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L'hiver 1916-1917 fut très rude (jusqu'à -40°C). A Petrograd, il n’y avait plus de viande et presque plus de farine. Une cinquantaine d’usines avaient fermé leurs portes faute de fuel ou d’électricité. Dans le vaste pays, les paysans pauvres réclament des terres, et les [[Minorités_nationales_en_Russie|minorités nationales opprimées]] se révoltent. Le 9 janvier 1917, à l’occasion du 12<sup>e</sup> anniversaire de la [[Révolution_russe_(1905)|révolution de 1905]], le nombre de grévistes, à Petrograd, s’élevait à 145 000, soit près d’un tiers de la [[Classe_ouvrière|classe ouvrière]] de la capitale. Au cours de cette grève, des manifestations se déroulèrent à Petrograd, Moscou, Bakou, Nijni Novgorod. L'idée de [[Grève_générale|grève générale]] se fait jour. Un rapport de l'[[Okhrana|Okhrana]] sur la situation à Petrograd au début de l'année conclut ainsi&nbsp;: ''«&nbsp;la société aspire à trouver une issue à une situation politique anormale qui devient, de jour en jour, de plus en plus anormale et tendue&nbsp;»''.
 
L'hiver 1916-1917 fut très rude (jusqu'à -40°C). A Petrograd, il n’y avait plus de viande et presque plus de farine. Une cinquantaine d’usines avaient fermé leurs portes faute de fuel ou d’électricité. Dans le vaste pays, les paysans pauvres réclament des terres, et les [[Minorités_nationales_en_Russie|minorités nationales opprimées]] se révoltent. Le 9 janvier 1917, à l’occasion du 12<sup>e</sup> anniversaire de la [[Révolution_russe_(1905)|révolution de 1905]], le nombre de grévistes, à Petrograd, s’élevait à 145 000, soit près d’un tiers de la [[Classe_ouvrière|classe ouvrière]] de la capitale. Au cours de cette grève, des manifestations se déroulèrent à Petrograd, Moscou, Bakou, Nijni Novgorod. L'idée de [[Grève_générale|grève générale]] se fait jour. Un rapport de l'[[Okhrana|Okhrana]] sur la situation à Petrograd au début de l'année conclut ainsi&nbsp;: ''«&nbsp;la société aspire à trouver une issue à une situation politique anormale qui devient, de jour en jour, de plus en plus anormale et tendue&nbsp;»''.
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L'opposition libérale à la Douma, regroupée dans un "bloc progressiste" autour du [[Parti_constitutionnel_démocratique|Parti constitutionnel démocratique]] (KD), critiquait non pas la guerre mais l'incapacité du gouvernement tsariste. Elle multipliait donc les appels à un gouvernement de coalition. Mais elle resta toujours strictement légaliste. Malgré leurs critiques, les KD voulait conserver l'ordre à tout prix. Ainsi leur chef [[Milioukov|Milioukov]] disait&nbsp;: ''«&nbsp;Nous marchons sur un volcan... La tension a atteint son extrême degré... Il suffirait d'une allumette jetée par imprudence pour provoquer un épouvantable incendie... Quel que soit le pouvoir — mauvais ou bon — un pouvoir ferme est, pour l'instant, plus nécessaire que jamais.&nbsp;»''
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L'opposition libérale à la Douma, regroupée dans un "bloc progressiste" autour du [[Parti_constitutionnel_démocratique|Parti constitutionnel démocratique]] (KD), critiquait non pas la guerre mais l'incapacité du gouvernement tsariste. Elle multipliait donc les appels à un gouvernement de coalition. Mais elle resta toujours strictement légaliste. Malgré leurs critiques, les KD voulait conserver l'ordre à tout prix. Ainsi leur chef [[Milioukov|Milioukov]] disait&nbsp;: ''«&nbsp;Nous marchons sur un volcan... La tension a atteint son extrême degré... Il suffirait d'une allumette jetée par imprudence pour provoquer un épouvantable incendie... Quel que soit le pouvoir — mauvais ou bon — un pouvoir ferme est, pour l'instant, plus nécessaire que jamais.