Différences entre les versions de « Matérialisme historique »

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''«&nbsp;Reste à demander, et la question n'est pas de peu d'importance, bien qu'il soit plus facile de la poser que d'y répondre : comment se serait poursuivi le développement de la révolution si Lénine n'avait pu parvenir en Russie en avril 1917 ? Si notre exposé montre et démontre en général quelque chose, c'est, espérons-nous, que Lénine ne fut pas le démiurge du processus révolutionnaire, qu'il s'inséra seulement dans la chaîne des forces historiques objectives. Mais, dans cette chaîne, il fut un grand anneau. La dictature du prolétariat découlait de toute la situation. Mais encore fallait-il l'ériger. On ne pouvait l'instaurer sans un parti. Or, le parti ne pouvait accomplir sa mission qu'après l'avoir comprise. Pour cela justement, Lénine était indispensable. &nbsp;»<ref>Léon Trotsky, ''[https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr16.htm Histoire de la révolution russe. 16 Le réarmement du parti]'', 1930</ref>''
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== Quelques idées reçues ==
 
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Le matérialisme historique est régulièrement accusé d'être un affreux [[Historicisme|historicisme]], c'est-à-dire un discours consistant pour les [[Marxisme|marxistes]] à faire dire à l'[[Histoire|histoire]] ce qui les arrange. Les mêmes considèrent souvent que l'on ne doit pas être "militant" si l'on veut contribuer objectivement à une science. L'ennui dans cette thèse est que si «&nbsp;l'histoire est écrite par les vainqueurs&nbsp;», se contenter de reprendre ce qui a été dit revient à se mouler dans l'[[Idéologie_dominante|idéologie dominante]].
 
<blockquote>Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de boule­ver­se­ment sur sa conscience de soi&nbsp;; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle.<ref>[http://www.marxists.org/francais/marx/works/1859/01/km18590100b.htm Critique de l'économie politique, Préface], [[Karl Marx]], 1859</ref></blockquote>  
 
<blockquote>Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de boule­ver­se­ment sur sa conscience de soi&nbsp;; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle.<ref>[http://www.marxists.org/francais/marx/works/1859/01/km18590100b.htm Critique de l'économie politique, Préface], [[Karl Marx]], 1859</ref></blockquote>  
Cela ne signifie pas que le matérialisme historique puisse affirmer tout et n'importe quoi. En tant que modèle scientifique, il propose des explications qui ont d'ores et déjà montré une cohérence remarquable pour une [[Science|science]] qui s'intéresse à un sujet aussi complexe que l'histoire des sociétés humaines. Un modèle peut être critiqué sur ses hypothèses et peut toujours être affiné, mais c'est rejeter en bloc l'idée de modèle sans rentrer dans les détails qui est [[réactionnaire|réactionnaire]] en science, pas son étude.
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Cela ne signifie pas que le matérialisme historique puisse affirmer tout et n'importe quoi. En tant que modèle scientifique, il propose des explications qui ont d'ores et déjà montré une cohérence remarquable pour une [[Science|science]] qui s'intéresse à un sujet aussi complexe que l'histoire des sociétés humaines. Un modèle peut être critiqué sur ses hypothèses et peut toujours être affiné, mais c'est rejeter en bloc l'idée de modèle sans rentrer dans les détails qui est [[Réactionnaire|réactionnaire]] en science, pas son étude.
  
 
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Version du 9 avril 2017 à 00:22

Métaphore de la lutte des classes.

Le matérialisme historique est un outil essentiel du marxisme. Malgré son nom, il ne s'agit pas seulement, à travers cet outil, de comprendre le passé, le pourquoi et le comment de l'enchaînement des différents types de sociétés qu'a connu l'humanité. Le matérialisme historique permet également de comprendre quelles sont les forces sociales à l'œuvre aujourd'hui, ce qu'elles représentent, et finalement, où il est le plus utile de concentrer l'action révolutionnaire.

