Ce secteur étant moins rentable, il est financé par la population... Dès qu'une découverte est potentiellement rentable, des partenariat avec des groupes privés sont mis en place ;
  • les chercheurs ne sont pas des machines logiques détachées de la société. Ils sont en général, aujourd'hui, mâles, blancs, écrivant l’anglais et d’origine sociale plutôt favorisée, travaillant pour le privé ou pour l’armée. De ce fait, on peut bien sûr suspecter de nombreux biais dans leur façon de faire de la recherche.

Les revues scientifiques sont aujourd'hui dans une situation de quasi-monopole privé (Springer, Elsevier...). Cela créé une situation de rente pour ces entreprises, et des tarifs prohibitifs pour beaucoup de chercheurs, voire d'universités entières qui renoncent à leur abonnement.[2]

3 Science et idéologie

3.1 L'influence de l'idéologie sur les sciences

Les sciences ont une base objective réelle tout en étant affectées par les idéologies dominantes. La question du rapport entre sciences et idéologies est un champ de débats complexes pour les marxistes. Pour schématiser, les deux principaux écueils sont de :

  • considérer que les sciences sont hors du champ des idéologies et sont des vérités au delà des luttes de classe (position "scientiste") ;
  • considérer que toute science est entièrement idéologique (position "relativiste").

Pour prendre un exemple dans le domaine de l'économie, Marx semblait considérait que l'Ecole classique (Adam Smith, David Ricardo...) exprimait à la fois des résultats scientifiques incontestablement plus solides que d'autres théories, et à la fois les intérêts de la bourgeoisie. Ainsi il disait de la théorie de Ricardo sur la rente foncière qu'elle est « un système scientifique »[3], et en même temps, qu'elle «n'est que l'expression économique d'une lutte sans merci des bourgeois industriels contre les propriétaires fonciers. ».

Il critiquait durement le protectionniste allemand Friedrich List lorsque celui-ci accusait les économistes anglais de n'avoir défendu qu'une idéologie anglaise :

«Comme il s'agit, en effet, pour le bourgeois allemand, de droits protecteurs, il est naturel que tout le développement de l'économie depuis Smith n'ait aucun sens pour lui, étant donné que les représentants les plus remarquables de cette économie ont pour point de départ la société bourgeoise actuelle de la concurrence et du libre-échange. Le philistin allemand montre ici, de mainte façon, son caractère « national ». Dans toute l'économie politique, il ne voit que systèmes élucubrés dans les cabinets d'étude. Que le développement d'une science telle que l'économie soit liée au mouvement réel de la société, ou même en soit seulement l'expression théorique, M. List ne le soupçonne même pas : c'est un théoricien allemand. Étant donné que sa propre théorie (son ouvrage) recèle un but caché, il flaire partout des buts secrets. »[4]

Lénine reconnaissait un caractère objectif à la science, s'appuyant par exemple sur le "matérialisme inconscient" de l'immense majorité des physiciens dans leur méthode de recherche quotidienne. Par contre, il affirmait que les considérations générales sur la théorie des connaissances (la gnoséologie) sont totalement imprégnées d'idéologie, et se divisent selon le grand clivage idéalisme / matérialisme. Il avait aussi cette vision par rapport à l'économie :

« Pas un mot d'aucun de ces professeurs, capables d'écrire des ouvrages de très grande valeur dans les domaines spéciaux de la chimie, de l'histoire, de la physique, ne peut être cru quand il s'agit de philosophie. Pourquoi ? Pour la raison même qui fait que l'on ne peut croire un mot d'aucun des professeurs d'économie politique, capables d'écrire des ouvrages de très grande valeur dans le domaine des recherches spéciales, au sujet des faits réels, dès qu'il est question de la théorie générale de l'économie politique. Car cette dernière est, tout autant que la gnoséologie, dans la société contemporaine, une science de parti. Les professeurs d'économie politique ne sont, de façon générale, que de savants commis de la classe capitaliste ; les professeurs de philosophie ne sont que de savants commis des théologiens. »[5]

Trotsky partageait cette idée que les siences naturelles parviennent à plus d'objectivité tandis que les sciences humaines sont chargées d'idéologie (même s'il n'y a pas de « mur infranchissable ») :

