Communisme de guerre

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Trotsky et l'Armée Rouge.jpg

Le communisme de guerre est l'ensemble des politiques adoptées par les bolchéviks de 1918 à 1921 dans le contexte de la guerre civile russe. Elle avait comme objectif premier d'assurer l'approvisionnement des villes et de l'Armée rouge, par des mesures dirigistes (étatisation des industries, réquisitions dans les campagnes...).

Les principales caractéristiques du communisme de guerre étaient :

  • L'extrême centralisation de la gestion des unités économiques ;
  • La nationalisation de l'industrie petite et grande ;
  • Le monopole d'Etat sur le commerce du blé et la plupart des produits de première nécessité ;
  • L'interdiction du commerce privé ;
  • La péréquation dans la répartition des produits et des richesses ;
  • Introduction de la conscription du travail universel, avec une stricte discipline

1 Contexte

La Guerre qui dure depuis 1914 a coupé les échanges avec l'Ouest et a absorbé toutes les forces de la Russie. Les villes manquent de denrées alimentaires et les entreprises de matières premières. La situation révolutionnaire depuis Février a aussi accentué l'instabilité : les ouvriers sont en grève ou ce sont les patrons qui font des lock-out, de nombreux soldats désertent et retournent dans les campagnes dont ils sont originaires, des paysans développent des logiques d'autarcie...

Lorsque les bolcheviks prennent le pouvoir en Octobre, ils contrôlent Petrograd, Moscou, et un territoire correspondant à l'ancienne Moscovie, mais de nombreuses régions sont encore en dispute. Pendant plusieurs années, l'ancien Empire, disloqué, est un champ de bataille, et l'issue était incertaine.

2 Historique

2.1 Des Gardes rouges à l'Armée rouge

🔍 Voir : Gardes rouges et Armée rouge.

Si les contre-révolutionnaires tentent immédiatement de contre-attaquer, la défense de la révolution dans les premiers mois doit surtout à l'auto-organisation des ouvriers et des soldats. Par exemple ce sont les gardes rouges (milices ouvrières armées) de Petrograd qui repoussent les cosaques de Krasnov et Kerensky qui attaquent le 12 novembre, ce sont propres soldats qui tuent le généralissime Doukhonine qui voulait marcher sur Petrograd pour « rétablir l’ordre »... Au printemps 1918, les gardes rouges ouvrières de Moscou et Petrograd, convergent vers le sud et mènent une guerre de partisans, et finissent par chasser Kornilov.

Mais à partir de l'été 1918, la guerre civile commence véritablement, notamment du fait de l'offensive militaire impérialiste (Allemagne, Royaume-Uni, France, Japon, États-Unis). C'est alors qu'est créée l'Armée rouge, qui est progressivement centralisée sous la direction de Trotsky pour avoir l'efficacité suffisante pour faire face.

2.2 Etatisation de l'industrie et discipline de fer

Pour avoir plus il faut produire plus (1920)

La gestion des industries nationalisées a été pilotée par le Conseil suprême de l'économie nationale (Vesenkha).

Une discipline de fer est établie dans les usines et des pratiques honnies sont réintroduites comme le salaire aux pièces, le livret de travail, le lock-out, le retrait des cartes de ravitaillement, l'arrestation et la déportation des meneurs de grèves. Des centaines de grévistes sont même fusillés.

2.3 Centralisation du pouvoir

Les syndicats sont épurés, bolchevisés et transformés en courroie de transmission, les coopératives absorbées. Même les soviets se transforment rapidement en coquilles vides.

Mais au delà de la volonté des bolchéviks, les mesures du communisme de guerre n'avaient pas réellement les moyens d'être cohérentes et coordonnées sur l'ensemble du pays. De larges zones du territoire russe sont en dehors du contrôle bolchevique, et du fait de mauvais moyens de communication, même les régions fidèles au gouvernement bolchevique ont souvent eu à agir de leur propre chef, sans aucun ordre ni coordination centrale.

2.4 Services publics

Les logements des classes aisées sont collectivisés : les appartements collectifs entrent ainsi dans la vie des Russes. Alors que la monnaie s'effondre et que le pays vit à l'heure du troc et des salaires versés en nature, le régime instaure la gratuité des logements, des transports, de l'eau, de l'électricité et des services publics, tous pris en main par l'État.

2.5 Militarisation du travail

Les bolchéviks ont également utilisé des soldats pour les affecter directement à des tâches productives, lorsque les circonstances ne permettaient pas de les envoyer au front et qu'il était encore dangereux de les démobiliser. Des opposants menchéviks (Abramovitch...) critiquent alors cette décision comme vouée à l'échec, car l'armée serait structurellement inefficace pour réaliser des tâches dont elle n'a pas l'habitude et qu'elle n'a pas choisi. Trotsky défend ces mesures de militarisation du travail comme allant dans le sens de la planification, et tout en reconnaissant les difficultés, il pointe les progrès réalisés.[1]