1 L'élaboration du matérialisme historique

Article détaillé : La formation du matérialisme historique chez Marx et Engels

1.1 Les conceptions antérieures de l'histoire

Jusqu'au 18ème siècle, il existait quatre grandes conceptions de l'histoire : la conception théologique de l'histoire, la conception idéaliste de l'histoire, la conception téléologique de l'histoire (Hegel) et la conception matérialiste de l'histoire. C'est cette dernière qui va être revisitée et approfondie par Marx et Engels.

1.2 Synthèse du matérialisme et de la dialectique

La conception hégélienne commençait déjà à être rejetée en tant que théorie idéaliste, notamment par le matérialiste Ludwig Feueurbach. Marx et Engels sont eux-aussi convaincus que c'est la réalité concrète qui prédomine et qu'il n'y a pas d'arrière-monde où planeraient les Idées. Cependant, ils considèrent que la méthode dialectique de Hegel décrit à merveille les grands mouvements de l'histoire. C'est ce qui les conduira à utiliser les deux outils théoriques dans leur conception de l'histoire.

Vers la fin du 19ème siècle, après mûrissement de leurs idées et confirmation par la réalité, ils en viendront à la conclusion que le nouveau paradigme est le matérialisme dialectique, dont le matérialisme historique est un corollaire.

2 Étude de l'infrastructure

Le premier travail nécessaire à la compréhension de l'histoire est l'étude approfondie de "l'infrastructure", c'est-à-dire l'organisation économique concrète de la société, par opposition à la superstructure, c'est-à-dire l'ensemble des conventions politiques, juridiques et idéologiques.

2.1 Travail et Forces productives

Premièrement, la caractéristique essentielle de l'Homme, ce qui le différencie avant toute chose des animaux, est qu'il est le seul à produire ses moyens de subsistance. Le fait historique fondamental de l'Homme, ce qui permet de comprendre son histoire, c'est sa production de moyens de subsistance :

[...] la condition première de toute histoire humaine est naturellement l'existence d'êtres humains.

Et ce premier fait historique inclut que la satisfaction des besoins humains élémentaires est une donnée préalable de toute existence humaine :

[...] à savoir que les hommes doivent être à même de vivre pour pouvoir « faire l'histoire » ! Le premier fait historique est donc la production des moyens permettant de satisfaire ces besoins, la production de la vie matérielle elle-même, et c'est là un fait historique, une condition fondamentale de toute histoire que l'on doit, aujourd'hui encore comme il y a des milliers d'années, remplir jour après jour [...] simplement pour maintenir les hommes en vie. [1]

Deuxièmement, le rapport premier et fondamental qui exprime cette nécessité de maintenir les hommes en vie est celui de l'homme avec la nature puisque l'homme tire de cette dernière ses moyens de subsistance. Et ce rapport fondamental entre l'homme et la nature s'effectue par le travail qui est l'activité qui lui permet de produire ces moyens. Ainsi, dans cette production, dans cette activité fondamentale qu'est le travail, trois éléments se dégagent :

  1. la force de travail, qui est constituée par l'énergie humaine dépensée dans le travail, par la force musculaire et intellectuelle de l'homme ;
  2. l'instrument de travail, qui est constitué par les outils, les instruments et l'infrastructure nécessaires à l'homme pour produire ses moyens de subsistance ;
  3. l'objet du travail, qui est la nature elle-même (matière brute ou matière première qui a déjà subi une modification).

L'instrument de travail et l'objet du travail forment les moyens de production.

Enfin, l'ensemble de ces éléments fondamentaux de la relation homme-nature via le travail sont nommés forces productives.

2.2 Rapports sociaux de production

Mais le rapport entre l'homme et la nature n'est pas un rapport uniquement individuel, il est également un rapport social car Marx fait ce constat :

L'homme ne peut survivre individuellement, ni assurer sa subsistance en dehors de la coopération avec d'autres membres de son espèce. Ses organes physiques trop peu développé ne lui permettent pas de s'approprier directement les vivres. Il doit produire ceux-ci collectivement [...] [2]

L'homme est donc un animal social.