« Tandis que le socialisme manifeste une grande confiance envers les sciences consacrées à l'étude directe de la nature, il doit appliquer une non moins grande méfiance critique aux sciences et pseudosciences étroitement liées à la structure de la société humaine, à son organisation économique, à l'Etat, au droit, à la morale, etc. D'ailleurs, ces deux sphères ne sont pas séparées par un mur infranchissable. Mais c'est un fait incontestable que l'héritage est de plus de valeur dans ces sciences qui ne concernent pas la société humaine mais la matière, dans les sciences naturelles.  »[6]

3.2 Science et féminisme

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Etant donnée la prépondérance des hommes parmi les scientifiques, des féministes comme Catherine Vidal ont dénoncé le sexisme dont peut être imprégné leurs recherches. Dès 1908, Madeleine Pelletier écrivait :

« Comme les autres hommes, les savants sont pénétrés de ce vieux mépris de la femme, reste ancestral des âges où la force musculaire était tout ; il n’est donc pas étonnant qu’ils aient lu son infériorité dans l’anatomie, la physiologie et la psychologie.  »[7]

3.3 Science et racisme

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3.4 Relativisme

Dans les années 1970, David Bloor et Barry Barnes développent le « programme fort », pour qui « le contenu de n’importe quelle science est social de part en part ».

Depuis les années 1990, le relativisme a connu un fort essor dans le champ philosophique. On peut citer notamment le livre de Bruno Latour, La Science en action (2005) qui défend ces conceptions. Un exemple de raisonnement de Bruno Latour : il remet en question le fait que Ramsès II serait mort de la tuberculose (ce que des recherches récentes ont montré), parce que le virus de la tuberculose, le bacille de Koch, n'avait pas été découvert à l'époque.

« La réponse de bon sens (...) consiste à dire que les objets (bacilles ou ferments) étaient déjà là depuis des temps immémoriaux, et que nos savants les ont simplement tardivement découverts (...) Dans cette hypothèse, l’histoire des sciences n’a qu’un intérêt fort limité. »

Les relativistes défendent généralement l'idée que ce que l'on considère comme vérité scientifique n'est en fait que le résultat d'un rapport de force : le réseau de scientifiques les plus forts arrivent à faire passer leur point de vue comme "vrai". La rationalité est alors disqualifiée :

« Un concept n’est pas doué de pouvoir en vertu de son caractère rationnel, il est reconnu comme articulant une démarche rationnelle parce que ceux qui le proposaient ont réussi à vaincre le scepticisme d’un nombre suffisant d’autres scientifiques, eux-mêmes reconnus comme  ‘‘compétents’’ ». Isabelle Stengers (Les concepts scientifiques, 1991)

Ce courant, qui se veut critique de toutes les idéologies, est globalement marqué à gauche. Certains militants marxistes critiquent le fait que ce relativisme gagne une certaine influence dans l'extrême-gauche.[8]

4 Science et marxisme

4.1 La science chez Marx et Engels

Il existe de nombreux débats sur ce que pensaient Marx et Engels de la science, et ces débats sont complexes parce que la science (en général) n'était pas le coeur de leurs études (ils s'appuyaient sur les découvertes scientifiques du XIXème siècle mais sans expliciter de point de vue général), et parce que la définition de la science est elle-même un débat qui n'est toujours pas refermé.

« Au moment où se fragmente le socle épistémologique et où se cristallisent des sciences « positives » ou « anglaises », Marx maintient la problématique d’une science comme savoir, au sens habituel de la culture allemande, qui remonte, par-delà Hegel, Schelling, Fichte, et Kant jusqu’à Jacob Böhme. »[9]

A propos de ses travaux théoriques, Marx disait :

« Dans une œuvre comme la mienne […], la composition et l’articulation d’ensemble constituent un triomphe de la science allemande […], l’économie comme science, au sens allemand est encore à faire. »[10]

Cette science aurait sa parenté dans la "science du troisième type" de Spinoza, la "science du contingent" de Leibniz, puis la "science spéculative" de Hegel. Marx et Engels se revendiquaient à la fois des matérialistes français du XVIIIème siècle (sans la « métaphysique »), des sciences positives anglaises alors en plein essor (sans leurs conclusions bourgeoises), et de la dialectique hégélienne (« remise sur ses pieds », convertie de l'idéalisme au matérialisme). Pour ces raisons, d'un côté certains leur reprochent un travers « scientiste », de l'autres certains leur reprochent des éléments « non-scientifiques » (notamment la dialectique).