&nbsp;»'' Il dénonçait toute agitation pour la révolution comme téléguidée par les Allemands pour affaiblir la Russie. Au sujet de Kérensky, le [[Troudovik|troudovik]] [[Vladimir_Stankévitch|Stankévitch]] témoigne&nbsp;: ''«&nbsp;A la fin de janvier, j'eus l'occasion de rencontrer Kérensky dans un cercle très intime. Au sujet de la possibilité d'un soulèvement populaire, tous se prononcèrent d'une façon nettement négative, de crainte de voir le mouvement des masses, une fois déclenché, tomber dans des courants d'extrême-gauche et créer ainsi de très grandes difficultés dans la conduite de la guerre.&nbsp;»''
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Certains dans le gouvernement de Tsar, un peu plus lucides sur la situation, étaient favorables à un accord avec les KD, et ils savaient que leur libéralisme était plus que modéré. Ainsi le ministre des Affaires étrangères Sazonov disait&nbsp;: ''«&nbsp;Si l'on conduit l'affaire convenablement et si l'on ouvre une échappée, disait les cadets seront les premiers à chercher un accord. Milioukov est un bourgeois fieffé et il redoute plus que tout la révolution sociale. Au surplus, la plupart des cadets tremblent pour leurs capitaux.&nbsp;»'' Mais la monarchie reste intransigeante jusqu'à sa fin.
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Certains dans le gouvernement du Tsar, un peu plus lucides sur la situation, étaient favorables à un accord avec les KD, et ils savaient que leur libéralisme était plus que modéré. Ainsi le ministre des Affaires étrangères Sazonov disait&nbsp;: ''«&nbsp;Si l'on conduit l'affaire convenablement et si l'on ouvre une échappée, disait les cadets seront les premiers à chercher un accord. Milioukov est un bourgeois fieffé et il redoute plus que tout la révolution sociale. Au surplus, la plupart des cadets tremblent pour leurs capitaux.&nbsp;»'' Mais la monarchie reste intransigeante jusqu'à sa fin.
    
== Historique ==
 
== Historique ==
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L'[[Insurrection|insurrection]] aurait pu s'arrêter là mais, dans la nuit du 26 au 27 février, un événement fait basculer la situation&nbsp;: la [[Mutinerie|mutinerie]] de deux régiments d'élite, traumatisés d'avoir tiré sur leurs «&nbsp;frères ouvriers&nbsp;». La mutinerie se répand en l'espace de quelques heures. Au matin du 27 février 1917 soldats et ouvriers fraternisent, s'emparent de l'arsenal, distribuent des fusils à la foule et occupent les points stratégiques de la capitale. Au cours de la journée, la garnison de Petrograd (environ 150 000 hommes) est passée du côté des insurgés.
 
L'[[Insurrection|insurrection]] aurait pu s'arrêter là mais, dans la nuit du 26 au 27 février, un événement fait basculer la situation&nbsp;: la [[Mutinerie|mutinerie]] de deux régiments d'élite, traumatisés d'avoir tiré sur leurs «&nbsp;frères ouvriers&nbsp;». La mutinerie se répand en l'espace de quelques heures. Au matin du 27 février 1917 soldats et ouvriers fraternisent, s'emparent de l'arsenal, distribuent des fusils à la foule et occupent les points stratégiques de la capitale. Au cours de la journée, la garnison de Petrograd (environ 150 000 hommes) est passée du côté des insurgés.