La façon dont les hommes tirent leurs moyens de subsistance de la nature (forces productives) et la façon dont les hommes s'organisent entre eux pour mener à bien cette activité (rapports sociaux), Marx la désigne sous le nom de rapports sociaux de production. Les rapports sociaux de production sont fondamentalement constitués par le type de propriété des moyens de production qui existent à telle ou telle époque (propriété terrienne sous le féodalisme, propriété privé des entreprises sous le capitalisme...).

Les rapports sociaux de production sont avant tout déterminés par la manière dont les hommes produisent, donc par les forces productives :

Produire la vie, aussi bien la sienne propre par le travail que la vie d'autrui en procréant, nous apparaît donc dès maintenant comme un rapport double : d'une part comme un rapport naturel, d'autre part comme un rapport social (via l'action conjuguée de plusieurs individus).

Le travail est donc le lien qui unit l'homme aussi bien à la nature qu'aux autres hommes, d'où son importance fondamentale. C'est pourquoi l'ensemble des éléments qui constituent l'activité du travail, c'est à dire les forces productives, sont l'élément essentiel qui détermine les rapports sociaux de production:

Les rapports sociaux sont intimement liés aux forces productives, les hommes changent leur mode de production, et en changeant le mode de production, la manière de produire, de gagner leur vie, ils changent tous leurs rapports sociaux [...]. Suivant le caractère des moyens de production, ces rapports sociaux [...] seront tout naturellement différents.[3]

2.3 Classes sociales

L'origine des classes sociales démontre cette relation entre forces productives et rapports sociaux de production. L'apparition de classes sociales, c'est-à-dire de groupes d'hommes qui se distinguent au niveau des richesses, est historiquement déterminé. Lorsqu'il y a 8 000 ans d'ici, les hommes ont découvert l'agriculture et l'élevage, la production de leur moyen d'existence a été bouleversé. Lorsqu'ils commencèrent à développer des outils capables d'accroître le rendement agricole, pour la première fois, un surplus social (capacité de produire plus que ce qui est directement consommé) est apparu. Certains groupes d'hommes, par la religion, par la force ou la persuasion, se sont alors accaparé de manière permanente ce surproduit ainsi que les moyens de production. Le pouvoir économique étant ainsi acquis, ces groupes d'hommes s'approprièrent également (et par là même) un pouvoir politique, militaire et spirituel sur ceux qui furent dépossédés de tout moyens de production et qui, pour survivre, sont obligé de travailler pour le compte des propriétaires de ces moyens de production. Une division sociale du travail va donc apparaître et accentuer la différenciation entre les hommes.

Avec les classes sociales, c'est l'exploitation systémique de l'homme par l'homme qui va apparaître. Les relations qu'entretiennent les hommes entre eux pour produire deviennent, à partir de ce moment-là, non plus des relations entre individus, mais des relations entre classes sociales. Ainsi, la base sur laquelle les classes sociales ont pu apparaître est donc celle d'une évolution de la production matérielle des moyens de subsistance, autrement dit d'un changement au niveau des forces productives. Ce changement a déterminé la façon dont les hommes se sont organisés (leurs rapports sociaux) pour exploiter leurs moyens de subsistance. Les classes sociales sont donc fondamentalement déterminées par la place qu'elles occupent dans le système de production sociale « par leur rapport aux moyens de production, par leur rôle dans l'organisation sociale du travail, et donc par les moyens d'obtention et la grandeur de la part des richesses sociales dont elles disposent. Les classes sont donc des groupes d'hommes dont l'un peut s'approprier le travail de l'autre, par suite de la différence de la place qu'ils tiennent dans un régime déterminé de l'économie sociale ». [4]

3 Évolution et liens avec la superstructure

Ces catégories économiques ne servent pas seulement à décrire l'état d'une société donnée, mais aussi et surtout à appréhender la dynamique de son évolution. Celle-ci ne se fait pas suivant un schéma linéaire, mais est la résultante d'un ensemble de tendances que l'on peut essayer d'estimer. Par ailleurs, le même type de causalité relie l'infrastructure et la superstructure. La description de ces liens suit une logique dialectique (par opposition à une vision mécaniste).