Par exemple, le matérialiste Eugen Dühring ironisait sur les « miracles dialectiques » dispensés par Marx. En réaction, Engels écrivit Anti-Dühring, Monsieur E. Dühring bouleverse la science[11].

Le XIXème siècle fut un siècle d'accélération sans précédant des découvertes scientifiques, qui remettaient en question des dogmes bien établis, et qui favorisaient une vision du monde bien plus dynamique que par le passé. Exemple célèbre, Charles Darwin avait publié en 1859 L'origine des espèces[12], démontrant l'évolution des espèces vivantes. Ouvrage que Marx et Engels avaient lu et qu'ils considéraient comme le complément dans le domaine biologique de leur vision dynamique de l'histoire humaine.

L'étude du mouvement par la physique, centrée sur les lois de Newton, se réduisait essentiellement à de la cinématique réversible. La physique commence alors à découvrir à quel point « tout se transforme ». En physique, James Prescott Joule avait démontré que la chaleur pouvait être transformée en énergie mécanique et inversement. En géologie, Charles Lyell avait découvert la création continue et la destruction des couches de la croûte terrestre.

Marx avait été formé à la géologie par Johann Steininger, lui-même un élève d'Abraham Werner – un des premiers à soutenir l'idée, alors radicale, que la terre avait une histoire. Plus généralement, Marx et Engels s'intéressaient à toutes les sciences. Marx suivait attentivement à partir des années 1860 les travaux du chimiste Justus Von Liebig sur le cycle des nutriments dans l'agriculture et ses conséquences environnementales. Marx suivait également les travaux de John Tyndall, qui envisageait dès 1861 l'effet potentiel du CO2 sur l'effet de serre planétaire.

Engels avait même suffisamment de connaissances pour avancer certaines thèses. Dans Le rôle joué par le travail dans la transformation du singe en homme[13] (1876), il explique que la bipédie adoptée par les humains a libéré leurs mains et leur a permis de développer l'usage des outils, qui eut lieu en même temps que le développement d'un cerveau plus volumineux. Cette idée a suscité l'admiration de Stephen Jay Gould, qui y voit le premier exemple de ce qu'il appelle gene-culture coevolution.

Au début des années 1880, Serge Podolinsky, socialiste et populiste ukrainien, publie un article intitulé Le Socialisme et l’unité des forces physiques, dans lequel il essaie de comprendre en terme de flux énergétiques comment le travail humain parvient, en apparence, à une accumulation (donc à produire plus que ce qui a été dépensé pour réaliser ce travail). Dans sa lettre à Marx du 8 avril 1880, Podolinsky présente sa démarche comme « une tentative d’harmoniser le surtravail et les théories physiques actuelles ». Marx demande alors son avis à Engels, qui lui écrit :

« Voilà comment je vois l’histoire de Podolinsky : sa véritable découverte est que le travail humain est capable de retenir et de prolonger l’action du soleil à la surface de la terre au-delà de ce qu’elle durerait sans ce travail. Toutes les considérations économiques qu’il en tire sont fausses […]. À partir de sa très importante découverte, Podolinsky a fini par faire fausse route parce qu’il a voulu trouver une nouvelle preuve scientifique de la justesse du socialisme et qu’il a mêlé de ce fait la physique et l’économie. »[14][9]

Une des questions que cela soulève est donc celle de l'existence ou non d'une science globale (qui intègrerait aussi bien la physique que l'économie, la biologie que la psychologie, etc.). Pour Marx :

« Les sciences de la nature comprendront plus tard aussi bien la science de l’homme que la science de l’homme englobera les sciences de la nature : il y aura une seule science. »[15]

Dans L'Idéologie allemande, Marx et Engels écrivaient encore :

« Nous ne connaissons qu’une science, la science de l’histoire. Seule l’histoire peut être considérée sous les deux aspects, se divisant en histoire de la nature et histoire de l’humanité. Cependant, il ne faut pas séparer ces deux aspects ; dans la mesure où les hommes existent, l’histoire de la nature et l’histoire des hommes se conditionnent réciproquement. »

En ce qui concerne la méthode scientifique, Engels a clairement défendu une unicité : les lois de la dialectique qu'il entendait exposer dans La dialectique de la nature.