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=== La Douma dans l'attente... ===
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La dissolution de la Douma fut ordonnée le 26, mais la majorité des députés l'apprennent le matin du 27 en arrivant au Palais de Tauride. Mais les principaux leaders, déjà informés, ne viennent pas, et attendent de voir comment les choses se présentent, ou sont en pourparlers secrets. Le prince Mansyriev, KD de droite, relate l'ambiance d'alors dans la Douma&nbsp;: ''«&nbsp;Au sein de la Douma, l'émoi était général, le bouleversement profond. On n'entendait même plus de conversations animées&nbsp;; ce n'étaient que soupirs et courtes répliques dans ce genre&nbsp;: " Nous y voilà&nbsp;! " ou bien des aveux de craintes personnelles.&nbsp;»''
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Les députés acceptent servilement leur dissolution. Ils déclarent seulement qu'ils ne doivent pas quitter Pétrograd. Chidlovsky, libéral modéré, rappela plus tard, non sans sarcasme, qu'un certain Nékrassov, KD de gauche, futur associé de [[Kérensky|Kérensky]], avait proposé ''«&nbsp;d'établir une dictature militaire en remettant tout le pouvoir à un général populaire&nbsp;»''. Parmi les leaders absents, certains sont justement en train de proposer au grand-duc Michel de venir à Pétrograd pour exercer une dictature...
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Les libéraux qui ont par la suite pris le pouvoir ont véhiculé le mythe qu'ils avaient eu un rôle d'initiative, alors qu'ils ont jusqu'au dernier moment espéré une répression tsariste, puis se sont faits de plus en plus discrets, en attendant de voir de quel côté le vent allait tourner.
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En début d'après-midi, quand les leaders se virent forcés de se montrer à la Douma, le secrétaire du bureau apporta une "joyeuse nouvelle" (mais en réalité fausse)&nbsp;: ''«&nbsp;Les désordres seront bientôt réprimés, des mesures ont été prises.&nbsp;»'' Milioukov déclare&nbsp;: ''«&nbsp;Nous ne pouvons prendre, en ce moment, aucune décision, d'abord parce que nous ne savons pas quelle est l'étendue des troubles, ensuite parce que nous ignorons de quel côté se range la majorité des troupes de la garnison, des ouvriers et des organisations sociales. Il faut recueillir des renseignements précis sur tout cela, et, ensuite examiner la situation&nbsp;; maintenant, il est encore trop tôt.&nbsp;»''&nbsp;
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=== A Moscou et ailleurs ===
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Le renversement du régime à Moscou ne fut qu'un écho de l'insurrection de Pétrograd. Mêmes états d'opinion chez les ouvriers et les soldats, quoique moins vivement exprimés. Des dispositions un peu plus à gauche dans la bourgeoisie. La faiblesse des organisations révolutionnaires encore plus marquée qu'à Pétrograd. Lorsque commencèrent les événements sur la Néva, les intellectuels radicaux de Moscou se consultèrent entre eux sur ce qu'il y avait à faire et ne trouvèrent aucune solution. C'est seulement le 27 février, que dans les fabriques de Moscou, éclatèrent des grèves, suivies de manifestations. Les officiers disaient aux soldats, dans les casernes, que la canaille faisait des émeutes dans la rue et qu'il faudrait la réprimer. Le soldat Chichiline raconte: ''«&nbsp;Mais, dès ce moment-là, les nôtres donnaient au mot "canaille" un sens tout opposé&nbsp;!&nbsp;»'' Vers deux heures de l'après-midi, de nombreux soldats, appartenant à divers régiments, se présentèrent devant la Douma municipale, cherchant le moyen d'adhérer à la révolution. Le lendemain, les grèves prirent de l'extension. Les masses s'avançaient avec leurs drapeaux vers la Douma. [[Nikolaï_Ivanovitch_Mouralov|Mouralov]], soldat&nbsp;[[Bolchevik|bolchevik]] de la compagnie automobile, conduisit à la Douma le premier détachement de troupes solide et discipliné qui occupa la station de TSF et d'autres postes.