Dans le contexte d'urgence économique intimement liée au danger militaire, Trotsky assume l'obligation du travail que la dictature du prolétariat (vue comme volonté collective des ouvriers) peut imposer à un ouvrier individuel. Les menchéviks admettent l'idée générale mais soutiennent que cela ne doit pas prendre la forme de contrainte politique, mais seulement d'incitation économique.[1]

3 Improvisation ou théorisation ?

Dans son ouvrage de 1920 en défense de la politique bolchévique, Trotsky ne présente pas le communisme de guerre comme un excès, mais détaille la planification vers laquelle il faut selon lui aller à partir de l'économie étatisée. Selon lui, en l'absence d'aide de pays développés et dans les conditions de la guerre civile, la planfication ne pouvait pas accomplir de miracle économique et répondre d'un coup aux besoins sociaux :

« Nous devons dire aux masses toute la vérité sur notre situation et sur nos intentions futures, et leur déclarer franchement que notre plan économique, même avec l'effort maximum des travailleurs, ne nous donnera ni demain ni après-demain monts et merveilles, car au cours de la période à venir nous allons orienter notre principale action vers la préparation des conditions d'une production de moyens de production. Ce n'est que lorsque nous serons en état de rétablir, ne serait-ce que dans de faibles proportions, les moyens de transport et de production, que nous passerons à la fabrication d'objets de consommation. »[1]

Dans ce contexte où les échanges en argent étaient considérablement atrophiés et les services publics en expansion, certains bolcheviks rêvent même d'abolir l'argent, ou du moins de limiter drastiquement son usage. D'abord improvisé sous le feu des circonstances, le « communisme de guerre » paraît alors un moyen pour certains de faire passer directement la Russie au socialisme.

4 Résultats

Le communisme de guerre a incontestablement permis aux bolchéviks de gagner la guerre civile. Il est impossible de faire son bilan indépendamment des effets de la guerre civile. Sans la guerre civile, ces mesures n'auraient pas été introduites si brusquement, et il n'y aurait pas eu autant de destructions, fatalement nuisibles à l'économie.

Le fait est que la guerre civile a vu s'effondrer encore plus l'économie russe. Début 1921, la production industrielle est tombée à 12% de son niveau d'avant-guerre et les transports sont désorganisés. La réquisition de vivres, combinée aux effets de 7 ans de guerre et d'une grave sècheresse, a contribué à une famine qui a causé entre 3 et 5 millions de décès[2]. Les paysans refusent de coopérer avec le gouvernement, qui ponctionne la production agricole.

Le marché noir apparaît en dépit de la loi martiale contre les « profiteurs » (la moitié du ravitaillement urbain en 1920 est assurée par le marché noir). Le rouble s'effondre et est remplacé par un système de troc, 90% de tous les salaires sont payés en nature (paiement sous forme de biens, plutôt qu'avec de l'argent). L'inégalité institutionnelle du rationnement au profit des soldats et des cadres du parti suscite la colère ouvrière.

Les ouvriers commencent à quitter les villes pour la campagne, où les chances de se nourrir étaient plus élevées. Entre 1917 et 1921, Pétrograd et Moscou perdent la moitié de leur population. La classe ouvrière se décompose : elle compte moins d'un million d'actifs en 1921, contre plus de trois millions en 1917. Début 1921, ce sont aussi les grèves et manifestations ouvrières qui se multiplient, y compris à Pétrograd. Celles-ci sont réprimées par les bolchéviks, qui sont convaincus de représenter la légitimité de la majorité ouvrière face à elles. La révolte de Kronstadt au début mars 1921, a été réprimée elle aussi mais a beaucoup ébranlé les militants bolchéviks.

5 La Nouvelle politique économique

Dans son rapport de mars 1921 au Xe congrès du Parti communiste russe, Lénine reconnaît :

« Les faits sont là. La Russie est menacée de famine. Tout le système du communisme de guerre est entré en collision avec les intérêts de la paysannerie […]. Nous nous sommes trop avancés dans la nationalisation du commerce et de l'industrie, dans le blocage des échanges locaux. Est-il possible de rétablir dans une certaine mesure la liberté du commerce ? Oui, c'est possible. C'est une question de mesure. Nous pouvons revenir quelque peu sur nos pas sans détruire pour cela la dictature du prolétariat. »

Le , les congressistes adoptent le rapport de Lénine : la Nouvelle politique économique (NEP) est lancée.

C'est à ce moment que rétrospectivement, l'étatisation totale de l'économie pendant la guerre civile a été nommée « communisme de guerre ».

6 Historiographie

Selon l'historien Lars Lih, spécialiste de Lénine, beaucoup d'historiens mêmes majeurs ont écrit beaucoup d'âneries sur le communisme de guerre. Notamment, ils ont présenté les bolchéviks comme étant aveugles sur la situation du pays, croyant foncer vers le socialisme. A l'inverse, il dit à propos de ses recherches :

« Pour l’essentiel, j’ai montré que ses responsables n’étaient ni fous, ni idiots. On peut être d’accord ou non avec ce qu’ils ont fait, mais il faut admettre qu’ils s’occupaient de problèmes réels et cherchaient à faire de leur mieux. »[3]

7 Notes et sources