4.2 Socialisme scientifique

4.3 Le socialisme et la réaction face à la science

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Au 19e siècle, beaucoup de découvertes scientifiques ont remis en question des discours dominants, par exemple le darwinisme contre le créationnisme... Cela a conduit les mouvements réactionnaires à adopter longtemps une attitude hostile envers la science, et à l'inverse les libéraux et les socialistes à la considérer comme une alliée. En 1923, le biologiste J.B.S. Haldane disait :

« Dans notre pays, le parti travailliste est la seule organisation politique à inclure la promotion de la recherche dans son programme officiel. » [16]

4.4 Lénine et les marxistes russes

Le courant de l'empiriocriticisme fondé par Richard Avenarius, puis le livre du physicien Ernst Mach, L'analyse des sensations (1886) eut un grand écho parmi les social-démocrates russes, suscitant notamment l'Essai de conception réaliste du monde(1904) de Vladimir Bazarov, l'Essai de la philosophie marxiste (1908) d'Alexandre Bogdanov, ou encore l'Essai de philosophie collective d'Anatoli Lounatcharski. Ces derniers veulent réconcilier religion et marxisme pour relancer l'élan révolutionnaire de la masse, affaibli par la révolution de 1905. Ils sont ainsi liés au courant « de la construction de Dieu » qui prône un retour à la thèse de Feuerbach selon laquelle l'homme serait Dieu.

En 1909, Lénine écrit en réponse Matérialisme et empiriocriticisme[17], et reproche aux empiriocriticistes de « renoncer au matérialisme en recourant à une théorie de la connaissance idéaliste ». Il y exprime également sa divergence par rapport à la conception matérialiste de Georgi Valentinovich Plekhanov. Il voit dans la théorie des hiéroglyphes de Plekhanov une négation de l'objectivité et une impossibilité de connaître les choses elles-mêmes.

4.5 La science en URSS

Dans les années 1920, de nombreux travaux scientifiques novateurs fleurissent dans la jeune Russie soviétique.

  • Valentin Volochinov, Le Marxisme et la philosophie du langage[18] ;
  • Lev Vigotski, sur la psychologie[18] ;
  • Wladimir Vernadsky, La Biosphère (1926) : Vernadsky y développe en précurseur l'écologie globale, et signale une dégradation inquiétante qui n’aurait de solution que dans le changement des modèles alimentaires et des sources d’énergie. De nombreux instituts de recherche et d’enseignement consacrés à l’écologie sont alors ouverts.

En revanche, la bureaucratisation de l'URSS va transformer cette effervescence en son contraire : une glaciation de la recherche, une forte censure et auto-censure des chercheurs. Le dogme devient le matérialisme dialectique (abrégé « diamat » en russe). La version de la dialectique qu'utilisaient les staliniens était une application rigide des trois lois de la dialectique selon Engels. Les lois étaient martelées par Staline et ses partisans acceptaient sans y voir la moindre difficulté le concept d'une dialectique de la nature.

Des scientifiques reconnus dans leur discipline furent purgés parce qu'ils ne montraient pas assez qu'ils appliquaient le « diamat » dans leur science. Ils étaient alors remplacés par de jeunes collègues qui avaient proclamé leur allégeance au matérialisme dialectique stalinien. C'était, en partie, un effort pour contraindre la science à s'adapter aux besoins spécifiques de l'Union soviétique pour se maintenir comme puissance mondiale. Il ne pouvait plus être question de science pure. Les scientifiques devaient justifier leur travail en démontrant sa pertinence dans le cadre du Plan quinquennal de développement économique de Staline. Mais c'était aussi un effort idéologique pour justifier l'Etat soviétique, tant aux yeux de ses propres citoyens que pour les sympathisants d'Occident, comme une société totalement organisée selon les intérêts du prolétariat.

Cela pouvait aller jusqu'à l'incompétence flagrante et même la contradiction frontale avec le savoir scientifique accumulé jusque là. Par exemple, Trofim Lissenko, qui rejetait la génétique comme une déviation bourgeoise, fut nommé directeur de l'Institut de génétique.

Cette réaction intellectuelle sera à son comble jusqu'à la mort de Staline (1953), et s'atténuera par la suite.