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Les prisons s'ouvrirent. Le même Mouralov ramena tout un camion de prisonniers politiques délivrés. Saluant, la main à la visière, un sous-commissaire de police demandait au révolutionnaire si l'on devait aussi relâcher les Juifs. [[Dzerjinski|Dzerjinski]], à peine sorti de la maison de force et non encore débarrassé de ses vêtements de détenu, prenait la parole dans l'enceinte de la Douma où le [[Soviet_de_Moscou|Soviet]] était déjà en formation. Doroféiev, artilleur, devait raconter plus tard comment les ouvriers de la confiserie Siou se présentèrent, le 1<sup>er</sup> mars, avec des drapeaux, à la caserne de la brigade d'artillerie, fraternisèrent avec les soldats et comment, dans l'excès de leur joie, nombre de ces hommes ne purent s'empêcher de pleurer. Il y eut dans la ville quelques coups de feu tirés en embuscade, mais dans l'ensemble, il ne se produisit point de collisions armées et il n'y eut pas de victimes&nbsp;: c'était Pétrograd qui tenait pour Moscou.
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Dans un bon nombre de villes provinciales, le mouvement ne se déclencha que le 1<sup>er</sup> mars. A Tver, les ouvriers, abandonnant le travail, allèrent manifester devant les casernes et, mêlés aux soldats, défilèrent dans les rues de la ville. A Nijni-Novgorod, des milliers de gens s'assemblèrent devant l'édifice de la municipalité qui, comme dans la plupart des villes, tenait lieu de "palais de Tauride". Après une harangue du maire, les ouvriers, portant leurs drapeaux rouges, allèrent délivrer les détenus politiques. Sur les 21 contingents qui formaient la garnison, 18 vinrent, avant le soir, adhérer spontanément à la révolution. A Samara et à Saratov, il y eut des meetings, et des soviets de députés ouvriers se constituèrent. A Kharkov, le maître de police, ayant eu le temps de se renseigner à la gare sur les événements, monta en voiture devant une foule surexcitée, et, levant sa casquette, cria très fort, à pleins poumons&nbsp;: ''«&nbsp;Vive la Révolution&nbsp;! Hourra&nbsp;!&nbsp;»''
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Dans les campagnes, les nouvelles de la révolution venaient des villes voisines, partiellement des autorités, mais principalement des marchés, des travailleurs, des soldats en permission. Le village accueillit l'événement par une réaction plus lente et moins enthousiaste que celle de la ville, mais non moins profonde&nbsp;: le village vit le rapport de la révolution avec la guerre et la question de la terre.
    
=== L'abdication du tsar et la vague émancipatrice ===
 
=== L'abdication du tsar et la vague émancipatrice ===
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Ces premières semaines emplies d’espérance et de générosité sont très peu violentes, dans les villes comme dans les campagnes. Aucunes représailles ne furent par exemple exercées contre les anciens serviteurs du tsar, ce dernier étant simplement assigné à résidence&nbsp;; beaucoup peuvent librement se retirer ou partir à l’étranger, tandis que les exilés (dont Lénine) sont libres de revenir.
 
Ces premières semaines emplies d’espérance et de générosité sont très peu violentes, dans les villes comme dans les campagnes. Aucunes représailles ne furent par exemple exercées contre les anciens serviteurs du tsar, ce dernier étant simplement assigné à résidence&nbsp;; beaucoup peuvent librement se retirer ou partir à l’étranger, tandis que les exilés (dont Lénine) sont libres de revenir.
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=== La formation d'un double pouvoir ===
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=== Le Soviet des ouvriers et soldats de Pétrograd ===
    
Les militants révolutionnaires commencent à s'organiser au sein du mouvement des ouvriers et des soldats. Leur premier objectif est la création d'un [[Soviet|soviet]] pour fédérer [[Ouvrier|ouvriers]] et [[Militaire|soldats]], suivant l'expérience des soviets apparus dans la [[Révolution_russe_de_1905|révolution de 1905]]. Les social-démocrates ''«&nbsp;[[Interrayons|interrayons]]&nbsp;»'' de Petrograd furent parmi les plus réactifs. Le 27 février, ils saisissent une imprimerie et publient le premier tract appelant à un soulèvement armé.
 
Les militants révolutionnaires commencent à s'organiser au sein du mouvement des ouvriers et des soldats. Leur premier objectif est la création d'un [[Soviet|soviet]] pour fédérer [[Ouvrier|ouvriers]] et [[Militaire|soldats]], suivant l'expérience des soviets apparus dans la [[Révolution_russe_de_1905|révolution de 1905]]. Les social-démocrates ''«&nbsp;[[Interrayons|interrayons]]&nbsp;»'' de Petrograd furent parmi les plus réactifs. Le 27 février, ils saisissent une imprimerie et publient le premier tract appelant à un soulèvement armé.