3.1 Dialectique

Si les éléments de l'infrastructure constituent la base de toute compréhension des phénomènes historiques, car ils déterminent « en dernière instance » les autres éléments, la superstructure à son tour peut influer sur l'infrastructure. Autrement dit, si la superstructure est, au départ, le reflet de l'infrastructure, si elle est déterminée par celle-ci, elle a aussi une vie active propre, une certaine autonomie. Elle devient une force active qui peut, à son tour, exercer une influence sur l'infrastructure économique de la société. On peut même observer que la superstructure a généralement une capacité de résistance plus grande que l'infrastructure[5]. Un trait fondamental de toute société est donc que tout est mouvement, toutes les formes de relations sociales, à tous les niveaux, sont caractérisées par ce mouvement constitué de toutes les interactions entre les différents éléments constitutifs de la société. Et c'est de ce mouvement que naît le changement.

Pour exemple : la société antique a donné naissance au féodalisme qui, lui-même, a donné naissance au capitalisme. L'analyse doit donc rendre compte de ce mouvement, passé, présent et futur, comprendre que tout est en devenir. Les interactions sont des conditionnements réciproques: il n'y a pas simplement action de A sur B, mais il y a en retour réaction de B sur A. Cette façon de considérer les choses et les phénomènes dans leur mouvements et leurs transformations, dans leur enchaînement et leur action réciproque est ce que l'on appelle la méthode dialectique.

3.2 Les contradictions

Puisque les rapports sociaux « sont transmis à chaque génération par sa devancière sous la forme d'une masse de forces productives, de capitaux et de conditions, (qui) sont modifiés par la nouvelle génération (qui prescrit à ces rapports sociaux) ses propres conditions d'existence  », on peut dialectiquement conclure que :

[...] les circonstances font les hommes tout autant que les hommes font les circonstances.[1]

Il n'y a donc pas de fatalité historique ! Toute réalité est faite de contradictions, sans ces dernières, il ne peut y avoir de progrès possible. Ce sont les contradictions qui expliquent le mouvement, les enchaînements entre les différents modes de production car à chaque mode de production déterminé correspondent des types de contradictions déterminées. Mais il existe une contradiction fondamentale expliquant l'évolution des modes de production. Elle réside dans le fait qu'à un moment déterminé de leur évolution historique, les forces productives entrent en contradiction avec les rapports sociaux de production. Car les premières ont tendance à se développer, tandis que les rapports de production ont tendance à être figés par la classe dominante qui en profite. Lorsque la contradiction devient trop criante entre forces productives et rapports de production, le mode de production est menacé, et les conditions objectives d'une révolution sociale sont en place. Les contradictions dans la sphère idéologique accompagnent généralement de près cette évolution matérielle.

3.3 Évolution et Révolution

Mais il faut distinguer ici les changements quantitatifs des changements qualitatifs. Par exemple, l'eau chauffée à 99°C subit des transformations considérables, mais elle reste de l'eau. C'est un changement quantitatif. Par contre, à 100°C, l'eau se transforme en vapeur et ce changement d'état est un changement qualitatif. En ce qui nous concerne, lorsque les forces productives connaissent un développement important, on peut parler de changement quantitatif. Mais, lorsque ces changements atteignent un degré tel qu'ils renversent les rapports de production établis, on doit parler de saut qualitatif. Ce changement n'est pas toujours graduel, ni pacifique car dans les sociétés humaines, il s'opère via des révolutions, des guerres ou des bouleversements sociaux importants.

La révolution sociale, telle que nous la comprenons, est donc un changement qualitatif. Par exemple, on peut citer le passage du mode de production féodal au mode de production capitaliste.