4.6 Autres chercheurs marxistes ou marxisants

Anton Pannekoek : L'anthropogenèse (1944)[19]

En 1985, Richard Levins et Richard Lewontin ont publié une série d'essais intitulés The Dialectical Biologist, dans lesquels ils expliquent avoir adopté la dialectique dans leur pratique de biologistes. Un de leurs raisonnements le plus novateur est de considérer l'organisme à la fois comme sujet et comme objet de l'évolution. Ils critiquent d'une part les darwiniens classiques qui voient les organismes comme réagissant à des forces agissant sur eux de l'extérieur (les contraintes de l'environnement), et d'autre part les déterministes génétiques (comme Richard Dawkins et sa théorie du « gène égoïste ») pour qui le développement des organismes dépend avant tout du code génétique préétabli. Pour Levins et Lewontin, on ne peut pas considérer qu'une niche écologique adéquate à telle espèce préexiste, mais que les niches sont créées par un processus commun des organismes et de l'environnement (dont d'autres organismes). L'environnement modifie les organismes, mais les organismes modifient aussi l'environnement (les castors créent des barrages, les racines de plantes modifient le sol, la vie a modifié la composition de l'atmosphère...).

Stephen Jay Gould et Niles Eldredge ont aussi considéré que l'évolution suit un mouvement dialectique : dans leur théorie de l'équilibre ponctué, l'évolution est caractérisée par de longues périodes statiques parsemées de moments dans lesquels les espèces évoluent très rapidement. Gould déclarait que « la pensée dialectique devrait être prise plus au sérieux par les chercheurs occidentaux ».

Steven Rose, chercheur en neurologie et vulgarisateur de la philosophie de la biologie, cite la tradition dialectique comme l'une des influences qu'il a subies. Il soutient que les systèmes complexes ont des propriétés qui ne peuvent être expliquées en examinant isolément chacun de leurs éléments.

J.B.S. Haldane était un scientifique éminent, qui avait fait progresser notre compréhension de la façon dont l'évolution se relie à la génétique, et aussi un marxiste engagé, membre du parti communiste. Toute sa vie, il devait se persuader de plus en plus des pouvoirs explicatifs de la méthode dialectique, déclarant dans sa préface à la Dialectique de la nature que si elle avait été publiée plus tôt, elle lui aurait épargné beaucoup de « réflexion confuse ».

Christof Niehrs, embryologiste allemand, a noté de façon explicite, dans un article scientifique de 2011, les similitudes formelles entre les processus biologiques et les lois de Hegel[20].

Dans le domaine de la géographie, plusieurs penseurs éminent ont développé une pensée marxiste, y compris sur les rapports du marxisme avec leur propre discipline. Le fait que celle-ci soit à la croisée des sciences sociales et des sciences naturelles les conduit souvent à s'interroger sur la dialectique, la dialectique de la nature...

Par exemple Neil Smith a publié sa thèse de doctorat sous le titre Uneven Development (1990). Neil proclamait que nombre de nos idées au sujet de la nature peuvent être reliées à l'idéologie des sociétés de classe. Il critiquait les conceptions séparant d'un côté la nature (extérieure et immuable) et l'homme. Conception qui est un point commun à la plupart des écologistes (pour qui cet extérieur doit rester intact) et les technocrates (qui mettent la technique au service du pouvoir capitaliste pour prôner l'utilisation totale de la nature). L'image d'une nature immuable est aussi invoqué par les conservateurs pour dire que la société ne doit pas changer, "comme la nature". A l'inverse, Neil Smith soutenait que la nature est en partie produite par l'humanité.

Une autre question se pose : si la dialectique matérialiste a quelque chose d'objectif, pourquoi n'y a-t-il pas davantage de scientifiques dialecticiens ? La réponse la plus immédiate est que les scientifiques observent le monde réel, mais à travers un prisme déformant qui est l'idéologie dominante du capitalisme. Ainsi les scientifiques seraient poussés à voir le monde de façon parcellaire, réductionniste et utilitariste, notamment comme reflet de l'individualisme dans la société capitaliste.[21] Tout comme les économistes sont poussés à considérer le capital comme un fonctionnement normal de la société qu'il s'agit juste de réguler plus ou moins.