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[[File:Meeting du Soviet de Petrogard.jpg|right|346x232px|Meeting du Soviet de Petrogard.jpg]]Dans l'après-midi du 27 février, une cinquantaine de militants de tendances révolutionnaires différentes — [[Bolcheviks|bolcheviks]], [[Mencheviks|mencheviks]], [[Parti_socialiste_révolutionnaire_(Russie)|socialistes-révolutionnaires]] — organisent un Comité exécutif provisoire des députés ouvriers. Ce comité décide de la création d'un journal, les ''[[Izvestia|Izvestia]]'', et appelle les ouvriers et les soldats de la garnison à élire leurs représentants. C'est l'acte de naissance du [[Soviet_de_Petrograd|Soviet de Petrograd]], assemblée de 600 personnes environ. Le Soviet est dirigé par un comité exécutif composé de 11 révolutionnaires qui se sont cooptés, et présidé par le menchevik [[Nicolas_Tchkhéidzé|Tchkhéidzé]]. Les interrayons se voient attribuer un siège, contre deux sièges pour chaque parti socialiste national&nbsp;: les <span class="mw-redirect">bolcheviks</span>, les <span class="new">mencheviks</span> et les <span class="new">socialistes-révolutionnaires</span>.
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[[File:Meeting du Soviet de Petrogard.jpg|right|346x232px|Meeting du Soviet de Petrogard.jpg]]Dans l'après-midi du 27 février, une cinquantaine de militants de tendances révolutionnaires différentes — [[Bolcheviks|bolcheviks]], [[Mencheviks|mencheviks]], [[Parti_socialiste_révolutionnaire_(Russie)|socialistes-révolutionnaires]] — organisent un Comité exécutif provisoire des députés ouvriers, dans le Palais de Tauride (même bâtiment que la Douma, mais dans une salle moins décorée). Ce comité décide de la création d'un journal, les ''[[Izvestia|Izvestia]]'', et appelle les ouvriers et les soldats de la garnison à élire leurs représentants. C'est l'acte de naissance du [[Soviet_de_Petrograd|Soviet de Petrograd]], assemblée de 600 personnes environ. Le Soviet est dirigé par un comité exécutif composé de 11 révolutionnaires qui se sont cooptés, et présidé par le menchevik [[Nicolas_Tchkhéidzé|Tchkhéidzé]]. Les interrayons se voient attribuer un siège, contre deux sièges pour chaque parti socialiste national&nbsp;: les <span class="mw-redirect">bolcheviks</span>, les <span class="new">mencheviks</span> et les <span class="new">socialistes-révolutionnaires</span>.
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La première séance du Soviet fut fixée pour le soir du même jour, au palais de Tauride. Elle s'ouvrit, en effet, à 21 heures, et ratifia le comité exécutif. De nombreux délégués d'ouvriers et de soldats exprimaient leurs félicitations et leur enthousiasme. La volonté générale était d'unifier étroitement la garnison avec les ouvriers en un seul Soviet. Seule une minorité de social-patriotes protestaient contre l'immixtion de l'armée dans la politique.
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Le Comité exécutif du soviet se retrouvait de fait à agir en tant que pouvoir gouvernemental. Il élit une commission provisoire pour les approvisionnements et la charge de s'occuper d'une façon générale des besoins des insurgés et de la garnison. Il organise un état-major révolutionnaire provisoire, et décide de faire occuper immédiatement la Banque d'Empire, la Trésorerie, la Monnaie et les services de fabrication des billets. Les tâches et les fonctions du Soviet s'accroissent constamment sous la pression des masses. La révolution trouve son centre incontesté. Les ouvriers, les soldats et bientôt les paysans ne s'adresseront plus désormais qu'au Soviet, qui devient, à leurs yeux, le point de concentration de tous les espoirs et de tous les pouvoirs, l'incarnation même de la révolution.