La révolution française en est l'exemple classique : au sein de la société féodale, les forces de production se développaient sans cesse, prenant un caractère capitaliste (développement de la manufacture, des machines, etc.). Mais ces forces de production, de plus en plus capitalistes, entraient en contradiction avec les rapports sociaux de production féodaux car ces derniers, inadaptés, restreignaient les nouvelles capacités de développement. La classe bourgeoise, bénéficiant de cette évolution, devait donc rompre et abolir les rapports sociaux féodaux (servage, etc.) pour pouvoir pleinement développer sa richesse. Il fallait donc renverser le pouvoir politique de l'aristocratie pour que le pouvoir économique de la bourgeoisie se développe pleinement : c'est, avec l'appui des masses populaires, que s'est déclenché la révolution de 1789 et tous les bouleversements qui s'en sont suivis.

La société capitaliste n'est pas moins instable que celles qui l'ont précédé, mais certainement davantage. Les contradictions du capitalisme sont la base objective de la nécessité du communisme.

4 Perspective communiste

Dans les écrits du jeune Marx (1844), on trouve une grande insistance sur le fait que le communisme est un aboutissement dialectique de nombreuses contradictions qui traversent l'homme et la société :

Le communisme, abolition positive de la propriété privée (elle-même aliénation humaine de soi) et par conséquent appropriation réelle de l’essence humaine par l’homme et pour l’homme ; donc retour total de l’homme pour-soi en tant qu’homme social, c’est-à-dire humain, retour conscient et qui s’est opéré en conservant toute la richesse du développement antérieur. Ce communisme en tant que naturalisme achevé – humanisme, en tant qu’humanisme achevé = naturalisme ; il est la vraie solution de l’antagonisme entre l’homme et la nature, entre l’homme et l’homme, la vraie solution de la lutte entre existence et essence, entre objectivation et affirmation de soi, entre liberté et nécessité, entre individu et genre. Il est l’énigme résolue de l’histoire et se reconnaît comme cette solution.[6]

🔍 Voir : Communisme.

5 Le matérialisme historique et les individus

Il est évident que le matérialisme historique minimise le rôle des individus. Mais cela ne veut pas dire que tout aspect individuel est forcément écarté des analyses.

5.1 Explication des caractères individuels

Dans son Histoire de la Révolution russe, Trotsky livre son interprétation du caractère du tsar Nicolas II comme reflet de la clique tsariste sur le déclin. Il établit une analogie avec le caractère de Louis XVI en 1789.[7]

5.2 Impact des individus sur les événéments

Certains marxistes minimisent fortement l'importance de tel ou tel individu, allant jusqu'à affirmer que les événements forgent les hommes, y compris les leaders.

A l'inverse, Trotsky semble dire que la Révolution d'Octobre n'aurait probablement pas eu lieu sans Lénine et sa capacité particulière à comprendre la situation née de Février :

« Reste à demander, et la question n'est pas de peu d'importance, bien qu'il soit plus facile de la poser que d'y répondre : comment se serait poursuivi le développement de la révolution si Lénine n'avait pu parvenir en Russie en avril 1917 ? Si notre exposé montre et démontre en général quelque chose, c'est, espérons-nous, que Lénine ne fut pas le démiurge du processus révolutionnaire, qu'il s'inséra seulement dans la chaîne des forces historiques objectives. Mais, dans cette chaîne, il fut un grand anneau. La dictature du prolétariat découlait de toute la situation. Mais encore fallait-il l'ériger. On ne pouvait l'instaurer sans un parti. Or, le parti ne pouvait accomplir sa mission qu'après l'avoir comprise. Pour cela justement, Lénine était indispensable.  »[8]

6 Quelques idées reçues

6.1 Déterminisme économique ?

Le matérialisme historique n'est pas un vulgaire déterminisme économique qui prétendrait que tel état des forces productives implique mécaniquement tel état de conscience sociale. Il doit plutôt être considéré comme un déterminisme socio-économique, car il considère que l'infrastructure et la superstructure sont en intéraction permanente et dialectique. En revanche il est clair que nous rejetons comme idéaliste - à double titre - l'idée de libre-arbitre total.

Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants.[9]

Il est tentant une fois que l'on a été convaincu de l'influence globale qui existe entre l'infrastructure et la superstructure, de simplifier cette analyse. Un exemple est ce contre-exemple cité par Trotsky :

Vouloir établir une espèce de dépendance automatique de la dictature prolétarienne à l'égard des forces techniques et des ressources d'un pays, c'est un préjugé qui dérive d'un matérialisme "économique" simplifié à l'extrême. Un tel point de vue n'a rien de commun avec le marxisme. Bien que les forces de production industrielles fussent dix fois plus développées aux Etats-Unis que chez nous, le rôle politique du prolétariat russe, son influence à venir sur la politique mondiale sont incomparablement plus grandes que le rôle et l'importance du prolétariat américain.[10]

Par ailleurs, l'infrastructure économique est bien évidemment influencée par des conditions géographiques ou climatiques.[11] Dans Histoire de la révolution russe, Trotsky montre notamment comment l'immensité de la plaine russe a engendré un retard dans le développement de la division du travail, et comment ce retard a été affecté ensuite par le contact avec l'Occident plus "avancé".

6.2 Historicisme ?

Le matérialisme historique est régulièrement accusé d'être un affreux historicisme, c'est-à-dire un discours consistant pour les marxistes à faire dire à l'histoire ce qui les arrange. Les mêmes considèrent souvent que l'on ne doit pas être "militant" si l'on veut contribuer objectivement à une science. L'ennui dans cette thèse est que si « l'histoire est écrite par les vainqueurs », se contenter de reprendre ce qui a été dit revient à se mouler dans l'idéologie dominante.

Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de boule­ver­se­ment sur sa conscience de soi ; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle.[12]

Cela ne signifie pas que le matérialisme historique puisse affirmer tout et n'importe quoi. En tant que modèle scientifique, il propose des explications qui ont d'ores et déjà montré une cohérence remarquable pour une science qui s'intéresse à un sujet aussi complexe que l'histoire des sociétés humaines. Un modèle peut être critiqué sur ses hypothèses et peut toujours être affiné, mais c'est rejeter en bloc l'idée de modèle sans rentrer dans les détails qui est réactionnaire en science, pas son étude.

6.3 Millénarisme ?

Certains raillent la perspective donnée par le matérialisme historique d'une société sans classes, y voyant une simple influence de la promesse chrétienne d'un paradis. Toutefois, qu'ils soient conservateurs ou réformistes de gauche, ils n'expliquent pas concrètement en quoi ce ne serait pas crédible, étant données les contradictions du capitalisme et le niveau actuel de la socialisation de la production. Et la nouveauté historique majeure, c'est que la seule classe susceptible de prendre le pouvoir, la classe ouvrière, ne peut pas devenir une classe dominante dans le cadre du système actuel. Et si elle abolit le capitalisme, c'est-à-dire rend la propriété des moyens de production sociale, elle abolit par là même les classes. Ce ne serait pas la "fin de l'histoire", comme ironisent certains, mais la fin d'un type d'histoire assez archaïque, caractérisé par la domination d'hommes sur d'autres hommes.

7 Notes et références

7.1 Bibliographie de référence

7.2 Notes et sources

  1. 1,0 et 1,1 L'idéologie allemande, Karl Marx et Friedrich Engels
  2. Ernest Mandel
  3. Karl Marx, Lettre à propos de J.-P. Proudhon
  4. Lénine, La grande initiative
  5. Les mentalités, les consciences et les coutumes persistent encore pendant de longues années après la destruction d'un mode de production (ex. : patriarcat).
  6. Karl Marx, Manuscrits de 1844
  7. Léon Trotsky, Histoire de la révolution russe. 4 Le tsar et la tsarine, 1930
  8. Léon Trotsky, Histoire de la révolution russe. 16 Le réarmement du parti, 1930
  9. Le 18 brumaire de L. Bonaparte, Karl Marx, 1851
  10. Léon Trotsky, Trois conceptions de la révolution russe, 1940
  11. Tendance CLAIRE du NPA, Dirty Biology, Jared Diamond… pour ou contre l’écologie historique ?, 2016
  12. Critique de l'économie politique, Préface, Karl Marx, 1859