5 Analyse systémique

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6 Science, déterminisme et hasard

Le déterminisme est inséparable de la science : la démarche scientifique consiste à chercher des lois (physiques, chimiques, sociales...). A priori, il est impossible de démontrer que "la totalité du monde est déterministe". C'est une démarche philosophique que de rechercher ces lois, tout comme la démarche qui consiste à croire et affirmer qu'il y a et qu'il y aura toujours de "l'inexplicable". Une différence majeure cependant : la démarche scientifique a étendu sans cesse la sphère de l'explicable, alors que la démarche anti-déterministe n'a jamais fait que se retrancher des les zones d'ombres de la science.

Déterminisme ne signifie pas forcément prédictibilité. On peut acquérir la certitude scientifique qu'un système donné est déterministe, alors même que l'on est incapable de calculer précisément sa trajectoire, son devenir, etc.

Dans une optique déterministe, le "hasard" est seulement une façon de désigner un manque d'information.

Des dés lancés en l'air retomberont dans une certaine position "au hasard". Mais si l'on pouvait mesurer précisément dans quelle direction les dés sont lancés, à quelle hauteur, avec quel mouvement de rotation initial, avec quelle dureté du sol, quel vent... on pourrait déterminer sur quelle face les dés retomberont.

Le hasard intervient aussi dans la transmission génétique des parents à leurs enfants. La reproduction sexuée est caractérisée par le fait que les gènes d'un individu ne sont pas la simple réplique des gènes d'un parent, ce qui serait du clonage, mais un mélange et une sélection des gènes provenant des deux parents. Cette sélection des gènes des parents se fait « au hasard . Là encore, derrière ce phénomène, il y a une très grande quantité de processus chimiques qui tous pris les uns indépendamment des autres sont absolument déterminés, mais dont le résultat final est imprévisible.

Le mouvement brownien, qui paraissent complètement chaotique, est en fait déterminé par les multiples chocs des molécules.

La théorie du chaos, qui est un modèle appliqué notamment à la météorologie, ne contredit absolument pas le déterminisme. Elle postule seulement que certains systèmes complexes deviennent imprévisibles par manque de données, ou parce que des données a priori négligeables ou indétectables finissent par avoir des impacts sur le long terme qui font échouer les estimations faites initialement.

7 Notes et sources

Cercle Léon Trotsky, Développement des sciences et fondements des idées communistes, 2015

Voir les réflexions de Manuel Sacristan et d'Enrique Dussel sur la science chez Marx.

  1. K. Marx, Les révolutions de 1848 et le prolétariat , 1856
  2. Olivier Ertzscheid, « Je ne publierai plus jamais dans une revue scientifique », mai 2016
  3. K. Marx, Misère de la philosophie, 1847
  4. Karl Marx, A propos du Système national de l'économie politique de Friedrich List, 1845
  5. Lénine, Matérialisme et empiriocriticisme, 1908
  6. Trotsky, Mendeleïev et le marxisme, 17 septembre 1925
  7. Madeleine Pelletier, La prétendue infériorité psychophysiologique des femmes, La Revue socialiste, janvier 1908
  8. Hubert Krivine, La science n’est pas un « discours » comme un autre, 2013
  9. 9,0 et 9,1 Daniel Bensaïd, Marx, productivisme et écologie, 1993
  10. Marx-Engels, correspondance, Éditions sociales, Paris 1975-1981, lettres du 20 février 1866, tome VIII, p. 219, et du 12 novembre 1858, tome V, p. 234.
  11. Engels, Anti-Dühring, Monsieur E. Dühring bouleverse la science, 1878
  12. http://classiques.uqac.ca/classiques/darwin_charles_robert/origine_especes/origine_especes.html
  13. Friedrich Engels , Le rôle joué par le travail dans la transformation du singe en homme, 1876
  14. Engels, « Lettres sur les sciences de la nature », Éditions sociales, Paris 1973, p. 103.
  15. K. Marx, Manuscrits de 1844
  16. J.B.S. Haldane, Dédale ou la science de l’avenir, 1923
  17. Lénine, Matérialisme et empiriocriticisme, 1909
  18. 18,0 et 18,1 http://www.contretemps.eu/interventions/laffaire-bakhtine-cas-vygotski-marx-penseur-lindividualit%C3%A9-humaine
  19. http://www.marxists.org/francais/pannekoek/works/1944/00/pannekoek_19440000.htm
  20. Christof Niehrs, Dialectics, Systems Biology and Embryonic Induction, Differentiation, volume 81, numéro 4, 2011
  21. Phil Gasper, Bookwatch: Marxism and Science, International Socialism 79, 1998