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Les ouvriers élisaient des socialistes, c'est-à-dire ceux qui étaient non seulement contre la monarchie, mais aussi contre la bourgeoisie. Ils ne faisaient presque aucune différence entre les trois partis socialistes. Mais comme les mencheviks et les SR disposaient de bien plus de cadres intellectuels disponibles, ils eurent plus d'agitateurs et une nette prépondérance dans les élections. Les soldats votaient surtout pour des SR. Les ouvriers, qui voulaient fortement resserrer leur alliance avec les soldats, étaient aussi pour cette raison plus attirés par les menchéviks qui étaient sur la même ligne.
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À Moscou, les nouvelles de Petrograd déclenchent la [[Grève_générale|grève générale]] et provoquent l'élection d'un Comité révolutionnaire provisoire. Plus généralement, la quasi-totalité du pays est couvert en quelques semaines de soviets d’ouvriers, de paysans, de soldats ou de marins.
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=== La formation d'un double pouvoir ===
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À Moscou, les nouvelles de Petrograd déclenchent la [[Grève_générale|grève générale]] et provoquent l'élection d'un Comité révolutionnaire provisoire.
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Parallèlement et à la constitution du soviet de Petrograd et ce même 27 février, la [[Douma_d'État_de_l’Empire_russe|Douma]] forme un Comité provisoire pour «&nbsp;le rétablissement de l'ordre gouvernemental et public&nbsp;» à 15 h. Ils sont dirigés par [[Michel_Rodzianko|Michel Rodzianko]], ancien officier du Tsar, monarchiste et riche propriétaire terrien. Pour ce comité, la priorité est au retour à l'ordre, et d'abord, au retour des soldats mutinés dans leurs baraquements. Dans leur proposition, le Comité provisoire inclut [[Tchkhéidzé|Tchkhéidzé]] et [[Kérensky|Kérensky]]. Tchkhéidzé refuse, Kérensky accepte.
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Plus généralement, la quasi-totalité du pays est couvert en quelques semaines de soviets d’ouvriers, de paysans, de soldats ou de marins.
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Les représentants du Soviet demandent dès ce premier jour au Comité de la Douma de prendre le pouvoir, ce qu'il accepte finalement à 23h. Ils diront ensuite qu'ils ont pris le sens des responsabilités, Milioukov expliquait notamment qu'il fallait réagir car des troupes allaient être envoyées contre Petrograd. En réalité, Rodzianko était en proie à la plus grande hésitation, et un député monarchiste,Choulguine, l'assurait lui-même qu'il s'agissait de la bonne décision&nbsp;:
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<blockquote>''«&nbsp;Il n'y a là aucune révolte. Prenez le pouvoir en qualité de sujet fidèle... Si les ministres se sont sauvés, quelqu'un doit tout de même les remplacer... Il peut y avoir deux issues&nbsp;: ou bien tout s'arrangera, le souverain désignera un nouveau gouvernement, nous lui remettrons le pouvoir. Si cela ne réussit pas, si nous ne recueillons pas le pouvoir, celui-ci tombera entre les mains de gens déjà élus par une certaine canaille, dans les usines... &nbsp;»''</blockquote>
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Rodzianko frémissait d'indignation impuissante à voir que des soldats inconnus, "&nbsp;obéissant à des ordres donnés on ne savait par qui&nbsp;", procédaient à l'arrestation de hauts dignitaires de l'ancien régime et les amenaient à la Douma. Le chambellan se trouvait ainsi, en quelque sorte, chef de prison vis-à-vis de personnes avec lesquelles, certes, il n'était pas toujours d'accord, mais qui restaient pour lui, toutefois, des gens de son milieu.
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Parallèlement et à la constitution du soviet de Petrograd et le même jour, se met en place un autre organe de pouvoir. Un groupe de députés de la [[Douma_d'État_de_l’Empire_russe|Douma]] forme un Comité provisoire pour «&nbsp;le rétablissement de l'ordre gouvernemental et public&nbsp;». Ils sont dirigés par Michel Rodzianko, ancien officier du Tsar, monarchiste et riche propriétaire terrien. Pour ce comité, la priorité est au retour à l'ordre, et d'abord, au retour des soldats mutinés dans leurs baraquements.
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Le menchévik [[Nicolas_Soukhanov|Soukhanov]], qui avait un rôle dirigeant avec Tchkhéidzé, pense que ''«&nbsp;le pouvoir qui vient remplacer le tsarisme ne doit être que bourgeois&nbsp;»'' et fait tout pour. Pourtant, il raconte lui-même&nbsp;: ''«&nbsp;Le peuple n'était nullement porté vers la Douma, il ne s'intéressait pas à elle et ne songeait pas du tout à faire d'elle – à titre politique ou technique – le centre du mouvement.&nbsp;»''
    
Entre ce comité et le soviet de Petrograd, de longues négociations aboutissent, le 2 mars 1917, à un compromis. Le soviet reconnaît, en attendant la convocation d'une [[Assemblée_constituante_(Russie)|Assemblée constituante]], la légitimité d'un [[Gouvernement_provisoire_(Russie)|gouvernement provisoire]] à tendance [[Libéralisme|libérale]], composé majoritairement de représentants du [[Parti_constitutionnel_démocratique|Parti KD]] (et ne comptant aucun socialiste dans ses rangs). Cependant, le [[Gouvernement_provisoire_(Russie)|gouvernement provisoire de Russie]] est sommé d'appliquer un vaste programme de réformes démocratiques, fondé sur l'octroi des [[Libertés_fondamentales|libertés fondamentales]], le [[Suffrage_universel|suffrage universel]], l'abolition de la [[Peine_de_mort|peine de mort]], de l'[[Antisémitisme|antisémitisme]] d'Etat et de toute forme de discrimination légale, la suppression de la [[Police|police]], la reconnaissance des droits du soldat-citoyen et une [[Amnistie|amnistie]] immédiate de tous les [[Crime_politique|prisonniers politiques]]. L’Église orthodoxe, sous tutelle depuis Pierre le Grand, s'organise librement. Cependant l'Eglise n'est pas [[Séparation_de_l'Eglise_et_de_l'Etat|séparée de l'Etat]] et de l'école, et la gestion de l'état civil lui est laissée... Le [[Droit_au_divorce|droit au divorce]] n'est pas accordé aux femmes.
 
Entre ce comité et le soviet de Petrograd, de longues négociations aboutissent, le 2 mars 1917, à un compromis. Le soviet reconnaît, en attendant la convocation d'une [[Assemblée_constituante_(Russie)|Assemblée constituante]], la légitimité d'un [[Gouvernement_provisoire_(Russie)|gouvernement provisoire]] à tendance [[Libéralisme|libérale]], composé majoritairement de représentants du [[Parti_constitutionnel_démocratique|Parti KD]] (et ne comptant aucun socialiste dans ses rangs). Cependant, le [[Gouvernement_provisoire_(Russie)|gouvernement provisoire de Russie]] est sommé d'appliquer un vaste programme de réformes démocratiques, fondé sur l'octroi des [[Libertés_fondamentales|libertés fondamentales]], le [[Suffrage_universel|suffrage universel]], l'abolition de la [[Peine_de_mort|peine de mort]], de l'[[Antisémitisme|antisémitisme]] d'Etat et de toute forme de discrimination légale, la suppression de la [[Police|police]], la reconnaissance des droits du soldat-citoyen et une [[Amnistie|amnistie]] immédiate de tous les [[Crime_politique|prisonniers politiques]]. L’Église orthodoxe, sous tutelle depuis Pierre le Grand, s'organise librement. Cependant l'Eglise n'est pas [[Séparation_de_l'Eglise_et_de_l'Etat|séparée de l'Etat]] et de l'école, et la gestion de l'état civil lui est laissée... Le [[Droit_au_divorce|droit au divorce]] n'est pas accordé aux femmes.